Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: Le joug: roman by Gilbert Marion

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 378 lines and 10678 words, and 8 pages

Sans ?couter, il continua:

--Voulez-vous passer outre? Retournez ? Beuzeboc. Laissez-moi faire nos publications. Vous ?tes libre.

--Il ne veut pas.

Il s'exasp?rait:

--Est-ce le scandale qui vous fait peur?

Elle frissonna:

--C'est pas possible.

Il sembla recueillir sa patience de ma?tre qui se pr?pare ? convaincre un ?l?ve obstin?:

--Voyons, raisonnez. Tout ?tre s'appartient. Personne ne peut vous emp?cher de suivre votre route. Faites votre devoir vis-?-vis de votre fils, un partage, ce que vous trouverez juste, et ne vous sacrifiez pas davantage.

Elle secoua la t?te.

--Vous ne comprenez pas. Ce serait trop facile. Non, j'ai bien vu qu'il ne veut pas et qu'il saura m'emp?cher d'?tre autre chose que sa m?re.

--Il vous aime, alors?

--Ce n'est pas ?a, fit-elle humblement, non, ce n'est pas ?a, mais il ne veut pas que je lui fasse tort.

D?j?, acceptant l'objection, il courait, en homme, aux r?alisations.

--Mettons que vous ayez raison. Il ne reste qu'un moyen. Laissons tout. Il m'est revenu quelques milliers de francs de mon p?re. J'ai un cousin du c?t? de Lyon qui me donnerait une situation dans sa fabrique; j'avais d?j? pens? abandonner l'enseignement lors d'un ?v?nement de ma vie... Partons ensemble librement.

Elle joignit les mains d'horreur, mais il les prit, les serra, essayant de dompter cette pauvre volont? d?faillante de toute sa dure volont? d'homme fort.

--Fanny, venez, soyez ? moi, je vous attends, je veux vous d?livrer. Vous voyez bien que vous n'aurez de bonheur qu'en moi. Votre soeur, votre fils ne vous font que du mal. Laissez-moi vous rendre heureuse.

Ses mains fi?vreuses p?trissaient les mains glac?es et ses l?vres cherchaient les l?vres p?les. Fanny ferma les yeux un instant. Tout le bonheur de sa vie tint en cette minute. Ce fut sa nuit de noce et le matin plus d?licieux qui la suit, et toute la douceur et toute la folie de l'amour concentr? pour elle, ici, sans son amertume et ses d?sillusions. Mais elle rouvrit les yeux.

L'accalmie cessait. Les branches pli?es fouettaient l'air. Au sommet des h?tres, des corbeaux d?rang?s se f?chaient bruyamment. Et le vent, ayant saut?, entrait ? pr?sent dans la cav?e.

Ce fut comme si Fanny retrouvait son sang-froid, sa raison et tout ce que l'amour emporte. D'ailleurs, il fallait lutter. D?j?, la respiration coup?e, ils durent se s?parer. Et tout d?bat, tout entretien m?me devenait impossible. Il fallait crier dans le vent pour se comprendre. L'ouragan reprenait, formidable.

Ils suivirent la cav?e. Au tournant, le vent les bouscula ? revers. Alors, Silas s'approcha de l'oreille de Fanny:

--Je m'en vais, cria-t-il.

Il y avait autant de fureur dans sa voix que dans celle de la temp?te. N'?tait-ce pas par elle qu'il ?tait vaincu? Sait-on la part des petites choses dans les grandes et l'effet des grands mouvements de la nature sur nos petites passions humaines?

Elle fit <> des yeux et de la bouche. La barri?re ?tait en vue, et, en face, le sentier bord? de peupliers qui rejoignait la route du plateau.

Elle lui tendit la main. Il se d?tourna sans la prendre. Et il cria:

--Vous regretterez ce jour-l?!

Maintenant, elle se poss?dait tout ? fait. La maison apparue la reprenait: la maison, la terre, la race, tous les obscurs devoirs dont on a l'habitude, et qui sont si lassants et si n?cessaires.

Elle voulut le regarder encore, et se retourna avec peine contre une bourrasque.

Il ?tait d?j? au milieu du sentier. Elle le suivait des yeux quand, soudain, il y eut un long craquement et l'un des arbres du talus, choisi comme victime, oscilla et s'abattit avec un affreux bruit d'?crasement ? la place m?me o? Silas venait de passer un instant auparavant.

Elle cria follement dans le vent:

--Silas!

Il avait franchi le tournant sans se retourner. Sa pens?e fut travers?e par un ?clair:

--S'il revient, je le rejoins et je pars avec lui!

Mais la temp?te int?rieure qui emportait l'homme ?tait plus forte que l'ouragan et il ne reparut plus.

Elle s'approcha de la fen?tre. Le beau dimanche d'avril tra?nait sa longue apr?s-midi d?soeuvr?e. L'oncle Nathan, sit?t le d?jeuner fini, avait aiguill? F?lix vers les champs, pour la visite dominicale de rigueur. Quant ? Berthe, elle venait de dispara?tre sans rien dire, comme elle le faisait depuis quelque temps.

