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Munafa ebook

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Read Ebook: L'Illustration No. 0060 20 Avril 1844 by Various

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Ebook has 213 lines and 27469 words, and 5 pages

Quant ? madame Calamatta, elle semble avoir retrouv?e le pinceau de Rapha?l. C'est la m?me fermet? de dessin, la m?me solidit? du couleur, la m?me puissance de model?; enfin, que dirai-je, la m?me divinit? d'expression.

Dans la Sainte Famille surtout, ces qualit?s se trouvent r?unies au plus haut degr?.

La jeune m?re est bien la femme forte dont parle l'?vangile.

Remercions madame R. de C. de ses ?tudes de Champignons d'apr?s nature .

Madame R. de C., anim?e d'une louable philanthropie, s'est empress?e de r?unir dans un cadre les champignons v?n?neux et ceux qui ne le sont pas, afin de signaler les premiers ? la r?probation universelle.--Nous votons une m?daille de sauvetage ? madame R. de C. Son autre cadre repr?sente aussi des champignons, mais dans une situation plus int?ressante, des champignons en couche.

Rien n'est suave et d?licieux comme la nature morte de M. Delaunay.--La morbidesse la plus ?trange est r?pandue sur cette toile ravissante, o? l'oeil s'arr?te avec le plus vif plaisir.

Finissons en donnant au public une figure d?tach?e du tableau du M. Bard,--Alexandre visitant le port de Corinthe.--Tout le monde se rappelle la Barque ? Caron de l'ann?e pr?c?dente. Au moins, lui, ne s'est point laiss? enorgueillir par le succ?s. C'est une rude le?on, en m?me temps qu'un exemple qui devrait ?tre profitable, que M. Bard donne ? Delaroche, Ingres, Meissonnier, Decamps, Tanty, Chaplain, etc., qui se croient le droit de ne plus exposer, sous pr?texte qu'ils ont du talent et qu'ils ont r?ussi.--C'est la gr?ce que je vous souhaite.

Amen.

Le dernier des Commis Voyageurs.

LE CHAPITRE DES COMPLICATIONS.

Les ?v?nements de cette soir?e laiss?rent dans l'esprit de Potard des traces profondes. Cette irruption inattendue d'un jeune et hardi cavalier au sein d'une maison qu'il croyait inaccessible, le trouble de Jenny, son ?vanouissement, l'embarras et l'effroi de Marguerite, tout contribua ? le convaincre que sa surveillance avait ?t? mise en d?faut, et que ses lares domestiques cachaient un douloureux myst?re. Comment le p?n?trer? L? commen?aient ses incertitudes. La crise que la jeune fille venait d'essuyer la laissa pendant quelques jours dans un ?tat de souffrance et de langueur qui ne permettait pas de lui faire subir un interrogatoire. Comme les tiges qu'un violent orage a courb?es, Jenny se relevait lentement; son organisation d?licate luttait mal contre les ravages du chagrin; une fi?vre opini?tre donnait ? ses yeux un ?clat maladif et colorait ses pommettes d'un ronge de mauvais augure.

Quand les plus f?cheux sympt?mes eurent cess?, Potard questionna pourtant la jeune tille; mais elle fut imp?n?trable. Les instances les plus vives ne purent rien sur elle. Dans tout ce qui s'?tait pass?, il ne fallait voir que l'effet d'une secousse impr?vue; telle fut la seule explication que l'on put en tirer. Potard n'osait pas mieux pr?ciser ses soup?ons et troubler la sainte pudeur qui est l'apanage ordinaire de cet ?ge. Il ?tait donc oblig? de s'en tenir ? des insinuations vagues qui n'avan?aient en rien son enqu?te. Interrog?e ? son tour, Marguerite garda aussi la d?fensive, et ni les pri?res ni les menaces ne chang?rent sa d?termination. ?videmment il y avait concert entre ces deux femmes, et presque complot. D?sesp?r? de ce silence, Potard essaya de puiser des renseignements ? une autre source. Il se rendit chez Beaupertuis pour provoquer des ?claircissements. ?douard ayant quitt? Lyon; il s'?tait remis en voyage peu de jours apr?s leur derni?re rencontre. Ainsi tout conspirait pour laisser Potard en proie au soup?on et ? l'incertitude.

