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Read Ebook: Le Lutrin poème héroï-comique by Boileau Despr Aux Nicolas
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 92 lines and 12511 words, and 2 pagesAmi, lui dit le chantre encor p?le d'horreur, N'insulte point, de gr?ce, ? ma juste terreur : M?le plut?t ici tes soupirs ? mes plaintes, Et tremble en ?coutant le sujet de mes craintes. Pour la seconde fois un sommeil gr?cieux Avait sous ses pavots appesanti mes yeux ; Quand, l'esprit enivr? d'une douce fum?e, J'ai cru remplir au choeur ma place accoutum?e. L?, triomphant aux yeux des chantres impuissant, Je b?nissais le peuple, et j'avalais l'encens ; Lorsque du fond cach? de notre sacristie Une ?paisse nu?e ? longs flots est sortie, Qui, s'ouvrant ? mes yeux, dans un bleu?tre ?clat M'a fait voir un serpent conduit par le pr?lat. Du corps de ce dragon, plein de soufre et de nitre, Une t?te sortait en forme de pupitre, Dont le triangle affreux, tout h?riss? de crins, Surpassait en grosseur nos plus ?pais lutrins. Anim? par son guide, en sifflant il s'avance : Contre moi sur mon banc je le vois qui s'?lance. J'ai cri?, mais en vain : et, fuyant sa fureur, Je me suis r?veill? plein de trouble et d'horreur. Le chantre, s'arr?tant ? cet endroit funeste, A ses yeux effray?s laisse dire le reste. Girot en vain l'assure, et, riant de sa peur, Nomme sa vision l'effet d'une vapeur : Le d?sol? vieillard, qui hait la raillerie, Lui d?fend de parler, sort du lit en furie. On apporte ? l'instant ses somptueux habits, O? sur l'ouate molle ?clata le tabis. D'une longue soutane il endosse la moire, Prend ses gants violets, les marques de sa gloire ; Et saisit, en pleurant, ce rochet qu'autrefois Le pr?lat trop jaloux lui rogna de trois doigts. Aussit?t d'un bonnet ornant sa t?te grise, D?j? l'aumuce en main il marche vers l'?glise, Et, h?tant de ses ans l'importune langueur, Court, vole, et, le premier, arrive dans le choeur. O toi qui, sur ces bords qu'une eau dormante mouille Vit combattre autrefois le rat et la grenouille ; Qui, par les traits hardis d'un bizarre pinceau, Mit l'Italie en feu pour la perte d'un seau ; Muse, pr?te ? ma bouche une voix plus sauvage, Pour chanter le d?pit, la col?re, la rage, Que le chantre sentit allumer dans son sang A l'aspect du pupitre ?lev? sur son banc. D'abord p?le et muet, de col?re immobile, A force de douleur, il demeura tranquille ; Mais sa voix s'?chappant au travers des sanglots Dans sa bouche ? la fin fit passage ? ces mots : La voil? donc, Girot, cette hydre ?pouvantable Que m'a fait voir un songe, h?las ! trop v?ritable ! Je le vois ce dragon tout pr?t ? m'?gorger, Ce pupitre fatal qui me doit ombrager ! Pr?lat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse Rend pour me tourmenter ton ?me ing?nieuse ? Quoi ! m?me dans ton lit, cruel, entre deux draps, Ta profane fureur ne se repose pas ! O ciel ! quoi ! sur mon banc une honteuse masse D?sormais me va faire un cachot de ma place ! Inconnu dans l'?glise, ignor? dans ce lieu, Je ne pourrai donc plus ?tre vu que de Dieu ! Ah ! plut?t qu'un moment cet affront m'obscurcisse, Renon?ons ? l'autel, abandonnons l'office ; Et, sans lasser le ciel par de chants superflus, Ne voyons plus un choeur o? l'on ne nous voit plus. Sortons... Mais cependant mon ennemi tranquille Jouira sur son banc de ma rage inutile, Et verra dans le choeur le pupitre exhauss? Tourner sur le pivot o? sa main l'a plac? ! Non, s'il n'est abattu, je ne saurais plus vivre. A moi, Girot, je veux que mon bras l'en d?livre. P?rissons s'il le faut, mais de ses ais bris?s Entra?nons, en mourant, les restes divis?s. A ces mots, d'une main par la rage affermie, Il saisissait d?j? la machine ennemie. Lorsqu'en ce sacr? lieu, par un heureux hasard, Entre Jean le choriste, et le sonneur Girard Deux Manseaux renomm?s, en qui l'exp?rience Pour les proc?s est jointe ? la vaste science. L'un et l'autre aussit?t prend part ? son affront. Toutefois condamnant un mouvement trop prompt Du lutrin, disent-ils, abattons la machine : Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine ; Et que tant?t, aux yeux du chapitre assembl?, Il soit sous trente mains en plein jour accabl?. Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre. J'y consens, leur dit-il ; assemblons le chapitre. Allez donc de ce pas, par de saints hurlements, Vous-m?mes appeler les chanoines dormants. Partez. Mais ce discours les surprend et les glace. Nous ! qu'en ce vain projet, pleins d'une folle audace, Nous allions, dit Girard, la nuit nous engager ! De notre complaisance osez-vous l'exiger ? H? ! seigneur ! quand nos cris pourraient, du fond des rues, De leurs appartements percer les avenues, R?veiller ces valets autour d'eux ?tendus, De leurs sacr?s repos ministres assidus, Et p?n?trer des lits aux bruits inaccessibles ; Pensez-vous, au moment que les ombres paisibles A ces lits enchanteurs ont su les attacher. Que la voix d'un mortel les en puisse arracher ? Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire, Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pu faire ? Ah ! je vois bien o? tend tout ce discours trompeur, Reprend le chaud vieillard : le pr?lat vous fait peur. Je vous ai vus cent fois, sous sa main b?nissante, Courber servilement une ?paule tremblante. H? bien ! allez ; sous lui fl?chissez les genoux : Je saurai r?veiller les chanoines sans vous. Viens, Girot, seul ami qui me reste fid?le : Prenons du saint jeudi la bruyante cr?celle. Suis-moi. Qu'? son lever le soleil aujourd'hui trouve tout le chapitre ?veill? devant lui. Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacr?e Par les mains de Girot la cr?celle est tir?e. Ils sortent ? l'instant, et, par d'heureux efforts, Du lugubre instrument font crier les ressorts. Pour augmenter l'effroi, la Discorde infernale Monte dans le palais, entre dans la grand'salle, Et, du fond de cet antre, au travers de la nuit, Fait sortir le d?mon du tumulte et du bruit. Le quartier alarm? n'a plus d'yeux qui sommeillent ; D?j? de toutes parts les chanoines s'?veillent L'on croit que le tonnerre est tomb? sur les toits, Et que l'?glise br?le une seconde fois ; L'autre, encor agit? de vapeurs plus fun?bres, Pense ?tre au jeudi saint, croit que l'on dit t?n?bres, Et d?j? tout confus, tenant midi sonn?, En soi-m?me fr?mit de n'avoir point d?n?. Ainsi, lorsque tout pr?t ? briser cent murailles Louis, la foudre en main abandonnant Versailles, Au retour du soleil et des z?phyrs nouveaux, Fait dans les champs de Mars d?ployer les drapeaux ; Au seul bruit r?pandu de sa marche ?tonnante, Le Danube s'?meut, le Tage s'?pouvante, Bruxelles attend le coup qui la doit foudroyer, Et le Batave encore est pr?t ? se noyer. Mais en vain dans leurs lits un juste effroi les presse : Aucun ne laisse encor la plume enchanteresse. Pour les en arracher Girot s'inqui?tant Va crier qu'au chapitre un repas les attend. Ce mot, dans tous les coeurs r?pand la vigilance. Tout s'?branle, tout sort, tout marche en diligence. Ils courent au chapitre, et chacun se pressant Flatte d'un doux espoir son app?tit naissant. Mais, ? d'un d?jeuner vaine et frivole attente ! A peine ils sont assis, que, d'une voix dolente, Le chantre d?sol?, lamentant son malheur, Fait mourir l'app?tit et na?tre la douleur. Le seul chanoine Evrard, d'abstinence incapable, Ose encor proposer qu'on apporte la table. Mais il a beau presser, aucun ne lui r?pond : Quand le premier rompant ce silence profond, Alain tousse et se l?ve ; Alain, ce savant homme, Qui de Bauny vingt