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Munafa ebook

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Read Ebook: Dramaturgiai dolgozatok (2. kötet 1864-1881) by Gyulai P L

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Ebook has 344 lines and 100521 words, and 7 pages

M?MOIRES

POUR SERVIR A

L'HISTOIRE DE MON TEMPS

PAR

M. GUIZOT

TOME SEPTI?ME

PARIS MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES ?DITEURS RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15 ? LA LIBRAIRIE NOUVELLE

?LECTIONS DE 1842.--MORT DE M. LE DUC D'ORL?ANS. LOI DE R?GENCE .

M. Royer-Collard et le g?n?ral Foy.--Par quels motifs je me suis appliqu? ? garder toute l'ind?pendance de ma pens?e et de ma conduite en pr?sence des sentiments et des d?sirs populaires.--Mes entretiens avec le comte Sim?on et M. Jouffroy peu avant leur mort.--Leur opinion sur notre politique.--Caract?re et r?sultats des ?lections de la Chambre des d?put?s en juillet 1842.--Mort de M. le duc d'Orl?ans.--Ma correspondance diplomatique apr?s sa mort.--Attitude des gouvernements europ?ens.--Conversation du prince de Metternich avec le comte de Flahault.--Obs?ques de M. le duc d'Orl?ans ? Paris et ? Dreux.--Pr?paration et pr?sentation du projet de loi sur la r?gence.--Discussion de ce projet dans les deux Chambres.--Le duc de Broglie, M. Dupin, M. Thiers, M. de Lamartine, M. Berryer et moi.--Sollicitude du roi Louis-Philippe.--Adoption du projet.--M. le duc d'Orl?ans et son caract?re.--Cons?quences de sa mort.

M. Royer-Collard voyait un jour le g?n?ral Foy pensif et un peu triste apr?s un discours excellent qui n'avait pas obtenu un succ?s aussi populaire ni aussi prompt qu'il l'e?t souhait?: <>

M. Royer-Collard parlait en connaisseur plut?t qu'en acteur politique; il ?tait homme de m?ditation plus que d'action, et il tenait plus ? manifester fi?rement sa pens?e qu'? faire pr?valoir sa volont?. Le g?n?ral Foy avait une ambition plus pratique et plus compliqu?e; il voulait r?ussir dans les ?v?nements comme dans les esprits, dans la foule comme parmi les connaisseurs. C'est, de nos jours, la difficult? et l'honneur du gouvernement libre que les hommes publics aient besoin de ce double succ?s. Pendant bien des si?cles, ils n'ont eu gu?re ? se pr?occuper des spectateurs ni des penseurs: soit qu'ils ne recherchassent que leur propre fortune, soit qu'ils eussent ? coeur de servir les int?r?ts du prince et du pays, ils poursuivaient leur but selon leurs propres id?es, sans avoir incessamment affaire ? de hardis publicistes, ? d'exigeants critiques et ? tout un peuple pr?sent ? toutes leurs paroles et ? tous leurs actes. Il fallait sans doute qu'en d?finitive ils triomphassent de leurs adversaires et qu'ils r?ussissent dans ce qu'ils avaient entrepris; mais ils n'?taient pas tenus d'?tre, ? chaque pas, compris et accept?s ? tous les degr?s de l'?chelle sociale. Ils sont maintenant soumis ? cette rude condition; ils font les affaires et ils vivent sous les yeux d'une soci?t? tout enti?re attentive, pleine ? la fois de doctes et d'ignorants, tous raisonneurs et curieux, tous en mesure de manifester et de soutenir leurs int?r?ts, l?gitimes ou ill?gitimes, leurs id?es justes ou fausses. Entre toutes ces influences et toutes ces exigences, tant?t de la foule, tant?t des connaisseurs, M. Royer-Collard, qui ne leur demandait rien, pouvait librement choisir; mais le g?n?ral Foy, qui aspirait au pouvoir pour son parti et pour lui-m?me, ne pouvait se dispenser de compter avec toutes et de leur faire ? toutes leur part. Il y e?t ?t? encore bien plus oblig? si une mort pr?matur?e ne l'e?t arr?t? dans sa carri?re, et si, apr?s la r?volution de 1830, il e?t ?t? appel? en effet ? gouverner.

