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Munafa ebook

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Read Ebook: Dramaturgiai dolgozatok (1. kötet 1850-1863) by Gyulai P L

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Ebook has 889 lines and 103647 words, and 18 pages

SC?NES DE MER.

CAPITAINE-NOIR.

--RENCONTRE--

Par Edouard Corbi?re.

PARIS. HIPPOLYTE SOUVERAIN, ?DITEUR, RUE DES BEAUX-ARTS, 3 BIS. 1835.

Le Capitaine-Noir.

Les vents l?gers qui l'avaient conduit jusque dans cette partie de l'Oc?an s'?taient dissip?s aussit?t dans l'air torr?fiant, une fois qu'ils sembl?rent avoir attir? le rapide b?timent dans ces parages comme dans un pi?ge fatal. Les premiers jours de cette cruelle station au milieu des ondes, les jeunes passagers s'?taient amus?s ? jeter dans l'eau, que n'effleurait d?j? plus la brise, quelques morceaux de papier ou de bois l?gers que devait bient?t emporter le sillage du b?timent; mais depuis un mois ces tristes indices ?taient rest?s le long du navire, ? la place m?me o? ils ?taient tomb?s, et les passagers voyaient chaque matin avec effroi, en sortant de leurs chambres, ce signe effrayant de l'immobilit? du navire qui les portait!

Pour comble de maux et d'?pouvante, une maladie ?pid?mique, engendr?e par la privation d'eau et favoris?e par le d?sespoir des marins et des voyageurs accumul?s ? bord, avait ?tendu ses ravages sur l'?quipage. Le chirurgien du bord, en prodiguant ses soins aux malades plac?s sur le pont, avait d?j? succomb? ? l'exc?s de ses fatigues; et son cadavre, lanc? dans les flots, ?tait devenu la p?ture des requins, dont les gueules b?antes paraissaient attendre et demander ? la mort une proie nouvelle et d'autres victimes.

Le capitaine, livr? ? la plus profonde tristesse, avait en vain promis ? ses passagers et ? ses matelots abattus une brise favorable ou un changement de temps qui p?t temp?rer la chaleur insupportable qu'un ciel d'airain ne se lassait pas de faire descendre sur eux. Chaque matin au lever du soleil il leur r?p?tait: Voil? ? l'horizon des nuages qui nous annoncent de l'eau ou du vent. Et tous les yeux se ranimaient pour s'arr?ter avec avidit? sur les nuages dans le sein desquels le capitaine semblait avoir plac? la derni?re esp?rance de tant de malheureux. Mais chaque jour le soleil en se d?gageant des vapeurs de l'horizon recommen?ait sa course br?lante au milieu de l'immuable azur qu'aucun nuage ne venait voiler, qu'aucun souffle de vent ne venait ranimer.

Les g?missemens seuls des malades troublaient le silence de cette sc?ne d'horreur, que l'astre du jour paraissait ?clairer comme pour augmenter l'?pouvante et les souffrances des infortun?s que la nature semblait avoir condamn?s ? p?rir au sein des flots et au milieu d'une solitude cent fois plus ?pouvantable que le cachot le plus affreux.

--Victoire! victoire! s'?cria le capitaine en apercevant le b?timent; ce navire n'a pu nous approcher qu'au moyen d'une brise, et bient?t sans doute le vent qu'il a ?prouv? enflera enfin nos voiles devenues depuis si long-temps inutiles.

En un instant toutes les peines furent oubli?es. Les parens et les amis des victimes que la mort avait frapp?es et que l'onde venait d'engloutir ne vers?rent plus que des larmes de joie. A la mer, esp?rer c'est ne plus souffrir, c'est m?me ne plus avoir souffert.

Il fallut se r?signer ? aller le chercher et ? communiquer avec lui au moyen d'une embarcation.

--A bord de ce b?timent, disait l'?quipage, nous trouverons au moins quelques barriques d'eau pour suppl?er ? celle qui va nous manquer presque totalement. Peut-?tre m?me pourrons-nous obtenir quelques vivres plus frais que ceux que nous sommes r?duits ? d?vorer. Si surtout c'est un navire de guerre, le commandant aura piti? de notre sort, et il nous donnera sans doute un m?decin pour soigner un peu ceux de nos malades qui se meurent sous nos yeux faute des secours de l'art. Partons!

