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Munafa ebook

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Read Ebook: Hiên le Maboul by Nolly Emile Rivoire Andr Author Of Introduction Etc

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Ebook has 1166 lines and 57910 words, and 24 pages

ajouter, pour paralyser sa m?moire, la frayeur que lui causait l'adjudant; mais, dans sa d?tresse, il se cramponnait au souvenir pr?cis qui s'?tait grav? dans sa t?te de certaines paroles de ses instructeurs: il attendait le retour de l'<>.

Ainsi, au soir de cette journ?e de service, Hi?n le Maboul, pench? sur l'eau tourbillonnante, pleurait la mort de ses joies na?ves et se lamentait sur la tristesse de sa condition pr?sente.

Jeunes filles.

A tout autre, Hi?n le Maboul e?t tourn? le dos, suivant son habitude de sauvage hostile aux femmes, mais le regard des yeux larges et profonds le saisissait: gauche et lourd, il rajustait maladroitement son turban et riait d'un rire idiot. ?mu d'entrevoir les seins durs et minuscules, dessin?s par la tunique de soie noire, de deviner les hanches d?j? pleines, drap?es par le pantalon noir, d'apercevoir les pieds nus et blancs, chauss?s de menus sabots, il songeait vaguement que jamais semblable fillette n'avait illumin? de sa beaut? les ruelles de Phu?c-Tinh... Et d?j? il ?tait esclave.

--Laisse donc ton salacco tranquille! dit Ma?. Tu ressembles ? un singe qui se gratte le cr?ne.

Et les deux folles de pouffer de rire; et Hi?n rit aussi, b?tement et sans savoir pourquoi.

--Assieds-toi! commande Ma?.

Il s'accroupit sur sa planche et elles s'asseyent ? ses c?t?s, les jambes pendantes dans le vide, face ? la baie o? courent les franges d'?cume et o? dansent les falots des sampans.

Le supplice commence. Il faut que le souffre-douleur, harcel? de questions, raconte tout: l'enfance muette et pers?cut?e, le village h?riss? de bambous, la mer sem?e de jonques, la for?t bruissante et vivante. Par moments, il est tent? de se lever et de fuir. Mais une force inconnue le cloue ? sa place: il ne peut se r?soudre ? s'?loigner de Ma?; malgr? lui, il faut qu'il livre ses secrets ? son petit bourreau.

--Alors pas une fille de Phu?c-Tinh ne t'a aim??

Indiscr?te et singuli?re question! Le tirailleur se tord sur sa planche et r?pond simplement:

--Non! Je suis trop laid!

--Et toi, aimais-tu les filles?

--Non! dit Hi?n, farouche, en qui les sens d?prim?s n'ont jamais parl?, et qui, d?s l'adolescence, apprit qu'il ?tait d'essence inf?rieure.

--Et moi, demande Ma?, m'aimes-tu?

?perdu, les mains tremblantes, il la contemple; elle ne rit plus, et rien de sa pens?e intime ne se r?v?le dans ses yeux immobiles et s?v?res; mais il craint la moquerie et il b?gaye:

--Non!

Au bout de l'appontement, des tirailleurs galopent, essouffl?s.

--Va-t'en, commande Ma?; l'appel va sonner.

Hi?n le Maboul se dresse avec effroi et s'enfuit, la t?te basse, son salacco pendant sur ses ?paules, ses grands bras et ses longues jambes d'araign?e agit?s autour de son corps maigre comme des ailes de moulin.

Et les rires des deux fillettes le poursuivent.

Le clairon traversa la route, s'avan?a jusqu'au bord de la digue de pierres s?ches et sonna le r?veil. Les notes alertes prirent leur essor vers la baie, chant?rent sur la montagne o? flottaient encore les derni?res brumes de la nuit et, par-dessus les dunes bois?es de la presqu'?le, s'envol?rent vers l'orient et vers la mer.

Dans l'aube terne, le camp s'anime; les cases de torchis peint ? la chaux ouvrent leurs persiennes noires; des moineaux p?pient tumultueusement sur la paille des toits; dans leurs cages de rotin accroch?es aux poutres des v?randas, des merles-mandarins sifflent ? plein gosier; les mulets s'?brouent dans les ?curies; un boeuf ? bosse chemine d'un pas placide par la cour sabl?e, o? pleuvent les cosses noires des flamboyants.

Des sergents europ?ens, debout, le dolman de toile d?boutonn? sur leurs poitrines velues, le bol de caf? dans une main, une tranche de pain dans l'autre, se lancent des lazzi et leurs rires de braves gens bien portants r?sonnent dans l'air frais.

Derri?re la palissade de bambou, des bambins tout nus et d?j? rouges de la poussi?re du chemin piaffent comme des poulains.

