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Munafa ebook

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Read Ebook: Les Cinq Cents Millions De La Bégum by Verne Jules

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Ebook has 1149 lines and 55487 words, and 23 pages

Les cinq cents millions de la B?gum de Jules Verne

I OU MR. SHARP FAIT SON ENTREE

<< Ces journaux anglais sont vraiment bien faits ! >> se dit ? lui-m?me le bon docteur en se renversant dans un grand fauteuil de cuir.

Le docteur Sarrasin avait toute sa vie pratiqu? le monologue, qui est une des formes de la distraction.

C'?tait un homme de cinquante ans, aux traits fins, aux yeux vifs et purs sous leurs lunettes d'acier, de physionomie ? la fois grave et aimable, un de ces individus dont on se dit ? premi?re vue : voil? un brave homme. A cette heure matinale, bien que sa tenue ne trah?t aucune recherche, le docteur ?tait d?j? ras? de frais et cravat? de blanc.

Devant lui, un plateau, recouvert d'une nappe blanche, contenait une c?telette cuite ? point, une tasse de th? fumant et quelques-unes de ces r?ties au beurre que les cuisini?res anglaises font ? merveille, gr?ce aux petits pains sp?ciaux que les boulangers leur fournissent.

<< Oui, r?p?tait-il, ces journaux du Royaume-Uni sont vraiment tr?s bien faits, on ne peut pas dire le contraire !... Le speech du vice- pr?sident, la r?ponse du docteur Cicogna, de Naples, les d?veloppements de mon m?moire, tout y est saisi au vol, pris sur le fait, photographi?. >>

<< La parole est au docteur Sarrasin, de Douai. L'honorable associ? s'exprime en fran?ais. "Mes auditeurs m'excuseront, dit-il en d?butant, si je prends cette libert? ; mais ils comprennent assur?ment mieux ma langue que je ne saurais parler la leur..." >>

Le docteur Sarrasin en ?tait l? de ses r?flexions, lorsque le ma?tre des c?r?monies lui-m?me -- on n'oserait donner un moindre titre ? un personnage si correctement v?tu de noir -- frappa ? la porte et demanda si << monsiou >> ?tait visible...

<< Monsiou >> est une appellation g?n?rale que les Anglais se croient oblig?s d'appliquer ? tous les Fran?ais indistinctement, de m?me qu'ils s'imagineraient manquer ? toutes les r?gles de la civilit? en ne d?signant pas un Italien sous le titre de << Signor >> et un Allemand sous celui de << Herr >>. Peut-?tre, au surplus, ont-ils raison. Cette habitude routini?re a incontestablement l'avantage d'indiquer d'embl?e la nationalit? des gens.

Le docteur Sarrasin avait pris la carte qui lui ?tait pr?sent?e. Assez ?tonn? de recevoir une visite en un pays o? il ne connaissait personne, il le fut plus encore lorsqu'il lut sur le carr? de papier minuscule :

Il savait qu'un << solicitor >> est le cong?n?re anglais d'un avou?, ou plut?t homme de loi hybride, interm?diaire entre le notaire, l'avou? et l'avocat, -- le procureur d'autrefois.

<< Que diable puis-je avoir ? d?m?ler avec Mr. Sharp ? se demanda-t-il. Est-ce que je me serais fait sans y songer une mauvaise affaire ?... >>

<< Vous ?tes bien s?r que c'est pour moi ? reprit-il.

-- Oh ! yes, monsiou.

-- Eh bien ! faites entrer. >>

Le ma?tre des c?r?monies introduisit un homme jeune encore, que le docteur, ? premi?re vue, classa dans la grande famille des << t?tes de mort >>. Ses l?vres minces ou plut?t dess?ch?es, ses longues dents blanches, ses cavit?s temporales presque ? nu sous une peau parchemin?e, son teint de momie et ses petits yeux gris au regard de vrille lui donnaient des titres incontestables ? cette qualification. Son squelette disparaissait des talons ? l'occiput sous un << ulster-coat >> ? grands carreaux, et dans sa main il serrait la poign?e d'un sac de voyage en cuir verni.

Ce personnage entra, salua rapidement, posa ? terre son sac et son chapeau, s'assit sans en demander la permission et dit :

<< William Henry Sharp junior, associ? de la maison Billows, Green, Sharp & Co. C'est bien au docteur Sarrasin que j'ai l'honneur ?...

-- Oui, monsieur.

-- Fran?ois Sarrasin ?

-- C'est en effet mon nom.

-- De Douai ?

-- Douai est ma r?sidence.

-- Votre p?re s'appelait Isidore Sarrasin ?

-- C'est exact.

-- Nous disons donc qu'il s'appelait Isidore Sarrasin. >>

Mr. Sharp tira un calepin de sa poche, le consulta et reprit :

<< Isidore Sarrasin est mort ? Paris en 1857, VI?me arrondissement, rue Taranne, num?ro 54, h?tel des Ecoles, actuellement d?moli.

