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Munafa ebook

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Read Ebook: Micromégas by Voltaire

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Ebook has 71 lines and 10612 words, and 2 pages

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Edition: 10

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Nous remercions la Biblioth?que Nationale de France qui a mis ? dispositions les images dans www://gallica.bnf.fr, et a donn? l'authorization ? les utilizer pour preparer ce texte.

OEUVRES

VOLTAIRE.

DE L' IMPRIMERIE DE A. FIRMIN DIDOT,

RUE JACOB, N? 24.

OEUVRES

VOLTAIRE

PR?FACES, AVERTISSEMENTS, NOTES, ETC.

PAR M. BEUCHOT.

A PARIS,

CHEZ LEF?VRE, LIBRAIRE,

RUE DE L'?PERON, K? 6. WERDET ET LEQUIEN FILS,

RUE DU BATTOIR, N? 2O.

MICROM?GAS,

HISTOIRE PHILOSOPHIQUE.

Pr?face de l'?diteur

Ce roman peut, ?tre regard? comme une imitation d'un des voyages de Gulliver. II contient plusieurs allusions. Le nain d? Saturne est M. de Fontenelle. Malgr? sa douceur, sa circonspection, sa philosophie, qui devait lui faire aimer celle de M. de Voltaire, il s'?tait li? avec les ennemis de ce grand homme, et avait paru partager, sinon leur haine, du moins leurs pr?ventions. Il fut fort bless? du r?le qu'il jouait dans ce roman, et d'autant plus peut-?tre que la critique ?tait juste, quoique s?v?re, et que les ?loges qui s'y m?laient y donnaient encore plus de poids. Le mot qui termine l'ouvrage n'adoucit point la blessure, et le bien qu'on dit du secr?taire de l'acad?mie de Paris ne consola point M. de Fontenelle des plaisanteries qu'on se permettait sur celui de l'acad?mie de Saturne.

Les notes sans signature, et qui sont indiqu?es par des lettres, sont de Voltaire.

Les notes sign?es d'un K sont des ?diteurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.

Les additions que j'ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des ?diteurs de Kehl, en sont s?par?es par un --, et sont, comme mes notes, sign?es de l'initiale de mon nom.

BEUCHOT.

MICROM?GAS,

HISTOIRE PHILOSOPHIQUE.

Voyage d'un habitant du monde de l'?toile Sirius dans la plan?te de Saturne.

Dans une de ces plan?tes qui tournent autour de l'?toile nomm?e Sirius il y avait un jeune homme de beaucoup d'esprit, que j'ai eu l'honneur de conna?tre dans le dernier voyage qu'il fit sur notre petite fourmili?re; il s'appelait Microm?gas, nom qui convient fort ? tous les grands. Il avait huit lieues de haut: j'entends par huit lieues, vingt-quatre mille pas g?om?triques de cinq pieds chacun.

Quelques g?om?tres, gens toujours utiles au public, prendront sur-le-champ la plume, et trouveront que, puisque M. Microm?gas, habitant du pays de Sirius, a de la t?te aux pieds vingt-quatre mille pas, qui font cent vingt mille pieds de roi, et que nous autres citoyens de la terre nous n'avons gu?re que cinq pieds, et que notre globe a neuf mille lieues de tour; ils trouveront, dis-je, qu'il faut absolument que le globe qui l'a produit ait au juste vingt-un millions six cent mille fois plus de circonf?rence que notre petite terre. Rien n'est plus simple et plus ordinaire dans la nature. Les ?tats de quelques souverains d'Allemagne ou d'Italie, dont on peut faire le tour en une demi-heure, compar?s ? l'empire de Turquie, de Moscovie, ou de la Chine, ne sont qu'une tr?s faible image des prodigieuses diff?rences que la nature a mises dans tous les ?tres.

La taille de son excellence ?tant de la hauteur que j'ai dite, tous nos sculpteurs et tous nos peintres conviendront sans peine que sa ceinture peut avoir cinquante mille pieds de roi de tour; ce qui fait une tr?s jolie proportion. Son nez ?tant le tiers de son beau visage, et son beau visage ?tant la septi?me partie de la hauteur de son beau corps, il faut avouer que le nez du Sirien a six mille trois cent trente-trois pieds de roi plus une fraction; ce qui ?tait ? d?montrer.