Le temps s'?coulait, et il fallait prendre un parti. L'inventaire des Grabeaus?e ?tait achev?; les nouveaux ?chantillons, l'itin?raire; les instructions, tout ?tait pr?t; rien ne s'opposait plus au d?part, et en le diff?rant on e?t laiss? prendre l'avance aux maisons rivales pour le curcuma et les clous de girofle, deux articles rares et recherch?s. Potard comprit qu'il importait de frapper un coup d?cisif. Dans la plaine des Brotteaux et sur le chemin des Charpennes, il avait remarqu? une maisonnette offrant les avantages de la solitude sans avoir les dangers de l'isolement. Quelques habitations, peupl?es d'honn?tes ouvriers, l'environnaient, et un jardin, clos de murs, lui m?nageait une issue du c?t? de la campagne. Sans en pr?venir personne, Potard arr?ta ce logement, le fit disposer d'une mani?re convenable, et, quand tout fut pr?t, il signifia sa volont? aux deux femmes, qui ob?irent avec r?signation. En moins d'une semaine, le d?m?nagement fut fait, et celui qui aurait frapp? ? la porte du petit appartement de la place Saint-Nizier e?t trouv? l'oiseau envol? et la cage vide. Cet abandon se trahit bient?t au dehors; faute de soins, les capucines et les pois de senteur se fl?trirent sur leurs tiges, et cet arc de verdure, nagu?re si vigoureux et si r?gulier, n'offrit plus que des festons en d?sordre et des feuilles jaunies par la s?cheresse.

Plus tranquille ? la suite de ce coup d'?tat, le p?re Potard se remit en voyage, et le poivre, le sumac, les bois de camp?che, les estagnons d'essence, la cochenille, l'indigo, le caf? et le sucre occup?rent bient?t une telle place dans sa pens?e, que le souvenir de son aventure alla peu ? peu en s'affaiblissant. Ses soup?ons ne tenaient pas devant un ordre de noix de galles, et il n'est rien qu'une belle affaire en gommes du S?n?gal n'e?t le pouvoir d'effacer. Potard ?tait alors sur son vrai th??tre, et il s'y montrait plus beau que jamais. Les maisons de Lyon le citaient en exemple ? leurs voyageurs; L? o? les autres glanaient, il trouvait mati?re ? une ample moisson, et ressemblait ? ces chiens de race qui ne quittent pas la partie sans emporter le morceau. Dieu sait quel r?pertoire d'ing?nieuses formules il avait cr?? pour vaincre les r?sistances et arracher un consentement! Comme il s'aidait avec art des moindres circonstances pour entra?ner les volont?s paresseuses et subjuguer les volont?s rebelles! Une caresse ? l'enfant, un compliment ? la femme, une flatterie au mari, des poign?es de main aux commis et aux gar?ons; il connaissait tous ces moyens vulgaires, et ne les employait qu'en les relevant par la mise en oeuvre. Quelle vari?t? dans le ton, et comme il l'appropriait aux caract?res aux moeurs, aux pr?jug?s de chacun! Quelle s?ret? de coup d'oeil, quel aplomb, quelle f?condit? de ressources, quelle souplesse, quelle dext?rit? de langage! L'art du voyageur a beaucoup de rapport avec la tactique qui pr?side ? l'invasion des places fortes. C'est un si?ge en r?gle, o? tous les effets sont calcul?s, et dont les combinaisons sont infinies: tant?t il faut brusquer l'assaut, tant?t conduire lentement la tranch?e. Les diversions habiles, les regards incendiaires, les mines et contre-mines, tout l'appareil et toutes les ruses de l'attaque sont du ressort d'un voyageur de g?nie, et lui appartiennent par droit d'assimilation. L'art des voyages sera donc quelque jour plac? sur la m?me ligne que l'art des si?ges, et Potard aura m?rit? d'en ?tre le Vauban.

