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Read Ebook: Le Lutrin poème héroï-comique by Boileau Despr Aux Nicolas
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 92 lines and 12511 words, and 2 pagesEdition: 10 Encoding: ISO-8859-1 Source: Nicolas Boileau-Despr?aux , "Oeuvres Compl?tes de Boileau-Despr?aux, Nouvelle ?dition, Accompagn?e de notes pour l'intelligence du texte, et pr?c?d?e d'une notice historique sur la vie et les ?crits de l'auteur, Avec gravures" Paris, B. Renault et Cie, Libraires-?diteurs, 8, rue Larrey, 1858. LE LUTRIN Po?me h?ro?-comique CHANT PREMIER Je chante les combats, et ce pr?lat terrible Qui par ses longs travaux et sa force invincible, Dans une illustre ?glise exer?ant son grand coeur, Fit placer ? la fin un lutrin dans le choeur. C'est en vain que le chantre, abusant d'un faux titre, Deux fois l'en fit ?ter par les mains du chapitre : Ce pr?lat, sur le banc de son rival altier Deux fois le reportant, l'en couvrit tout entier. Muse redis-mois donc quelle ardeur de vengeance De ces hommes sacr?s rompit l'intelligence, Et troubla si longtemps deux c?l?bres rivaux. Tant de fiel entre-t-il dans l'?me des d?vots ! Et toi, fameux h?ros, dont la sage entremise De ce schisme naissant d?barrassa l'Eglise, Viens d'un regard heureux animer mon projet, Et garde-toi de rire en ce grave sujet. Paris voyait fleurir son antique chapelle : Ses chanoines vermeils et brillants de sant? S'engraissaient d'une longue et sainte oisivet? ; Sans sortir de leurs lits plus doux que des hermines, Ces pieux fain?ants faisaient chanter matines, Veillaient ? bien d?ner, et laissaient en leur lieu A des chantres gag?s le soin de louer Dieu : Quand la Discorde, encore toute noire de crimes, Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes, Avec cet air hideux qui fait fr?mir la Paix, S'arr?ter pr?s d'un arbre au pied de son palais, L?, d'un oeil attentif contemplant son empire, A l'aspect du tumulte elle-m?me s'admire. Elle y voit par le coche et d'Evreux et du Mans Accourir ? grand flots ses fid?les Normands : Elle y voit aborder le marquis, la comtesse, Le bourgeois, le manant, le clerg?, la noblesse ; Et partout des plaideurs les escadrons ?pars Faire autour de Th?mis flotter ses ?tendards. Mais une ?glise seule ? ses yeux immobile Garde au sein du tumulte une assiette tranquille. Elle seule la brave ; elle seule aux proc?s De ses paisibles murs veut d?fendre l'acc?s. La Discorde, ? l'aspect d'un calme qui l'offense, Fait siffler ses serpents, s'excite ? la vengeance Sa bouche se remplit d'un poison odieux, Et de longs traits de feu lui sortent par les yeux. Quoi ! dit-elle d'un ton qui fit trembler les vitres, J'aurai pu jusqu'ici brouiller tous les chapitres, Diviser Cordeliers, Carmes et C?lestins ; J'aurai fait soutenir un si?ge aux Augustins : Et cette ?glise seule, ? mes ordres rebelle, Nourrira dans son sein une paix ?ternelle ! Suis-je donc la Discorde ? et, parmi les mortels, Qui voudra d?sormais encenser mes autels ? A ces mots, d'un bonnet couvrant sa t?te ?norme, Elle prend d'un vieux chantre et la taille et la forme : Elle peint de bourgeons son visage guerrier, Et s'en va de ce pas trouver le tr?sorier. Dans le r?duit obscur d'une alc?ve enfonc?e S'?l?ve un lit de plume ? grand frais amass?e : Quatre rideaux pompeux, par un double contour, En d?fendent l'entr?e ? la clart? du jour. L?, parmi les douceurs d'un tranquille silence, R?gne sur le duvet une heureuse indolence : C'est que le pr?lat, muni d'un d?jeuner, Dormant d'un l?ger somme, attendait le d?ner. La jeunesse en sa fleur brille sur son visage : Son menton sur son sein descend ? double ?tage ; Et son corps ramass? dans sa courte grosseur Fait g?mir les coussins