On m'a souvent reproch? de ne pas tenir assez de compte des sentiments et des d?sirs populaires. On ne sait pas combien, m?me avant de le subir, je me suis pr?occup? de ce reproche. Je suis plus enclin qu'on ne pense au d?sir de plaire, ? l'esprit de conciliation, et je connais tout le prix comme tout le charme de cette sympathie g?n?rale qu'on appelle la popularit?: <> Il est vrai que j'ai souvent c?d? ? mes amis, autant par laisser-aller que par n?cessit?, et quelquefois avec regret. Plus d'une fois aussi, j'aurais volontiers c?d? ? mes adversaires; je n'ai jamais, quoi qu'on en ait dit, poursuivi dans le gouvernement l'application et le triomphe d'une th?orie; jamais non plus aucun sentiment violent envers les personnes ne m'a fait repousser les transactions et les concessions qui sont partout inh?rentes au succ?s et au progr?s. C'est par une tout autre cause et dans une tout autre disposition que j'ai souvent et obstin?ment r?sist? aux instincts populaires. Avant d'entrer dans la vie publique, j'ai assist? ? la R?volution et ? l'Empire; j'ai vu, aussi clair que le jour, leurs fautes et leurs d?sastres d?river de leurs entra?nements, tant?t des entra?nements de l'esprit, tant?t des entra?nements de la force; la R?volution s'est livr?e au torrent des innovations, l'Empire au torrent des conqu?tes. Ni ? l'un ni ? l'autre de ces r?gimes les avertissements n'ont manqu?; ni pour l'un, ni pour l'autre, la bonne politique n'a ?t? un secret tardivement d?couvert; elle leur a ?t? bien des fois indiqu?e et conseill?e, tant?t par les ?v?nements, tant?t par les sages du temps; ils n'ont voulu l'accepter ni l'un ni l'autre; la R?volution a v?cu sous le joug des passions populaires, l'empereur Napol?on sous le joug de ses propres passions. Il en a co?t? ? la R?volution les libert?s qu'elle avait proclam?es, ? l'Empire les conqu?tes qu'il avait faites, et ? la France des douleurs et des sacrifices immenses. J'ai port? dans la vie publique le constant souvenir de ces deux grands exemples, et la r?solution, instinctive encore plus que pr?m?dit?e, de rechercher en toute occasion la bonne politique, la politique conforme aux int?r?ts comme aux droits du pays, et de m'y tenir en repoussant tout autre joug. Quiconque ne conserve pas, dans son jugement et dans sa conduite, assez d'ind?pendance pour voir ce que sont les choses en elles-m?mes, et ce qu'elles conseillent ou commandent, en dehors des pr?jug?s et des passions des hommes, n'est pas digne ni capable de gouverner. Le r?gime repr?sentatif rend, il est vrai, cette ind?pendance d'esprit et d'action infiniment plus difficile pour les gouvernants, car il a pr?cis?ment pour objet d'assurer aux gouvern?s, ? leurs id?es et ? leurs sentiments comme ? leurs int?r?ts, une large part d'influence dans le gouvernement; mais la difficult? ne supprime pas la n?cessit?, et les institutions qui procurent l'intervention du pays dans ses affaires lui en garantiraient bien peu la bonne gestion si elles r?duisaient les hommes qui en sont charg?s au r?le d'agents dociles des id?es et des volont?s populaires. La t?che du gouvernement est si grande qu'elle exige quelque grandeur dans ceux qui en portent le poids, et plus les peuples sont libres, plus leurs chefs ont besoin d'avoir aussi l'esprit libre et le coeur fier. Qu'ils aient ? justifier incessamment l'usage qu'ils font de leur libert? dans leur pouvoir et qu'ils en r?pondent, rien de plus juste, ni de plus n?cessaire; mais la responsabilit? suppose pr?cis?ment la libert?, et quand Th?mistocle disait ? Eurybiade irrit? de sa r?sistance: <> il tenait la conduite et le langage que doit tenir, dans un pays libre, tout homme digne de le servir.

C'est l? le sentiment qui m'a constamment anim? dans le cours de ma vie publique. Et non pas moi seul, mais aussi le prince que j'ai servi et les amis politiques qui m'ont soutenu. Le roi Louis-Philippe avait acquis, dans sa vie compliqu?e et aventureuse, un esprit remarquablement libre en gardant un coeur sinc?rement patriote. Imbu, d?s sa jeunesse, des id?es g?n?rales de son temps, il les avait vues ? l'?preuve des faits, et les avait mesur?es sans les abandonner. Il restait fid?le ? leur cause en les jugeant; et quoiqu'il m?nage?t, et m?me qu'il partage?t trop complaisamment quelquefois les impressions populaires, il d?m?lait avec un ferme bon sens l'int?r?t vrai du pays, et il en faisait la r?gle de sa politique, doutant souvent du succ?s et regrettant la popularit?, mais bien r?solu ? la sacrifier plut?t que d'ob?ir ? ses entra?nements. Avec moins de finesse et autant de constance, le parti qui, depuis le minist?re de M. Casimir P?rier, s'?tait form? autour du gouvernement et lui pr?tait dans les Chambres son appui, avait les m?mes instincts de sagesse et d'ind?pendance dans la conduite des affaires publiques, et luttait honn?tement contre certains penchants du pays, quoique enclin souvent ? les partager. C'est un lieu commun sans cesse r?p?t? de ne voir, dans la conduite des hommes, grands ou petits, que l'empire de leurs int?r?ts, ou de leurs passions ?go?stes, ou de leurs faiblesses, et j'ai trop v?cu pour ne pas savoir que la part de ces mobiles est grande dans les vies humaines; mais il n'est pas vrai qu'ils soient les seuls, ni m?me toujours les plus puissants; et il y a aussi peu d'intelligence que d'?quit? ? ne pas reconna?tre qu'en r?sistant aux penchants populaires, en m?me temps qu'ils respectaient scrupuleusement les libert?s publiques, le roi Louis-Philippe, ses conseillers et leurs amis faisaient acte de probit? politique comme de pr?voyance, bien loin d'ob?ir ? de subalternes dispositions ou ? de vulgaires int?r?ts.

J'?tais, pour mon compte, profond?ment convaincu de la valeur g?n?rale comme de l'utilit? imm?diate de cette politique; et quoiqu'elle n'e?t pas toujours, dans ses divers organes, toute la dignit? d'attitude ni toute l'harmonie que je lui aurais souhait?es, je la pratiquais avec une enti?re sympathie. Mais j'?tais loin de me dissimuler ses difficult?s et ses p?rils: pendant les sessions de 1841 et 1842, j'avais eu ? lutter, dans la question d'?gypte contre les souvenirs et les go?ts belliqueux du pays, dans celle du droit de visite contre les susceptibilit?s et les jalousies nationales; je voyais poindre d'autres questions qui ne seraient pas moins d?licates, ni moins propres ? susciter des ?motions populaires auxquelles il faudrait r?sister. Nous touchions ? la dissolution oblig?e et ? l'?lection g?n?rale de la Chambre des d?put?s. Je me pr?occupais vivement de cette ?preuve, et tout en persistant sans h?sitation dans notre politique, je sentais le besoin de m'assurer que nous n'abondions pas trop dans notre propre sens. J'avais, ? cette ?poque, deux amis sinc?res sans ?tre intimes, l'un, jurisconsulte et administrateur ?minent par la rectitude et le calme de la raison, l'autre, philosophe et moraliste d'un esprit aussi ?lev? que fin, et d'un caract?re ind?pendant jusqu'? la fiert? ombrageuse; ils si?geaient, l'un dans la Chambre des pairs, l'autre dans la Chambre des d?put?s; et tous deux pr?s de succomber, le comte Sim?on sous le poids de l'?ge et M. Jouffroy sous les atteintes de la maladie, ils ?taient en dehors de l'ar?ne et assistaient ? ces luttes avec l'impartialit? et la clairvoyance de l'entier d?sint?ressement. J'allai plusieurs fois les voir et m'entretenir avec eux de notre situation: tous deux, avec des impressions tr?s-diff?rentes, nous approuvaient pleinement: <> Je trouvai M. Jouffroy dans une disposition morale dont je fus ?mu: <> Son opinion avait, apr?s nos derniers d?bats, beaucoup de valeur; il avait ?t?, en 1839, ? la Chambre des d?put?s, rapporteur de la question d'?gypte et favorable ? la politique ?gyptienne: <>