fois a lu toute la somme, Qui poss?de Ab?li, qui sait tout Raconis, Et m?me entend, dit-on, le latin d'A-Kempis. N'en doutez point, leur dit ce savant canoniste, Ce coup part, j'en suis s?r, d'une main jans?niste. Mes yeux en sont t?moins : j'ai vu moi-m?me hier Entrer chez le pr?lat le chapelain Garnier. Arnaud, cet h?r?tique ardent ? nous d?truire, Par ce ministre adroit tente de le s?duire : Sans doute il aura lu dans son saint Augustin Qu'autrefois saint Louis ?rigea ce lutrin ; Il va nous inonder des torrents de sa plume. Il faut, pour lui r?pondre, ouvrir plus d'un volume. Consultons sur ce point quelque auteur signal? ; Voyons si des lutrins Bauny n'a point parl? Etudions enfin, il en est temps encor ; Et, pour ce grand projet, tant?t d?s que l'aurore Rallumera le jour dans l'onde enseveli, Que chacun prenne en main le moelleux Ab?li. Ce conseil impr?vu de nouveau les ?tonne : Surtout le gras Evrard d'?pouvante en frissonne. Moi, dit-il, qu'? mon ?ge, ?colier tout nouveau, J'aille pour un lutrin me troubler le cerveau ! O le plaisant conseil ! Non, non, songeons ? vivre : Va maigrir, si tu veux, et s?cher sur un livre. Pour moi, je lis la bible autant que l'alcoran : Je sais ce qu'un fermier nous doit rendre par an ; Sur quelle vigne ? Reims nous avons hypoth?que : Vingt muids rang?s chez moi font ma biblioth?que. En pla?ant un pupitre on croit nous rabaisser : Mon bras seul sans latin saura le renverser. Que m'importe qu'Arnaud me condamne ou m'approuve ? J'abats ce qui me nuit partout o? je le trouve : C'est l? mon sentiments. A quoi bon tant d'appr?ts ? Du reste d?je?nons, messieurs, et buvons frais. Ce discours, que soutient l'embonpoint du visage, R?tablit l'app?tit, r?chauffe le courage. Mais le chantre surtout en para?t rassur?, Oui, dit-il, le pupitre a d?j? trop dur?. Allons sur sa ruine assurer ma vengeance : Donnons ? ce grand oeuvre une heure d'abstinence, Et qu'au retour tant?t un ample d?je?ner Longtemps nous tienne ? table, et s'unisse au d?ner. Aussit?t il se l?ve, et la troupe fid?le Par ces mots attirants sent redoubler son z?le. Ils marchent droit au coeur d'un pas audacieux. Et bient?t le lutrin se fait voir ? leurs yeux. A ce terrible objet aucun d'eux ne consulte, Sur l'ennemi commun ils fondent en tumulte, Ils sapent le pivot, qui se d?fend en vain ; Chacun sur lui d'un coup veut honorer sa main. Enfin sous tant d'efforts la machine succombe, Et son corps entr'ouvert chancelle, ?clate et tombe : Tel sur les monts glac?s des farouches G?lons Tombe un ch?ne battu des voisins aquilons ; Ou tel, abandonn? de ses poutres us?es, Fond enfin un vieux toit sous ses tuiles bris?s. La masse est emport?e, et ses ais arrach?s Sont aux yeux des mortels chez le chantre cach?s. CHANT CINQUIEME L'Aurore cependant, d'un juste effroi troubl?e, Des chanoines lev?s voit la troupe assembl?e, Et contemple longtemps, avec des yeux confus, Ces visages fleuris qu'elle n'a jamais vus. Chez Sidrac aussit?t Brontin d'un pied fid?le Du pupitre abattu va porter la nouvelle. Le vieillard de ses soins b?nit l'heureux succ?s, Et sur le bois d?truit b?tit mille proc?s. L'espoir d'un doux tumulte ?chauffant son courage, Il ne sent plus le poids ni les glaces de l'?ge ; Et chez le tr?sorier, de ce pas, ? grand bruit, Vient ?clater au jour les crimes de la nuit. Au r?cit impr?vu de l'horrible insolence, Le pr?lat hors du lit imp?tueux s'?lance Vainement d'un breuvage ? deux mains apport? Gilotin avant tout le veut voir humect? : Il veut partir ? jeun. Il se peigne, il s'appr?te ; L'ivoire trop h?t? deux fois rompt sur sa t?te, Et deux fois de sa main le buis tombe en morceaux ; Tel Hercule filant rompait tous les fuseaux, Il sort demi-par?. Mais d?j? sur sa porte Il voit de saints guerriers une ardente cohorte, Qui