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Munafa ebook

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Read Ebook: Terres de soleil et de brouillard by Brada

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Ebook has 456 lines and 125680 words, and 10 pages

La communion de cette race avec le sol qui la porte et le ciel qui l'abrite a toujours ?t? intime et r?elle. L'?tre humain go?te ici sans effort, et par le seul fait de l'air qu'il respire, une surabondance de vie; en jouir appara?t encore ? beaucoup une occupation pleinement suffisante. Pour se rendre compte de ce qu'a ?t? et de ce qu'est encore ce peuple, il faut avoir ?prouv? la griserie subtile qui ?mane de cette terre, et du contraste singulier d'un ciel bleu, d'un soleil ardent et d'un vent glacial. Puis, il y a l'incomparable et ardente douceur des belles journ?es si fr?quentes, la clart? des nuits rayonnantes d'?toiles, la beaut? d'une lumi?re qui baigne et transforme tout. Et ainsi, non le palais, non la maison, mais la cit?, mais la villa ont ?t? la passion de ce peuple.

Les rues ici ont un cachet tout particulier, et participent ? un degr? inusit? ? la vie morale. Pour moi, je suis tr?s frapp? de l'esp?ce de dignit? des rues. Cette physionomie ne se conservera plus longtemps sans doute, il faut la noter avant qu'elle disparaisse et que la vulgarit? moderne ait tout envahi.

Ces anciennes boutiques ?taient admirablement m?nag?es pour, en cas d'alarme, ?tre herm?tiquement ferm?es, et elles ont gard? une apparence de s?curit? tr?s grande. Descendant derni?rement, le soir, une de ces rues, qui ne contient que des boutiques vieux genre,--la rue elle-m?me, garnie d'immenses palais, n'?tant ?clair?e que faiblement,--j'avais n?anmoins l'impression que la rue ainsi close et r?serv?e pr?sente autant de s?curit?, si ce n'est plus, que nos ?tourdissantes art?res modernes.

C'est un plaisir et un amusement que de voir les artisans paisiblement occup?s ? leur m?tier, le cordonnier tirant son al?ne, le menuisier rabotant et sciant le bois, le doreur trempant son pinceau. Ils ?taient ? l'oeuvre, lorsque Dante Alighieri parcourait les rues de Florence, et y remarquait le vieux tailleur auquel il fait allusion, enfilant avec peine son aiguille:

Il est singulier d'observer que la d?cadence tr?s r?elle et trop visible du go?t para?t ne pas avoir atteint le bas peuple. Les petites charrettes ambulantes qui parcourent Florence et stationnent dans certaines rues sont vraiment ?tonnantes d'agencement gracieux. J'en ai vu une qui ne contenait pour toutes marchandises, ?tal?es sur un fond blanc, que des veilleuses, des bobines, des paquets d'aiguilles et des crayons; avec ces riens on avait fait quelque chose de coquet, qui donnait envie d'achalander le marchand, homme ? l'air grave, bien envelopp? dans un vaste manteau. Un autre, avait group? un assortiment de vieilles ferrailles, de pelles, de bouts de cha?ne, avec une habilet? et un art tout ? fait ing?nieux. Dans une charrette voisine, un fonds de revendeur, d?froques de toutes sortes, payait de mine. Faute de mieux, une vieille ombrelle renvers?e servira d'?vent. Il para?t vraiment qu'une des caract?ristiques de cette race qui fut si laborieuse, est de faire quelque chose de peu.

Voici une maison occup?e par des gens besogneux; celui qui me guide a l'habitude de les secourir; il frappe ? la porte, on se met aux fen?tres, et ? sa vue tous les visages s'?clairent; une femme descend ouvrir. Elle est jeune, arriv?e au dernier terme de la grossesse, et dit sa mis?re, qui est grande, avec une sorte de bonne humeur. On monte l'escalier de pierre ?troit, mais a?r? et clair; en haut sont deux chambres, occup?es par plusieurs familles; il y a un tas d'enfants grouillants, et six ou huit personnes dans la premi?re pi?ce qui a une chemin?e, autour de laquelle, sur des bancs de bois, tous sont group?s; pour meubles, des tr?teaux, sur lesquels on ?tend des sacs: ce sont les lits. Les femmes sont mieux tenues, coiff?es plus convenablement qu'on ne l'imaginerait; presque aucune n'est d?braill?e.