Les hommes les moins affaiblis et les plus courageux s'offrirent pour armer le canot qui devait transporter la petite exp?dition ? bord du b?timent aper?u. Mais il fallait mettre ce canot ? la mer, et ce ne fut pas sans de grands efforts de la part des marins ext?nu?s, que l'on r?ussit ? faire cette premi?re op?ration.

Une fois l'embarcation ? l'eau, six matelots et un officier de bonne volont? s'embarquent. Le capitaine donne ? l'officier qui s'est pr?sent? le premier les instructions qu'il croit n?cessaires, et il le pr?vient que s'il n'est pas de retour avant la nuit, un fanal hiss? au haut du grand m?t lui indiquera la position du navire, qu'il aura soin du reste de relever de temps ? autre ? la boussole, pour conna?tre la direction que devra suivre son canot pour revenir ? bord. Tout le monde fait pour l'embarcation qui va d?border, et qui n'a que quatre ? cinq lieues ? parcourir, les m?mes voeux que s'il s'agissait d'une exp?dition autour du globe. Les marins qui vont partir embrassent ceux de leurs camarades qui restent.

--Nous vous apporterons de l'eau et de bonnes nouvelles, leur disent-ils: prenez patience, notre mis?re est finie. C'est pour nous comme pour vous que nous allons travailler. Mais ne nous souhaitez pas tant bonne r?ussite: cela porte malheur, vous le savez bien. Au revoir seulement. Ils s'?loignent alors ? grands coups d'avirons d'abord. La chaleur qu'ils ?prouvent en ramant est accablante; mais l'espoir qui les anime leur fera ais?ment supporter une fatigue qui peut ?tre au-dessus de leur force, mais non pas au-dessus de leur courage. Ils nagent avec vigueur pendant quelque temps; mais bient?t on croit remarquer ? bord du navire que les canotiers ralentissent peu ? peu le mouvement r?gulier de leurs rames. Ils se reposent pendant un instant, puis ils reprennent leurs avirons; mais cette fois leur nage est moins vive que lorsqu'ils ont quitt? le bord, et apr?s avoir ram? de nouveau, ils se reposent plus long-temps encore que la premi?re fois.

Les malheureux, apr?s avoir trop compt? sur leur vigueur, ?puis?s qu'ils sont par leurs longues souffrances, cherchent encore, en prenant le peu de nourriture et en buvant le peu d'eau dont ils se sont munis, ? se donner assez de forces, non plus pour rejoindre le navire sur lequel ils se dirigeaient, mais pour regagner celui qu'ils ont quitt? et qui se trouve encore le plus rapproch? d'eux. Vain projet! ils ne pourront plus renouveler les efforts qu'ils ont faits trop imprudemment pour s'?loigner avec vitesse. Allong?s sur les bancs de leur canot, dans l'attitude du d?sespoir, ou la t?te pench?e le long du bord dans le plus morne abattement, ils p?riront victimes de leur z?le et de leur impr?voyance. Le d?lire s'empare d'eux quand ils voient l'impuissance de leurs tentatives: la force qu'ils n'ont pu retrouver quand leur raison ne les avait pas encore abandonn?s, ils la puisent dans leur d?mence, d?s que l'exaltation du d?lire s'allume dans leurs cerveaux troubl?s. L'un d'eux saisit avec une ?nergie qu'il n'avait pas une minute auparavant, la rame trop lourde pour sa faiblesse. Un autre prend aussi un aviron ? l'exemple de son camarade; mais au lieu de nager tous les deux dans le m?me sens, ils rament dans un sens oppos?, et l'embarcation recevant ? la fois des directions diff?rentes dans l'impulsion diverse qu'on lui imprime, tournoie sans avancer dans les flots qu'elle a troubl?s.

Les rameurs, livr?s ? toute l'exaltation du d?lire, apr?s avoir nag? selon des directions oppos?es ? la seule qu'ils devraient suivre, se sont dress?s sur leurs bancs; le petit tendelet qui les ombrageait a disparu; l'attitude qu'ils ont prise en abandonnant leurs avirons est mena?ante; les cris sauvages qu'ils poussent en se provoquant parviennent quelquefois aux oreilles du capitaine, palpitant de crainte et de terreur. Les rames qu'?l?vent les mains ?gar?es de ces malheureux retombent, mais non pour sillonner l'eau qu'ils devraient fendre: elles retombent pour frapper, pour se teindre du sang des mis?rables qui s'en sont fait non un instrument de salut, mais un instrument de carnage, une arme de d?sespoir et de fureur.

