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Munafa ebook

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Read Ebook: Le livre de l'émeraude: en Bretagne by Suar S Andr

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Ebook has 1033 lines and 64198 words, and 21 pages

--Mon petit Breton, mon petit Breton...

Les petits paysans sont hommes plus t?t que les enfants des villes, par les besognes qu'on leur confie et qu'ils sont forc?s de faire. Mais elles prolongent l'enfance en eux, loin d'y mettre un terme avant le temps; et c'est ainsi que de grands paysans, forts et muscl?s comme des athl?tes, ont une ?me enfantine et des regards d'enfants. Les jours de f?te, ce sont des ?coliers l?ch?s.

Tous les enfants s'ennuient. Ils ne savent que faire. Ils sont nuls. Ils jouent, faute de mieux. De l?, outre la contrainte, que les petits paysans font les hommes si t?t ? la campagne, m?nent le b?tail, vont et viennent aux travaux. Ce sont, d'abord, autant de jeux. La servitude ne commence qu'? la longueur et au temps r?gulier de la t?che. Et ces enfants s'ennuient alors, comme tous les enfants.

Ils se vengent en jouant avec les b?tes, comme les petites filles avec les poupons qu'on leur met aux bras.

Un jeu de petits Bretons.

Ils prennent de vieux b?tons; ils y pendent des haillons, d'antiques loques; ils se jettent sur le dos un torchon ou une serviette; puis, l'un derri?re l'autre, par rang de taille, et le plus orn? au milieu de la bande, ils font la procession.

Ils jouent ? la messe, avec une dignit? imperturbable et une sorte d'onction.

Le plus beau, c'est le vieux Crozon, qui croit ? toute sorte de signes et de mauvais pr?sages. Il a toujours peur d'une profanation, d'un blasph?me, d'un hasard coupable, et que le Ciel ne ch?tie l'imprudent. Exc?s de respect que lui souffle la crainte extr?me qu'il sent de la mort. Il ne peut souffrir ce jeu de la messe. Il pr?tend que les enfants, tournant autour de la maison, <>. Et sit?t qu'il les entend chanter en latin, il sort en col?re de la salle o? il fume sa pipe; et, fort irrit?, met les petits en fuite, les mena?ant de son b?ton.

Dans son berceau, sous les rideaux en ogive, le petit Lawik dort. Il est rose, couch? sur le dos, un peu pench? sur l'?paule droite. Si immobile, que ce charmant sommeil ?meut vaguement; le souffle imperceptible, la bouche d?close, la petite l?vre en l'air. Il a le bras gauche nu, mollement pos? le long du corps. Il tient sa joue de la main droite; et le bras nu jusqu'au coude est gracieux comme la branche qui porte un fruit. Un bout de ruban rouge descend de ses cheveux blonds jusqu'? ses l?vres; et des boucles presque blanches collent ? ses tempes o? brille une ros?e de sueur.

La vieille femme, ? la peau tann?e et rid?e, comme une outre, v?tue de noir, regarde dormir l'enfant, et dit ses pri?res. La chienne rentre par la porte entr'ouverte, fait le tour de la chambre, et, voyant tout dans l'ombre, dispos? pour la nuit silencieuse,--silencieusement aussi tourne en rond quatre fois sur ses pattes, soupire en ramenant sa langue juteuse d'un bord ? l'autre de la bouche, et se couche devant le foyer.

ANNONCIATION DU SOIR

A B., le 30 septembre.

Sur la mer, le ciel est une pens?e bleue tomb?e sur des feuilles de saule. Caresse ti?de aux yeux, tout est velours de ce qu'ils voient, tout est soie.

Je regarde passer trois longs nuages d'or, fuseaux que laisse ?chapper de ses mains la journ?e d?faillante: ils courent l?gers au-dessus des ch?nes.

La mer terrible est ivre de ses charmes. Mais en vain: si s?duisante et si cruelle, dans son repos elle pousse soudain un soupir qui d?chire, et qui appelle. Elle est amoureuse, et toujours triste.

L'inqui?tude et le r?ve se cherchent des l?vres, au bord de l'eau. La roche retient l'algue mouill?e. Sur le sable de velours fauve, les cailloux polis luisent comme des pierreries. Le soleil couchant allume des rubis et des topazes sur la plage.

L'inqui?tude d?licieuse griffe le coeur. Le troupeau cherche la vach?re; et le taureau, immobile sur ses sabots noirs, tend le cou. Les cornes noires de la vache semblent l'ombre d'une fourche dans l'air lumineux. On appelle sur l'autre rive. Un chien qui aboie. Un enfant qui rit.

Puis le silence, tandis que la lumi?re semble l'?cho d'un concert inaccessible. Et la mer murmure.

Le r?ve mortel ondule sur la mer. Qu'est-ce que tout cela? La pens?e d'un mort, qui m?dite la vie?... Ou la vie qui s'adore elle-m?me, dans la langueur? Ou...

On m'appelle, de l'autre rive.

BRUMAIRE

Un petit port de p?che. En novembre.