Quatre mois s'?coul?rent ainsi, au bout desquels il fallut regagner Lyon pour y prendre langue. Potard descendit dans sa petite maison des Brotteaux, et il y retrouva les choses au point o? il les avait laiss?es. Seulement Jenny semblait ?tre revenue ? la sant? et au bonheur; son teint s'?tait anim?, la langueur r?pandue sur ses traits avait disparu. Le voyageur attribua ces r?sultats ? l'air de la campagne et ? un exercice plus fr?quent. Sa maison, embellie par les soins des deux femmes, ?tait charmante; sous leurs mains industrieuses, le jardin avait chang? d'aspect. Une all?e en forme de berceau, recouverte de vigne vierge et de ch?vrefeuille, conduisait jusqu'? la porte qui s'ouvrait sur les champs; quelques plantes rares garnissaient une petite serre, et des bancs de gazon ?taient sym?triquement dispos?s dans les angles des murs. Potard se trouva le plus heureux des hommes au sein de cet Eden fleuri, et il s'y remit des fatigues de sa tourn?e. Du reste, plus de soup?ons, plus d'inqui?tudes; il avait chass? le souvenir du pass? comme un mauvais r?ve, et voyant Jenny heureuse, il lui supposait le coeur tranquille.

Une nuit pourtant il eut une alerte assez vive. Un travail d'?critures l'avait conduit jusqu'? une heure assez avanc?e, et il venait ? peine d'?teindre sa lampe quand un bruit, qui semblait voisin, attira son attention. Il se leva, et, sans ouvrir sa crois?e, il appliqua son oeil contre les lames des volets. Une obscurit? profonde voilait les objets, et la brume qui flottait dans l'air les rendait plus confus encore. Cependant il lui sembla voir une omble se glisser sous l'all?e couverte, et un grincement ?touff? lui lit croire que l'on faisait jouer la serrure de la porte du jardin. Tout cela s'accomplit avec la rapidit? de la pens?e, et un instant apr?s le silence avait repris le dessus. Troubl? par cette vision, Potard ne put se rendormir; d?s qu'il vit poindre le jour, il se leva, et alla s'assurer si rien, dans l'aspect des lieux, ne lui fournirait d'autres indices. La maison ?tait dans un ordre parfait; toute porte avait ses verrous tir?s; pas le moindre d?rangement ni le moindre d?sordre ne se laissaient voir. Dans le jardin, m?me recherche et m?me r?sultat; le sol, sec et bien battu, n'avait conserv? aucune trace; la porte qui donnait sur les champs ?tait ferm?e ? clef. Potard commen?ait ? croire qu'il avait ?t? le jouet d'une illusion; cependant il eut l'id?e de jeter au dehors un dernier coup d'oeil. La clef de l'issue ?tait ? sa place; il s'en servit pour ouvrir et se diriger vers la plaine en examinant avec pr?caution le terrain un peu d?trempe par la pluie. Il n'y avait pas ? s'y tromper: un homme avait pass? par l?, et y avait laiss? des empreintes ?videntes. Potard suivit ces traces dans toute l'?tendue de la jach?re, et constata qu'apr?s un court circuit le coupable avait d? regagner la grande route. L'examen des vestiges laiss?s sur le sol le conduisit ? une autre d?couverte, c'est qu'ils provenaient non de souliers de manant, mais de chaussures fines qui trahissaient une certaine position sociale.

Lorsque Robinson d?couvrit pour la premi?re fois, dans une ?le qu'il croyait d?serte, des empreintes de pas humains, il n'?prouva pas une frayeur plus grande que celle dont fut saisi Potard ? la vue de ces indices accusateurs. Une sueur froide l'inonda, sa bouche resta ? sec, et il sentit son gosier se resserrer comme sous une ?treinte vigoureuse. Le pass? lui revint alors ? la m?moire, et son coeur se remplit d'amertume. Cette gaiet? qu'il avait trouv?e, ? son retour, assise sur le seuil de sa maison, n'?tait qu'une feinte: on lui souriait pour mieux le tromper. Accabl? sous sa propre d?couverte, il n'osait pas regagner le logis, et un instant il eut la pens?e de fuir devant une perfidie si habile. La raison et la tendresse l'emport?rent; il r?solut de se vaincre et d'opposer dissimulation ? dissimulation. Personne n'?tait encore lev? chez lui; son excursion matinale n'avait pas ?t? remarqu?e. Il rentra sans bruit, remit tout dans l'ordre accoutum?, et se r?fugia dans sa chambre pour combiner ce qui lui restait ? faire. Deux heures apr?s il retrouvait, dans le jardin, Marguerite et Jenny, qui s'?taient r?veill?es au premier chant de l'alouette. La jeune fille ?tait radieuse; elle se baignait avec joie dans une atmosph?re charg?e des parfums du matin; elle suivait de l'oeil les oiseaux qui construisaient leurs nids, et se penchait sur toutes les fleurs pour en mieux respirer l'ar?me. Cette joie faisait un mal horrible ? Potard; cependant il parvint ? se ma?triser. Le d?jeuner se passa comme d'habitude, et rien ne put faire soup?onner aux deux femmes que le ma?tre de la maison ?tait sur la trace de leur secret.