--Capitaine, s'?crient quelques-uns des marins qui se croient encore les plus valides, il se passe quelque chose d'extraordinaire ? bord du canot que vous observez ? la longue-vue. Nous ne sommes pas tr?s-robustes, sans doute, mais si vous avez besoin de nous, il nous reste une pirogue que nous pouvons bien mettre ? la mer; et avec de la bonne volont? nous r?ussirons peut-?tre ? porter secours ? ceux de nos camarades qui se sont d?vou?s pour nous.

--Non, mes amis, c'est assez d?j? que d'avoir expos? ces sept hommes, trop faibles pour faire ce qu'ils ont tent?! je ne veux pas vous sacrifier comme eux: tout secours serait, je le crains bien, tout-?-fait inutile maintenant pour ces infortun?s....

--C'est ?gal; il faut essayer: la pirogue est l?g?re et facile ? manier. D'ailleurs, quand vous nous perdriez, la perte ne serait pas grande: nous ne valons plus grand'chose pour vous.... Tandis, vous le savez bien, que c'est votre fils, votre seul enfant, que vous avez envoy? comme officier dans l'embarcation....

--Et malheureux! que me rappelez-vous! s'?crie le capitaine en se cachant le visage.... Il n'est d?j? plus peut-?tre, mon pauvre fils, et c'est mon imprudence qui lui aura co?t? la vie.

En ce moment les cris pouss?s par les hommes de l'embarcation s'?l?vent au large avec tant de violence, que les marins de l'?quipage, en les entendant, demeurent frapp?s de stupeur et d'effroi. Au sein de ce calme profond des eaux et de l'air, la voix humaine porte si loin, acquiert un d?veloppement si solennel, qu'? deux lieues de distance deux hommes pourraient quelquefois s'entendre dans les solitudes de l'Oc?an; vaste silence que le croassement d'un oiseau de mer suffit pour troubler, ou que le souffle d'une baleine interrompt d'un point de l'immensit? ? l'autre!

Mais vain espoir! inutile d?vo?ment! les bordages de la pirogue, si long-temps expos?s ? l'action br?lante du soleil, se sont disjoints, et l'?toupe, qui s'est s?ch?e dans les coutures, tombe par l'effet des secousses qu'?prouve l'embarcation en descendant le long du navire. A peine parvenue ? la mer, la pirogue coule, s'enfonce et dispara?t presque sous les flots que sa quille vient d'entr'ouvrir.

On ne le voit que trop ? bord du navire, il n'y a plus rien ? esp?rer ni ? tenter pour les canotiers de la premi?re embarcation.... Il faut se r?signer et attendre. Mais ? chaque instant, de nouveaux cris, des cris de mort et de d?mence, se r?pandent dans l'air qu'ils ?branlent, pour venir porter dans l'?me des marins et des passagers, le trouble, l'horreur et la d?solation.

Le capitaine, d?sesp?r?, se retire dans sa chambre, pour cacher du moins ? ses matelots les larmes que lui arrache la douleur qui le d?chire, et pour fuir le spectacle affreux qu'il n'a eu que trop long-temps sous les yeux.

Un marin s'empare, apr?s la disparition du chef, de la longue-vue que celui-ci a abandonn?e sur le pont.... Il dirige de ses mains tremblantes le fatal instrument sur le canot qui flotte encore sans direction au large.... Ses camarades rang?s autour de lui attendent en silence ce qu'il va dire, les premiers mots qu'il va prononcer...--Ils ne sont plus que quatre dans le canot! s'?crie-t-il; et il n'a plus la force d'achever....

Tous les marins se s?parent constern?s, sans oser former une conjecture, sans oser se communiquer ce qu'ils pensent sur le sort des trois malheureux qui ont disparu de l'embarcation.

La nuit descend du haut des cieux toujours immobiles, sur la mer qui se confond ? l'horizon avec la teinte p?le du firmament. Le soleil cette fois s'est couch? au milieu de vapeurs moins ?clatantes que les autres jours. Mais cet indice plus favorable est encore si vague pour des infortun?s qui ont presque cess? d'esp?rer, qu'ils craignent de se livrer de nouveau ? une vaine confiance que l'exp?rience a d?j? si souvent tromp?e. N'est-ce pas ainsi que cinq ? six fois l'astre du jour a d?j? disparu ? leurs yeux abattus, en leur faisant croire que le lendemain le temps leur permettrait de faire route? N'est-ce pas dans des nuages gris?tres, comme ceux qu'ils voient encore, que la veille le soleil s'est abaiss? sur l'horizon?