sous sa molle ?paisseur. La d?esse en entrant, qui voit la nappe mise, Admire un si bel ordre, et reconna?t l'Eglise : Et, marchant ? grand pas vers le lieu du repos, Au pr?lat sommeillant elle adresse ces mots : Tu dors, Pr?lat, tu dors, et l? haut ? ta place Le chantre aux yeux du choeur ?tale son audace, Chante les or?mus, fait des processions, Et r?pand ? grands flots les b?n?dictions. Tu dors ! Attends-tu donc que, sans bulle et sans titre, Il te ravisse encore le rochet et la mitre ? Sort de ce lit oiseux qui te tient attach?, Et renonce au repos, ou bien ? l'?v?ch?. Elle dit, et, du vent de sa bouche profane, Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane. Le pr?lat se r?veille, et, plein d'?motion, Lui donne toutefois la b?n?diction. Tel qu'on voit un taureau qu'une gu?pe en furie A piqu? dans les flancs aux d?pens de sa vie ; Le superbe animal, agit? de tourments, Exhale sa douleur en longs mugissements ; Tel le fougueux pr?lat, que ce songe ?pouvante, Querelle en se levant et laquais et servante ; Et, d'un juste courroux rallumant sa vigueur, M?me avant le d?ner, parle d'aller au choeur. Le prudent Gilotin, son aum?nier fid?le, En vain par ses conseils sagement le rappelle ; Lui montre le p?ril ; que midi va sonner ; Qu'il va faire, s'il sort, refroidir le d?ner. Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice, Quand le d?ner est pr?t, vous appelle ? l'office ? De votre dignit? soutenez mieux l'?clat : Est-ce pour travailler que vous ?tes pr?lat ? A quoi bon ce d?go?t et ce z?le inutile ? Est-il donc pour je?ner quatre-temps ou vigile ? reprenez vos esprits et souvenez-vous bien Qu'un d?ner r?chauff? ne valut jamais rien. Ainsi dit Gilotin ; et ce ministre sage Sur table, au m?me instant, fit servir le potage. Le pr?lat voit la soupe, et plein d'un saint respect, Demeure quelque temps muet ? cet aspect. Il c?de, d?ne enfin : mais, toujours plus farouche, Les morceaux trop h?t?s se pressent dans sa bouche. Gilotin en fr?mit, et, sortant de fureur, Chez tous ses partisans va semer la terreur. On voit courir chez lui leurs troupes ?perdues, Comme l'on voit marcher les bataillons de grues Quand le Pygm?e altier, redoublant ses efforts, De l'H?bre ou du Styrmon vient d'occuper les bords. A l'aspect impr?vu de leur foule agr?able, Le pr?lat radouci veut se lever de table : La couleur lui rena?t, sa voix change de ton ; Il fait par Gilotin rapporter un jambon. Lui-m?me le premier pour honorer la troupe, D'un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe ; Il l'avale d'un trait : et chacun l'imitant, La cruche au large ventre est vide en un instant. Sit?t que du nectar la troupe est abreuv?e, On dessert : et soudain, la nappe ?tant lev?e, Le pr?lat, d'une voix conforme ? son malheur, Leur confie en ces mots sa trop juste douleur : Illustres compagnons de mes longues fatigues, Qui m'avez soutenu par vos pieuses ligues, Et par qui, ma?tre enfin d'un chapitre insens?, Seul ? Magnificat je me vois encens? ; Souffrirez-vous toujours qu'un orgueilleux m'outrage ; Que le chantre ? vos yeux d?truise votre ouvrage, Usurpe tous mes droits, et s'?galant ? moi, Donne ? votre lutrin et le ton et la loi ? Ce matin m?me encore, ce n'est point un mensonge, Une divinit? me l'a fait voir en songe : L'insolent s'emparant du fruit de mes travaux, A prononc? pour moi le Benedicat vos ! Oui, pour mieux m'?gorger, il prend mes propres armes. Le pr?lat ? ces mots verse un torrent de larmes. Il veut, mais vainement, poursuivre son discours ; Ses sanglots redoubl?s en arr?tent le cours. Le z?l? Gilotin, qui prend part ? sa gloire, Pour lui rendre la voix, fait rapporter ? boire : Quand Sidrae, ? qui l'?ge allonge le chemin, Arrive dans la chambre, un b?ton ? la main, Ce vieillard dans le choeur a d?j? vu quatre ?ges ; Il sait de tous les temps les diff?rents usages : Et son rare savoir, de simple marguillier, L'?leva par degr?s au rang de chevecier. A l'aspect du pr?lat qui tombe en d?faillance, Il devine son mal, il se ride, il s'avance ; Et d'un ton paternel r?primant ses douleurs : Laisse au chantre, dit-il, la tristesse et les pleurs, Pr?lat ; et pour sauver tes droits et ton empire, Ecoute seulement ce que le ciel m'inspire. Vers cet endroit du choeur o? le chantre orgueilleux Montre, assis ? ta gauche, un front si sourcilleux, Sur ce rang d'ais serr?s qui forment sa cl?ture Fut jadis un lutrin d'in?gale structure, Dont les flancs ?largis de leur vaste contour Ombrageaient pleinement tous les lieux d'alentour. Derri?re ce lutrin, ainsi qu'au fond d'un antre, A peine sur son banc on discernait le chantre : Tandis qu'? l'autre banc le pr?lat radieux, D?couvert au grand jour, attirait tous les yeux. Mais un d?mon, fatal ? cette ample machine, Soit qu'une main la nuit e?t h?t? sa ruine, Soit qu'ainsi de tout temps l'ordonn?t le destin, Fit tomber ? nos yeux le pupitre un matin. J'eus beau prendre le ciel et le chantre ? partie, Il fallut l'emporter dans notre sacristie, O? depuis trente hivers, sans gloire enseveli, Il languit tout poudreux dans un honteux oubli. Entends-moi donc, Pr?lat. D?s que l'ombre tranquille Viendra d'un cr?pe noir envelopper la ville, Il faut que trois de nous, sans tumulte et sans bruit, Partent, ? l a faveur de la naissante nuit, Et du lutrin rompu r?unissant la masse, Aillent d'un z?le adroit le remettre en sa place. Si le chantre demain ose le renverser, Alors de cent arr?ts tu peux le terrasser. Pour soutenir tes droits, que le ciel autorise, Abyme tout plut?t : c'est l'esprit de l'Eglise ; C'est par l? qu'un pr?lat signale sa vigueur. Ne borne pas ta gloire ? prier dans un choeur : Ces vertus dans Aleth peuvent ?tre en usage ; Mais dans Paris, plaidons ; c'est l? notre partage. Tes b?n?dictions, dans le trouble croissant, Tu pourras les r?pandre et par vingt et par cent ; Et, pour braver le chantre en son orgueil extr?me, Les r?pandre ? ses yeux, et le b?nir lui-m?me. Ce discours aussit?t frappe tous les esprits ; Et le pr?lat charm? l'approuve par des cris. Il veut que, sur-le-champ, dans la troupe on choisisse Les trois que Dieu destine ? ce pieux office : Mais chacun pr?tend part ? cet illustre emploi. Le sort, dit le pr?lat, vous servira de loi. Que l'on tire au billet ceux que l'on doit ?lire. Il dit, on ob?it, on se presse d'?crire. Aussit?t trente noms, sur le papier trac?s, Sont au fond d'un bonnet par billets entass?s. Pour tirer ces billets avec moins d'artifice, Guillaume, enfant de choeur, pr?te sa main novice : Son front nouveau tondu, symbole de candeur, Rougit, en approchant, d'une honn?te pudeur. Cependant le pr?lat, l'oeil au ciel, la main nue, B?nit trois fois les noms, et trois fois les remue. Il tourne le bonnet : l'enfant tire et Brontin Est le premier des noms qu'apporte le destin. Le pr?lat en con?oit un favorable augure Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure. On se tait ; et bient?t on voit para?tre au jour Le nom, le fameux nom du perruquier l'Amour. Ce nouvel Adonis, ? la blonde crini?re, Est l'unique souci d'Anne sa perruqui?re : Ils s'adorent l'un l'autre ; et ce couple charmant S'unit longtemps, dit-on, avant le sacrement ; Mais, depuis trois moissons, ? leur saint assemblage L'official a joint le nom de mariage. Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier, Et son courage est peint sur son visage altier. Un des noms reste encore et le pr?lat par gr?ce Une derni?re fois les brouille et les ressasse. Chacun croit que son nom est le dernier des trois. Mais que ne dis-tu point, ? puissant porte-croix, Boirude, sacristain, cher appui de ton ma?tre, Lorsqu'aux yeux du pr?lat tu vis ton nom para?tre ! On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur, perdit en ce moment son antique p?leur ; Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerri?re, Pour sauter au plancher fit deux pas en arri?re. Chacun b?nit tout haut l'arbitre des humains, Qui remet leur bon droit en de si bonnes mains. Aussit?t on se l?ve ; et l'assembl?e en foule, Avec un bruit confus, par les portes s'?coule. Le pr?lat rest? seul calme un peu son d?pit, Et jusques au souper se couche et s'assoupit. CHANT SECOND Cependant cet oiseau qui pr?ne les merveilles, Ce monstre compos? de bouches et d'oreilles, Qui, sans cesse volant de climats en climats, Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ; La Renomm?e enfin, cette prompte courri?re, Va d'un mortel effroi glacer la perruqui?re ; Lui dit que son ?poux, d'un faux z?le conduit, Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit. A ce triste r?cit, tremblante, d?sol?e, Elle accourt, l'oeil en feu, la t?te ?chevel?e, Et trop s?re d'un mal qu'on pense lui celer : Oses-tu bien encor, tra?tre, dissimuler ? Dit-elle : et ni la foi que ta main m'a donn?e, Ni nos embrassements qu'a suivis l'hym?n?e, Ni ton ?pouse enfin toute pr?te ? p?rir, Ne sauraient donc t'?ter cette ardeur de courir ? Perfide ! si du moins, ? ton devoir fid?le, Tu veillais pour orner quelque t?te nouvelle ! L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur Pourrait de ton absence adoucir la longueur. Mais quel z?le indiscret, quelle aveugle entreprise Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une ?glise ? O? vas-tu cher ?poux, est-ce que tu me fuis ? As-tu oubli? tant de si douces nuits ? Quoi ! d'un oeil sans piti? vois-tu couler mes larmes ? Au nom de nos baisers jadis si plein de charmes, Si mon coeur, de tout temps facile ? tes d?sirs, N'a jamais d'un moment diff?r? tes plaisirs ; Si pour te prodiguer mes plus tendres caresses, Je n'ai point exig? ni serments, ni promesses ; Si toi seul ? mon lit enfin eus toujours part ; Diff?re au moins d'un jour ce funeste d?part . En achevant ces mots cette amante enflamm?e Sur un placet voisin tombe demi-p?m?e. Son ?poux s'en ?meut, et son coeur ?perdu Entre deux passions demeure suspendu ; Mais enfin rappelant son audace premi?re : Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fi?re, Je ne veux point nier les solides bienfaits Dont ton amour prodigue a combl? mes souhaits, Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire Avant que tes faveurs sortent de ma m?moire ; Mais ne pr?sume pas qu'en te donnant ma foi L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi. Si le ciel en mes mains e?t mis ma destin?e, Nous aurions fui tous deux le joug de l'hym?n?e ; Et, sans nous opposer ces devoirs pr?tendus, Nous go?terions encor des plaisirs d?fendus. Cesse donc ? mes yeux d'?taler un vain titre : Ne m'?te pas l'honneur d'?lever un pupitre, Et toi-m?me, donnant un frein ? tes d?sirs, Raffermis la vertu qu'?branlent tes soupirs. Que te dirai-je enfin ? C'est le ciel qui m'appelle, Une ?glise, un pr?lat m'engage en sa querelle, Il faut partir : j'y cours. Dissipe tes douleurs , Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs. Il la quitte ? ces mots. Son amante effar?e Demeure le teint p?le, et la vue ?gar?e : La force l'abandonne ; et sa bouche, trois fois Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix. Elle fuit, et de pleurs inondant son visage, Seule pour s'enfermer vole au cinqui?me ?tage. Mais d'un bouge prochain accourant ? ce bruit, Sa servante Alizon la rattrape et la suit. Les ombres