Je r?tablis celte phrase d'apr?s les premi?res ?ditions. B.

Quant ? son esprit, c'est un des plus cultiv?s que nous ayons; il sait beaucoup de choses; il en a invent? quelques unes: il n'avait pas encore deux cent cinquante ans; et il ?tudiait, selon la coutume, au coll?ge le plus c?l?bre de sa plan?te, lorsqu'il devina, par la force de son esprit, plus de cinquante propositions d'Euclide. C'est dix-huit de plus que Blaise Pascal, lequel, apr?s en avoir devin? trente-deux en se jouant, ? ce que dit sa soeur, devint depuis un g?om?tre assez m?diocre, et un fort mauvais m?taphysicien. Vers les quatre cent cinquante ans, au sortir de l'enfance, il diss?qua beaucoup de ces petits insectes qui n'ont pas cent pieds de diam?tre, et qui se d?robent aux microscopes ordinaires; il en composa un livre fort curieux, mais qui lui fit quelques affaires. Le muphti de son pays, grand v?tillard, et fort ignorant, trouva dans son livre des propositions suspectes, malsonnantes, t?m?raires, h?r?tiques, sentant l'h?r?sie, et le poursuivit vivement: il s'agissait de savoir si la forme substantielle des puces de Sirius ?tait de m?me nature que celle des colima?ons. Microm?gas se d?fendit avec esprit; il mit les femmes de son c?t?; le proc?s dura deux cent vingt ans. Enfin le muphti fit condamner le livre par des jurisconsultes qui ne l'avaient pas lu, et l'auteur eut ordre de ne para?tre ? la cour de huit cents ann?es.

Pascal devint un tr?s grand g?om?tre, non dans la classe de ceux qui ont contribu? par de grandes d?couvertes au progr?s des sciences, comme Descartes, Newton, mais dans celle des g?om?tres qui ont montr? par leurs ouvrages un g?nie du premier ordre. K.

Voyez ma note, page 110. B.

Conversation de l'habitant de Sirius avec celui de Saturne.