Et quelle brise est venue, et quel changement s'est op?r? dans leur situation? Quelle journ?e a succ?d? ? la journ?e pass?e? La plus cruelle de toutes celles qu'ils aient encore compt?es!... Jusque-l? ils avaient souffert, ils avaient succomb? sous les coups meurtriers d'une ?pid?mie; mais jusque-l? au moins ils ne s'?taient pas encore massacr?s de leurs propres mains....

Le capitaine revient sur le pont: l'obscurit? qui r?gne cachera du moins ? son ?quipage, d?j? trop afflig? de ses propres maux, le d?sordre de ses traits, image trop fid?le du trouble qui l'agite. Il veut parler, donner un ordre; mais il craint qu'? l'?motion de sa voix, ses gens ne reconnaissent l'alt?ration de son ?me.

Mais ses hommes ont pr?venu les d?sirs et l'ordre de leur chef. Un large fanal a ?t? hiss? au haut du grand m?t. La lumi?re qu'il r?pand, immobile comme le navire qu'il ?claire, jette sur le pont une lueur qui reste attach?e aux m?mes objets. Les p?les matelots, marchant ? pas lents ? la clart? fixe de ce fun?bre flambeau, semblent des fant?mes sortis du sein des flots pour errer sur la carcasse d'un navire abandonn?.

Le calme ?pouvantable de cette sc?ne de mort n'est interrompu de temps ? autre que par des clameurs funestes auxquelles succ?de bient?t un lugubre silence: ce sont encore les cris lamentables des hommes de l'embarcation, et la nuit pr?tant une forme nouvelle ? leurs voix et une sonorit? plus parfaite aux ondes de l'air, on entend du bord jusqu'aux mots que prononcent les canotiers expirant avec rage sous les coups qu'ils se portent dans leur homicide d?lire.

Les heures fatales de la nuit s'?coulent dans cette horrible anxi?t?. A bord, tout le monde veille, et tout le monde se tait. Les matelots n'osent s'adresser un seul mot; les passagers, dispers?s sur le pont, sont absorb?s dans leur douleur et leurs souffrances. Les malades, ?tendus sur les matelas qui les ont re?us depuis tant de jours, demandent en vain le sujet de la stupeur nouvelle de ceux de leurs amis qui les environnent.... Personne ne r?pond ? leurs questions. Ils appellent le capitaine, ils l'implorent comme un dieu aux pieds duquel ils ont plac? leur derni?re esp?rance.... si toutefois il leur est permis d'esp?rer encore....

Le capitaine, assis ? l'?cart sur le couronnement, est plong? dans le plus profond accablement, et nul n'oserait, oubliant le respect que doit inspirer son d?sespoir, interrompre la funeste m?ditation ? laquelle il s'abandonne.

Mais au moment o? la clart? du fanal va se dissiper pour toujours dans l'air sans vie comme lui, un souffle l?ger agite la lumi?re, qui pour cette fois a vacill? en jetant autour du navire sa mobile lueur.

La t?te d'un homme absorb? jusque-l? dans l'amertume de ses r?flexions s'est relev?e tout-?-coup, ses yeux se sont port?s avec la rapidit? de l'?clair sur le fanal que la brise a balanc? au haut du grand m?t.

C'est le capitaine, qui, en s'?lan?ant du couronnement sur le gaillard d'arri?re, a senti sur ses joues abattues l'impression de la fra?cheur de l'air.

Ce n'est pas de la joie qu'il ?prouve encore, c'est du d?lire, et malgr? l'esp?ce d'?garement qui s'est empar? de lui, il s'arr?te palpitant, craignant encore d'?tre abus? par un fol espoir.... Mais non, ses gens ont senti comme lui la premi?re bouff?e de la brise qui se forme. Tous ils se sont lev?s, pr?ts ? ex?cuter le commandement qu'ils attendent de leur capitaine. L'esp?rance ? laquelle s'ouvrent leurs coeurs n'est plus une illusion; le vent, sorti de gros nuages qui se sont amoncel?s ? l'horizon, a fr?mi dans les cordages, a agit? les tentes qui couvraient les gaillards du navire. La mer, recouvrant le long du bord le mouvement et la voix qu'elle avait perdus, s'est soulev?e pour clapoter ? la flottaison. Il n'y a plus ? en douter: c'est du vent qui leur vient, c'est du vent qu'ils ont senti; c'est le bonheur, c'est la joie, c'est la vie que la brise leur apporte avec la pluie et l'orage qui les inonde d?licieusement, et qui rend enfin ? leur sein alt?r? la force qu'ils ne trouvaient plus et le courage qu'ils n'avaient m?me plus pour mourir!