cependant, sur la ville ?pandues, Du fa?te des maisons descendent dans les rues . Le souper hors du coeur chasse les chapelains, Et de chantres buvant les cabarets sont pleins. Le redout? Brontin, que son devoir ?veille, Sort ? l'instant, charg? d'une triple bouteille, D'un vin dont Gilotin, qui savait tout pr?voir, Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir. L'odeur d'un jus si doux lui rend la faim moins rude. Il est bient?t suivi du sacristain Boirude ; Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur Du trop lent perruquier r?veiller la valeur. Partons, lui dit Brontin : d?j? le jour plus sombre, Dans les eaux s'?teignant, va faire place ? l'ombre. D'o? vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux ? Quoi ? le pardon sonnant te retrouve en ces lieux ! O? donc est ce grand coeur dont tant?t l'all?gresse Semblait du jour trop long accuser la paresse ? Marche, et suis nous du moins o? l'honneur nous attend. Le perruquier honteux rougit en l'?coutant. Aussit?t de longs clous il prend une poign?e : Sur son ?paule il charge une lourde cogn?e ; Et derri?re son dos, qui tremble sous le poids, Il attache une scie en forme de carquois : Il sort au m?me instant, il se met ? leur t?te. A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'appr?te : Leur coeur semble allum? d'un z?le tout nouveau ; Brontin tient un maillet ; et Boirude un marteau. La lune, qui du ciel voit leur d?marche alti?re, Retire en leur faveur sa paisible lumi?re. La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux, De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux. L'air, qui g?mit du cri de l'horrible d?esse, Va jusque dans Citeaux r?veiller la Mollesse. C'est l? qu'en un dortoir elle fait son s?jour : Les Plaisirs nonchalants fol?trent ? l'entour ; L'un p?trit dans un coin l'embonpoint des chanoines ; L'autre broie en riant le vermillon des moines : La Volupt? la sert avec des yeux d?vots, Et toujours le Sommeil lui verse des pavots. Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble. La Mollesse ? ce bruit se r?veille, se trouble : Quand la Nuit, qui d?j? va tout envelopper, D'un funeste r?cit vient encor la frapper ; Lui conte du pr?lat l'entreprise nouvelle : Aux pieds des murs sacr?s d'une sainte chapelle, Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix, Marcher ? la faveur de ses voiles ?pais. La Discorde en ces lieux menace de s'accro?tre : Demain avec l'aurore un lutrin va para?tre, Qui doit y soulever un peuple de mutins : Ainsi le ciel l'?crit au livre des destins. A ce triste discours, qu'un long soupir ach?ve, La Mollesse, en pleurant, sur un bras se rel?ve, Ouvre un oeil languissant, et, d'un faible voix, Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt fois : O Nuit ! que m'as-tu dit ? quel d?mon sur la terre Souffle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre ? H?las ! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps, O? les rois s'honoraient du nom de fain?ants, S'endormaient sur le tr?ne, et me servant sans honte Laissaient leur sceptre aux mains d'un maire ou d'un comte ! Aucun soin n'approchait de leur paisible cour : On reposait la nuit, on dormait tout le jour. Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines Faisait taire des vents les bruyantes haleines, Quatre boeufs attel?s, d'un pas tranquille et lent, Promenaient dans Paris le monarque indolent. Ce doux si?cle n'est plus. Le ciel impitoyable A plac? sur le tr?ne un prince infatigable. Il brave mes douceurs, il est sourd ? ma voix : Tous les jours il m'?veille du bruit de ses exploits. Rien ne peut arr?ter sa vigilante audace : L'?t? n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace. J'entends ? son seul nom tous mes sujets fr?mir En vain deux fois la paix a voulu l'endormir ; Loin de moi son courage, entra?n? par la gloire, Ne se pla?t qu'? courir de victoire en victoire. Je me fatiguerais de te tracer le cours Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours. Je croyais, loin des lieux o? ce prince m'exile, Que l'Eglise du moins m'assurait un asile. Mais qu'en vain j'esp?rais y r?gner sans effroi : Moines, abb?s prieurs, tout s'arme contre moi. Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie ; J'ai vu dans Saint Denys la r?forme ?tablie ; La Carme, le Feuillant, s'endurcit aux travaux ; Et la r?gle d?j? se remet dans Clairvaux. Citeaux dormait encor, et la sainte Chapelle Conservait du vieux temps l'oisivet? fid?le : Et voici qu'un lutrin, pr?t ? tout renverser, D'un s?jour si ch?ri vient encor me chasser ! O toi, de mon repos, compagne aimable et sombre, A de si noirs forfaits pr?teras-tu ton ombre ? Ah ! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour, Je t'admis aux plaisirs que je cachais au jour, Du moins ne permets pas... La Mollesse oppress?e Dans sa bouche ? ce mot sent sa langue glac?e ; Et, lasse de parler, succombant sous l'effort, Soupire, ?tend les bras, ferme l'oeil et s'endort. CHANT TROISIEME Mais la nuit aussit?t de ses ailes affreuses Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses, Revole vers Paris, et, h?tant son retour, D?j? de Mont-Lh?ri voit la fameuse tour. Ses murs, dont le sommet se d?robe ? la vue, Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue, Et pr?sentant de loin leur objet ennuyeux, Du passant qui le fuit semblent le suivre des yeux. Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux fun?bres, De ces murs d?sert?s habitent les t?n?bres. L?, depuis trente hivers, un hibou retir? Trouvait contre le jour un refuge assur?. Des d?sastres fameux ce messager fid?le Sait toujours des malheurs la premi?re nouvelle, Et, tout pr?t d'en semer le pr?sage odieux, Il attendait la nuit dans ces sauvages lieux. Aux cris qu'? son abord vers le ciel il envoie, Il rend tous ses voisins attrist?s de sa joie. La plaintive Progn?e de douleur en fr?mit ; Et, dans les bois prochains, Philom?ne en g?mit. Suis-moi, lui dit la Nuit. L'oiseau plein d'all?gresse Reconna?t ? ce ton la voix de sa ma?tresse. Il la suit : et tous deux, d'un cours pr?cipit?, De Paris ? l'instant ils abordent la cit? ; L?, s'?lan?ant d'un vol que le vent favorise, Ils montent au sommet de la fatale ?glise. La Nuit baisse la vue, et, du haut du clocher, Observe les guerriers, les regarde marcher. Elle voit le barbier qui, d'une main l?g?re, Tient un verre de vin qui rit dans la foug?re ; Et chacun, tour ? tour s'inondant de ce jus, C?l?brer, en riant, Gilotin et Bacchus. Ils triomphent, dit-elle, et leur ?me abus?e Se promet dans mon ombre une victoire ais?e : Mais allons ; il est temps qu'il connaissent la Nuit. A ces mots, regardant le hibou qui la suit, Elle perce les murs de la vo?te sacr?e ; Jusqu'? la sacristie elle s'ouvre une entr?e Et, dans le ventre creux du pupitre fatal, Va placer de ce pas le sinistre animal. Mais les trois champions, pleins de vin et d'audace, Du palais cependant passent la grande place ; Et, suivant de Bacchus les auspices sacr?s, De l'auguste chapelle ils montent les degr?s. Ils atteignaient d?j? le superbe portique O? Ribou le libraire, au fond de sa boutique, Sous vingt fid?les clefs, garde et tient en d?p?t L'amas toujours entier des ?crits de Haynaut : Quand Boirude, qui voit que le p?ril approche, Les arr?te, et, tirant un fusil de sa poche, Des veines d'un caillou, qu'il frappe au m?me instant, Il fait jaillir un feu qui p?tille en sortant ; Et bient?t, au brasier d'une m?che enflamm?e, Montre, ? l'aide du soufre, une