-- En effet, dit le docteur, de plus en plus surpris. Mais voudriez-vous m'expliquer ?...

-- Le nom de sa m?re ?tait Julie Lang?vol, poursuivit Mr. Sharp, imperturbable. Elle ?tait originaire de Bar-le-Duc, fille de B?n?dict Lang?vol, demeurant impasse Loriol mort en 1812, ainsi qu'il appert des registres de la municipalit? de ladite ville... Ces registres sont une institution bien pr?cieuse, monsieur, bien pr?cieuse !... Hem !... hem !... et soeur de Jean-Jacques Lang?vol, tambour-major au 36?me l?ger...

-- Je vous avoue, dit ici le docteur Sarrasin, ?merveill? par cette connaissance approfondie de sa g?n?alogie, que vous paraissez sur ces divers points mieux inform? que moi. Il est vrai que le nom de famille de ma grand-m?re ?tait Lang?vol, mais c'est tout ce que je sais d'elle.

-- Elle quitta vers 1807 la ville de Bar-le-Duc avec votre grand-p?re, Jean Sarrasin, qu'elle avait ?pous? en 1799. Tous deux all?rent s'?tablir ? Melun comme ferblantiers et y rest?rent jusqu'en 1811, date de la mort de Julie Lang?vol, femme Sarrasin. De leur mariage, il n'y avait qu'un enfant, Isidore Sarrasin, votre p?re. A dater de ce moment, le fil est perdu, sauf pour la date de la mort d'icelui, retrouv?e ? Paris...

-- Je puis rattacher ce fil, dit le docteur, entra?n? malgr? lui par cette pr?cision toute math?matique. Mon grand-p?re vint s'?tablir ? Paris pour l'?ducation de son fils, qui se destinait ? la carri?re m?dicale. Il mourut, en 1832, ? Palaiseau, pr?s Versailles, o? mon p?re exer?ait sa profession et o? je suis n? moi-m?me en 1822.

-- Vous ?tes mon homme, reprit Mr. Sharp. Pas de fr?res ni de soeurs ?...

-- Non ! j'?tais fils unique, et ma m?re est morte deux ans apr?s ma naissance... Mais enfin, monsieur, me direz vous ?... >>

Mr. Sharp se leva.

<< Sir Bryah Jowahir Mothooranath, dit-il, en pronon?ant ces noms avec le respect que tout Anglais professe pour les titres nobiliaires, je suis heureux de vous avoir d?couvert et d'?tre le premier ? vous pr?senter mes hommages ! >>

<< Cet homme est ali?n?, pensa le docteur. C'est assez fr?quent chez les "t?tes de mort". >>

Le solicitor lut ce diagnostic dans ses yeux.

<< Je ne suis pas fou le moins du monde, r?pondit-il avec calme. Vous ?tes, ? l'heure actuelle, le seul h?ritier connu du titre de baronnet, conc?d?, sur la pr?sentation du gouverneur g?n?ral de la province de Bengale, ? Jean-Jacques Lang?vol, naturalis? sujet anglais en 1819, veuf de la B?gum Gokool, usufruitier de ses biens, et d?c?d? en 1841, ne laissant qu'un fils, lequel est mort idiot et sans post?rit?, incapable et intestat, en 1869. La succession s'?levait, il y a trente ans, ? environ cinq millions de livres sterling. Elle est rest?e sous s?questre et tutelle, et les int?r?ts en ont ?t? capitalis?s presque int?gralement pendant la vie du fils imb?cile de Jean-Jacques Lang?vol. Cette succession a ?t? ?valu?e en 1870 au chiffre rond de vingt et un millions de livres sterling, soit cinq cent vingt-cinq millions de francs. En ex?cution d'un jugement du tribunal d'Agra, confirm? par la cour de Delhi, homologu? par le Conseil priv?, les biens immeubles et mobiliers ont ?t? vendus, les valeurs r?alis?es, et le total a ?t? plac? en d?p?t ? la Banque d'Angleterre. Il est actuellement de cinq cent vingt-sept millions de francs, que vous pourrez retirer avec un simple ch?que, aussit?t apr?s avoir fait vos preuves g?n?alogiques en cour de chancellerie, et sur lesquels je m'offre d?s aujourd'hui ? vous faire avancer par M. Trollop, Smith & Co., banquiers, n'importe quel acompte ? valoir... >>

<< Mais, au bout du compte, monsieur, quelles preuves me donnerez- vous de cette histoire, et comment avez-vous ?t? conduit ? me d?couvrir ?

Mr. Sharp tira de son calepin une photographie et la passa au docteur Sarrasin. Cette photographie repr?sentait un homme de haute taille avec une barbe splendide, un turban ? aigrette et une robe de brocart chamarr?e de vert, dans cette attitude particuli?re aux portraits historiques d'un g?n?ral en chef qui ?crit un ordre d'attaque en regardant attentivement le spectateur. Au second plan, on distinguait vaguement la fum?e d'une bataille et une charge de cavalerie.