Les voiles serr?es pendant les cruels jours du long supplice de l'?quipage peuvent ?tre bient?t livr?es au souffle bienfaisant qui les arrondit et qui les enfle. Les matelots recouvrent, ? d?faut de vigueur encore, un peu d'?nergie, r?ussissent ? d?ferler et ? hisser les huniers, pendant que les passagers recueillent goutte ? goutte et comme une ros?e d'or l'eau qui tombe du gr?ement sur le pont. Les barriques se remplissent; les malades les moins affaiblis veulent concourir ? ce travail pieux, dussent-ils ne jamais en recueillir les fruits, et expirer du mal qui les consume, avant d'avoir atteint le rivage vers lequel recommence ? voguer le navire.

Tous ces gens-l? enfin s'abandonnent ? l'avenir qui leur sourit encore apr?s tant de maux!

Mais une autre pr?voyance que celle de la vie, un autre soin que celui de quitter ces parages funestes, occupent le capitaine, chef de cette colonie errante, pour ainsi dire proscrite sur les flots. C'est sur l'embarcation qu'il a exp?di?e au large la veille, qu'il fait diriger la route du b?timent, au premier souffle de la brise. Lui-m?me s'est plac? ? la barre du gouvernail, car plus puissant que tous les autres par le courage moral qu'il a su conserver au milieu des malheurs qui pesaient le plus violemment sur sa t?te, il se trouve encore le plus fort apr?s le combat qu'il lui a fallu livrer ? la soif, ? la faim, ? la maladie et ? la douleur.

Mais quel spectacle funeste s'offrit aux yeux du capitaine quand il put d?couvrir et retrouver son embarcation! Le silence le plus effrayant r?gnait autour d'elle: aucun des canotiers ne se montrait ? bord.... Peut-?tre, se disaient encore les hommes de l'?quipage du navire, se seront-ils couch?s sous les bancs, accabl?s qu'ils ont d? ?tre par la fatigue.... Cette lueur d'espoir avait aussi abus? le capitaine.... Bient?t la plus affreuse r?alit? ne lui permit plus de douter de tout son malheur. En approchant le canot, les matelots mont?s dans les haubans se turent, et la d?solation peinte dans leurs regards apprit assez au capitaine ce qu'il n'avait d?j? que trop redout?....

De larges taches de sang furent les seuls indices que l'on put retrouver sur le plabord et les bancs du canot, autour duquel r?daient encore d'?pouvantables requins!...

Personne, dans ce moment si fatal, n'osa proposer de reprendre l'embarcation ? bord: les forces de tout l'?quipage y auraient ? peine suffi. Et d'ailleurs, quel spectacle la vue de ce canot n'aurait-elle pas sans cesse pr?sent? au p?re qui venait de perdre son fils d'une mani?re si funeste, et aux matelots qui pleuraient ceux de leurs camarades morts avec le jeune officier qui la veille s'?tait si g?n?reusement immol? au salut commun!...

Certes, il ne fallait rien moins que l'apparence singuli?re de ce nouveau camarade de route pour arracher le capitaine anglais aux sombres r?flexions dans lesquelles il se trouvait absorb? depuis quelques heures.

Jamais navire d'un aspect aussi sombre et aussi ?trange ne s'?tait offert encore ? ses regards, depuis le temps o? pour la premi?re fois il avait parcouru les mers.

Deux ou trois fois d?j?, le capitaine anglais, cach? derri?re le bastingage de l'arri?re, avait dirig? sa longue-vue sur l'homme assis sur le d?me, pour t?cher de le reconna?tre ou de l'examiner sans pouvoir ?tre accus? de manquer aux ?gards que se doivent les capitaines entre eux.

Fatigu? enfin de l'obstination que ce brick myst?rieux paraissait mettre ? le suivre ou ? l'escorter, le capitaine anglais se d?cida ? provoquer quelques explications sur une manoeuvre aussi ?trange et une intention aussi ?vidente.

Mont? sur sa dunette, et le porte-voix ? la main, il se dispose ? interroger celui qu'il suppose ?tre le capitaine du navire qui court si pr?s de lui.

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