Ils ?taient morts l'un et l'autre quand la session de 1842 arriva ? son terme; mais leur adh?sion me confirma dans une confiance ? laquelle, m?me dans mes sollicitudes d'avenir, j'?tais d'ailleurs dispos?.

Quand la Chambre se r?unit et proc?da ? la v?rification des pouvoirs de ses membres, l'administration fut, comme ? l'ordinaire, accus?e de corruption ?lectorale; mais, apr?s de longs et minutieux d?bats qui mirent en pleine ?vidence la loyaut? et la l?galit? g?n?rale des actes du cabinet, trois ?lections seulement parurent offrir des sympt?mes de manoeuvres locales ill?gitimes, soit menaces, soit promesses; une commission d'enqu?te, propos?e par M. Odilon Barrot, fut charg?e d'examiner les faits, et apr?s de scrupuleuses recherches, la Chambre, sur le rapport de sa commission, annula deux de ces trois ?lections, et l'une des deux appartenait ? un d?put? de l'opposition.

J'avais ? coeur que, dans une si grave ?preuve, nos agents au dehors fussent bien instruits et p?n?tr?s des sentiments intimes du gouvernement et du pays qu'ils repr?sentaient. Je leur r?crivis le 25 juillet, la veille de la r?union des Chambres: <

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Mort de M. le Duc d'Orl?ans . 15 adopt? dans le conseil. Il est fort simple: c'est l'application ? la r?gence des principes essentiels de notre royaut? constitutionnelle, l'h?r?dit?, la loi salique, l'unit? du pouvoir royal, l'inviolabilit?. La garde et la tutelle du roi mineur sont confi?es ? sa m?re ou ? sa grand'm?re. Le projet n'a point la pr?tention de pr?voir et de r?gler toutes les hypoth?ses imaginables, toutes les chances possibles; il r?sout les questions et pourvoit aux n?cessit?s que les circonstances nous imposent.

<

Mardi, 26 juillet, 3 heures.

<>

En Europe aussi l'impression fut vive. Vraiment sympathique et g?n?rale en Angleterre, o? sir Robert Peel s'en fit l'?loquent organe: <> En Allemagne, dans son voyage ? Berlin et ? Vienne, M. le duc d'Orl?ans, par l'agr?ment de sa personne et les qualit?s de son esprit, avait surmont? des pr?ventions peu bienveillantes et laiss? un souvenir populaire; mais les grandes cours du continent, et la plupart des petites, ? leur exemple, n'avaient pas cess? d'avoir peu de go?t pour le roi Louis-Philippe et pour tout l'?tablissement de 1830, r?gime lib?ral issu d'une r?volution; on se plaisait ? lui t?moigner des froideurs frivoles, ? ?num?rer ses embarras, ? douter de son succ?s; seulement, quand l'inqui?tude sur sa solidit? devenait un peu s?rieuse, elle ramenait la justice et le bon sens, et l'on s'empressait alors ? lui donner des marques d'un prudent int?r?t. D?s qu'ils apprirent la mort de M. le duc d'Orl?ans, l'empereur d'Autriche, le roi de Prusse, tous les souverains de l'Europe adress?rent au roi son p?re leurs lettres autographes de condol?ance, quelques-unes sinc?rement ?mues. L'empereur Nicolas seul, malgr? les tentatives de ses principaux conseillers et le d?sir marqu? de la soci?t? de Saint-P?tersbourg, persista dans son silence personnel, tout en s'empressant, avec quelque ?talage, de prendre imm?diatement le deuil, de contremander un bal de cour, et de faire ?crire ? M. de Kisseleff, par le comte de Nesselrode, une d?p?che qui me fut communiqu?e, et dans laquelle la sympathie du p?re, chaudement exprim?e, essayait de couvrir l'hostilit? obstin?e du souverain. A Vienne, le prince de Metternich, plus libre que le comte de Nesselrode ? Saint-P?tersbourg, ne se borna pas ? des t?moignages officiels; il se complaisait dans la manifestation de ses id?es et m?lait habilement l'abandon ? la pr?m?ditation: <>

Je rouvre des tombeaux; je r?veille ceux qui y reposent; je les fais penser et parler comme s'ils ?taient encore vivants et pr?sents, avec leurs travaux, leurs desseins, leurs craintes et leurs esp?rances. Rien de tout cela n'est plus; ils sont tous morts. Morts, comme le duc d'Orl?ans, d'une chute violente et soudaine, le prince de Metternich dans l'Autriche si longtemps immobile, aussi bien que le roi Louis-Philippe dans la France r?volutionnaire. Pendant qu'apr?s la catastrophe de 1848, nous ?tions ensemble ? Londres, je dis un jour au prince de Metternich: <> Il me r?pondit avec un sourire tristement superbe: <> A mon tour, je souris, dans mon ?me, de son orgueilleuse et bien vaine explication.