Apr?s la tourmente qui, passant sur elle ? l'automne, manquait de l'arracher de son existence, comme le bel arbre s'arrachait du talus, elle ?tait rest?e an?antie au point de garder plusieurs jours le lit. Sa soeur expliquait avec volubilit? qu'elle avait eu les <> en entendant l'arbre tomber sur ses talons. Elle restait prostr?e, sans fi?vre et sans aucun sympt?me pr?cis, simplement atone, indiff?rente, priv?e cette fois tout ? fait du go?t de vivre.

Avec le g?ant foudroy?, son amour lui semblait an?anti. Elle appuyait sur la plaie sans la sentir. Elle r?p?tait: <> Et cela ne lui faisait rien. Elle se disait m?me: <> C'?tait comme si, en devenant femme trop vite et trop t?t, elle avait perdu la profonde sensibilit? f?minine qui juge et p?se si s?rement les choses de la passion.

Apr?s la crise d'inapp?tence ? la vie, elle entra dans la souffrance. Les jours et les nuits se succ?d?rent, d?sol?s ou cruels, tandis qu'elle ?prouvait cette sensation qu'on a d'?tre dans des m?choires qui se referment perp?tuellement. Alors, Silas grandissait dans sa m?moire, dans son coeur, pour mieux la d?chirer de l'avoir perdu. Ses mots, se gestes, ses moindres attitudes la torturaient en souvenir. Et elle sut enfin qu'elle l'aimait comme jamais elle n'avait cru pouvoir aimer.

Elle v?cut enferm?e avec son r?ve agonisant pendant les mois noirs de l'hiver, sans rien apercevoir d'ext?rieur, comme si ses yeux eussent ?t? tourn?s en dedans sur le seul spectacle de sa douleur.

Et jamais elle ne se disait: <> Cette chose possible, cette chose sugg?r?e et d?j? un peu r?alis?e par les paroles qui l'avaient repr?sent?e, ne se montrait pas ? elle comme une alternative. Peut-?tre ?tait-ce parce qu'elle allait instinctivement vers la souffrance ? cause de l'orientation de sa vie, ou peut-?tre simplement parce que les habitudes sont trop difficiles ? quitter.

Son premier apaisement lui vint dans ces mois aigres o? le printemps s'?veille. L'isolement parfait de la vie ? la H?traye, qui s?parait les deux soeurs de leur petit monde connu, environnait leur retraite d'une sorte de paix silencieuse. Un soir de mars o? elle rentrait ? la maison en tenant les premi?res primev?res trouv?es au revers d'un foss?, sous un ciel qui allait du violet le plus profond ? un safran inexprimablement doux, elle crut sentir myst?rieusement que sa souffrance ne resterait pas inutile, qu'elle serait la ran?on du scandale ?touff?. Son p?ch?, cette fois, ?tait enterr?, et rien n'en subsisterait qui p?t ?clabousser les autres. Le nom des Bernage ne serait pas sali. Ce fut une certitude consolante qui descendit sur elle.

Les autres, cependant, continuaient leur vie parall?le et, sortant tout ? coup de son sommeil int?rieur, elle se mit ? les consid?rer.

Berthe ne la tourmentait plus. L'exil de Beuzeboc, si am?rement consenti, ne semblait plus lui peser, m?me pendant la noire p?riode mortelle de la terre.

C'?tait comme si une myst?rieuse influence travaillait son humeur et toutes ses passions de col?re et m?me de curiosit? pour les changer. Et Fanny se sentait plus ?loign?e d'elle que jamais et un peu effray?e de ce changement inexplicable. Pourtant, elle avait tant soupir? apr?s l'affection fraternelle qu'un peu d'espoir lui en venait. <> Et cela pr?parait son coeur d?vast? ? revivre.

Quant ? F?lix, il n'approchait gu?re de la maison que le dimanche. Et il y apportait les m?mes airs, oscillant de la sournoiserie ? l'assurance. Et jamais il n'adressait la parole ? sa m?re depuis le jour de leur terrible entretien de la charretterie. Fanny devait d?penser des tr?sors de diplomatie, de vigilance, pour se garer ainsi des mots dangereux qui eussent pu rappeler ceux de ce jour-l?. Mais Berthe d?ployait une si ?tourdissante volubilit? que rien ne pouvait se remarquer et que le drame de ce mutisme se poursuivait ? leurs seuls yeux.

Ce jour-l?, de la fen?tre, elle vit l'oncle Nathan qui passait dans le fond de la cour, tout seul, l'air absorb?. Fanny s'?tonna de ne pas voir F?lix avec lui, car le vieillard, dans ses visites, le recherchait toujours. Il semblait ? pr?sent en faire grand cas.

--C'est un cultivateur, celui-l?, et un bon, disait-il.

Ou encore:

--On ne peut pas lui en remontrer sur la chose de la culture. Sacr? F?lix, va!

Tout l'hiver, il avait fait ainsi de longues promenades avec le gars, et les soeurs, qui marchaient par derri?re, les voyaient passer cette revue des terres nues ou emblav?es, pure jouissance dominicale des terriens. On devinait que le vieillard ?tudiait profond?ment le jeune homme avec une id?e secr?te.

Fanny go?ta un moment la paix qui baignait la chambre aux rideaux blancs, luisante et ordonn?e, comme, autour d'elle, la maison, le village, le plateau et la vall?e. Elle ?prouvait ainsi des moments de qui?tude o?, la sourde douleur s'endormant, elle n'?tait plus sensible qu'? un pauvre espoir de bonheur qui s'?veillait au fond d'elle.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Back to top Use Dark Theme