La mauvaise saison est venue, qui ne s'en ira plus de cinq ou six mois, hargneuse h?tesse. La Toussaint a mis fin au bel automne. Les jours heureux sont tomb?s comme les feuilles; et Brumaire arrive pour ensevelir ses morts.

Quelquefois, le matin, le ciel para?t pur: et un clair soleil se l?ve. Mais on ne gagne qu'une heure; et jamais on n'est s?r de celle qui la suit. La mer elle-m?me avertit que les gros temps sont ?tablis pour de longues semaines: par une calme matin?e, elle se montre encore irrit?e et douteuse; elle fait pr?voir la temp?te m?me au joli temps. Elle se forme d?s la veille; et son air myst?rieux est celui de la menace. Il n'y a plus de douceur ni d'enchantement dans l'?nigme de son sourire.

Novembre enveloppe le petit port d'un suaire. Il fait mauvais, pour les gens de la ville, quand il pleut; pour les marins, ce n'est pas la pluie qui fait le mauvais temps,--c'est le vent et la brume. Les canots restent ? l'ancre: qu'iraient-ils faire en mer? Avec une seule misaine, ils ne vont pas assez dans le vent; chaque lame passe par-dessus bord, et vous couvre d'eau. On ne p?che plus gu?re. Et la mis?re s'abat lourdement sur ceux qui ayant fait quelque gain dans la bonne saison, ont d?j? tout bu.

Je vois ces hommes entrer en hiver, comme dans une caverne d'ennui. S'ils n'ont le travail de la p?che, cet aff?t continuel dans le danger de la mer, que leur reste-t-il? Tous ces petits ports bretons sont plong?s dans un ennui polaire, qui dure six mois. Encore les femmes ont-elles la peine de la maison, et les souffrances aigu?s de la mis?re: les enfants qui crient, et ceux qui sont malades; le probl?me ?ternel de la nourriture, pos? chaque jour, et qu'il faut r?soudre, co?te que co?te; les querelles entre elles, et les humiliations r?ciproques: la douleur de vivre occupe. Mais les hommes connaissent le sentiment raffin? de l'ennui. Ils ont l'ennui ?pais, qui convient ? leur nature rude, mais ils l'ont: l'homme des villes n'?prouve pas cette passion triste, il ne sent que son ?crasement; et, quand il rel?ve la t?te sous la meule, il ne conna?t que l'envie. L'ennui de ces Bretons est ? celui des raffin?s, comme leur eau-de-vie ? la morphine et aux autres narcotiques.

Ils se tra?nent sur la cale, s'il ne pleut pas, le bonnet descendu jusqu'aux yeux, enfonc?s dans leur tricot et leur double veste de drap et de toile; les pieds dans les lourds sabots, que fourrent les chaussons. Les uns en loques, les autres rapi?c?s de tous les bouts; et d'autres, les moins ?g?s quelquefois, ? l'abri de bons v?tements. Si un rayon de soleil perce le ciel gris, ils l?zardent le long du mur humide o? se pose la p?le clart? d'or. Ils ne parlent gu?re; ils n'ont plus rien ? se dire. Les enfants jouent et se poursuivent ? la sortie de l'?cole, pareils en tout aux poules sur un tas de sable...

Puis, le soleil se cache; et la brume accourt, ?paisse, ?touffante, qui bouche l'horizon. Les hommes b?illent; et, la pipe entre les dents, ils aspirent l'?cre brouillard avec la fum?e chaude du tabac. Leur esprit est confus et lourd comme la haie brumeuse, o? tout se brouille. Ils ont froid. Les ?paules remont?es, et les mains dans les poches, ils n'osent pas remuer, pour ne pas laisser l'air aigre leur mouiller les os. S'ils rentrent chez eux, iront-ils se mettre au lit et dormir pendant quinze heures? Ils n'ont point envie de leurs femmes... Ils demeurent mornes, et sans paroles. Ils passent alors par un des ?tats les plus nobles du monde: ils r?vent et ne pensent pas. Mais tout est trop obscur dans ces ?mes confuses: l'esprit ne distingue point les images qui le hantent, et le coeur ne s'en ?meut pas. Et la m?me humeur, qui fait des po?tes, fait des ivrognes avec ces hommes-ci: car, frissonnant d'ennui, et ne sachant que faire, ils vont secouer tous leurs brouillards ? la lumi?re de l'auberge.

LE JOUR DES ANGES

Pr?s de Plouh..., en Pont-l'Abb?.

Plusieurs paysans parurent sur le chemin. Chacun de son c?t?, ils venaient avec leurs femmes; et leurs enfants les pr?c?daient. Ils descendaient isol?ment le raidillon, pr?s du bois humide. Quoique ce ne f?t pas dimanche, ils avaient leur air et leurs habits de f?tes. Ils marchaient avec une sorte de gravit?; et par la main les femmes tenaient de petits enfants par?s comme pour une procession.