Les all?es ?carlates se peuplent de tirailleurs qui se h?tent, le mousqueton sur l'?paule, les brides de la jugulaire flottant sur le veston kaki.

A un second appel du clairon, la compagnie se rassemble sous les flamboyants. L'adjudant Pietro, son sabre court ? large fourreau battant ses jambes trapues et cagneuses, pr?side avec des jurons ? l'alignement des salaccos pos?s ? plat sur les chignons huil?s et des pieds nus aux orteils ?cart?s. Comme presque tous les Corses, il juge qu'un peu de l'?me du grand empereur a pass? en lui. Les mains crois?es derri?re le dos, l'oeil mauvais et m?fiant, il s'introduit entre les rangs, v?rifie l'astiquage irr?prochable des boutons de cuivre, des plaques de ceinturon, mire dans les cartouchi?res cir?es la courbe de ses moustaches.

A son passage, les petits guerriers bronz?s se raidissent, fr?missants, et plus d'un, qui travailla de son mieux pour satisfaire le tyran et qui se vit cependant octroyer <>, appelle de tous ses voeux m?lancoliques l'A?eul ? deux galons. Plus d'un ?voque les yeux bleus toujours souriants, la moustache blonde et fine, retrouss?e joliment, du justicier.

C'est ? lui que pense Hi?n le Maboul, Pietro s'?tant arr?t? devant le mis?rable. De son coeur tressaillant s'?l?ve comme une pri?re muette vers cet ?tre inconnu et bon, de qui viendront peut-?tre, un jour, toute justice et toute piti?. Car Hi?n n'est pas heureux. Les coups et les injures ont plu sur ses ?paules maigres et il d?sesp?re.

Pietro se campe, napol?onien, devant la recrue:

--Alors le m?tier n'entre pas?

Non, le m?tier n'entre pas, et, d'heure en heure, au contraire, Hi?n le Maboul devient plus abruti et plus fou, plus <>.

La voix aigre de l'adjudant le paralyse: le mousqueton s'?chappe de ses doigts frissonnants et s'abat sur le sol avec un bruit de ferraille.

Les quatre sections sont fig?es. La main poilue aux ongles noirs saisit l'oreille du maladroit et la secoue furieusement; et voici que s'?croule, ? son tour, le salacco, puis le turban, et le chignon se d?roule sur le dos ?tique, qui se ploie de terreur... La col?re de Pietro d?borde en jurons redoubl?s; comme sa science de la langue annamite se borne aux termes les plus grossiers, il les jette ? la t?te de l'imb?cile. Celui-ci a crois? ses bras devant sa figure, dans l'attitude de la supplication; avec des gestes cass?s et saccad?s de polichinelle, il rajuste l'?quipement en d?sarroi, ramasse le mousqueton poudreux.

La compagnie s'en va, au chant morne des clairons: il suit la compagnie, sautillant sans succ?s pour se mettre au pas. Pitoyable ? la d?tresse de Hi?n, le petit fourrier fran?ais qui marche ? c?t? de lui l'encourage et le conseille: Hi?n ne l'entend pas. Il ne remarque pas Ma? debout pr?s de la porte et riant de toutes ses dents brunies par le b?tel. Il ne voit et n'entend plus rien que sa for?t qui vibre et chante dans son cerveau d'enfant sauvage.

La place du March?, o? pivotent les sections, s'emplit de lumi?re dor?e; le soleil levant allume de petites flammes ?blouissantes aux pignons histori?s des boutiques chinoises, aux dorures des pancartes laqu?es qui se balancent le long des ?ventaires; il avive le rouge cru des fleurs des faux-cotonniers, le plumage sombre des merles-mandarins qui se chamaillent sur les branches sans feuilles et charg?es de p?tales sanglants.

Les ba?onnettes ?tincellent au-dessus des salaccos miroitants. Dans la chaleur naissante, les quatre sections manoeuvrent avec des commandements brefs de grad?s, des chocs de crosses contre les trottoirs, des pi?tinements dans le sable mou. Sous un flamboyant, Hi?n le Maboul, les yeux hors de la t?te, les veines du cou gonfl?es et pourpres, sue ? grosses gouttes et, pour la milli?me fois, essaye de d?chiffrer les myst?res de la mise en joue. Pour la milli?me fois, le sergent Cang lui a tenu de longs discours inintelligibles, lui a <>; mais les minutes passent et les progr?s sont nuls. En vain a-t-on donn? au retardataire un instructeur sp?cial; en vain le sergent Cang, tour ? tour exasp?r? et insinuant, menace-t-il la recrue du poing ferm? ou l'exhorte-t-il ?loquemment. Hi?n fait de son mieux, mais en vain; ses pesantes mains de b?cheron accoutum? au <> se crispent sur le f?t de bois; ses membres engourdis refusent de se plier aux mouvements compliqu?s qu'on leur demande.