Apr?s que son excellence se fut couch?e, et que le secr?taire se fut approch? de son visage, Il faut avouer, dit Microm?gas, que la nature est bien vari?e. Oui, dit le Saturnien, la nature est comme un parterre dont les fleurs..... Ah! dit l'autre, laissez l? votre parterre. Elle est, reprit le secr?taire, comme une assembl?e de blondes et de brunes, dont les parures.... Eh! qu'ai-je ? faire de vos brunes? dit l'autre. Elle est donc comme une galerie de peintures dont les traits..... Eh non! dit le voyageur, encore une fois la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons? Pour vous plaire, r?pondit le secr?taire. Je ne veux point qu'on me plaise, r?pondit le voyageur; je veux qu'on m'instruise; commencez d'abord par me dire combien les hommes de votre globe ont de sens. Nous en avons soixante et douze, dit l'acad?micien; et nous nous plaignons tous les jours du peu. Notre imagination va au-del? de nos besoins; nous trouvons qu'avec nos soixante et douze sens, notre anneau, nos cinq lunes, nous sommes trop born?s; et, malgr? toute notre curiosit? et le nombre assez grand de passions qui r?sultent de nos soixante et douze sens, nous avons tout le temps de nous ennuyer. Je le crois bien, dit Microm?gas; car dans notre globe nous avons pr?s de mille sens; et il nous reste encore je ne sais quel d?sir vague, je ne sais quelle inqui?tude, qui nous avertit sans cesse que nous sommes peu de chose, et qu'il y a des ?tres beaucoup plus parfaits. J'ai un peu voyag?; j'ai vu des mortels fort au-dessous de nous; j'en ai vu de fort sup?rieurs: mais je n'en ai vu aucuns qui n'aient plus de d?sirs que de vrais besoins, et plus de besoins que de satisfaction. J'arriverai peut-?tre un jour au pays o? il ne manque rien; mais jusqu'? pr?sent personne ne m'a donn? de nouvelles positives de ce pays-l?. Le Saturnien et le Sirien s'?puis?rent alors en conjectures; mais, apr?s beaucoup de raisonnements fort ing?nieux et fort incertains, il en fallut revenir aux faits. Combien de temps vivez-vous? dit le Sirien. Ah! bien peu, r?pliqua le petit homme de Saturne. C'est tout comme chez nous, dit le Sirien: nous nous plaignons toujours du peu. Il faut que ce soit une loi universelle de la nature. H?las! nous ne vivons, dit le Saturnien, que cinq cents grandes r?volutions du soleil. Vous voyez bien que c'est mourir presque au moment que l'on est n?; notre existence est un point, notre dur?e un instant, notre globe un atome. A peine a-t-on commenc? ? s'instruire un peu que la mort arrive avant qu'on ait de l'exp?rience. Pour moi, je n'ose faire aucuns projets; je me trouve comme une goutte d'eau dans un oc?an immense. Je suis honteux, surtout devant vous, de la figure ridicule que je fais dans ce monde. Microm?gas lui repartit: Si vous n'?tiez pas philosophe, je craindrais de vous affliger en vous apprenant que notre vie est sept cents fois plus longue que la v?tre; mais vous savez trop bien que quand il faut rendre son corps aux ?l?ments, et ranimer la nature sous une autre forme, ce qui s'appelle mourir; quand ce moment de m?tamorphose est venu, avoir v?cu une ?ternit?, ou avoir v?cu un jour, c'est pr?cis?ment la m?me chose. J'ai ?t? dans des pays o? l'on vit mille fois plus long-temps que chez moi, et j'ai trouv? qu'on y murmurait encore. Mais il y a partout des gens de bon sens qui savent prendre leur parti et remercier l'Auteur de la nature. Il a r?pandu sur cet univers une profusion de vari?t?s avec une esp?ce d'uniformit? admirable. Par exemple tous les ?tres pensants sont diff?rents, et tous se ressemblent au fond par le don de la pens?e et des d?sirs. La mati?re est partout ?tendue; mais elle a dans chaque globe des propri?t?s diverses. Combien comptez-vous de ces propri?t?s diverses dans votre mati?re? Si vous parlez de ces propri?t?s, dit le Saturnien, sans lesquelles nous croyons que ce globe ne pourrait subsister tel qu'il est, nous en comptons trois cents, comme l'?tendue, l'imp?n?trabilit?, la mobilit?, la gravitation, la divisibilit?, et le reste. Apparemment, r?pliqua le voyageur, que ce petit nombre suffit aux vues que le Cr?ateur avait sur votre petite habitation. J'admire en tout sa sagesse; je vois partout des diff?rences, mais aussi partout des proportions. Votre globe est petit, vos habitants le sont aussi; vous avez peu de sensations; votre mati?re a peu de propri?t?s; tout cela est l'ouvrage de la Providence. De quelle couleur est votre soleil bien examin?? D'un blanc fort jaun?tre, dit le Saturnien; et quand nous divisons un de ses rayons, nous trouvons qu'il contient sept couleurs. Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien, et nous avons trente-neuf couleurs primitives. Il n'y a pas un soleil, parmi tous ceux dont j'ai approch?, qui se ressemble, comme chez vous il n'y a pas un visage qui ne soit diff?rent de tous les autres.

Apr?s plusieurs questions de cette nature, il s'informa combien de substances essentiellement diff?rentes on comptait dans Saturne. Il apprit qu'on n'en comptait qu'une trentaine, comme Dieu, l'espace, la mati?re, les ?tres ?tendus qui sentent, les ?tres ?tendus qui sentent et qui pensent, les ?tres pensants qui n'ont point d'?tendue; ceux qui se p?n?trent, ceux qui ne se p?n?trent pas, et le reste. Le Sirien, chez qui on en comptait trois cents et qui en avait d?couvert trois mille autres dans ses voyages, ?tonna prodigieusement le philosophe de Saturne. Enfin, apr?s s'?tre communiqu? l'un ? l'autre un peu de ce qu'ils savaient et beaucoup de ce qu'ils ne savaient pas, apr?s avoir raisonn? pendant une r?volution du soleil, ils r?solurent de faire ensemble un petit voyage philosophique.

Voyage des deux habitants de Sirius et de Saturne.