Ils ne parlaient pas beaucoup. Se rencontrant, ils se saluaient ? peine d'un mot bref. Ils ?taient s?rieux, et pareils ? ceux qui vont ? l'?glise, dans l'intention d'y prier. Les enfants, quelquefois, partaient pour rire; mais ils s'arr?taient aussit?t, et leur petite moue d'attention semblait reprendre un r?le. Ils avaient des yeux gais et des mines graves. La petite Yvonnik, ayant vu sa m?re rajuster les plis de son tablier, en frappant du bout des doigts l'?toffe sur la hanche, tapotait le sien, tant?t d'un bord, tant?t de l'autre, en se dandinant.

Les femmes ?taient larges, dans l'?troit chemin, sous les branches. La plupart ?taient jeunes; et il y en avait deux en robe de bure bleue, qui avaient la semblance de gros bluets ouverts, d'une esp?ce rustique.

Ils allaient en silence, descendant la pente du vallon. La fontaine bruissait sous leurs pas, comme les chuchotements de la compassion. L'humble vall?e ?tait vaste par l'air de solitude qu'on lui sentait, et par une gr?ce farouche. Elle ?tait retir?e entre des clairi?res, comme une bague au creux de la main ? demi ferm?e d'une femme. Il faisait plus doux qu'on ne peut dire, de cette douceur moelleuse qui alanguit l'espace avant les orages. Un peu de brume fluide fumait ? l'horizon. L'air ?tait lilas.

Le coucou appelait faiblement dans le bois, de sa fl?te en sourdine. Un nuage passa... Et l'eau fut grise.

Elle pleurait; et son mari, assis sur un coffre, serrait les l?vres, le regard perdu, r?solu de ne rien dire, ni un mot de consolation, ni rien de ce qu'il ?prouvait. Il gardait son sentiment comme un secret. Pourtant, sa femme ayant b?gay? dans un sanglot: <>--les muscles de sa face se r?tract?rent, et il eut les larmes aux yeux...

--Habillez-le, dit-il.

Il se roidit; et, le plat de la main appuy? sur le coffre, il suivit d'un regard avide cette toilette...

Elle, cependant, avait dispos? les beaux habits sur le banc d'honneur, devant le lit de famille. Un autre lit ?tait rest? ouvert: la m?re prit sur l'oreiller un p?le enfant aux blonds cheveux. L'enfant ne faisait pas de bruit, et il ne tendait pas les bras ? sa m?re. Elle, de ses mains rouges tenait Yvon; et elle fr?missait, toute. Les battements du sein soulevaient son corsage maigre, tir? vers la taille; et deux sillons de larmes marquaient son menton carr? comme ? la craie.

Quel enfant sage et doux: d'une p?leur mortelle, en v?rit?, et d'une docilit? taciturne qui faisait mal. Il pouvait avoir trois ou quatre ans. Ses blonds cheveux, o? la m?re passait une main caressante et plaintive, ?taient tr?s longs. Il fallait que ce petit Yvon f?t bien malade, pour ?tre ? ce point silencieux. Il devait ?tre fort lourd: ses bras retombaient sans force et si lourdement... Mais la t?te surtout suivait tous les mouvements de sa m?re, le front baiss? et donnant du menton sur la poitrine haletante. Le front boucl? vint ? port?e des l?vres maternelles: elle le baisa avec passion.

--Il est chaud, dit-elle. Il est chaud...

Et elle ?clata en pleurs.

--Donnez-le-moi, fit l'homme ? demi-voix.

Elle le lui tendit, et retomba sur le coffre, pr?s du lit clos.

L'enfant ?tait en jupon de laine: ses pieds nus semblaient de pierre, salie de boue par endroits; les orteils ?taient droits, sans mouvement. L'homme prit l'enfant sur ses genoux. Il le contempla douloureusement. Il ?tait gauche en ses gestes; et l'exc?s de douceur, qu'il y voulait mettre, le rendait malhabile. Puis, comme ayant longtemps r?sist? au d?sir, il appuya la joue de l'enfant contre ses l?vres, et le baisa ardemment.

--Petit Yvon, murmurait-il, mon petit Yvon...

Mais le petit Yvon ne r?pondait rien, et paraissait ne pas entendre. Le p?re soutenait la t?te lev?e, qui f?t retomb?e sans cette aide. Qu'elle ?tait p?le et livide contre le visage h?l? du paysan... Et de quel ?trange et lourd sommeil cet enfant ?tait poss?d?... Il avait les yeux ferm?s et retir?s au dedans des orbites par un r?ve absorbant. Sa petite bouche violette ?tait entr'ouverte: un double pli, plus lourd encore que le reste de ce visage accabl?, creusait les coins de cette bouche un peu gonfl?e; une ride plus profonde que celle des vieillards les plus charg?s d'?ge s'?tait grav?e au burin dans cet enfant de trois ans.

Sur le coffre, la m?re assise, jeune et presque belle en sa simplicit? pesante, faisait face ? l'homme, fort et haut sur le banc.

--Il est encore chaud, dit-il ? son tour. Prenez-le, Marie.

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