tous, remplis pour lui d'une ?gale vigueur, Sont pr?ts, pour le servir, ? d?serter le choeur. Mais le vieillard condamne un projet inutile. Nos destins sont, dit-il, ?crits chez la Sibylle : Son antre n'est pas loin ; allons la consulter, Et subissons la loi qu'elle nous va dicter. Il dit : ? ce conseil, o? la raison domine, Sur ses pas au barreau la troupe s'achemine, Et bient?t dans le temple, entend, non sans fr?mir, De l'antre redout? les soupiraux g?mir. Entre ces vieux appuis dont l'affreuse grand'salle Soutient l'?norme poids de sa vo?te infernale, Est un pilier fameux, des plaideurs respect?, Et toujours de Normands ? midi fr?quent?. L?, sur des tas poudreux de sacs et de pratique, Hurle tous les matins une Sibylle ?tique : On l'appelle Chicane ; et ce monstre odieux Jamais pour l'?quit? n'eut d'oreilles ni d'yeux. La Disette au teint bl?me, et la triste Famine, Les Chagrins d?vorants, et l'inf?me Ruine, Enfants infortun?s de ses raffinements, Troublent l'air d'alentour de longs g?missements. Sans cesse feuilletant les lois et la coutume, Pour consumer autrui, le monstre se consume ; Et, d?vorant maison, palais, ch?teaux entiers, Rend pour des monceaux d'or de vains tas de papiers. Sous le coupable effort de ta noire insolence, Th?mis a vu cent fois chanceler sa balance. Incessamment il va de d?tour en d?tour. Comme un hibou, souvent il se d?robe au jour : Tant?t, les yeux en feu, c'est un lion superbe ; Tant?t, humble serpent, il se glisse sous l'herbe. En vain, pour le dompter, le plus juste des rois Fit r?gler le chaos des t?n?breuses lois ; Ses griffes vainement par Pussort accourcies, Se rallongent d?j?, toujours d'encre noircies ; Et ses ruses, per?ant et digues et remparts, Par cent br?ches d?j? rentrent de toutes parts. Le vieillard humblement l'aborde et le salue, Et faisant, avant tout, briller l'or ? sa vue : Reine des longs proc?s, dit-il, dont le savoir Rend la force inutile, et les lois sans pouvoir, Toi, pour qui dans le Mans le laboureur moissonne, Pour qui naissent ? Caen tous les fruits de l'automne : Si, d?s mes premiers ans, heurtant tous les mortels, L'encre a toujours pour loi coul? sur tes autels, Daigne encor me conna?tre en ma saison derni?re ; D'un pr?lat qui t'implore exauce la pri?re. Un rival orgueilleux, de sa gloire offens?, A d?truit le lutrin par nos mains redress?. Epuise en sa faveur ta science fatale : Du digeste et du code ouvre-nous le d?dale; Et montre-nous cet art, connu de tes amis, Qui, dans ses propres lois, embarrasse Th?mis. La Sibylle, ? ces mots, d?j? hors d'elle-m?me, Fait lire sa fureur sur son visage bl?me, Et, pleine du d?mon qui la vient oppresser, Par ces mots ?tonnants t?che ? le repousser. Chantres, ne craignez plus une audace insens?e. Je vois, je vois au choeur la masse replac?e : Mais il faut des combats. Tel est l'arr?t du sort, Et surtout ?vitez un dangereux accord. L? bornant son discours, encor tout ?cumante, Elle souffle aux guerriers l'esprit qui la tourmente ; Et dans leurs coeurs br?lants de la soif de plaider Verse l'amour de nuire, et la peur de c?der. Pour tracer ? loisir une longue requ?te, A retourner chez soi leur brigade s'appr?te. Sous leurs pas diligents le chemin dispara?t, Et le pilier, loin d'eux, d?j? baisse et d?cro?t. Loin du bruit cependant les chanoines ? table Immolent trente mets ? leur faim indomptable. Leur app?tit fougueux, par l'objet excit?, Parcourt tous les recoins d'un monstrueux p?t? ; Par le sel irritant la soif est allum?e : Lorsque d'un pied l?ger la prompte Renomm?e, Semant partout l'effroi, vient au chantre ?perdu Conter l'affreux d?tail de l'oracle rendu. Il se l?ve, enflamm? de muscat et de bile, Et pr?tend ? son tour consulter la Sibylle. Evrard a beau g?mir du repas d?sert?, Lui-m?me est