Quand Potard fut sorti de chez lui, ? son heure ordinaire, ces sentiments tumultueux, jusque-l? comprim?s, firent explosion ? la fois:

<> ajouta-t-il comme accabl? par un souvenir plein d'horreur.

Tout en parlant et en gesticulant ainsi, Potard suivait la grande route qui va des Charpennes aux Brotteaux, et aboutit au pont Morand par une magnifique avenue bord?e de deux rang?es d'arbres. Depuis la soir?e de la place Saint-Nizier, le voyageur avait une id?e fixe que les circonstances ne lui avaient pas permis de r?aliser: il voulait rejoindre ?douard Beaupertuis, lui demander une explication, et prendre un parti apr?s l'avoir entendu. L'aventure de la nuit venait de donner ? ce d?sir une vivacit? et une ?nergie nouvelles: en sortant de chez lui, Potard s'?tait jur? qu'il trouverait ?douard dans la journ?e, et, mort ou vif, aurait raison de ce jeune homme. Cette r?solution ?tait bien arr?t?e dans sa t?te, et ? peine eut-il franchi le pont Morand, qu'il se rendit chez les Beaupertuis, o? il trouva l'ancien voyageur de la maison, alors commis principal.

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--Ah! c'est toi, Polard; comment vont les chansons, vieux? De plus en plus troubadour, n'est-ce pas? Quel bon veut t'am?ne, l'ancien?

--Une mis?re, Eustache: je voudrais savoir o? est votre petit ?douard; charmant gar?on, ma foi, un cadet qui ira bien. O? loge-t-il donc, Eustache?

--O? loge ?douard?

--Oui, Eustache, reprit Potard, qui craignait toujours de se trahir. Nous avons quelques petits comptes ensemble que je voudrais solder. Il me doit une revanche aux dominos.

--Alors te sera ? son retour, vieux; il est encore en voyage. On ne l'attend que dans deux semaines.

--En voyage! vrai, Eustache? en voyage; tu ne plaisantes pas? ?douard est en voyage? ajouta-t-il en lui prenant la main avec une vivacit? dont il ne put se d?fendre.

--Sans doute; et qu'y a-t-il d'?tonnant, troubadour, qu'?douard soit en voyage? C'est la saison de la vente. Tu es bien singulier aujourd'hui.

--C'est juste, dit Potard se remettant; je n'y avais pas song?. Il est donc en voyage, votre petit ?douard? Ta parole d'honneur, Eustache?

--Ah ?a, vieux, tu as eu quelque coup de sang; tu deviens stupide. Tiens, poursuivit le commis en prenant un papier sur le comptoir, voici une lettre que la maison a re?ue ce matin de Metz. Vingt douzaines de ch?les en cr?pe de fantaisie, un joli ordre! Lis la signature.

--?douard Beaupertuis, dit Potard en jetant un coup d'oeil avide sur la lettre que lui pr?sentait le commis. C'est ?trange!

--?trange, troubadour, pourquoi? D?cid?ment tu as re?u quelque coup de marteau sur le timbre. Comme te voil? ahuri!

--Fais pas attention, Eustache. Ton diable d'?douard m'a fait gorger le double six sept fois de suite: il y a de quoi faire tourner un homme en m?lasse. Adieu, coll?gue. Merci.

