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Munafa ebook

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Read Ebook: Les Gueules Noires by Morel Emile Adam Paul Author Of Introduction Etc Steinlen Th Ophile Alexandre Illustrator

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Ebook has 742 lines and 34539 words, and 15 pages

--L' quatre ed' janvier.

Le comptable, le front chagrin, a ouvert son grand registre ? coins de cuivre, et de ses doigts p?les tourne les pages o?, riv?s chacun ? son num?ro, se succ?dent les quatorze cents noms, inscrits en grosses lettres rondes, enlac?es comme des maillons de cha?nes.

Dans le silence, on entend un bruit sourd qui vient du b?timent d'extraction, un bruit au rythme large, comme une respiration profonde et ?gale. Et, ? travers les vitres en moiteur, on voit l?-bas, ? une grande baie, le bras ?norme d'une bielle, dont le geste humain passe et repasse.

L'employ? a pris son carnet ? souche, puis s'est mis ? ?crire.

Le po?le rougi a rejet? par son oeil de feu une escarbille, une larme incandescente qui a roul? sur le plancher. B?cu s'est pr?cipit? lourdement, et d'un coup de son gros soulier ferr? a repouss? l'escarbille sur la plaque de t?le. Mais derri?re le grillage, on lui a jet? un regard furibond et la plume a eu sur le papier un grincement exasp?r?.

Alors, pour prendre contenance, l'homme croise les bras, et, se penchant un peu, il suit du regard avec une attention stupide, le fant?me de force qui, l?-bas, passe et repasse.

Le comptable s'est lev? et s'approche du guichet.

--Tenez, voil? vos bons.

Sur la planchette, il a appliqu? du plat de la main, avec un bruit de gifle, deux feuillets d?tach?s du livre ? souche.

B?cu les regarde d'un air d?sappoint?.

--Alors, c'est pas nous qu'on touche ch'l'argent?

On ne r?pond m?me pas ? sa question.

--Celui-ci, vous le remettrez au cur?, celui-l?, aux pompes fun?bres, afin qu'on puisse venir les toucher ? la caisse. Nous ne donnons pas de bon pour le menuisier. L'indemnit? est fix?e ? cinq francs pour les cercueils d'enfants. Je vais vous remettre l'argent.

Cette fois, B?cu a eu un dandinement de satisfaction.

La pi?ce a sonn?e, brillante, sur la planchette. Aussit?t, l'?norme main noire l'a saisie puis ?touff?e en se refermant.

Dans la cour redevenue d?serte, il n'y a plus qu'un groupe de chefs porions qui causent entre eux tout bas, leurs gros ventres se touchant.

Et maintenant, B?cu se trouve seul sur la route. On ne voit plus qu'une femme et son enfant, qui attendent, en d?tresse, devant la porte d'un cabaret et aussi le malheureux qu'un ?boulement a tordu, qui s'en va, lentement, de c?t?, comme un crabe.

B?cu se dirige aussit?t vers l'estaminet du <>

La salle enfum?e est pleine de houilleurs, assis autour du po?le, serr?s sur des bancs le long des murs ou debout devant le comptoir. Au relent ?pais et fade de la bi?re, dans l'atmosph?re empest?e par l'?cre fum?e du tabac de contrebande, se m?le la senteur vineuse de l'alcool. Et le patois grossier, le lourd patois du Nord, sort comme m?chonn? des bouches o? s'accrochent les pipes en terre.

B?cu s'assied pr?s de la porte, au bout d'un banc.

Mais dans le fond de la salle, un homme s'est dress?, ?mergeant du remous des carrures.

--H? D?sir?? Viens par ichi nom de Dieu!

Lui, s'est lev? docile, et sa grosse t?te dodelinant, va s'asseoir ? c?t? de celui qui l'a appel?.

Au comptoir, le cabaretier, une main sur le levier de la pompe, remplit les chopes que sa femme et la servante ? la tignasse de lin vont porter sur les tables. Ou bien, d'un broc d'?tain, il verse du geni?vre dans les verres. Parfois, il sort du comptoir pour aller boire avec les clients. Il a l'air satisfait, r?joui, et l? o? il va vider une chope, il l?che des plaisanteries et donne de grosses tapes amicales sur les ?paules boueuses, comme s'il voulait donner du courage pour les tourn?es ? venir.