<< Ces pi?ces vous en diront plus long que moi, reprit Mr. Sharp. Je vais vous les laisser et je reviendrai dans deux heures, si vous voulez bien me le permettre, prendre vos ordres. >>

Ce disant, Mr. Sharp tira des flancs du sac verni sept ? huit volumes de dossiers, les uns imprim?s, les autres manuscrits, les d?posa sur la table et sortit ? reculons, en murmurant :

<< Sir Bryah Jowahir Mothooranath, j'ai l'honneur de vous saluer. >>

Moiti? croyant, moiti? sceptique, le docteur prit les dossiers et commen?a ? les feuilleter.

Un examen rapide suffit pour lui d?montrer que l'histoire ?tait parfaitement vraie et dissipa tous ses doutes. Comment h?siter, par exemple, en pr?sence d'un document imprim? sous ce titre :

Points de fait. -- Il s'agit en la cause des droits de propri?t? de certains mehals et de quarante-trois mille beegales de terre arable, ensemble de divers ?difices, palais, b?timents d'exploitation, villages, objets mobiliers, tr?sors, armes, etc., provenant de la succession de la B?gum Gokool de Ragginahra. Des expos?s soumis successivement au tribunal civil d'Agra et ? la Cour sup?rieure de Delhi, il r?sulte qu'en 1819, la B?gum Gokool, veuve du rajah Luckmissur et h?riti?re de son propre chef de biens consid?rables, ?pousa un ?tranger, fran?ais d'origine, du nom de Jean-Jacques Lang?vol. Cet ?tranger, apr?s avoir servi jusqu'en 1815 dans l'arm?e fran?aise, o? il avait eu le grade de sous-officier au 36?me l?ger, s'embarqua ? Nantes, lors du licenciement de l'arm?e de la Loire, comme subr?cargue d'un navire de commerce. Il arriva ? Calcutta, passa dans l'int?rieur et obtint bient?t les fonctions de capitaine instructeur dans la petite arm?e indig?ne que le rajah Luckmissur ?tait autoris? ? entretenir. De ce grade, il ne tarda pas ? s'?lever ? celui de commandant en chef, et, peu de temps apr?s la mort du rajah, il obtint la main de sa veuve. Diverses consid?rations de politique coloniale, et des services importants rendus dans une circonstance p?rilleuse aux Europ?ens d'Agra par Jean-Jacques Lang?vol, qui s'?tait fait naturaliser sujet britannique, conduisirent le gouverneur g?n?ral de la province de Bengale ? demander et obtenir pour l'?poux de la B?gum le titre de baronnet. La terre de Bryah Jowahir Mothooranath fut alors ?rig?e en fief. La B?gum mourut en 1839, laissant l'usufruit de ses biens ? Lang?vol, qui la suivit deux ans plus tard dans la tombe. De leur mariage il n'y avait qu'un fils en ?tat d'imb?cillit? depuis son bas ?ge, et qu'il fallut imm?diatement placer sous tutelle. Ses biens ont ?t? fid?lement administr?s jusqu'? sa mort, survenue en 1869. Il n'y a point d'h?ritiers connus de cette immense succession. Le tribunal d'Agra et la Cour de Delhi en ayant ordonn? la licitation, ? la requ?te du gouvernement local agissant au nom de l'Etat, nous avons l'honneur de demander aux Lords du Conseil priv? l'homologation de ces jugements, etc. >> Suivaient les signatures.

Des copies certifi?es des jugements d'Agra et de Delhi, des actes de vente, des ordres donn?s pour le d?p?t du capital ? la Banque d'Angleterre, un historique des recherches faites en France pour retrouver des h?ritiers Lang?vol, et toute une masse imposante de documents du m?me ordre, ne permirent bient?t plus la moindre h?sitation au docteur Sarrasin. Il ?tait bien et d?ment le << next of kin >> et successeur de la B?gum. Entre lui et les cinq cent vingt-sept millions d?pos?s dans les caves de la Banque, il n'y avait plus que l'?paisseur d'un jugement de forme, sur simple production des actes authentiques de naissance et de d?c?s !

Un pareil coup de fortune avait de quoi ?blouir l'esprit le plus calme, et le bon docteur ne put enti?rement ?chapper ? l'?motion qu'une certitude aussi inattendue ?tait faite pour causer. Toutefois, son ?motion fut de courte dur?e et ne se traduisit que par une rapide promenade de quelques minutes ? travers la chambre. Il reprit ensuite possession de lui-m?me, se reprocha comme une faiblesse cette fi?vre passag?re, et, se jetant dans son fauteuil, il resta quelque temps absorb? en de profondes r?flexions.

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