La maison dont je parle est occup?e au rez-de-chauss?e par une cuisine, o? viennent s'approvisionner les gens les plus pauvres. J'?tonnerai sans doute, en disant que cette cuisine populaire, dans une rue basse, n'est nullement r?pugnante. Une quantit? de choux tr?s beaux, une masse ?paisse de polenta dor?e, toute pr?te, forment le fond le plus substantiel; un demi-chou cuit co?te un demi-sou, un autre demi-sou procurera une portion de polenta, ou une soupe faite de l'eau dans laquelle ont cuit les tripes; avec cela et un morceau de pain, un homme se trouve nourri; et le peu qu'il faut pour se procurer cette nourriture sommaire est ? la port?e du plus paresseux. Il y a un tas de petits m?tiers, qui ne paraissent gu?re de nature ? faire vivre leur homme, et qui cependant, dans ces conditions, y arrivent: ce sont, par exemple, les balayeurs de magasins; tous les matins, nombre d'hommes gagnent ainsi un sou. De plus, presque tous les magasins font ? jour fixe l'aum?ne; trois, quatre sous sont r?colt?s de cette fa?on avec une quasi certitude, et suffisent. D'un autre c?t?, l'alcool n'exerce pas encore ses effroyables ravages sur ce peuple, qui peut donc mieux supporter la pauvret?.

Attenant ? l'h?pital, est la Maternit?; une porte pourvue d'un guichet les met en communication, et il suffit de l'appel de la cloche pour que la cr?ature qui vient de na?tre soit remise aux religieuses. En m?me temps, les femmes mari?es qui ne peuvent, pour une raison quelconque, nourrir leur enfant ont le droit de le porter aux Innocents, o? on le garde pendant un an; seule la petite m?daille qu'on lui suspend au cou, et qui est dor?e, indique qu'il appartient ? une autre cat?gorie.

A l'heure actuelle, l'h?pital des Innocents re?oit environ mille enfants par an, et, pour toute la Toscane, il a la garde de six mille. L'ordre, le soin, la plus d?licate propret? r?gnent partout; les cornettes blanches des soeurs de charit? flottent dans les grandes salles, et il y a m?me des soeurs fran?aises, car on les aime ici et on les appelle. Le dortoir des petits, qui attendent la nourrice qui doit les emporter, fait penser ? une nef d'?glise, par sa hauteur et sa largeur; les berceaux ont une forme particuli?re: en fer, carr?s de la base, ils sont munis d'arceaux sur lesquels on jette un grand linge blanc pour prot?ger les enfants qui dorment, deux, quelquefois trois dans le m?me berceau. L'infirmerie est pourvue de tout ce que les th?ories modernes demandent de mesures pr?servatrices ? l'antisepsie. Pour les maladies infectieuses, funestes et horribles h?ritages, on a trouv? un moyen ing?nieux de conserver ? la sup?rieure la surveillance du personnel sp?cial, sans danger de contaminer les autres enfants. Dans le mur mitoyen qui s?pare les deux infirmeries, de loin en loin, une petite lucarne ronde vitr?e ?tablit la communication.

Sur mille enfants qui entrent chaque ann?e, il en meurt environ deux cents; cent cinquante sont reconnus; deux cent cinquante, qui sont la proportion des l?gitimes, retournent ? leurs parents; le contingent demeurant, environ quatre cents enfants, est plac? en nourrice, et plus tard chez des paysans. Tout se confectionne dans l'h?pital m?me; des filles y reviennent et apprennent les diff?rents m?tiers n?cessaires; quand elles y sont demeur?es pendant deux ans, on leur donne un trousseau de cent francs et deux cent trente-cinq francs en argent. Chaque ann?e, le jour de la Saint-Jean, cinq cents jeunes filles sont dot?es sur une rente de soixante mille francs affect?e ? cette intention par d'anciens bienfaiteurs. Les noms des aspirantes sont mis dans une roue, et le sort d?cide les ?lues.

Quand on se trouve sur la petite place o? la tradition place la maison de Dante, on aper?oit une fa?ade ? l'aspect modeste. Sur une pierre carr?e, plac?e au-dessous d'une image de saintet?, sont grav?s, en caract?res tr?s anciens, ces mots:

A c?t?, le vieux Capponi, l'air attentif, la t?te blanche, est repr?sent? debout dans la rue; un homme lui parle, et tous deux regardent un adolescent habill? de blanc qui appara?t sortant d'une porte basse, et les pieds encore sur les marches d'un escalier au-dessous du sol. Cette porte s'ouvre dans le mur d'un b?timent sombre; ? travers les grillages ?pais, on aper?oit plusieurs figures inqui?tes; le jeune homme v?tu de blanc vient de faire la visite aux prisonniers.

