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Munafa ebook

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Read Ebook: Hiên le Maboul by Nolly Emile Rivoire Andr Author Of Introduction Etc

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Ebook has 1166 lines and 57910 words, and 24 pages

Le vieux Cang, impassible, lisse de la main droite sa barbiche grisonnante et rien n'appara?t sur sa face tann?e; mais la figure rid?e de Thi-Ba?, sa digne ?pouse, se convulse de joie et Ma? rit d'un rire aigu. Les cinq loustics se frappent les cuisses et se prodiguent des bourrades amicales, marques de grande jubilation. Des nattes voisines, les brocards cinglent comme la gr?le.

--Comment as-tu fait pour te remettre sur tes pattes, tortue fam?lique?

Sauce ?pic?e, tr?s employ?e dans la cuisine annamite.

--Regardez ce ca?man de Baria! Il a encore de la boue de pal?tuvier sur le menton!

La bouch?e de riz est enfin aval?e. Bl?me de rage, Hi?n le Maboul r?sout de faire un ?clat: car la sc?ne s'est pass?e sous les yeux de Ma?, et il ne veut pas qu'on le ridiculise devant Ma?.

--C'est toi qui m'as heurt?? demande-t-il d'une voix ?raill?e par la fureur.

Diable.

--C'est toi!

Les bras maigres brandissent au-dessus de la chevelure embroussaill?e des poings mena?ants et bossel?s. L'h?tesse ne ricane plus; Cang cesse de caresser sa barbiche. Mais la voix fra?che et paisible de Ma? r?tablit soudain l'ordre:

--Assieds-toi, individu idiot, et tiens-toi tranquille!

Les poings s'abaissent, le pauvre ?tre s'incline devant la volont? de cette fillette qui le domine; il rit d'un large rire imb?cile, esp?rant se concilier ainsi la faveur de la toute-puissante petite divinit?; il rit et essuie ? la doublure de son veston kaki ses moustaches de sauce.

--Ha! ha! ha! raillent les soldats en chignon.

Heureusement, voici que circulent les cigarettes et les chiques de b?tel. Hi?n badigeonne d?licatement de chaux rose une feuille humide, il enroule cette feuille autour d'un morceau de noix d'arec et m?che silencieusement; de temps ? autre, il se d?tourne et crache de la salive rouge... Mais ni le b?tel ni la fum?e des cigarettes ne chassent ses mauvaises pens?es; il est m?content d'autrui et m?content de lui-m?me, qui sottement s'inqui?te de complaire ? une quelconque p?core. Cependant il jette ? la d?rob?e vers le petit visage immobile et ind?chiffrable des regards implorants de chien battu.

La nuit est venue tout ? fait: sur la route du Phare se poursuivent, avec des sonnailles de grelots, les lanternes des victorias qui ram?nent de la promenade quotidienne les ?l?gants du Cap.

Les tirailleurs organisent un concert. Un artiste gratte avec une baguette de rotin l'unique corde d'acier d'un luth en forme de petit cercueil: un autre prom?ne des ongles d?mesur?s sur les treize fils de cuivre d'une cithare demi-cylindrique; un autre tire d'une fl?te de bambou ? six trous des sons langoureux; un autre racle avec l'archet d'?b?ne les deux boyaux d'un violon qui ressemble ?tonnamment ? une ?norme pipe de bois noir. A des ex?cutants de rang inf?rieur revient l'honneur moindre de scander sur le tam-tam et sur le gong le rythme de la m?lodie.

Le pers?cuteur de Hi?n, celui qui tout ? l'heure pr?cipita l'<> dans la poussi?re, s'attribue le r?le principal: il chante une m?lop?e interminable, tant?t hurl?e ? plein gosier, tant?t susurr?e comme un soupir. Ne s'avise-t-il pas, entre deux roulades, de couler vers Ma? des oeillades provocatrices et ne semble-t-il pas que la fillette les accueille d'un sourire encourageant?

Hi?n le Maboul a mal aux nerfs. Cette musique aggrave sa nostalgie. Ah! oui, certes, il en a assez: sa m?moire se refuse obstin?ment ? s'assimiler les th?ories des grad?s; ses membres demeurent malhabiles aux gestes du m?tier des armes; ses instructeurs l'injurient; l'adjudant le frappe; Ma? se moque de lui.

Cette vie de tirailleur ne lui procure que des coups et des soucis: il en a assez! A Phu?c-Tinh du moins il ne recevait que rarement des horions: les filles ne lui inspiraient que m?fiance et d?go?t, et pas une ne pouvait se vanter d'exercer sur lui cette fascination bizarre qui le rend esclave du moindre regard de Ma?.

Oui! oui! il s'en ira! Il retournera vers sa clairi?re, vers la paix sereine des apr?s-midi ensoleill?s que l'on trouve dans la for?t. Toute son ?me de rustre appelle la libert? et crie vers la brousse.

Hi?n le Maboul se sent mis?rable et, le dos tourn? ? l'orchestre, il essuie avec ses ?normes poings de grosses larmes qui roulent sur ses joues brunes.

Des jours ont coul?, puis des semaines, puis un mois tout entier: Hi?n n'a pas d?sert?. Non que l'id?e du devoir le ret?nt: il est trop simple pour que la notion du devoir ait p?n?tr? son cerveau; mais le sergent Cang, commentant ? sa fa?on les articles du code militaire, a fait entrevoir ? ses recrues m?dus?es qu'une effroyable s?rie de supplices punirait les d?serteurs.