Le 30 juillet, quatre jours apr?s la r?union des Chambres, le cercueil du duc d'Orl?ans fut transport? de la chapelle de Neuilly dans l'?glise de Notre-Dame o? ses obs?ques furent c?l?br?es avec toutes les pompes que le monde peut fournir ? la mort, pompe religieuse, pompe civile, pompe militaire, pompe populaire. Le concours ?tait immense et l'?motion aussi profonde que peut l'admettre un spectacle. J'ai pris part aux deux plus grandes solennit?s fun?bres de mon temps et de bien des temps, les obs?ques de l'empereur Napol?on et celles du duc d'Orl?ans, accomplies l'une sous l'empire des souvenirs, l'autre dans le m?compte des esp?rances. Dans ces deux journ?es et devant ces deux cercueils, les sentiments ?taient, ? coup s?r, tr?s-divers et tr?s-diversement manifest?s: en d?cembre 1840, autour du cercueil de Napol?on, il y avait plus de curiosit? que de tristesse, et les passions politiques essayaient, par moments, de faire du bruit; en juillet 1842, un regret inquiet et un silence universel r?gnaient autour du cercueil du duc d'Orl?ans. Pourtant, dans les deux circonstances, et au-dessus de ces impressions si diff?rentes, un m?me sentiment s'?levait et dominait au sein de ces vastes foules, le respect instinctif de la grandeur et de la mort. Le coeur humain est naturellement g?n?reux et sympathique. C'est dommage que ses beaux ?lans soient si courts.

Cinq jours apr?s les pompes de Notre-Dame, le 4 ao?t, une c?r?monie moins ?clatante s'accomplit au sein d'une douleur plus intime et plus longue: les obs?ques de famille succ?d?rent aux obs?ques d'?tat. La profanation des tombes royales de Saint-Denis avait laiss? dans l'?me du roi Louis-Philippe une horreur profonde; il ne supportait pas la pens?e que les restes mortels de sa femme, de ses enfants, de sa soeur, de tous les siens, courussent la chance de telles indignit?s. Il ne voulut pas que sa race all?t rejoindre, dans les caveaux o? ils les avaient subies, ses royaux anc?tres, et au lieu de l'?glise de Saint-Denis, il adopta, pour la s?pulture de la maison d'Orl?ans, la chapelle que, sous l'empire du m?me sentiment, la duchesse d'Orl?ans, sa m?re, avait fait construire ? Dreux, sur les ruines du vieux ch?teau des comtes de Dreux, dans les anciens domaines du bon et populaire duc de Penthi?vre. Ce fut l? que, dans le caveau o? le cercueil du duc d'Orl?ans prit sa derni?re demeure, le roi vint dire au prince, son fils, un dernier adieu, et que la reine, recueillie dans sa pieuse ferveur maternelle, adressa ? Dieu, pour l'?me de son premier-n?, des pri?res qui durent encore.

Au retour de Dreux, et dans l'int?rieur de la famille royale, un changement fut remarqu? dans la physionomie et l'attitude de la reine; la douleur y restait empreinte, mais toute agitation, toute pr?occupation exclusive avaient cess?; une r?signation pieuse avait remplac? l'amertume des regrets; cette grande ?me semblait se reporter tout enti?re sur les affections et les devoirs qui lui restaient: <>

Pendant que toutes ces c?r?monies fun?bres s'accomplissaient, couvrant de leurs pompes les douleurs et les inqui?tudes paternelles et publiques, au milieu de cette situation si grave, nous ?tions en pr?sence d'une question aussi grave que la situation: quelle serait la r?gence pendant la minorit? de l'h?ritier du tr?ne? Ni en 1814, ni en 1830, la Charte n'avait r?solu cette question qui s'?levait tout ? coup, en 1842, enti?re et pressante. C'?tait pour le pays un int?r?t supr?me, et pour les conseillers de la couronne, un devoir imp?rieux de la vider sans r?serve, sans d?lai: <>

Pour faire ce que n'avait pas fait la Charte, nous avions ? nous prononcer entre divers syst?mes, tous empress?s ? se manifester et ? r?clamer le droit de devenir loi. Selon les uns, ce n'?tait pas aux Chambres, c'?tait ? la nation elle-m?me ? faire cette loi; au pouvoir constituant seul, et ? une assembl?e formellement investie de ce pouvoir, il appartenait de r?soudre une telle question et d'?lire cette royaut? temporaire. D'autres, en repoussant le pouvoir constituant, voulaient que la r?gence f?t, dans chaque occasion, ?lective et institu?e par les pouvoirs parlementaires, en vertu d'une loi sp?ciale. D'autres, en admettant le principe de la r?gence ?lective, demandaient que la r?gence des femmes f?t aussi admise en principe, et qu'en particulier madame la duchesse d'Orl?ans en f?t investie, pendant la minorit? du prince son fils. Et chacun de ces syst?mes invoquait ? l'appui de sa pr?tention, non-seulement des principes g?n?raux, mais des faits puis?s soit dans notre propre histoire, soit dans l'histoire des nations civilis?es, et des consid?rations de circonstance suscit?es par les int?r?ts actuels du pays et du gouvernement qu'il avait ? coeur de fonder.

La question que nous avions ? r?soudre ?tait en effet une question de circonstance bien plus que de principe; elle ne nous donnait ? appliquer ou ? m?nager aucune de ces grandes v?rit?s morales, aucun de ces droits pr?existants qui r?glent, mais aussi qui compliquent la marche d'un pouvoir honn?te et sens?. Entre les divers syst?mes en pr?sence, la raison politique, c'est-?-dire l'int?r?t bien entendu du pays et la juste pr?voyance de l'avenir, devait seule nous d?cider. Pour agir avec cette forte ind?pendance nous ?tions dans une situation favorable: nous n'avions pas, comme le parlement d'Angleterre en 1788 et 1810, une r?gence imm?diate ? instituer pour remplacer un roi fou et hors d'?tat d'exercer ses fonctions; point de trouble, point de lacune chez nous au sommet de l'?tat; les trois grands pouvoirs constitutionnels, la royaut? et les deux Chambres ?taient parfaitement sains et actifs, assur?s d'un loyal concours mutuel, et c'?tait ? l'avenir seul, et probablement ? un avenir assez ?loign?, qu'ils avaient ? pourvoir. Les deux principaux syst?mes entre lesquels nous avions ? d?lib?rer avaient l'un et l'autre de dignes et rassurants repr?sentants. M. le duc de Nemours, ? qui devait appartenir la r?gence masculine si ce principe pr?valait, ?tait un prince exempt de toute mauvaise ambition, profond?ment d?vou? ? son fr?re a?n? et ? ses neveux: <> et les Chambres, comme le pays tout entier, pouvaient avoir dans ce prince la m?me confiance que la famille royale, car il ?tait aussi attach? au r?gime constitutionnel qu'? ses devoirs envers sa race, aussi plein de respect pour les lois de sa patrie que pour les droits de ses neveux. D'autre part, si la r?gence f?minine ?tait admise, madame la duchesse d'Orl?ans donnait ? la France, ? ses libert?s comme ? son honneur national, toutes les garanties qu'on peut attendre d'une intelligence ?lev?e et d'une ?me droite et grande. Il ne nous venait donc, des personnes m?mes, aucun embarras, aucune inqui?tude; nous pouvions choisir entre les syst?mes avec pleine s?curit? dans les m?rites et les vertus de leurs repr?sentants.