--Adieu, vieux.>>

Potard sortit d?sesp?r?; cette trame dont il croyait tenir le fil se compliquait de plus en plus; il ne savait d?sormais ? quoi se rattacher, il ?tait ? bout de conjectures. Pendant quelques heures il parcourut les quais du Rh?ne, en proie ? une esp?ce d'?garement, esp?rant toujours que le hasard le servirait mieux que le calcul, et que le sort lui livrerait son myst?rieux ennemi. Il n'aper?ut que d'honn?tes visages qui n'avaient rien de s?ducteur: des n?gociants ou des employ?s qui vaquaient ? leurs affaires, enfin, cette foule bruyante qui remplit l'enceinte des grandes villes et s'agite pour gagner le pain de la journ?e. Sur toutes ces physionomies le voyageur essayait de trouver le mot de son ?nigme et la clef de l'apparition qui venait de troubler ? jamais son repos. Quand il reprit, le soir, le chemin de sa maisonnette, il chancelait comme un homme ivre, tant les d?ceptions dont il ?tait le jouet avaient laiss? dans son cerveau empreinte profonde.

Cependant il fallait se vaincre encore, sous peine de trahir devant Jenny et Marguerite les combats de son ?me et la source d'o? ils provenaient. Potard eut ce courage: comme ces martyrs qui gardaient, au milieu des tortures, toute leur s?r?nit?. Il garda le sourire sur les l?vres pendant que le chagrin lui rongeait le coeur. Il s'associait aux petites joies de la jeune fille, et se pr?tait ? ses moindres caprices avec sa patience et sa bont? accoutum?es; il grondait Marguerite moins souvent qu'? l'ordinaire, et resta indiff?rent ? des n?gligences dans le service qui autrefois eussent provoqu? ses reproches. Sa vie int?rieure manquait d?sormais d'abandon; elle reposait toute sur un calcul. Il s'agissait d'exercer une surveillance qui ne f?t pas soup?onn?e, et de ne pas provoquer autour de lui la d?fiance pendant qu'il m?nageait ? ces deux femmes un si?ge dans toutes les formes. Chaque jour il s'absentait comme ? son habitude, mais des ?missaires, r?pandus pr?s de la maison, lui rendaient compte de ce qui s'y passait, et des mouvements qui s'y ?taient op?r?s. La nuit, aucun bruit ne trahissait ses mouvements, et le silence le plus profond r?gnait dans sa chambre; mais au lieu de se livrer au sommeil, Potard ?tait debout devant sa crois?e ouverte, l'oeil et l'oreille aux aguets, en butte ? une insomnie fi?vreuse.

Une semaine s'?coula ainsi sans amener d'incident nouveau. Les espions n'avaient rien aper?u de suspect, et le long entretien que Potard poursuivait avec les ?toiles n'amenait aucun r?sultat. L'incertitude d?vorait le pauvre troubadour, et son corps de fer se ressentait de ces insomnies prolong?es. Quoique la passion le soutint, il ?tait une heure, dans le cours de ces veill?es, o? son oeil se fermait involontairement et o? sa t?te se penchait sur l'appui de la crois?e; alors d'horribles cauchemars s'emparaient de lui, et il n'?chappait ? ce triste sommeil qu'en proie au vertige et le coeur rempli d'angoisses. Il en ?tait l?, une nuit, quand un son sec et brusque le r?veilla en sursaut: il se remit vivement sur son s?ant; mais, par un geste mal calcul?, il heurta l'espagnolette, qui r?sonna sous sa main. C'en fut assez pour changer l'aspect de la sc?ne: une ombre effarouch?e se perdit sous le berceau, et quelques mouvements qui avaient lieu dans l'int?rieur de la maison cess?rent ? l'instant m?me. En pr?sence de cette proie qui allait encore lui ?chapper, le coeur de Potard bondit dans sa poitrine: hors de lui, il allait se pr?cipiter par la crois?e afin d'atteindre son ennemi et l'ab?mer au besoin dans sa chute, quand l'id?e, l'inspiration d'une vengeance plus terrible vinrent l'assaillir. Il avait ? ses c?t?s un fusil, une bonne arme de Saint-?tienne, dont les perdrix de la plaine environnante avaient plus d'une fois ?prouv? la justesse; avec la rapidit? de l'?clair, il s'en saisit, poussa avec fracas les volets de la crois?e, et au moment o? l'ombre, s'?vanouissant par un chemin qui lui semblait familier, ouvrait la porte du jardin et allait dispara?tre dans la campagne, il l'ajusta et pressa la d?tente. Le coup partit, et un cri se fit entendre. Potard s'?lan?a hors de sa chambre, croyant trouver sur le sol le cadavre de sa victime.