Hi?n le Maboul a donc renonc? ? ses projets de fuite. Il continue ? n'?tre pas heureux; son mousqueton tremble dans ses mains comme aux premiers jours; ses instructeurs ont ?puis? leur patience et leurs jurons. Il continue ? ne rien comprendre ? la th?orie qu'il ?coute pourtant de toutes ses oreilles, le front moite de sueur et les yeux ?carquill?s. Pietro a pris en grippe cet idiot qui sautille derri?re la compagnie sans m?me r?ussir ? marcher au pas; il ?prouve une haine v?ritable contre ce malappris en qui son g?nie napol?onien n'a pu faire <>.

Ma?, la douce Ma? le rudoie.

Chose invraisemblable, il a encore maigri. Dans sa face osseuse, les yeux s'?clairent de reflets de vraie folie. Il mange ? peine, il ne dort plus, il ne parle plus, il ne pense m?me plus ? son village et ? sa for?t. Hi?n le Maboul est en train de devenir fou.

Certain dimanche de septembre, Hi?n, le coeur r?chauff? par le gai soleil ?panoui sur la baie, d?cida d'aller faire un tour en ville. Il endossa le veston de toile blanche au petit col amidonn? sur lequel des num?ros ?taient brod?s au fil rouge, introduisit ses grandes jambes dans le pantalon blanc, le fixa sous le genou au moyen des jambi?res rouges et s'en fut, peu rassur?, vers la porte du camp.

Le caporal de garde l'inspecta d'un coup d'oeil, tira sur les pans du veston, remit d'aplomb le salacco branlant et, content de son oeuvre, tourna les talons.

Hi?n se mit en marche sur la route qui, suivant la plage demi-circulaire, conduisait du camp ? la ville.

Journ?e splendide! Derri?re la grille de la Poste, les bougainvillias penchaient vers la route ?carlate des grappes de clochettes mauves. Des p?cheurs, entr?s jusqu'au ventre dans l'eau bleue dor?e de lumi?re, sifflotaient, l'?pervier au poing, la hotte sur le dos; des poissons volants s'enlevaient par essaims de fl?ches ?tincelantes et plongeaient. Des moineaux piaillaient dans une touffe d'hibiscus; des fillettes toutes nues et bronz?es ramassaient des fleurs de frangipanier et soufflaient sur les p?tales nacr?s pour faire envoler le pollen couleur d'or; des l?zards gris tachet?s de pourpre erraient sur le sable ti?de. Au-dessus des massifs de bambous, le Phare dressait sa coupole vitr?e o? le soleil allumait des flammes.

Devant la boutique de l'?picier A-Hia, deux Chinois dodus, la tresse enroul?e au-dessus du front ras?, jouaient de la clarinette; ils semblaient prendre un plaisir prodigieux ? leur musique nasillarde et se dandinaient, l'air satisfait.

A l'approche de Hi?n, ils retir?rent d'entre leurs dents l'embouchure de bois et vocif?r?rent contre l'innocent promeneur les classiques insultes annamites:

--Passe ton chemin, grande haridelle!

--A-t-on jamais vu pareil canard ?tique!

La recrue ouvrit la bouche pour r?pondre aux insulteurs, mais son esprit peu inventif refusa d'imaginer une r?plique digne de ce nom. Par fortune, trois tirailleurs vinrent ? la rescousse et les quolibets de pleuvoir:

--Chinois, mon oncle, tu as l'air d'une citrouille surmont?e d'une t?te.

--De quoi es-tu pleine, vessie de porc?

--Pour quand l'accouchement, panse de vache?

Et autres injures de go?t plus haut.

Les deux Chinois, h?ro?ques comme tous les gens de leur race, se regard?rent d'un oeil inquiet, flairant quelque m?chante histoire et, emportant leurs clarinettes, disparurent dans les profondeurs de la boutique.

Soudain, au lieu de c?l?brer leur triomphe par une nouvelle bord?e de mots malsonnants, les vainqueurs s'enfuirent ? toutes jambes vers la petite place qui s'?largissait au bout de la rue: Hi?n le Maboul, intrigu?, se lan?a derri?re eux, pareil dans sa course ? quelque araign?e gigantesque.

Au pied de la st?le de granit rose qui ornait le milieu de la place, une trentaine de salaccos faisaient cercle autour d'un vieux tirailleur ? cheveux blancs et ? barbe blanche. Celui-ci rangeait sur le trottoir son mousqueton, sa couverture grise roul?e en forme de boudin, sa musette rebondie o? s'accrochait un bidon rouill?, et enfin une sorte de planchette carr?e, v?tue d'une toile cir?e noire et munie d'un tr?pied en bois verni.

Parmi les rires, les exclamations, on distinguait sa petite voix aigre et enrou?e de vieillard, prof?rant des jurons.

--Qui est-ce? questionna Hi?n.

--C'est B?p-Tho?, parbleu! dit quelqu'un.

De toutes les rues, de chaque case, les tirailleurs accouraient, trottant comme des poulains et riant et criant ? tue-t?te:

--Bonjour, B?p-Tho?!... Bonjour, B?p-Tho?!

B?p-Tho? grommelait:

--Bonjour! bonjour! Ne vous jetez pas tous ? la fois sur moi, tas d'imb?ciles! Vous allez casser ma planchette!... En arri?re, fils de courtisanes, en arri?re!

--B?p-Tho?! B?p-Tho?! clama la foule des salaccos.

--Eh bien, quoi? Me voil?, je suppose!... Attention ? la planchette.

--B?p-Tho?! o? est l'A?eul?

--Il arrivera ce soir.

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