Un peu plus loin, r?unis sur les marches, par un jour triste, des clercs, serr?s les uns contre les autres, chantent l'office des morts; un homme couche dans une fosse, d'un mouvement respectueux, un cadavre envelopp? d'une robe blanche, le capuchon blanc ? pointe rabattu sur le visage; le brancardier, qui a aid? ? porter le mort, d?tourne la t?te et re?oit l'aum?ne que lui fait un spectateur au visage compatissant et triste.

La <> italienne par excellence, et je dis ici <> dans le sens de profession d'une r?gle consacr?e, est celle des Franciscains. Ils sont demeur?s en communaut? r?elle avec l'?me de la race; ils n'ont pas pris l'air archa?que de certains autres moines; on ne s'?tonne point de les voir dans les rues, avec leur pratique et fruste v?tement. Les Capucins sont avant tout l'ordre du plein air. Lorsque saint Fran?ois restait de longues journ?es ?tendu en pri?res sur les roches de <> il paraissait faire partie de la terre, et les l?zards confiants grimpaient sur lui. Il lui fallait la vo?te des cieux, le grand air, pour vivre, prier et pleurer. Aujourd'hui encore, la vraie place de ses disciples est sur les routes et aux carrefours; ce ne sont point gens de cellule ou de contemplation, mais d'action simple et populaire. Beaucoup sont ignorants, ce qui ajoute, je me figure, ? leur force; il y a une certaine na?vet?, une certaine ignorance qui est ?minemment favorable ? l'action, et surtout ? l'action spirituelle qui demande avant tout la conviction. Les grandes v?rit?s morales tiennent apr?s tout en un tr?s petit nombre de formules, et, si l'esprit en est bien impr?gn?, elles suffisent amplement: comme une semence in?puisable, elles pr?parent des moissons sans fin. Pour moi, je n'ai jamais ?t? choqu? que des hommes simples fussent charg?s d'enseigner, au contraire. Herbert Spencer a dit qu'il ne voyait aucune connexion entre savoir lire et ?tre honn?te, et rien au monde ne me para?t mieux d?montr?. Une des plus tristes choses pour un peuple est que le Verbe cesse de se faire entendre pour lui; c'est pourquoi il faut qu'il existe une classe d'hommes simples qui lui parlent sa langue, et en des images fortes et na?ves r?alisent pour lui les choses invisibles, et le nourrissent de l'esp?rance dont toutes les cr?atures vivantes ont besoin.

Ce ne sont pas les livres, ce sera toujours la parole qui aura une v?ritable influence sur les esprits et les ?mes; parmi les contemporains, le moine qui a le plus remu? l'?me italienne, qui a amen? au pied de sa chaire les plus r?calcitrants, est un simple Franciscain: fra Agostino da Montefeltro.

Rien n'?gale sa sollicitude pour les enfants dont il a la charge, et on peut lui appliquer une parole dite jadis ? M?? Dupanloup: <> Dans le dortoir, dort toute seule, dernier agneau de ce troupeau, une enfant de moins de quatre ans; le Padre Agostino s'assied sur une chaise ? c?t? du lit, rassure l'enfant qui s'?veille, lui passe le bras sous la t?te, dans l'attitude et avec les paroles qui viendraient au coeur d'un v?ritable p?re.

Les enfants mangent avec le Padre. Lui s'assied ? une table au milieu, entour? des six plus jeunes. On ne mange point en silence; le P?re sait, dans son indulgence, qu'il faut, au moment du repas, se d?lasser et causer; il entre du reste dans les consid?rations les plus inattendues pour contenter ses enfants: ? l'ouvroir, on est en train de confectionner des p?lerines, <>. Il respecte, non seulement la personnalit? des enfants en bloc, mais leur personnalit? particuli?re, et dirige chacune selon ses aptitudes; plusieurs de ses assistantes, et la sup?rieure entre autres, sont des enfants qu'il a ?lev?es; il a un piano, et celles qui montrent des dispositions prennent des le?ons. Il prend de leur sant? un soin vigilant, et applique partout les meilleures r?gles d'hygi?ne. L'?t?, coiff? d'un immense chapeau de paille, on le voit se diriger vers la Pineta suivi de ses quatre-vingt-quatorze orphelines; et je ne crois pas qu'il lui vienne ? l'id?e que son r?le soit le moins du monde singulier! J'avoue que je trouve l? une preuve remarquable de la largeur d'esprit de ses sup?rieurs, qui, avec la m?me simplicit? qu'il y apporte, lui ont permis d'accomplir son oeuvre.

Eh bien, il me semble qu'un moine comme celui-l?, avec ce m?lange de bonhomie et de go?ts cultiv?s , d'?loquence et de t?m?rit?, ne se peut rencontrer que dans une certaine civilisation, dans une ambiance sp?ciale. Rien de moins ing?nu, de moins simple, en g?n?ral, que nos moines fran?ais; non pas par leur propre faute, mais parce qu'ils sont en d?saccord avec la vie ext?rieure.