cire allum?e. Cet astre tremblotant, dont le jour les conduit, Est pour eux un soleil au milieu de la nuit. Le temple ? sa faveur est ouvert par Boirude : Ils passent de la nef la vaste solitude, Et dans la sacristie entrant, non sans terreur, En percent jusqu'au fond la t?n?breuse horreur. C'est l? que du lutrin g?t la machine ?norme : La troupe quelque temps en admire la forme. Mais le barbier, qui tient les moments pr?cieux : Ce spectacle n'est pas pour amuser nos yeux, Dit-il : ce temps est cher, portons-le dans le temple : C'est l? qu'il faut demain qu'un pr?lat le contemple. Et d'un bras, ? ces mots, qui peut tout ?branler, Lui-m?me, se courbant, s'appr?te ? le rouler. Mais ? peine il y touche, ? prodige incroyable ! Que du pupitre sort une voix effroyable. Brontin en est ?mu, le sacristain p?lit ; Le perruquier commence ? regretter son lit. Dans son hardi projet toutefois il s'obstine ; Lorsque des flanc poudreux de la vaste machine L'oiseau sort en courroux, et, d'un cri mena?ant, Ach?ve d'?tonner le barbier fr?missant : De ses ailes dans l'air secouant la poussi?re, Dans la main de Boirude il ?teint la lumi?re. Les guerriers ? ce coup demeurent confondus ; Ils regagnent la nef, de frayeur ?perdus : Sous leurs corps tremblotants leurs genoux s'affaiblissent, D'une subite horreur leurs cheveux se h?rissent ; Et bient?t, au travers des ombres de la nuit, Le timide escadron se dissipe et s'enfuit. Ainsi lorsqu'en un coin, qui leur tient lieu d'asile, D'?coliers libertins une troupe indocile, Loin des yeux d'un pr?fet au travail assidu Va tenir quelquefois un brelan d?fendu : Si du vaillant Argas la figure effrayante Dans l'ardeur du plaisir ? leurs yeux se pr?sente, Le jeu cesse ? l'instant, l'asile est d?sert?, Et tout fuit ? grand pas le tyran redout?. La Discorde, qui voit leur honteuse disgr?ce, Dans les airs, cependant tonne, ?clate, menace, Et, malgr? la frayeur dont leurs coeurs sont glac?s, S'appr?te ? r?unir ses soldats dispers?s. Aussit?t de Sidrac elle emprunte l'image : Elle ride son front, allonge son visage, Sur un b?ton noueux laisse courber son corps, Dont la chicane semble animer les ressorts ; Prend un cierge en sa main, et d'une voix cass?e, Vient ainsi gourmander la troupe terrass?e. L?ches, o? fuyez-vous ? quelle peur vous abat ? Aux cris du vil oiseau vous c?dez sans combat ? O? sont ces beaux discours jadis si pleins d'audace ? Craignez-vous d'un hibou l'impuissante grimace ? Que feriez-vous, h?las, si quelque exploit nouveau Chaque jour, comme moi, vous tra?nait au barreau ; S'il fallait, sans amis, briguant une audience, D'un magistrat glac? soutenir la pr?sence, Ou, d'un nouveau proc?s, hardi solliciteur, Aborder sans argent un clerc de rapporteur ? Croyez-moi, mes enfants, je vous parle ? bon titre : J'ai moi seul autrefois plaid? tout un chapitre ; Et le barreau n'a point de monstres si hagards, Dont mon oeil n'ait cent fois soutenu les regards. Tous les jours sans trembler j'assi?geais leurs passages. L'Eglise ?tait alors fertile en grands courages : Le moindre d'entre nous, sans argent, sans appui, E?t plaid? le pr?lat, et le chantre avec lui. Le monde, de qui l'?ge avance les ruines, Ne peut plus enfanter de ces ?mes divines : Mais que vos coeurs, du moins, imitant leurs vertus, De l'aspect d'un hibou ne soient pas abattus. Songez quel d?shonneur va souiller votre gloire, Quand le chantre demain entendra sa victoire. Vous verrez tous les jours le chanoine insolent, Au seul mot de hibou, vous sourire en parlant. Votre ?me, ? ce penser, de col?re murmure : Allez donc de ce pas en pr?venir l'injure ; M?ritez les lauriers qui vous sont r?serv?s, Et ressouvenez-vous quel pr?lat vous servez. Mais d?j? la fureur dans vos yeux ?tincelle. Marchez, courez, volez o? l'honneur vous appelle. Que le pr?lat, surpris d'un changement si prompt, Apprenne la vengeance aussit?t que l'affront. En achevant ces mots, la d?esse guerri?re De son pied trace en l'air un sillon de lumi?re ; rend aux trois champions leur intr?pidit?, Et les laisse tout pleins de sa divinit?. C'est ainsi, grand Cond?, qu'en ce combat c?l?bre, O? ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut et l'Ebre, Lorsqu'aux plaines de Lens nos bataillons pouss?s Furent presque ? tes yeux ouverts ou renvers?s, Ta valeur, arr?tant les troupes fugitives, Rallia d'un regard leurs cohortes craintives ; R?pandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux, Et for?a la victoire ? te suivre avec eux. La col?re ? l'instant succ?dant ? la crainte, Ils rallument le feu de leur bougie ?teinte : Ils rentrent ; l'oiseau sort : l'escadron raffermi Rit du honteux d?part d'un si faible ennemi. Aussit?t dans le choeur la machine emport?e Est sur le banc du chantre ? grand bruit remont?e. Ses ais demi-pourris, que l'?ge a rel?ch?s, Sont ? coups de maillet unis et rapproch?s. Sous les coups redoubl?s tous les bancs retentissent, Les murs en sont ?mus, les vo?tes en mugissent. Et l'orgue m?me en pousse un long g?missement. Que fais-tu, chantre, h?las ! dans ce triste moment ? Tu dors d'un profond somme, et ton coeur sans alarmes Ne sait pas qu'on b?tit l'instrument de tes larmes ! Oh ! que si quelque bruit, par un heureux r?veil, T'annon?ait du lutrin le funeste appareil ; Avant que de souffrir qu'on en pos?t la masse, Tu viendrais en ap?tre expirer dans ta place ; Et, martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau Offrir ton corps aux clous et ta t?te au marteau. Mais d?j? sur ton banc la machine enclav?e Est, durant ton sommeil, ? ta honte ?lev?e. Le sacristain ach?ve en deux coups de rabot ; Et le pupitre enfin tourne sur son pivot. CHANT QUATRIEME Les cloches, dans les airs, de leurs voix argentines, Appelaient ? grand bruit les chantres ? matines ; Quand leur chef, agit? d'un sommeil effrayant, Encor tout en sueur se r?veille en criant. Aux ?lans redoubl?s de sa voix douloureuse, Tous ses valets tremblants quittent la plume oiseuse ; Le vigilant Girot court ? lui le premier : C'est d'un ma?tre si saint le plus digne officier ; La porte dans le choeur ? sa garde est commise : Valet souple au logis, fier huissier ? l'?glise. Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil ? Quoi ! voulez-vous au choeur pr?venir le soleil ? Ah ! dormez, et laissez ? des chantres vulgaires Le soin d'aller sit?t m?riter leurs salaires. Ami, lui dit le chantre encor p?le d'horreur, N'insulte point, de gr?ce, ? ma juste terreur : M?le plut?t ici tes soupirs ? mes plaintes, Et tremble en ?coutant le sujet de mes craintes. Pour la seconde fois un sommeil gr?cieux Avait sous ses pavots appesanti mes yeux ; Quand, l'esprit enivr? d'une douce fum?e, J'ai cru remplir au choeur ma place accoutum?e. L?, triomphant aux yeux des chantres impuissant, Je b?nissais le peuple, et j'avalais l'encens ; Lorsque du fond cach? de notre sacristie Une ?paisse nu?e ? longs flots est sortie, Qui, s'ouvrant ? mes yeux, dans un bleu?tre ?clat M'a fait voir un serpent conduit par le pr?lat. Du corps de ce dragon, plein de soufre et de nitre, Une t?te sortait en forme de pupitre, Dont le triangle affreux, tout h?riss? de crins, Surpassait en grosseur nos plus ?pais lutrins. Anim? par son guide, en sifflant il s'avance : Contre moi sur mon banc je le vois qui s'?lance. J'ai cri?, mais en vain : et, fuyant sa fureur, Je me suis r?veill? plein de trouble et d'horreur. Add to tbrJar First Page Next Page |
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