au barreau par le nombre emport?. Par les d?tours ?troits d'une barri?re oblique, Ils gagnent les degr?s, et le perron antique O? sans cesse, ?talant bons et m?chants ?crits, Barbin vend aux passants les auteurs ? tout prix. L? le chantre ? grand bruit arrive et se fait place, Dans le fatal instant que, d'un ?gale audace, Le pr?lat et sa troupe , ? pas tumultueux, Descendaient du palais l'escalier tortueux. L'un et l'autre rival, s'arr?tant au passage, Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage ; Une ?gale fureur anime les esprits : Tels deux fougueux taureaux, de jalousie ?pris Aupr?s d'une g?nisse au front large et superbe Oubliant tous les jours le p?turage et l'herbe, A l'aspect l'un de l'autre, embras?s, furieux, D?j? le front baiss?, se menacent des yeux. Mais Evrard, en passant coudoy? par Boirude, Ne sait point contenir son aigre inqui?tude ; Il entre chez Barbin, et, d'un bras irrit?, Saisissant du Cyrus un volume ?cart?, Il lance au sacristain le tome ?pouvantable. Boirude fuit le coup : le volume effroyable Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac, Va frapper en sifflant l'infortun? Sidrac. Le vieillard, accabl? de l'horrible Artam?ne, Tombe aux pieds du pr?lat, sans pouls et sans haleine. Sa troupe le croit mort, et chacun empress? Se croit frapp? du coup dont il le voit bless?. Aussit?t contre Evrard vingt champions s'?lancent ; Pour soutenir leur choc les chanoine s'avancent. La Discorde triomphe, et du combat fatal Par un cri donne en l'air l'effroyable signal. Chez le libraire absent tout entre, tout se m?le : Les livres sur Evrard fondent comme la gr?le Qui, dans un grand jardin, ? coups imp?tueux, Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux. Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre : L'un tient l'Edit d'amour, l'autre en saisit la Montre ; L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu reli? ; L'autre un Tasse fran?ais, en naissant oubli?. L'?l?ve de Barbin, commis ? la boutique, veut en vain s'opposer ? leur fureur gothique : Les volumes, sans choix ? la t?te jet?s, Sur le perron poudreux volent de tous c?t?s : L?, pr?s d'un Guarini, T?rence tombe ? terre ; L?, X?nophon dans l'air heurte contre un la Serre, Oh ! que d'?crits obscurs, de livres ignor?s, Furent en ce grand jour de la poudre tir?s ! Vous en f?tes tir?s, Almerinde et Simandre : Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre, Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois, Tu vis le jour alors pour la premi?re fois. Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure : D?j? plus d'un guerrier se plaint d'une blessure. D'un le Vayer ?pais Giraut est renvers? : Marineau, d'un Br?beuf ? l'?paule bless?, En sent par tout le bras une douleur am?re, Et maudit le Pharsale aux provinces si ch?re. D'un Pinch?ne in-quarto Dodillon ?tourdi A longtemps le teint p?le et le coeur affadi. Au plus fort du combat le chapelain Garagne, Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne, ! Tout pr?t ? s'endormir, b?ille, et ferme les yeux. A plus d'un combattant la Cl?lie est fatale : Girou dix fois par elle ?clate et se signale. Mais tout c?de aux efforts du chanoine Fabri. Ce guerrier, dans l'?glise aux querelles nourri, Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage. Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset, Et Gerbais l'agr?able, et Guerin l'insipide. Des chantres d?sormais la brigade timide S'?carte, et du palais regagne les chemins : Telle, ? l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins, Fuit d'agneaux effray?s une troupe b?lante ; Ou tels devant Achille, aux campagnes de Xanthe, Les Troyens se sauvaient ? l'abri de leurs tours, Quand Brontin ? Boirude adresse ce discours : Illustre porte-croix, par qui notre banni?re N'a jamais en marchant fait un pas en arri?re, Un chanoine lui seul triomphant du pr?lat Du rochet ? nos yeux ternira-t-il l'?clat ? Non, non : pour te couvrir de sa main redoutable, Accepte de mon corps l'?paisseur favorable. Viens, et, sous ce rempart, ? ce guerrier hautain Fais voler ce Quinault qui me reste ? la main. A ces mots, il lui tend le doux et tendre ouvrage. Le sacristain, bouillant de z?le et de courage, Le prend, se cache, approche, et, droit entre le syeux, Frappe du noble ?crit l'athl?te audacieux. Mais c'est pour l'?branler une faible temp?te, Le livre sans vigueur mollit contre sa t?te. Le chanoine les voit, de col?re embras? : Attendez, leur dit-il, couple l?che et rus?, Et jugez si ma main, aux grands exploits novice, Lance ? mes ennemis un livre qui mollisse. A ces mots il saisit un vieil Infortiat, Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat, Inutile ramas de gothique ?criture, Dont quatre ais mal unis formaient la couverture, Entour? ? demi d'un vieux parchemin noir, O? pendait ? trois clous un reste de fermoir. Sur l'ais qui le soutient aupr?s d'un Avicenne, Deux des plus forts mortels l'?branleraient ? peine : Le chanoine pourtant l'enl?ve sans effort, Et, sur le couple p?le et d?j? demi-mort, Fait tomber ? deux mains l'effroyable tonnerre. Les guerriers de ce coup vont mesurer la terre, Et, du bois et des clous meurtris et d?chir?s, Longtemps, loin du perron, roulent sur les degr?s. Au spectacle ?tonnant de leur chute impr?vue, Le pr?lat pousse un cri qui p?n?tre la nue. Il maudit dans son coeur le d?mon des combats, Et de l'horreur du coup il recule six pas. Mais bient?t rappelant son antique prouesse Il tire du manteau sa dextre vengeresse ; Il part, et, de ses doigts saintement allong?s, B?nit tous les passants, en deux files rang?s. Il sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre, D?sormais sur ses pieds ne l'oserait attendre, Et d?j? voit pour lui tout ce peuple en courroux Crier aux combattants : Profanes, ? genoux ! Le chantre, qui de loin voit approcher l'orage, Dans son coeur ?perdu cherche en vain du courage : Sa fiert? l'abandonne, il tremble, il c?de, il fuit. Le long des sacr?s murs sa brigade le suit : Tout s'?carte ? l'instant ; mais aucun n'en r?chappe ; Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape. Evrard seul, en un coin prudemment retir?, Se croyait ? couvert de l'insulte sacr? : Mais le pr?lat vers lui fait une marche adroite, Il l'observe de l'oeil ; et tirant vers la droite, Tout d'un coup tourne ? gauche, et d'un bras fortun? B?nit subitement le guerrier constern?. Le chanoine, surpris de la foudre mortelle, Se dresse, et l?ve en vain une t?te rebelle ; Sur ses genoux tremblants il tombe ? cet aspect, Et donne ? la frayeur ce qu'il doit au respect. Dans le temple aussit?t le pr?lat plein de gloire Va go?ter les doux fruits de sa sainte victoire ; Et de leur vain projet les chanoines punis S'en retournent chez eux, ?perdus et b?nis. Tandis que tout conspire ? la guerre sacr?e, La Pi?t? sinc?re, aux Alpes retir?e, Du fond de son d?sert entend les tristes cris, De ses sujets cach?s dans les murs de Paris. Elle quitte ? l'instant sa retraite divine La Foi, d'un pas certain, devant elle chemine ; L'Esp?rance au front gai l'appuie et la conduit ; Et, la bourse ? la main, la Charit? la suit. Vers Paris elle vole, et d'une audace sainte, Vient aux pieds de Th?mis prof?rer cette plainte : Vierge, effroi des m?chants, appui de mes autels, Qui, la balance en main, r?gle tous les mortels, Ne viendrai-je jamais en tes bras salutaires Que pousser des soupirs et pleurer mes mis?res ! Ce n'est donc pas assez qu'au m?pris de tes lois L'Hypocrisie ait pris et mon nom et ma voix ; Que, sous ce nom sacr?, partout ses mains avares