PAQUES A FLORENCE

Les vieux historiens florentins racontent que du dimanche de P?ques 1215, date l'?re des dissensions intestines; ce matin-l?, un beau cavalier ? ?perons d'or, superbement v?tu, une guirlande de fleurs sur la t?te, mont? sur un cheval blanc, traversait le Ponte Vecchio; c'?tait Bueldemonti, le premier des Guelfes, qui devait tomber un moment apr?s, frapp? par la vengeance d'une faction ennemie.

Cette apparition conqu?rante, dans ce d?cor du dimanche de P?ques, ce jeune homme couronn? de fleurs demeure comme le symbole m?me de ce jour d'all?gresse. Cette terre est bien la terre de la r?surrection; la tristesse et la p?nitence ne conviennent ni ? ce ciel ni ? cette race, dont la foi est tout joie, esp?rance, triomphe; l'id?e de la mort lui est odieuse et elle s'en d?tache avec empressement.

Aussi, quand arrive la semaine sainte, la d?tente des esprits est grande, et toute la population attend avec impatience le premier jour qui parlera de r?surrection, celui du Jeudi saint; les maisons prennent ? l'int?rieur un air de nettet?; il s'agit de les pr?parer pour la b?n?diction.

Par ces apr?s-midi limpides de la fin de mars ou du commencement d'avril, on rencontre dans les rues le pr?tre pr?c?d? de l'enfant de choeur, qui s'en va de maison en maison, et chez le riche et chez le pauvre, jeter l'eau lustrale qui apportera avec elle la b?n?diction du bonheur, car c'est le bonheur naturellement que chacun attend. Ce peuple occup? sans cesse de r?ves, de pr?sages, de signes de r?ussite, attache grande importance ? l'intervention c?leste, sous une forme aussi accessible. L'enfant de choeur porte en mains le bassin de cuivre ? panse arrondie, ? anse l?g?re qui contient l'eau consacr?e; le pr?tre est en surplis et en ?tole, le bonnet carr? sur la t?te: quelque clerc florentin ? grands traits, l'air plus ou moins sensuel, bon enfant g?n?ralement et sans morgue. La religion ici ne se traduit pas dans un effort douloureux et triste: Dieu et ses mandataires se font petits avec les petits; c'est du reste cette simplicit? qui pr?te aux manifestations religieuses leur caract?re vraiment aimable et d?coratif.

L'?glise la plus populaire ? Florence, le sanctuaire par excellence, la source de toutes les gr?ces, celle o? le peuple se rend d'un bout de l'ann?e ? l'autre avec une ferveur qui ne fl?chit pas, est l'?glise de l'Annunziata. Ce vieux sanctuaire, dont l'histoire couvre ses propres murs, fut fond? par sept nobles florentins qui y institu?rent l'ordre des Servites. Ils ?taient certes, par leur illustre naissance et leur extr?me humilit?, dignes des faveurs sp?ciales qu'ils re?urent en partage. Dans ce pays d'art, ce fut d'une fa?on en harmonie avec le milieu que le miracle ?clata.

Un peintre peu illustre apparemment, mais plein de ferveur, peignait pour cette ?glise l'image de la Madone: il ne savait quels traits donner ? la reine du ciel! Un matin, il trouva sa besogne faite; un ange s'?tait charg? de l'ex?cuter et, depuis lors, cette image miraculeuse a tenu une place immense dans la vie florentine. Elle a eu part ? tout, et depuis Pierre de M?dicis qui fit ?riger la chapelle o? elle est conserv?e, jusqu'au plus pauvre facchino contemporain, la Madone de l'Annunziata avec son autel d'argent massif, ? la richesse extraordinaire et baroque, ses pierres fines, ses pierres dures, le rutilement de ses lampes votives, est une r?alit? bienfaisante et puissante. C'est l? qu'il faut aller pour voir de pr?s ce peuple florentin, qui blasph?me comme pas une race au monde, et ne s'en souvient plus d?s qu'il s'agit de prier sa Madone; ces gens qui se pressent de bonne foi et de bon coeur, pour v?n?rer le Dieu cach? dans le tombeau, monument de fleurs et de lumi?res, n'ont pas meilleure mine que les humbles p?cheurs du lac de Tib?riade, dont la vue certes ferait fr?mir nos suisses. A San Spirito, dans le centre du quartier pauvre, l'ornementation du tombeau rev?t un caract?re moins symbolique. Dans une chapelle lat?rale sont expos?s tous les accessoires de la Passion: c'est la croix, les clous, la couronne d'?pines, la tunique sans couture, les d?s des soldats romains, la lance, l'?ponge imbib?e de fiel, le coq qui chanta l'heure du reniement du Prince des Ap?tres. Toutes ces choses, dans une repr?sentation un peu enfantine, sont figur?es s?par?ment et offertes ? la m?ditation et ? la d?votion des fid?les. Comme la place San Spirito est le lieu favori o? s'?battent en permanence les <> du quartier, et que sur les marches de l'?glise et ? l'abri de ses contreforts, les comm?res du voisinage tiennent leurs assises journali?res, ce tombeau est tout ? fait en harmonie avec la foule qui viendra y prier et qui sera de coeur avec la Madone d?sol?e qui pleure des larmes rouges sur le corps meurtri d'un crucifi? sanglant; et, tout ? l'heure, tonnera dans la chaire, un bon Franciscain qui, par la seule r?p?tition violente du nom sacr?, remuera les entrailles de la foi profonde de tous ces ?tres.