Les objurgations violentes, les explications ne font qu'empirer le d?sarroi de son cerveau. Il comprend de moins en moins, et, d?courag?, stupide, n'?coute m?me plus les harangues du sergent.

Les rires des marmots annamites accroupis en cercle autour de lui ne cessent de tinter, car de son cr?ne impuissant roulent sans interruption de larges gouttes, qu'il essuie d'un geste accabl? et m?canique. Il songe que, tout ? l'heure, au camp, un autre supplice, le cours de fran?ais, l'attend, qu'apr?s la sieste ce sera la th?orie, puis encore l'exercice.

A quoi bon? ? quoi bon?... N'est-il pas ?vident d?s maintenant qu'il sera tout ? fait impossible de faire de lui un tirailleur? Puisque son cerveau est trop lent, ses membres inhabiles, pourquoi, pourquoi lutter ainsi? Qu'on le renvoie ? sa for?t, ? ses bambous bruissants!... Puisqu'on ne le renvoie pas, Hi?n r?ve de d?serter.

Le soir est venu. Le clairon a sonn? la berloque. Hi?n le Maboul s'est d?barrass? de son harnois de guerre et maintenant, install? sur une natte devant la case du sergent Cang, il attend l'heure de la soupe et se rem?more les divers incidents qui marqu?rent cette journ?e.

Ils sont rares et en tout pareils ? ceux d'hier et ? ceux de demain. Hi?n a beaucoup appris et n'a rien retenu. En revanche, les impr?cations de Pietro tintent encore ? ses oreilles et sa joue gauche, encore rouge, se souvient du soufflet qu'y appliqua la main vigoureuse de l'adjudant. D?cid?ment, cette vie nouvelle est triste, effroyablement triste!

Hi?n a envie de pleurer: pour tromper sa peine, il examine sa prison. Entre la montagne et la baie, le camp aligne ses toits de paille jaune, cases de sergents europ?ens, envelopp?es de feuillage fleuri, cases de tirailleurs, ?curies, infirmerie. Plus pr?s, le camp des tirailleurs mari?s, longues cabanes de torchis divis?es en compartiments de quatre m?tres carr?s. Puis la route bord?e de frangipaniers qui s'en va vers le Phare, parmi les massifs de bambous et les rochers moussus o? bouillonne l'?cume.

Ce Cap-Saint-Jacques, avec ses deux montagnes vertes dress?es de chaque c?t? de la baie des Cocotiers, est odieux au prisonnier nostalgique. Il m?prise cette mer cuivr?e par le soleil couchant, parce que ce n'est pas sa mer; il m?prise ces sampans qui replient leurs voiles couleur d'ocre, parce qu'ils ne sont pas les sampans de Phu?c-Tinh; il m?prise ces frangipaniers, ces eucalyptus, ces flamboyants, parce qu'ils ne sont pas ses arbres. Affal? sur sa natte, il rumine des pensers amers.

--?carte-toi donc, grand b?ta!

La dure voix de Ma? le tire de sa torpeur. La fillette dispose sur la natte des tasses de riz, des soucoupes de crevettes, des bols de saumure o? baignent des piments rouges; aupr?s de chaque soucoupe, elle range des baguettes de bois noir.

Voici l'heure du <>, suivant le mot de Pietro: devant chaque maisonnette de tirailleur mari?, les femmes couvrent de nattes la terre battue, et leurs pensionnaires, les tirailleurs c?libataires, <> prendront place autour de ces nattes pour le repas du soir.

La femme du sergent Cang nourrit ainsi, outre Hi?n, cinq petits guerriers. Les voici qui viennent, riant et se bousculant; on s'accroupit en cercle autour des soucoupes et celles-ci r?sonnent des chocs pr?cipit?s des baguettes.

Soudain le jeune soldat, bouscul? sournoisement par son voisin, s'?tale ? la renverse dans la poussi?re; il se rel?ve, furieux, le dos rouge et la figure barbouill?e de sauce brune. Il veut parler, mais l'?norme bouch?e de riz qu'il engouffrait au moment de sa chute l'?trangle et ?touffe ses cris de col?re.

Le vieux Cang, impassible, lisse de la main droite sa barbiche grisonnante et rien n'appara?t sur sa face tann?e; mais la figure rid?e de Thi-Ba?, sa digne ?pouse, se convulse de joie et Ma? rit d'un rire aigu. Les cinq loustics se frappent les cuisses et se prodiguent des bourrades amicales, marques de grande jubilation. Des nattes voisines, les brocards cinglent comme la gr?le.

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