Les houilleurs vident leurs chopes avec des gestes tra?nards, des mouvements d?form?s de leurs corps devenus ? l'image de leur vie. Et les pens?es qui roulent dans le vacarme des voix semblent ?tre tir?es avec effort, comme ? coups de pioche, des fronts durs.

B?cu, lui, ne parle pas; il ?coute le camarade qui p?rore. Silencieusement il boit et m?chonne une chique de tabac. De temps ? autre, il lance sur le carrelage un long jet de salive jaun?tre. Lorsque vient son tour de faire la politesse d'une tourn?e, il demande d'une voix sourde qu'on remplisse les ?normes chopes. Puis il s'efface dans le silence. Trente ann?es de fond et vingt ans pendant lesquels cet homme a trembl? devant une ?pouse terrible, ont fait de lui un ?tre timide et triste.

Parfois, dans le brouhaha, un juron du rude patois se d?tache et isol?ment va r?sonner aux murs o? sont accroch?s les chromos violemment enlumin?s qui repr?sentent les d?put?s-mineurs.

Mais on boit ici, simplement histoire de se laver le gosier, avant d'aller au coron se d?crasser dans les cuvelles et manger la soupe. Ou bien encore, pour certains, avant de prendre le train-tramway qui reconduit au-del? du pays noir, dans les villages agricoles, ceux qui, pour les salaires de la mine, ont abandonn? les champs. Les uns apr?s les autres, les hommes boueux et aux visages lugubres se l?vent. Il a beau sourire le gros cabaretier, il a beau donner des tapes amicales, les gros souliers aux semelles clout?es font crier le sable blanc sem? sur le carrelage. Quelques mineurs vont d?crocher, dans un corridor qui m?ne ? la cour du cabaret, des vieux pardessus qu'ils ont habitude de remiser en cet endroit avant d'entrer ? la fosse. Ce sont l? d'?tranges v?tements rapi?c?s, de vieilles guenilles qui ne craignent pas le contact des loques de fond. Et ceux qui les endossent prennent un aspect de bandits, dont le visage serait barbouill? pour un guet-apens.

Le camarade aussi s'est lev?, enroulant autour de son cou, un large cache-nez rouge qui lui donne un air louche d'?meutier. Et comme il discute politique avec un houilleur qui s'achemine vers la porte, il oublie l? B?cu.

Au travers de la toile noircie de son bourgeron, il palpe la pi?ce d'argent que lui a remis le comptable. Il la palpe avec la joie sournoise d'avoir tromp? celle qui aux jours de paie, ?pie la remonte non pas avec une timidit? ?plor?e comme les autres malheureuses, mais farouchement, en haute et robuste femelle.

Et il pense que de cet argent, il faut en tirer du plaisir jusqu'au bout. Or, prendre du plaisir, pour lui, c'est boire, s'abreuver jusqu'? l'inconscience.

Dans cette existence de labeur sombre et grossier o? il va t?te basse, lourd et stupide comme le boeuf ? l'attelage, dans cette vie sans espoir, sans but, qui ne sera jamais que la mis?re supportable, l'ivresse que donne l'alcool est devenue la seule lueur et la seule secousse rompant la longue monotonie, dans laquelle se confondent les nuits, les jours, les ann?es obscures des fonds...

Ayant crach? la chique qu'il avait log?e dans un coin de sa bouche, il se l?ve et s'approche du comptoir. Dans un faisceau de pipes qui sortent d'une chope, la t?te en l'air, il en choisit une d'un sou. Il rompt le bout du tuyau qui lui para?t trop long. A ce moment, le cabaretier lui tend sa blague ? tabac.

--Tiens bourre t' pipe.

Alors, pour remercier, B?cu commande deux chopes. On les tire en deux coups de levier pendant que lui, allume sa pipe avec des aspirations longues et bruyantes, au <> de cuivre dans lequel sommeillent les braises.

Ils trinquent.

--?coute B?cu, c'est mi pour t' faire tort, mais tu me dois encore quarante sous de l' semaine pass?e.