Nos deux philosophes ?taient pr?ts ? s'embarquer dans l'atmosph?re de Saturne avec une fort jolie provision d'instruments de math?matiques, lorsque la ma?tresse du Saturnien, qui en eut des nouvelles, vint en larmes faire ses remontrances. C'?tait une jolie petite brune qui n'avait que six cent soixante toises, mais qui r?parait par bien des agr?ments la petitesse de sa taille. Ah! cruel! s'?cria-t-elle, apr?s t'avoir r?sist? quinze cents ans, lorsque enfin je commen?ais ? me rendre, quand j'ai ? peine pass? cent ans entre tes bras, tu me quittes pour aller voyager avec un g?ant d'un autre monde; va, tu n'es qu'un curieux, tu n'as jamais eu d'amour: si tu ?tais un vrai Saturnien, tu serais fid?le. O? vas-tu courir? que veux-tu? nos cinq lunes sont moins errantes que toi, notre anneau est moins changeant. Voil? qui est fait, je n'aimerai jamais plus personne. Le philosophe l'embrassa, pleura avec elle, tout philosophe qu'il ?tait; et la dame, apr?s s'?tre p?m?e, alla se consoler avec un petit-ma?tre du pays.

Cependant nos deux curieux partirent; ils saut?rent d'abord sur l'anneau, qu'ils trouv?rent assez plat, comme l'a fort bien devin? un illustre habitant de notre petit globe; de l? ils all?rent ais?ment de lune en lune. Une com?te passait tout aupr?s de la derni?re; ils s'?lanc?rent sur elle avec leurs domestiques et leurs instruments. Quand ils eurent fait environ cent cinquante millions de lieues, ils rencontr?rent les satellites de Jupiter. Ils pass?rent dans Jupiter m?me, et y rest?rent une ann?e, pendant laquelle ils apprirent de fort beaux secrets qui seraient actuellement sous presse sans messieurs les inquisiteurs, qui ont trouv? quelques propositions un peu dures. Mais j'en ai lu le manuscrit dans la biblioth?que de l'illustre archev?que de...., qui m'a laiss? voir ses livres avec cette g?n?rosit? et cette bont? qu'on ne saurait assez louer. Aussi je lui promets un long article dans la premi?re ?dition qu'on fera de Mor?ri, et je n'oublierai pas surtout messieurs ses enfants, qui donnent une si grande esp?rance de perp?tuer la race de leur illustre p?re.

Mais revenons ? nos voyageurs. En sortant de Jupiter, ils travers?rent un espace d'environ cent millions de lieues, et ils c?toy?rent la plan?te de Mars, qui, comme on sait, est cinq fois plus petite que notre petit globe; ils virent deux lunes qui servent ? cette plan?te, et qui ont ?chapp? aux regards de nos astronomes. Je sais bien que le p?re Castel ?crira, et m?me assez plaisamment, contre l'existence de ces deux lunes; mais je m'en rapporte ? ceux qui raisonnent par analogie. Ces bons philosophes-l? savent combien il serait difficile que Mars, qui est si loin du soleil, se pass?t ? moins de deux lunes. Quoi qu'il en soit, nos gens trouv?rent cela si petit, qu'ils craignirent de n'y pas trouver de quoi coucher, et ils pass?rent leur chemin comme deux voyageurs qui d?daignent un mauvais cabaret de village, et poussent jusqu'? la ville voisine. Mais le Sirien et son compagnon se repentirent bient?t. Ils all?rent long-temps, et ne trouv?rent rien. Enfin ils aper?urent une petite lueur, c'?tait la terre; cela fit piti? ? des gens qui venaient de Jupiter. Cependant, de peur de se repentir une seconde fois, ils r?solurent de d?barquer. Ils pass?rent sur la queue de la com?te, et, trouvant une aurore bor?ale toute pr?te, ils se mirent dedans, et arriv?rent ? terre sur le bord septentrional de la mer Baltique, le cinq juillet mil sept cent trente-sept, nouveau style.

Ce qui leur arrive sur le globe de la terre.

Apr?s s'?tre repos?s quelque temps, ils mang?rent ? leur d?jeuner deux montagnes, que leurs gens leur appr?t?rent assez proprement. Ensuite ils voulurent reconna?tre le petit pays o? ils ?taient. Ils all?rent d'abord du nord au sud. Les pas ordinaires du Sirien et de ses gens ?taient d'environ trente mille pieds de roi; le nain de Saturne, dont la taille n'?tait que de mille toises, suivait de loin en haletant; or il fallait qu'il f?t environ douze pas, quand l'autre fesait une enjamb?e: figurez-vous un tr?s petit chien de manchon qui suivrait un capitaine des gardes du roi de Prusse.