Mais c'est aux environs de Florence, ? Grassina, petit bourg sur les bords de l'Ema, que se c?l?brent en grande c?r?monie les pompes du Vendredi saint, et quantit? de Florentins et beaucoup d'?trangers en font le p?lerinage pour y assister.

L'heure fix?e pour le d?part de la procession est celle du coucher du soleil; le petit bourg, anim? d'une fa?on inaccoutum?e a, pour plus bel ornement de sa grand'rue, l'?tal des bouchers, qui loin d'avoir leurs boutiques ferm?es, accrochent et ornent de fioritures, de papier d?coup? et ?clairent ? grand renfort de bougies, les agneaux immol?s pour le jour de P?ques; derri?re toutes les fen?tres sont plac?es des veilleuses de couleur, qui, la nuit tomb?e, feront l'illumination. L'?glise est situ?e sur une ?minence qu'on atteint en traversant un pont infiniment pittoresque; l'horizon est enti?rement resserr? par des collines qui s'estompent en nuances douces; la procession qui va partir de l'?glise, gravira le flanc des collines par un sentier en lacets pour redescendre jusqu'? son point de d?part; dans l'?glise, o? l'obscurit? est presque compl?te, les femmes qui, tout ? l'heure, vont suivre la procession, sont assises et causent entre elles ? voix basse; sur la petite terrasse, entour?e d'un rempart de pierre, en face de l'?glise, les <> arm?s et casqu?s, circulent en attendant le signal du d?part. La nuit arrive; sur les murs bas des propri?t?s, les petites lampes ? forme ?trusque s'allument; ? d'autres fen?tres apparaissent des lampes ? trois becs; avec ordre la procession se forme, les premiers chants se font entendre, et la nuit tout ? fait tomb?e, l'ascension commence.

Sur la route qui monte, on entend le bruit sourd et doux des sabots des chevaux des soldats romains qui ouvrent la marche; plus bas, fr?mit la longue th?orie des cierges que les femmes et les jeunes filles tiennent en mains; des gamins portent des torches de r?sine; s'?levant haut dans l'air, la croix noire et lourde soulev?e par un p?nitent blanc, est suivie de banni?res sur lesquelles figurent les instruments de la Passion. Les p?nitents rouges et des enfants v?tus de rouge aussi, viennent en chantant. Le dais noir qui surmonte l'image du Christ mort, monte et descend, va et vient selon l'inclinaison de la route et le mouvement de ceux qui le soutiennent; les torches jettent leurs lueurs farouches sur ces images de mort; un enfant porte l'?chelle, un autre la tunique; les jeunes filles v?tues et voil?es de blanc, les femmes en mantille noire, marchent un cierge en main. Dans ce cadre merveilleux, c'est, dans sa gravit? parfaite, un spectacle tout ? fait saisissant; les grandes collines violettes disparaissent noy?es dans la nuit, mais le ciel clair laisse tomber une paisible clart? sur le long d?fil?; sans un instant de r?pit, les voix s'?l?vent; on les entend encore que d?j? les torches, les cierges et les taches rouges et blanches des robes des p?nitents ont disparu dans un pli de la colline, pour repara?tre plus bas.

Vers neuf heures tout est fini, et les voitures qui ont ?t? d?tel?es reviennent prendre les p?lerins curieux qui rentrent ? Florence.