Cherchent ? me ravir crosses, mitres, tiares ! Faudra-t-il voir encor cent monstres furieux Ravager mes ?tats usurp?s ? tes yeux ! Dans les temps orageux de mon naissant empire, Au sortir de bapt?me on courait au martyre. Chacun, plein de mon nom, ne respirait que moi : Le fid?le, attentif aux r?gles de sa loi, Fuyant des vanit?s la dangereuse amorce, Aux honneurs appel?, n'y montait que par force : Ces coeurs, que les bourreaux ne faisaient point fr?mir, A l'offre d'une mitre ?taient pr?ts ? g?mir ; Et, sans peur des travaux, sur mes traces divines Couraient chercher le ciel au travers des ?pines. Mais, depuis que l'Eglise eut, aux yeux des mortels, De son sang en tous lieux ciment? ses autels, Le calme dangereux succ?dant aux orages, Une l?che ti?deur s'empara des courages, De leur z?le br?lant l'ardeur se ralentit. Sous le joug des p?ch?s leur foi s'appesantit : Le moine secoua la cilice et la haire, Le chanoine indolent apprit ? ne rien faire ; Le pr?lat, par la brigue aux honneurs parvenu, Ne sut plus qu'abuser d'un humble revenu, Et pour toutes vertus fit, au dos d'un carrosse, A c?t? d'une mitre armorier sa crosse ; L'Ambition partout chassa l'Humilit? ; Dans la crasse du froc logea la Vanit?. Alors de tous les coeurs l'union fut d?truite. Dans mes clo?tres sacr?s la Discorde introduite Y b?tit de mon bien ses plus s?rs arsenaux ; Tra?ne tous mes sujets au pied des tribunaux. En vain ? ses fureurs j'opposai mes pri?res ; L'insolente, ? mes yeux, marcha sous mes banni?res. Pour comble de mis?re, un tas de faux docteurs Vint flatter les p?ch?s de discours imposteurs ; Infectant les esprits d'ex?crables maximes, Voulut faire ? Dieu m?me approuver tous les crimes. Une servile peur leur tint lieu de charit?, Le besoin d'aimer Dieu passa pour nouveaut? ; Et chacun ? mes pieds, conservant sa malice, N'apporta de vertu que l'aveu de son vice. Pour ?viter l'affront de ces noirs attentats, J'allai chercher le calme au s?jour des frimas, Sur ces monts entour?s d'une ?ternelle glace O? jamais au printemps les hivers n'ont fait place. Mais, jusques dans la nuit de mes sacr?s d?serts, Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs. Aujourd'hui m?me encore une voix trop fid?le M'a d'un triste d?sastre apport? la nouvelle : J'apprends que, dans ce temple o? le plus saint des rois Consacra tout le fruit de ses pieux exploits, Et signala pour moi sa pompeuse largesse, L'implacable Discorde et l'inf?me Mollesse, Foulant aux pieds les lois, l'honneur et le devoir, Usurpent en mon nom le souverain pouvoir. Souffriras-tu, ma soeur, une action si noire ? Quoi ! ce temple, ? ta porte, ?lev? pour ma gloire, O? jadis des humains j'attirais tous les voeux, Sera de leurs combats le th??tre honteux ! Non, non, il faut enfin que ma vengeance ?clate : Assez et trop longtemps l'impunit? les flatte. Prends ton glaive, et, fondant sur ces audacieux, Viens aux yeux des mortels justifier les cieux. Ainsi parle ? sa soeur cette vierge enflamm?e : La gr?ce est dans ses yeux d'un feu pur allum?e. Th?mis sans diff?rer lui promet son secours, La flatte, la rassure et lui tient ce discours : Ch?re et divine soeur, dont les mains secourables Ont tant de fois s?ch? les pleurs des mis?rables, Pourquoi toi-m?me, en proie ? tes vives douleurs, Cherches-tu sans raison ? grossir tes malheurs ? En vain de tes sujets l'ardeur est ralentie ; D'un ciment ?ternel ton Eglise est b?tie, Et jamais de l'enfer les noirs fr?missements N'en sauraient ?branler les fermes fondements. Au milieu des combats, des troubles, des querelles, Ton nom encor ch?ri vit au sein des fid?les. Crois-moi, dans ce lieu m?me o? l'on veut t'opprimer, Le trouble qui t'?tonne est facile ? calmer ; Et, pour y rappeler la paix tant d?sir?e, Je vais t'ouvrir, ma soeur, une