Le nain, qui jugeait quelquefois un peu trop vite, d?cida d'abord qu'il n'y avait personne sur la terre. Sa premi?re raison ?tait qu'il n'avait vu personne. Microm?gas lui fit sentir poliment que c'?tait raisonner assez mal: car, disait-il, vous ne voyez pas avec vos petits yeux certaines ?toiles de la cinquanti?me grandeur que j'aper?ois tr?s distinctement; concluez-vous de l? que ces ?toiles n'existent pas? Mais, dit le nain, j'ai bien t?t?. Mais, r?pondit l'autre, vous avez mal senti. Mais, dit le nain, ce globe-ci est si mal construit, cela est si irr?gulier et d'une forme qui me para?t si ridicule! tout semble ?tre ici dans le chaos: voyez-vous ces petits ruisseaux dont aucun ne va de droit fil, ces ?tangs qui ne sont ni ronds, ni carr?s, ni ovales, ni sous aucune forme r?guli?re; tous ces petits grains pointus dont ce globe est h?riss?, et qui m'ont ?corch? les pieds? Remarquez-vous encore la forme de tout le globe, comme il est plat aux p?les, comme il tourne autour du soleil d'une mani?re gauche, de fa?on que les climats des p?les sont n?cessairement incultes? En v?rit?, ce qui fait que je pense qu'il n'y a ici personne, c'est qu'il me para?t que des gens de bon sens ne voudraient pas y demeurer. Eh bien! dit Microm?gas, ce ne sont peut-?tre pas non plus des gens de bon sens qui l'habitent. Mais enfin il y a quelque apparence que ceci n'est pas fait pour rien. Tout vous para?t irr?gulier ici, dites-vous, parceque tout est tir? au cordeau dans Saturne et dans Jupiter. Eh! c'est peut-?tre pour cette raison-l? m?me qu'il y a ici un peu de confusion. Ne vous ai-je pas dit que dans mes voyages j'avais toujours remarqu? de la vari?t?? Le Saturnien r?pliqua ? toutes ces raisons. La dispute n'e?t jamais fini, si par bonheur Microm?gas, en s'?chauffant ? parler, n'e?t cass? le fil de son collier de diamants. Les diamants tomb?rent; c'?taient de jolis petits carats assez in?gaux, dont les plus gros pesaient quatre cents livres, et les plus petits cinquante. Le nain en ramassa quelques uns; il s'aper?ut, en les approchant de ses yeux, que ces diamants, de la fa?on dont ils ?taient taill?s, ?taient d'excellents microscopes. Il prit donc un petit microscope de cent soixante pieds de diam?tre, qu'il appliqua ? sa prunelle; et Microm?gas en choisit un de deux mille cinq cents pieds. Ils ?taient excellents; mais d'abord on ne vit rien par leur secours, il fallait s'ajuster. Enfin l'habitant de Saturne vit quelque chose d'imperceptible qui remuait entre deux eaux dans la mer Baltique: c'?tait une baleine. Il la prit avec le petit doigt fort adroitement; et la mettant sur l'ongle de son pouce, il la fit voir au Sirien, qui se mit ? rire pour la seconde fois de l'exc?s de petitesse dont ?taient les habitants de notre globe. Le Saturnien, convaincu que notre monde est habit?, s'imagina bien vite qu'il ne l'?tait que par des baleines; et comme il ?tait grand raisonneur, il voulut deviner d'o? un si petit atome tirait son origine, son mouvement, s'il avait des id?es, une volont?, une libert?. Microm?gas y fut fort embarrass?; il examina l'animal fort patiemment, et le r?sultat de l'examen fut qu'il n'y avait pas moyen de croire qu'une ?me f?t log?e l?. Les deux voyageurs inclinaient donc ? penser qu'il n'y a point d'esprit dans notre habitation, lorsqu'? l'aide du microscope ils aper?urent quelque chose d'aussi gros qu'une baleine qui flottait sur la mer Baltique. On sait que dans ce temps-l? m?me une vol?e de philosophes revenait du cercle polaire, sous lequel ils avaient ?t? faire des observations, dont personne ne s'?tait avis? jusqu'alors. Les gazettes dirent que leur vaisseau ?choua aux c?tes de Bothnie, et qu'ils eurent bien de la peine ? se sauver: mais on ne sait jamais dans ce monde le dessous des cartes. Je vais raconter ing?nument comme la chose se passa, sans y rien mettre du mien; ce qui n'est pas un petit effort pour un historien.