Ce fut dans cet affranchissement de toute f?cheuse pression, dans cette enti?re libert? de r?solution comme de pens?e et en vue du seul bien futur de l'?tat que fut pr?par? le projet de loi pr?sent? le 9 ao?t 1842 ? la Chambre des d?put?s. Il ?tait simple et en parfaite harmonie avec les principes fondamentaux de nos institutions. Notre gouvernement ?tait monarchique; la r?gence fut monarchique aussi, ?tablie d'apr?s une r?gle fixe et g?n?rale qui statuait d'avance. La loi salique ?tait la loi permanente, moderne aussi bien qu'ancienne, de la monarchie fran?aise; elle fut aussi la loi de la r?gence; le prince le plus proche du tr?ne dans l'ordre de succession en fut investi de droit; mais la garde et la tutelle du roi mineur furent r?serv?es ? sa m?re; au r?gent l'administration de l'?tat, sous la responsabilit? de ses ministres; ? la m?re, sous sa propre responsabilit? morale, l'?ducation du roi, le soin de sa personne, la direction de sa maison et de ses affaires domestiques. La r?gence ?lective et la r?gence f?minine ainsi ?cart?es, la r?gence devenait selon la loi ce qu'elle ?tait en fait, une royaut? temporaire, form?e ? l'image de la royaut? v?ritable dont elle remplissait momentan?ment les fonctions, investie de tous les pouvoirs royaux, et en m?me temps soumise ? toutes les conditions de libert? publique, de contr?le et de concours parlementaire institu?es par le r?gime constitutionnel.

M. Berryer seul pouvait, dans cette circonstance comme dans tant d'autres, suffire ? la situation de son parti et ? la sienne propre. Ce n'est pas seulement par l'?l?vation et la souplesse de son esprit, par l'entra?nement et le charme de son ?loquence qu'il a si longtemps surmont? les insurmontables difficult?s d'un r?le couvert et extra-l?gal dans un r?gime de l?galit?, de publicit? et de libert?. Il puise ? d'autres sources encore sa populaire puissance. Quoiqu'il ait v?cu en homme de parti, M. Berryer sent en patriote; il n'est ?tranger ? aucun des instincts, ? aucune des ?motions et des aspirations de son pays; non-seulement il comprend, mais il partage les joies et les tristesses nationales; il a soutenu les droits et les traditions des temps anciens, et il est, autant que personne, homme du temps actuel et attach? aux droits que les g?n?rations modernes ont conquis; il a combattu le gouvernement le plus libre qu'ait jamais poss?d? la France, et il aime, il veut sinc?rement la libert?. Nature large, prompte, facile et sympathique, il peut concilier dans son ?me des sentiments tr?s-divers, et conserver, ? travers toutes les vicissitudes politiques, l'unit? de sa vie et la fid?lit? ? sa cause, sans jamais inspirer, aux adversaires qu'il combat le plus vivement, des col?res et des haines qu'il ne ressent pas lui-m?me envers eux. Il fit valoir, contre le projet de loi sur la r?gence, tant?t les exemples des r?gences f?minines, sinon heureuses, du moins glorieuses, de notre histoire, tant?t les actes des anciens parlements exer?ant, sur de telles questions, un contr?le plus bruyant qu'efficace, soit qu'ils vinssent soutenir ou invalider les testaments des rois. M. Berryer fut, dans ce d?bat, plus ing?nieux qu'incisif et plus brillant qu'ardent, ne se pronon?ant cat?goriquement ni pour la r?gence f?minine, ni pour la r?gence ?lective, et uniquement appliqu? ? aggraver, en les mettant en lumi?re, les embarras et les incons?quences apparentes du r?gime qu'il attaquait tout en s'y soumettant. M. Villemain le r?futa aussi solidement que spirituellement, tant?t en r?tablissant dans leur exacte et compl?te v?rit? les faits historiques dont M. Berryer n'avait rappel? que les c?t?s favorables ? sa th?se, tant?t en faisant ressortir ? son tour les incons?quences et les embarras du parti l?gitimiste et de son ?loquent interpr?te. Dans la Chambre des pairs, le marquis de Br?z? reproduisit, avec plus d'amertume et moins d'?clat, les arguments de M. Berryer contre le projet de loi, et ce fut encore M. Villemain qui lui r?pliqua avec la m?me sagacit? ? la fois courtoise et poignante.