Les Florentins c?l?brent trois P?ques, celle de la Nativit?, celle de la R?surrection ou des oeufs, celle de la Pentec?te ou des roses. Mais c'est ? celle de la R?surrection que s'?changent les voeux affectueux et, avec la venue du printemps, ces formules ont je ne sais quelle saveur plus agr?able; tout le jour, un peuple gai et joyeux, se r?pandra aux Cascine sur les Colli, s'abordera sourire aux l?vres, en se r?p?tant la m?me salutation:

<>

ROME

En marchant vers Rome on d?couvre soudain la voie Flaminienne: un pont bris? en marque la direction; une des arches est encore debout, solitaire et colossale; elle s'?l?ve ? dix-neuf m?tres au-dessus de la rivi?re qu'elle franchit. La vue de cette arche unique et intacte que les si?cles ont respect?e et qui est entour?e de d?bris, est comme un symbole grandiose de ce pass? romain que rien dans le temps ne peut effacer.

Il convient de se rappeler que l'Italie moderne a ?t? faite par Cavour, qui ne savait pas le latin et tr?s mal l'histoire romaine. Il ne pouvait pas pr?voir, il n'a pas pr?vu le d?placement de vision que la possession de Rome devait amener, et combien mesquines, insignifiantes et fragiles ses traditions de bonne et saine politique devaient para?tre dans ce milieu qui veut des choses immortelles, et absorbe, comme un sable mouvant, celles qui sont passag?res. Rome a ?t? le noyau du monde, et pr?cis?ment ? cause de cela je ne suis pas s?r qu'elle puisse ?tre jamais tout ? fait le coeur de l'Italie. Aujourd'hui encore, les m?res nourrices du monde antique, les louves romaines, de leur cage, sous les lauriers, au pied du Capitole, regardent la ville nouvelle avec leurs yeux de feu.

L'entit? morale, pa?enne et chr?tienne, a domin? l'individu, a fait la race, l'a conserv?e, et r?gne toujours.

Jusqu'? une ?poque r?cente, il est indubitable que la joie de vivre, telle que l'entendait Talleyrand, lorsqu'il parlait des ann?es qui avaient pr?c?d? la R?volution, s'?tait conserv?e en Italie, et notamment ? Rome, d'une fa?on sp?ciale: le gouvernement ?tait curieux et despotique, les moeurs indulgentes, et le respect apparent de l'autorit?, la d?cence ext?rieure, maintenaient la politesse dans les rapports sociaux, sur lesquels les institutions d?mocratiques et lib?rales paraissent invariablement avoir une influence funeste. La longue paresse de ce peuple habitu? ? vivre de Rome toujours, de la Rome antique et de la Rome catholique, lui a laiss? une beaut? de formes incomparable. La race est pleine de vitalit?: nobles et massives, les femmes ont, dans le peuple, un v?ritable cachet de grandeur; leur habillement convient ? leur gr?ce un peu fi?re; toutes portent apparent le corset sur leur chemise ? manches demi-longues; presque sans exception, elles sont coiff?es d'un large mouchoir carr? qu'elles rel?vent sur les c?t?s et laissent tomber par derri?re; il n'est pas d'arrangement plus simple, plus seyant et plus pratique que celui-l?. Beaucoup ont, pli? sur l'?paule, un ch?le de laine de couleur, qui sert de coussin ? l'amphore ou au panier qu'elles y posent. Les vieilles sont superbes; parmi les jeunes, on voit des cr?atures d'une beaut? achev?e avec des teints bruns admirables, et une rondeur de contour et un duvet de fra?cheur, qui tend de plus en plus ? dispara?tre, m?me dans la jeunesse, chez nos races fatigu?es. Le go?t noble de ces femmes dans leur ajustement est un plaisir pour les yeux: elles affectionnent une certaine nuance turquoise tr?s pure et tr?s douce, qui leur sied ? merveille. J'observe la gr?ce toute particuli?re avec laquelle elles tiennent et bercent leurs nourrissons, emmaillot?s comme des momies, et dont la t?te seule est vivante: ils sont coiff?s de singuliers petits bonnets phrygiens auxquels on aurait mis un bavolet.

Les hommes sont plus rudes d'aspect; mais il y a des adolescents qui ont l'air et la mine de jeunes dieux faits pour s'?battre dans un rayon de soleil; ce n'est assur?ment pas le sort qui leur est r?serv?, mais il faudra plus d'une g?n?ration pour cr?er chez cette race les caract?ristiques d'un peuple moderne et tristement laborieux.

Le gouvernement italien, s'est efforc? de transformer la Rome papale. L'inspiration de ces r?formes n'?tait pas sans grandeur, et r?pondait ? la n?cessit? de frapper les yeux des populations que les conqu?tes de droits abstraits laissaient plus ou moins indiff?rentes.