Exp?riences et raisonnements des deux voyageurs.

Microm?gas ?tendit la main tout doucement vers l'endroit o? l'objet paraissait, et avan?ant deux doigts, et les retirant par la crainte de se tromper, puis les ouvrant et les serrant, il saisit fort adroitement le vaisseau qui portait ces messieurs, et le mit encore sur son ongle, sans le trop presser, de peur de l'?craser. Voici un animal bien diff?rent du premier, dit le nain de Saturne; le Sirien mit le pr?tendu animal dans le creux de sa main. Les passagers et les gens de l'?quipage, qui s'?taient crus enlev?s par un ouragan, et qui se croyaient sur une esp?ce de rocher, se mettent tous en mouvement; les matelots prennent des tonneaux de vin, les jettent sur la main de Microm?gas, et se pr?cipitent apr?s. Les g?om?tres prennent leurs quarts de cercle, leurs secteurs, deux filles laponnes, et descendent sur les doigts du Sirien. Ils en firent tant, qu'il sentit enfin remuer quelque chose qui lui chatouillait les doigts; c'?tait un b?ton ferr? qu'on lui enfon?ait d'un pied dans l'index: il jugea, par ce picotement, qu'il ?tait sorti quelque chose du petit animal qu'il tenait; mais il n'en soup?onna pas d'abord davantage. Le microscope, qui fesait ? peine discerner une baleine et un vaisseau, n'avait point de prise sur un ?tre aussi imperceptible que des hommes. Je ne pr?tends choquer ici la vanit? de personne, mais je suis oblig? de prier les importants de faire ici une petite remarque avec moi; c'est qu'en prenant la taille des hommes d'environ cinq pieds, nous ne fesons pas sur la terre une plus grande figure qu'en ferait sur une boule de dix pieds de tour un animal qui aurait ? peu pr?s la six cent milli?me partie d'un pouce en hauteur. Figurez-vous une substance qui pourrait tenir la terre dans sa main, et qui aurait des organes en proportion des n?tres; et il se peut tr?s bien faire, qu'il y ait un grand nombre de ces substances: or concevez, je vous prie, ce qu'elles penseraient de ces batailles qui font gagner au vainqueur un village pour le perdre ensuite.

Je ne doute pas que si quelque capitaine des grands grenadiers lit jamais cet ouvrage, il ne hausse de deux grands pieds au moins les bonnets de sa troupe; mais je l'avertis qu'il aura beau faire, que lui et les siens ne seront jamais que des infiniment petits.

Quelle adresse merveilleuse ne fallut-il donc pas ? notre philosophe de Sirius, pour apercevoir les atomes dont je viens de parler? Quand Leuwenhoek et Hartso?ker virent les premiers ou crurent voir la graine dont nous sommes form?s, ils ne firent pas, ? beaucoup pr?s, une si ?tonnante d?couverte. Quel plaisir sentit Microm?gas en voyant remuer ces petites machines, en examinant tous leurs tours, en les suivant dans toutes leurs op?rations! comme il s'?cria! comme il mit avec joie un de ses microscopes dans les mains de son compagnon de voyage! Je les vois, disaient-ils tous deux ?-la-fois; ne les voyez-vous pas qui portent des fardeaux, qui se baissent, qui se rel?vent. En parlant ainsi, les mains leur tremblaient, par le plaisir de voir des objets si nouveaux, et par la crainte de les perdre. Le Saturnien, passant d'un exc?s de d?fiance ? un exc?s de cr?dulit?, crut apercevoir qu'ils travaillaient ? la propagation. <> Mais il se trompait sur les apparences; ce qui n'arrive que trop, soit qu'on se serve ou non du microscope.

Expression heureuse el plaisante de Fontenelle, en rendant compte de quelques observations d'histoire naturelle. K.

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