La r?gence ?lective conf?r?e, dans chaque occasion, par les Chambres, au lieu de la r?gence de droit institu?e d'avance par la loi, ?tait plus difficile ? combattre. Tout le monde reconnaissait que la r?gence ?tait une royaut? temporaire, appel?e, pendant la minorit? de l'h?ritier du tr?ne, ? tenir lieu de la royaut? v?ritable, et qui devait, sous les conditions constitutionnelles, en exercer tous les pouvoirs. Quelle tentation, pour une assembl?e politique, que d'avoir, au sein de la monarchie h?r?ditaire, un roi temporaire ? ?lire! M. Odilon Barrot, qui soutint avec une ?loquence aussi consciencieuse que sp?cieuse, le syst?me de la r?gence ?lective, sentait le p?ril d'une telle situation et essayait d'y ?chapper en disant: <> M. Odilon Barrot oubliait que, dans la plupart des cas de minorit?, le concours des trois pouvoirs de l'?tat serait impossible, car ce serait apr?s la mort du roi qu'?claterait la n?cessit? de choisir un r?gent. Tout roi r?gnant serait-il l?galement tenu de voter d'avance, par un testament, dans cette question? S'il l'avait fait, quelle serait, lui mort, l'autorit? de son acte? Et s'il ne l'avait pas fait, s'il n'avait pris ? cet ?gard aucune initiative, les Chambres n'auraient-elles pas seules ? d?cider, et o? serait alors le concours r?gulier des trois pouvoirs de l'?tat? M. Dupin, rapporteur du projet de loi au nom d'une commission unanime, avait r?pondu d'avance ? M. Odilon Barrot en indiquant, avec une bri?vet? simple et forte, la raison fondamentale de la r?gence de droit. M. Hippolyte Passy, qui appuya sans r?serve le projet, fit spirituellement ressortir, par les exemples de l'histoire comme par les pr?somptions de la raison, combien les inconv?nients de la r?gence ?lective seraient graves, soit pour le r?gent ?lu, soit pour les Chambres elles-m?mes, foyer et ar?ne des partis politiques; et le duc de Broglie, en faisant ? la Chambre des pairs le rapport du projet de loi, tra?a, des cons?quences naturelles de ce syst?me, un tableau frappant: <>

Ces arguments, ces justes pressentiments ramenaient ? la r?gence de droit les esprits d'abord incertains; c'?tait le voeu g?n?ral de la Chambre de donner ? la monarchie, dans cette douloureuse ?preuve, une ?clatante adh?sion et un ferme appui. Je n'avais pas de doute sur l'adoption d?finitive du projet de loi. Cependant la Chambre restait agit?e; deux amendements ?taient propos?s; l'un en faveur de la r?gence f?minine; l'autre demandait qu'on n'attribu?t la r?gence ? l'a?n? des oncles du prince mineur que d'une fa?on sp?ciale et pour le cas actuel, ce qui ?tait, en fait, la r?gence ?lective. Le roi, qui avait cette question fortement ? coeur, la regardant comme capitale pour l'avenir de sa maison et de sa politique, s'inqui?tait de ces dispositions chancelantes et du terme prochain de cette petite session inattendue. Il m'?crivit le vendredi soir, 19 ao?t: <>

C'?tait par accident, non par suite d'aucune petite manoeuvre cach?e que M. Thiers n'avait pas parl? dans la s?ance du 19 ao?t; il prit la parole le lendemain, avec le plus grand et le plus juste succ?s, pour le projet de loi comme pour lui-m?me. Il commen?a par expliquer, avec une ferme franchise, pourquoi, dans cette circonstance, il se s?parait de l'opposition sans en sortir: <>

Il la soutint, en effet, avec cette abondance de vues ? la fois ing?nieuses et pratiques, cette verve naturelle et impr?vue, facile, lucide, rapide, m?me quand elle se r?pand en longs d?veloppements, qui est le propre et original caract?re de son talent. Il agit puissamment sur les esprits, persuada les incertains, raffermit les chancelants, et donna ? ceux qui ?taient d?j? d?cid?s le plaisir d'avoir confiance dans leur opinion et dans son succ?s. M. Dupin termina le d?bat par un r?sum? pr?cis et ferme. Les deux amendements, pour la r?gence f?minine et pour la r?gence ?lective, furent rejet?s sans qu'on e?t m?me besoin d'aller au scrutin, et le projet de loi fut adopt? dans cette m?me s?ance, par 310 suffrages sur 404 votants. Pr?sent? le surlendemain ? la Chambre des pairs, il y fut ?galement adopt?, sur le rapport du duc de Broglie, par 163 suffrages sur 177 votants.

Le but ?tait atteint; la question de la r?gence avait re?u la solution la plus monarchique et la mieux appropri?e ? l'int?r?t du pays comme de la royaut?. Mais le coup qu'avait re?u cette royaut? par la mort de M. le duc d'Orl?ans n'?tait pas gu?ri; les lois ne remplacent pas les hommes. M. le duc d'Orl?ans ?tait parfaitement adapt? ? la mission que l'avenir semblait lui r?server; il n'avait ni l'exp?rience consomm?e, ni l'in?puisable richesse d'esprit, ni la profondeur instinctive de jugement du roi son p?re; mais ses qualit?s propres, qui n'auraient peut-?tre pas suffi, en 1830, ? bien appr?cier la situation de la monarchie naissante, ? surmonter ses difficult?s et ? conjurer ses p?rils, convenaient admirablement ? cette monarchie jeune encore, mais d?j? hors de page. Il ?tait jeune lui-m?me, beau, ?l?gant, d'un esprit prompt, net et aussi agr?able que sa personne, de mani?res dignes et princi?res au sein m?me d'une familiarit? ? laquelle il se pr?tait volontiers, sans pourtant s'y abandonner; brave avec gr?ce, ?lan et contagion; fait pour plaire ?galement dans les camps et dans les salons, aux soldats et aux femmes, au peuple et au monde des cours. Il avait, en politique, une vive sympathie pour les instincts nationaux, un chaud d?vouement ? la grandeur de la France, une coquetterie complaisante pour la faveur populaire, quelquefois m?me pour les entra?nements r?volutionnaires; et ces sentiments auraient pu, au premier moment, prendre trop de place dans ses r?solutions et dans sa conduite; mais il ?tait capable de s'arr?ter sur cette pente, d'appr?cier la juste mesure des choses, la vraie valeur des hommes, et d'apporter dans le gouvernement plus de sagacit? froide et de prudence que son attitude et son langage ne l'auraient fait conjecturer. Depuis 1840, il avait fait, dans ce sens, de notables progr?s, et quoiqu'il m?nage?t avec soin l'opposition, son appui s?rieux en m?me temps que r?serv? ne manqua point au cabinet. Ce n'?tait pas un prince ? l'abri des fautes; mais il y aurait touch? plus qu'il n'y serait tomb?, et, s'il y ?tait tomb?, il les aurait, je crois, reconnues ? temps. Il avait ces qualit?s brillantes, confiantes et hardies qui, dans les jours de crise, plaisent aux peuples agit?s et les rallient autour de leur chef. Sa mort laissa, dans la maison royale et dans la France, un vide immense dont le public et les hommes m?me ? qui les dispositions pr?sum?es de ce prince inspiraient quelque sollicitude, eurent, au moment o? l'?v?nement ?clata, un triste et juste pressentiment.