L'oeuvre qui s'est accomplie en Italie est immense, et ? Rome seule, en vingt-six ans, on a entrepris et achev? des choses qui auraient pu occuper un si?cle. Quatre-vingt-quatre millions, par exemple, ont ?t? d?pens?s pour r?gler et r?tablir le cours du Tibre: des quais magnifiques existent aujourd'hui, donnant ? la ville une physionomie de prosp?rit? active; mais, pour la population tant de travaux et de sacrifices aboutissent surtout au fait palpable de l'augmentation ?norme des imp?ts, ? la disparition des c?r?monies et des f?tes qu'elle aimait, et ? la destruction partielle des jardins qui ?taient la parure de la Ville ?ternelle.

Sur une des places de Rome se dresse un buste tronqu? et ? demi effac? par l'usure des si?cles; c'est <>, porte-voix du peuple sous le gouvernement des papes, et dont les dialogues satiriques avec son comp?re <>, le vieux triton ? barbe de fleuve, qui lui faisait face, renseignaient mieux sur la v?rit? que ne le font les enqu?tes parlementaires d'aujourd'hui. Et pour ne pas se tromper, peut-?tre serait-ce encore ? <> qu'il faudrait demander son avis sur ce qui se passe: je me figure qu'il se rirait de bien des efforts.

L'aristocratie romaine qui ne ressemble ? aucune autre, qui est une force, avec des traditions magnifiques, s'est vue, du jour au lendemain, plac?e dans une situation anormale au milieu de laquelle elle a grand'peine ? se soutenir. Les majorats et les fid?i-commis ont ?t? abolis, et les familles contraintes ? un partage destructeur. N?anmoins, par une contradiction flagrante, on a conserv? ? leur d?triment d'anciennes d?fenses prohibitives, que les papes savaient sagement laisser dormir pour n'en user qu'? bon escient: aujourd'hui, au contraire, on les applique avec une rigoureuse injustice, et, apr?s les d?sastreuses sp?culations sur les terrains qui ont ruin? tant de familles patriciennes, l'impossibilit? pour celles-ci d'ali?ner une partie de leurs richesses artistiques, est une servitude presque intol?rable.

A l'heure qu'il est, la collection de tableaux des Borgh?se, qui, r?alis?e, aurait renouvel? la splendeur de la famille, est mise en s?questre et prot?g?e par un tourniquet devant lequel chacun d?pose sa pi?ce d'un franc! S?rement il serait pr?f?rable d'avoir en Italie quelques Titiens de moins, et qu'aux portes de Rome ne s'?lev?t pas cette sorte de ville morte, faite de maisons inachev?es faute d'argent, et qui est d'une tristesse lamentable.

Cependant l'impression qui domine ? Rome est celle du luxe et d'un luxe tr?s aristocratique; l'empreinte patricienne y subsiste ineffa?able. A la porte ouverte des somptueux palais dont on aper?oit les vastes cours int?rieures pleines de verdure et de fleurs, se tiennent le jour durant, domesticit? oiseuse, les grands portiers solennels, le chapeau emplum? mis en bataille, et en main la grande hallebarde ? grosse pomme tout enroul?e de galons. L'extr?me grandeur et la magnificence des habitations correspondaient ? un ?tat social qui, dans les classes sup?rieures, ne comportait pas la lutte pour la vie. La plante humaine se ressent longtemps d'une telle atmosph?re: les femmes romaines de la noblesse sont belles en g?n?ral, d'une beaut? tr?s sp?ciale, faite d'une sorte d'aisance libre et fi?re comme celle des animaux de race tr?s pure; presque toutes sont remarquables par la beaut? des yeux et de la bouche, une des gr?ces les plus rares dans les visages de femmes, et qui dispara?t presque chez certaines races ultra-civilis?es, o? les bouches flexibles et douces ne se voient plus; les hommes ont souvent des figures fortes et ferm?es, et une sorte d'indiff?rence du regard qui t?moigne de l'?tat d'esprit que Saint-Simon exprime lorsqu'il dit qu'un homme <>.

Il y a ?videmment une esp?ce d'impossibilit? ? d?placer le courant d'existence d'une population, et ? changer des habitudes qui n'ont d'autre raison d'?tre que la routine. A Rome, par exemple, o? depuis vingt ans le nombre des habitants a doubl?, o? la vie morale et politique s'est modifi?e du tout au tout, o? un ?l?ment presque ?tranger domine, o? des voies commodes et belles ont ?t? cr??es en dehors des portes, le centre de la vie est rest? l? o? il ?tait jadis, et, le long de l'?troit Corso, entre les boutiques et les caf?s, se d?roule toujours, selon la vieille coutume, le d?fil? des voitures qui ensuite iront, l'une apr?s l'autre, monter la c?te dure et resserr?e du Monte-Pincio, pour s'arr?ter sur la terrasse d'o? l'oeil domine Rome et voit le soleil s'affaisser derri?re le mont Janicule. C'est l? que se croisent journellement les livr?es rouges de la Maison de Savoie et les livr?es galonn?es des princesses du parti noir.