route assur?e. Pr?te-moi donc l'oreille, et retiens tes soupirs. Vers ce temple fameux, si chers ? tes d?sirs O? le ciel fut pour toi si prodigue en miracles, Non loin de ce palais o? je rends mes oracles, Est un vaste s?jour des mortels r?v?r?, Et de clients soumis ? toute heure entour?, L?, sous le faix pompeux de ma pourpre honorable, Veille au soin de ma gloire un homme incomparable, Ariste, dont le Ciel et Louis ont fait choix Pour r?gler ma balance et dispenser mes lois. Par lui dans le barreau sur mon tr?ne affermie Je vois hurler en vain la chicane ennemie ; Par lui la v?rit? ne craint plus l'imposteur, Et l'orphelin n'est plus d?vor? du tuteur. Mais pourquoi vainement t'en retracer l'image ? Tu le connais assez : Ariste est ton ouvrage. C'est toi qui le formas d?s ses plus jeunes ans : Son m?rite sans tache est un de tes pr?sents. Tes divines le?ons, avec le lait suc?es, Allum?rent l'ardeur de ses nobles pens?es. Aussi son coeur, pour toi br?lant d'un si beau feu, N'en fit point dans le monde un l?che d?saveu ; Et son z?le hardi, toujours pr?t ? para?tre, N'alla point se cacher dans le sombres d'un clo?tre. Va le trouver, ma soeur a ton auguste nom, Tout s'ouvrira d'abord en sa sainte maison. Ton visage est connu de sa noble famille. Tout y garde tes lois, enfants, soeurs, femme, fille. Tes yeux d'un seul regard sauront le p?n?trer ; Et, pour obtenir tout, tu n'as qu'? te montrer. L? s'arr?ta Th?mis. La Pi?t? charm?e Sent rena?tre la joie en son ?me calm?e. Elle court chez Ariste ; Et s'offrant ? ses yeux : Que me sert, lui dit-elle, Ariste qu'en tous lieux Tu signales pour moi ton z?le et ton courage, Si la Discorde impie ? ma porte m'outrage ? Dans ces murs, autrefois si saints, si renomm?s, A mes sacr?s autels font un profane insulte, Remplissent tout d'effroi, de trouble et de tumulte. De leur crime ? leurs yeux va-t-en peindre l'horreur : Sauve-moi, sauve-les de leur propre fureur. Elle sort ? ces mots. Le h?ros en pri?re Demeure tout couvert de feux et de lumi?re. De la c?leste fille il reconna?t l'?clat, Et mande au m?me instant le chantre et le pr?lat. Muse, c'est ? ce coup que mon esprit timide Dans sa course ?lev?e a besoin qu'on le guide. Pour chanter par quels soins, par quels nobles travaux Un mortel sut fl?chir ces superbes rivaux. Mais plut?t, toi qui fis ce merveilleux ouvrage, Ariste, c'est ? toi d'en instruire n?tre ?ge. Seul tu peux r?v?ler par quel art tout puissant Tu rendis tout-?-coup le chantre ob?issant. Tu sais par quel conseil rassemblant le chapitre Lui-m?me, de sa main, reporta le pupitre ; Et comment le pr?lat, de ses respects content, Le fit du banc fatal enlever ? l'instant. Parle donc : c'est ? toi d'?claircir ces merveilles. Il me suffit pour moi d'avoir su, par mes veilles Jusqu'au sixi?me chant pousser ma fiction, Et fait d'un vain pupitre un second Ilion. Finissons. Aussi bien, quelque ardeur qui m'inspire, Quand je songe au h?ros qui me reste ? d?crire, Qu'il faut parler de toi, mon esprit ?perdu Demeure sans parole, interdit, confondu. Ariste, c'est ainsi qu'en ce s?nat illustre O? Th?mis, par tes soins, reprend son premier lustre, Quand, la premi?re fois, un athl?te nouveau Vient combattre en champ clos aux joutes du barreau, Souvent sans y penser ton auguste pr?sence Troublant par trop d'?clat sa timide ?loquence, Le nouveau Cic?ron, tremblant, d?color?, Cherche en vain son discours sur sa langue ?gar? : En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses, Tra?ne d'un dernier mot les syllabes honteuses ; Il h?site, il b?gaie ; et le triste orateur Demeure enfin muet aux yeux du spectateur. BOILEAU Here is the briefest record of our progress : Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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