CHAPITRE XL

LES ILES MARQUISES ET TA?TI .

C'est l'un des inconv?nients du gouvernement parlementaire que les ?v?nements et les questions, au moment o? ils apparaissent et tombent dans le domaine de la discussion, grandissent d?mesur?ment et prennent, aux yeux du public, une importance hors de toute proportion avec la v?rit? des choses et les int?r?ts du pays. Je me h?te de dire que je pr?f?re beaucoup ce mal ? la l?g?ret? insouciante et impr?voyante des gouvernements absolus qui soul?vent des questions et font des entreprises ?normes sans se douter de leur gravit?, qu'ils s'efforcent ensuite de dissimuler au public charg? d'en porter le poids. Les difficult?s qui p?sent sur le pouvoir sont moins f?cheuses que les fardeaux qui tombent sur le pays. Cependant il importe beaucoup aux pays libres de savoir qu'ils doivent se m?fier de leurs premi?res impressions et de l'ardent travail de l'opposition ? grossir infiniment, dans le cours des affaires et des discussions publiques, les incidents qui peuvent embarrasser et compromettre le pouvoir. Au premier moment, c'est le pouvoir seul qui souffre de cette aveugle exag?ration des faits et des d?bats; mais elle ne tarde pas ? avoir des cons?quences dont le pays lui-m?me subit le mal. L'affaire qui porte les noms de Ta?ti et de Pritchard est l'un des plus frappants, et l'on peut dire, l'un des plus ridicules exemples de ces mensonges du microscope parlementaire, et des p?rils comme des erreurs o? ils peuvent jeter les nations.

Le 25 septembre 1513, apr?s avoir err?, en aventurier avide de d?couvertes et d'or, au milieu des peuplades de l'Am?rique centrale, l'audacieux Espagnol Vasco Nu?ez de Balboa, de qui ses compagnons disaient qu'il ?tait <> aper?ut pour la premi?re fois, du haut de l'une des montagnes qui traversent l'isthme de Panama, l'oc?an Pacifique et quelques-unes des innombrables ?les sem?es sur son immensit?. A cette vue, Balboa et ses compagnons s'embrass?rent et ?lev?rent, au-dessus d'un amas de roches, une grossi?re croix de bois; puis, ils descendirent sur le rivage, et Balboa, tenant d'une main la banni?re de Castille, de l'autre son ?p?e, fit quelques pas dans les flots, et, aux acclamations de sa petite bande, il prit possession, au nom du roi d'Espagne son ma?tre, de cette mer inconnue et des terres qu'elle baignait. Quel espace et quel avenir ouverts ? l'imagination, ? la cupidit?, ? l'aventure et ? la conqu?te!

L'Europe maritime ne s'empressa gu?re ? exploiter ce nouveau domaine; pendant deux si?cles, ce fut vers les grands continents d'Am?rique et d'Asie, plut?t que vers les archipels de l'oc?an Pacifique, que se port?rent les entreprises des navigateurs et des gouvernements, de la science, du commerce et de l'ambition. Un Portugais au service de l'Espagne, Pedro Fernandez de Queiros, <> dit un chroniqueur, fit presque seul, ? cette ?poque, dans les mers du Sud de hardis voyages et des d?couvertes qui rest?rent longtemps sans r?sultats. C'est seulement vers le milieu du si?cle dernier et dans le n?tre qu'au nom, soit de l'int?r?t politique ou commercial, soit des ?tudes scientifiques, l'oc?an Pacifique, mer et terres, a ?t? fr?quemment et efficacement visit?, parcouru, d?crit, conquis. De 1740 ? 1840, les noms et les r?cits des voyageurs abondent: en Angleterre, Anson, Wallis, Carteret, Byron, Cook, le plus c?l?bre de tous; en France, Bougainville, La P?rouse, d'Entrecasteaux, Baudin, Freycinet, Duperrey, Dumont d'Urville, Dupetit-Thouars, Laplace, courageux et savants marins dont l'Europe enti?re a suivi avec un vif int?r?t les aventures et mis ? profit les travaux. Les ?tablissements coloniaux, commerciaux, p?nitentiaires, ont surgi ? la suite des voyages, et l'Oc?anie est maintenant l'un des grands th??tres o? se d?ploie la civilisation humaine, et vers lesquels se portent les affaires comme la curiosit? du public europ?en.

Le m?me trait? portait: <>

Tel ?tait, en ce moment, ? Ta?ti, l'?tat des esprits, que non-seulement la reine Pomar? et les principaux chefs de l'?le, mais les r?sidents ?trangers, entre autres le consul des ?tats-Unis d'Am?rique et le vice-consul d'Angleterre lui-m?me, M. Wilson, en l'absence de M. Pritchard, adh?r?rent formellement ? ce trait? que l'amiral Dupetit-Thouars s'empressa de leur communiquer: <> Plus r?serv?s dans leur adh?sion, les missionnaires protestants t?moign?rent pourtant la r?signation la plus pacifique; ils ?crivirent, le 21 septembre 1842, ? l'amiral Dupetit-Thouars: <>