Le grand flot humain et mouvant, qui vient de toutes les parties du monde se d?verser ? Rome, imprime ? certaines parties de la ville un caract?re unique. Dans le plus fort tumulte de l'apr?s-midi, au milieu des fiacres et des tramways, j'ai vu, sur la place Colonna, marchant l'air extatique, une p?lerine, pieds nus, en robe grise, voile noir, bourdon au c?t?, chapelet en mains; elle passait sans presque attirer l'attention, tellement ce peuple est familiaris? avec les spectacles les plus inattendus.

L'aspect des rues de Rome est particuli?rement brillant et anim?, mais non de l'animation affair?e et dure de gens occup?s; on a plut?t l'impression d'une foule bariol?e se pressant vers un but d'agr?ment ou de plaisir; et, du reste, dans ces rues ?troites, sans chauss?e, la circulation d?mocratique des tramways est fort peu commode; le conducteur se voit parfois oblig? de descendre et de garder l'entr?e de la voie o? deux v?hicules ne peuvent passer de front.

La promenade aux villas suburbaines, patrimoines de la noblesse, ouvertes au public ? des jours fixes, est un des agr?ments de Rome. C'est dans ces jardins qu'on respire pleinement cette atmosph?re toute romaine qui ne ressemble ? aucune autre, dans son m?lange de sensualisme antique et de spiritualit? mystique.

La villa Mattei, avec ses jardins enchanteurs, a un charme, une s?duction qui donnent le go?t d'une d?licieuse paresse; il y pousse des lauriers dont les feuilles paraissent d'?mail, et pr?tes ? ?tre tress?es pour les couronnes des triomphateurs; les iris bleus, comme des ailes de papillons monstrueux, bordent des all?es faites pour les ?bats des d?esses et des faunes, et dans ce cadre voluptueux, se conserve vivante et v?n?r?e la m?moire d'un des saints les plus populaires ? Rome: ici a v?cu humblement saint Philippe de N?ri. Sur une terrasse qui domine la campagne romaine, et d'o? le regard s'?tend jusqu'aux collines que couronnent les ruines d'un temple de Jupiter, s'?l?ve un bosquet. Ce bosquet, form? d'un treillis de fer couvert de fleurs, s'ench?sse entre deux colonnes antiques ? t?tes de femmes; et le banc de marbre qu'il abrite ?tait le lieu de repos favori du saint: <>

Les jardins du Vatican ont une beaut? sereine, comme absolue. Le parterre int?rieur, rempli de roses et de citronniers, resserr? entre les arbres verts et les palmiers, et que surplombe au loin la coupole blanche de Saint-Pierre, est vraiment le jardin ferm? de la Sulamite, le jardin liturgique, plein d'ar?mes, d'eaux vives, et de paix odorante. Tout l'univers, sauf cette coupole dominatrice de Saint-Pierre, a disparu derri?re cette verdure ?ternelle.

Plus loin, dans la profondeur des grands jardins, se d?couvrent ces <> des papes, lieux exquis de repos. Celui de <> est une oasis de marbre: une vasque l?g?re remplie d'une eau limpide forme le centre d'une cour de marbre, qu'entourent des bancs et des colonnettes de marbre; au del? sont les longs parterres de gazon, les bois sacr?s de buis et de lauriers, les fontaines abondantes et les tranquilles terrasses qu'ombragent les pins parasols; ici et l? des jardiniers paisibles taillent le feuillage qui tombe tout vert sur le gravier blanc, et on a le sentiment d'?tre tr?s loin des rumeurs de la terre. Dans un coin abrit?, creus? en contrebas d'une all?e, parque un petit troupeau: b?liers, brebis et agneaux; ces quelques b?tes douces et inqui?tes, r?unies l?, ont je ne sais quoi d'infiniment touchant. J'y ai vu un petit agneau noir tout faible qui s'appuyait au mur, arc-boutant son dos et laissant tomber ses pattes informes dans le mouvement pr?t? ? l'agneau expiatoire. Tout proche, derri?re un grillage l?ger, sont des paons, des paons blancs, fr?missants et fiers, symbole antique d'immortalit?, embl?me favori des catacombes; ils se meuvent au milieu des colombes qui, comme Dante l'exprime,

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