Celui-ci pose sa chope, s'essuie la bouche du revers de sa grosse patte, d?layant ainsi la poussi?re de charbon d'un peu de bi?re blonde et demeure balourd. ?a lui donne un petit choc au creux de la poitrine, le rappel de cette dette, qu'il va falloir payer aujourd'hui, o? il aurait voulu boire tout son saoul. Il ne se souvenait plus de celle-ci, sans cela assur?ment, il serait entr? dans un autre estaminet. Car, B?cu ne se presse gu?re ? payer ses petits comptes arri?r?s. Il ne les acquitte que lorsqu'on l'interpelle du seuil des portes, parce que sa timidit? alors s'affole.

--Oh tu ne m' fais mi d' tort, ce qui est d?, ?a est d?.

Il reprend sa chope et la vide en se penchant en arri?re, d'un petit coup brusque, afin de bien en sucer le fond.

Puis, il fouille dans sa loque de fond et en retire la pi?ce de cinq francs qu'il pose gravement sur le comptoir, en la suivant d'un long regard qui la voit dispara?tre.

Le cabaretier, ayant retenu le montant de la petite dette et celui des tourn?es offertes, replace devant B?cu une poign?e de sous, que celui-ci ramasse tristement, comme si c'?tait l? les miettes de la belle pi?ce d'argent qui serait bris?e.

Il a quitt? l'estaminet.

Sur la route, il suit la direction oppos?e ? celle du coron et ayant d?pass? le dernier cabaret il s'arr?te.

A droite, la vue est encore barr?e par la palissade qui entoure la fosse, une cl?ture form?e par d'anciennes traverses de voies ferr?es que l'on a taill?es en ?pieu et badigeonn?es au goudron.

Mais ? gauche s'?tend la plaine, la plaine immense qui ondule sous la neige ?clabouss?e, sous la neige machur?e par places de pustules noir?tres, de plaques sombres qui sont des corons et des fosses, jusqu'au mur gris et vague de l'horizon. Les lignes ferr?es serpentent, s'entrecroisent sur des remblais, en minces rubans noirs, comme un r?seau d'araign?e; et l'on devine des routes et des canaux aux squelettes ?chelonn?s des arbres. Sur l'immense ?tendue rase, des rumeurs roulent sourdement et des sifflements s'?l?vent comme des fus?es. Des innombrables chemin?es g?antes, les fum?es sortent lourdes et se tra?nent toutes dans un m?me sens horizontal, en longues stries parall?les sur le ciel, o? passent des bandes de corbeaux planant sur la tristesse muette des choses.

Le regard embrassant l'immensit? d?color?e, toute de blancheur et de noir, comme un paysage d'eau-forte, B?cu h?site, car un chemin, devant lui s'enfonce dans un champ ainsi qu'un profond sillon.

Enfin il se d?cide ? quitter la grand'route. Et le voici, les mains fourr?es dans les poches, les coudes serr?s au corps, marchant vite ? cause de l'air froid qui commence ? lui mordre la peau.

Les deux talus de l'?troite route encaiss?e et sinueuse cachent le paysage brutal. Et la voil? qui semble perdue, loin de toute chose, cette petite route solitaire qu'oppresse la morne grisaille du ciel d'hiver: perdue et solitaire, comme celle qui, l?-dessous, s'en va myst?rieuse, oppress?e par un ciel pesant de t?n?bres ?ternelles. Mais ? un tournant, la plaine repara?t; et l?, dans un large pli onduleux, se r?v?le une fosse que l'on ne voyait pas auparavant. Les quatre rangs successifs de son coron ?voquent, par leur alignement disciplin?, un souvenir de caserne ou de prison.

A la droite de la cit? ouvri?re se dresse le b?timent d'extraction surmont? de son beffroi, ? sa gauche, s'?l?ve l'?glise toute en brique.

Mais la petite route ne va pas de ce c?t?; elle suit la pente contournante d'un vallon et conduit ? une fabrique de sucre, laquelle attend, en un aspect de ruine et d'abandon, la prochaine r?colte de betteraves, la r?colte qui sortira des champs environnants, des champs d?j? f?cond?s par les semences d'automne et qui maintenant dorment sous le drap blanc de la neige.

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