Cependant le bruit d'un coup de feu, tir? au milieu de la nuit, avait mis en ?veil tout le voisinage. Les crois?es des maisons environnantes se garnissaient de curieux ou de femmes ?pouvant?es; on s'interpellait ? la ronde pour savoir d'o? provenait cette mousqueterie et quel attentat avait ?t? commis. Quand Potard passa devant la chambre de Jenny, la jeune fille ?tait sur le seuil de sa porte, un bougeoir ? la main, dans tout le d?sordre d'une toilette de nuit; Marguerite, de son c?t?, descendait de sa mansarde dans un n?glig? semblable. Toutes les deux semblaient ?prouver une surprise n'avait rien de jou?, et qui ne cessa m?me pas lorsque Potard leur dit d'un ton moiti? farouche, moiti? solennel:

<>

Elles suivirent le troubadour dans le jardin o? les populations voisines descendaient ? leur tour, arm?es de lanternes et offrant le spectacle des plus ?tranges accoutrements. Potard marchait ? la t?te de ce bataillon et cherchait partout le corps du d?lit. Dans la premi?re ivresse de l'attentat, il e?t foul? aux pieds avec d?lices le cadavre de son ennemi: cette joie lui fut refus?e. On eut beau fouiller de toutes parts, dans tous les coins, sous les touffes de fleurs, derri?re les bancs de gazon, point de cadavre, point d'?tre anim? ou inanim?. La petite porte du jardin ?tait close, et rien n'indiquait qu'on l'e?t ouverte. Potard ne se contenait plus: il allait comme un furieux dans tous les sens, avide de sa proie, et d?sesp?r? de ne pas la trouver. Quant aux voisins, ils finirent par croire que cette sc?ne ?tait une plaisanterie imagin?e par le voyageur, et qu'apr?s avoir d?charg? son arme sur une chauve-souris, il trouvait agr?able de convertir cet exploit nocturne en une mystification pour tout le quartier. Aussi ne se retir?rent-ils pas sans murmurer et en mena?ant le troubadour du commissaire de police.

Qu'on juge de l'?tat de Potard: il crut que sa raison l'abandonnerait, et quelques instances que purent faire Jenny et Marguerite, il ne voulut pas quitter le jardin de toute la nuit. Assis sur un tertre de gazon, et plong? dans une stupeur profonde, il ne se leva que quand le soleil fut mont? sur l'horizon, et alla de nouveau examiner les lieux, comme le chasseur en qu?te de son gibier, et que rien ne rebute de sa recherche. Le sol, la serrure, les deux marches qui descendaient vers la campagne, il examina tout, et il semblait renoncer de nouveau, quand son oeil vint ? se fixer sur les panneaux ext?rieurs de la porte. Ce fut toute une d?couvert qui lui arracha un cri spontan?:

<> s'?cria-t-il.

Il venait d'apercevoir quelques gouttelettes de sang qui avaient laiss? leur empreinte sur le bois.

<>

XXX

Courrier de Paris.

Nous avions annonc? derni?rement qu'un brillant concert, un concert magnifique, un immense concert, se pr?parait ? l'H?tel-de-Ville dans la salle nouvelle qui a pris la place de la vieille salle Saint-Jean. Le but en ?tait tout philantropique: il s'agissait d'apporter un appui lucratif ? la colonne agricole et industrielle de Petit-Bourg fond?e en faveur des jeunes enfants pauvres. Les noms les plus respect?s et les plus illustres s'?taient inscrits au nombre des protecteurs de cette oeuvre pie, et le bataillon des dames patronesses, qui donne avec gr?ce et d?vouement dans toutes ces rencontres charitables, s'?tait mis en ligne, et, agitant son drapeau, avait fait appel ? la philantropie des citoyens de Paris; provocation que cette grande et excellente ville ne re?oit jamais avec indiff?rence. Paris, en v?rit?, a le coeur parfait: dites-lui qu'il y a quelque part une bonne action ? faire, un malheur ? r?parer, une infortune ? consoler, et il arrive. Allons, Paris, ?veille-toi, puise dans ton coffre-fort? Un tremblement de terre renverse des villes, une inondation ravage des provinces, un incendie jette sur le sol calcin? et nu des populations errantes; voici des exil?s qui tendent la main ? ton hospitalit?; plus loin il s'agit de venir en aide aux institutions de charit? et de pr?voyance.

Paris ne se le fait pas dire deux fois; il est g?n?reux, il a le cordon de la bourse complaisant et facile, pour peu qu'on donne ? sa bonne action l'attrait d'un plaisir; assaisonnez-la de danse et de musique, et vous trouverez Paris d'une bienfaisance ? toute ?preuve. Il se pare, il se gante, il accourt tout souriant et charm?, et rehausse le m?rite de sa charit? par un air d'entrain et de f?te qui la rend aimable.

Ainsi ? ce concert de l'H?tel-de-Ville, une foule brillante et curieuse ?tait accourue. La commission avait ?mis trois mille billets ? 10 francs, et les trois mille billets avaient trouv? leur place en un clin d'oeil. Dimanche dernier, ces trois mille personnes se pressaient, vers sept heures du soir, aux avenues de l'H?tel-de-Ville; le z?le ?tait si grand, la curiosit? si vivement excit?e, qu'un tr?s-petit nombre de souscripteurs manquait ait rendez-vous. Cette exactitude a chang? la solennit? en une sc?ne de tumulte qui a bien eu son c?t? comique; les commissaires, en effet, comptant sur l'absence ou la n?gligence d'un tiers ? peu pr?s des convi?s, comme il arrive en g?n?ral dans ces grandes entreprises, les commissaires, dis-je, avaient d?pass? de beaucoup, dans la distribution des billets, le nombre de personnes que la salle destin?e au concert pouvait r?ellement contenir; peut-?tre aussi avaient-ils pens? qu'il leur serait permis, dans l'int?r?t des pauvres enfants et de la fondation philanthropique auxquels la recette ?tait destin?e, de forcer un peu le produit, au risque de laisser quelques centaines de bonnes ?mes ? la porte. L'intention peut jusqu'? un certain point excuser le fait, mais encore fallait-il pr?venir son monde et dire: <> Sur cet aveu na?f, les prudents se seraient abstenus, se contentant d'avoir fait une bonne action sans participer aux agr?ments qu'elle promettait, et la bonne action n'y e?t-elle pas gagn? encore quelque chose?

Les faits sont arriv?s tout autrement: l'autorit? ayant n?glig? de donner l'avis n?cessaire, le d?sordre le plus incroyable a troubl? le plaisir qu'on attendait de cette soir?e annonc?e avec tant d'?clat. Sur la place, c'?tait un tumulte effroyable; les plus heureux,--si on peut appeler cela du bonheur,--entr?s dans la salle, par violence ou par ruse, se disputaient les places avec acharnement, au risque de perdre ? la bataille, les robes, les ch?les, les chapeaux et le pan des habits.

Sautant par-dessus un garde municipal et escaladant une porte ou une fen?tre, si par hasard, nous trouvons enfin ? nous blottir dans un coin de la salle, quel enfer, bon Dieu! Mieux valait encore retourner chez soi, et se donner un concert ? soi-m?me, avec son propre violon ou sur son propre piano; le concert, en effet, le merveilleux concert, annonc? pour huit heures, ? dix heures n'avait pas encore dit sa premi?re note; il fallait entendre les cris d'impatience que la foule jetait, la foule asphyxi?e par une ?touffante chaleur, et demandant au moins un peu de chant et de musique, faute de rafra?chissements. Apr?s l'heure cruelle de cette longue attente, un homme se montra enfin sur l'estrade des musiciens, un petit homme pareil ? un fant?me blanc, ? ne le juger que sur sa longue barbe blanche et ses cheveux idem...

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