C'?tait apr?s de tels r?sultats de leurs travaux, et apr?s quarante ans de domination morale que les missionnaires anglais protestants se voyaient menac?s de perdre, dans Ta?ti, leur pr?pond?rance; c'?tait une foi et une oeuvre ? ce point laborieuses et victorieuses qu'ils pouvaient, qu'ils devaient croire compromises par l'empire naissant d'une autre nation et d'une autre foi. Depuis pr?s de vingt ans, Ta?ti ?tait, entre les missionnaires protestants et les missionnaires catholiques, comme une proie exquise dont ils se disputaient la conqu?te; le 25 juin 1835, le Fr?re Colomban ?crivait ? l'?v?que de Nicopolis: <> A cette jalousie fanatique, plus d'un missionnaire protestant r?pondait par le m?me sentiment; M. Pritchard, entre autres, assurait aux chefs ta?tiens <> Il faudrait ignorer bien compl?tement la nature humaine et l'histoire pour ne pas comprendre l'?motion profonde que, dans un tel ?tat des esprits, le protectorat fran?ais ? Ta?ti devait susciter, non-seulement dans les soci?t?s de missions, mais dans le public d'Angleterre, et le d?plaisir plein d'embarras que le cabinet anglais devait en ressentir.

D?s le lendemain 21 mars, le comte Pelet de la Loz?re t?moigna, dans la Chambre des pairs, quelque inqui?tude pour les missions ?tablies ? Ta?ti et pour les progr?s du christianisme dans cet archipel. Je lui r?pondis imm?diatement: <>

La situation et les intentions du gouvernement du roi ainsi bien d?termin?es, nous pr?mes les mesures n?cessaires pour que l'ex?cution f?t s?rieuse et efficace. D?s le 8 janvier 1843, le capitaine Bruat, officier d'une intelligence et d'une bravoure ?prouv?es, avait ?t? nomm? gouverneur des ?les Marquises; le 17 avril, quand nous e?mes ratifi? le protectorat fran?ais ? Ta?ti, il re?ut le titre de gouverneur des ?tablissements fran?ais dans l'Oc?anie et commissaire du roi aupr?s de la reine Pomar?. Des instructions pr?cises, en r?glant sa conduite et ses relations ? Ta?ti comme aux Marquises, et avec le commandant sup?rieur de notre station navale dans les mers du Sud comme avec les indig?nes, lui assur?rent tout le pouvoir dont il avait besoin, sans d?passer les limites du trait? conclu par l'amiral Dupetit-Thouars le 9 septembre pr?c?dent; et les questions d'outre-mer ainsi r?solues, un projet de loi, pr?sent? le 24 avril ? la Chambre des d?put?s par l'amiral Roussin, alors ministre de la marine, demanda, soit pour les premiers frais en 1843, soit pour les d?penses permanentes des nouveaux ?tablissements fran?ais dans l'Oc?anie, un cr?dit extraordinaire de 5,987,000 francs.

La discussion fut s?rieuse sans ?tre vive. L'opposition, dont M. Billault fut le principal organe, y prit une attitude diff?rente de son attitude ordinaire; au lieu de nous accuser d'une excessive prudence, elle nous trouvait trop entreprenants et trop confiants; elle contestait l'opportunit? de nos ?tablissements dans l'Oc?anie; elle les voulait du moins plus restreints et moins chers. Je rappelai les faits; je montrai comment nous avions ?t? conduits, par l'incident de Ta?ti, ? ?tendre notre entreprise; pour la justifier, je mis en lumi?re, par les faits et les chiffres, l'?tat croissant de notre navigation et de notre commerce dans les mers du Sud; j'insistai sur la n?cessit?, pour la France, de ne pas rester ?trang?re au grand mouvement d'extension politique et commerciale que d'autres nations poursuivaient si activement entre l'Am?rique et l'Asie. La Chambre m'?coutait avec plus de bienveillance que de s?curit?, plut?t int?ress?e que convaincue par la discussion, et admettant la convenance de notre r?solution sans compter beaucoup sur les r?sultats. Quand les questions d'int?r?t mat?riel furent ?puis?es, M. Ag?nor de Gasparin ?leva la question morale, et t?moigna son regret de la protection que le gouvernement annon?ait l'intention d'accorder, dans les ?les de Ta?ti, aux missions catholiques, malgr? la l?gislation ta?tienne qui leur en interdisait l'entr?e; il contesta au protectorat fran?ais le droit d'imposer la libert? religieuse ? un peuple qui n'en voulait pas. Je saisis avec empressement cette occasion d'expliquer nettement, ? ce sujet, nos vues et le principe r?gulateur de notre conduite: <> Une voix s'?cria: <> Je repris ? l'instant: <> Je ne vois pas pourquoi la France, dans les limites et en gardant les mesures que je viens d'indiquer, ne se ferait pas la protectrice de la religion catholique dans le monde; c'est son histoire, sa tradition; elle y est naturellement appel?e; ce qu'elle a toujours fait dans l'int?r?t de sa dignit? comme de sa puissance, je ne vois pas pourquoi elle cesserait de le faire aujourd'hui. Parce que heureusement la libert? religieuse s'est ?tablie en France, parce que catholiques et protestants vivent ici en paix sous la m?me loi, serait-ce une raison pour que la France d?laiss?t ses traditions, son histoire, et cess?t de prot?ger dans le monde la religion de ses p?res? Non, messieurs, non; si la France a introduit chez elle la libert? religieuse, la France la portera partout; pourquoi la France ne ferait-elle pas, dans l'Oc?anie, ce qu'elle fait chez elle, sur son territoire? Ce sera difficile, dit-on; il y aura des complications, des embarras. Messieurs, c'est le m?tier des gouvernements de faire des choses difficiles et de suffire aux complications qui se pr?sentent. Voulez-vous que je vous dise quelle sera la cons?quence de la situation que je d?cris? Elle s'est d?j? pr?sent?e; vous avez d?j? vu, au milieu de vous, des pr?tres catholiques qui avaient v?cu au sein de la libert? religieuse, au milieu des protestants et de toutes les sectes; qu'?taient-ils devenus? Ils ?taient devenus doux, tol?rants, lib?raux; vous les avez vus archev?ques chez vous; M. de Cheverus, archev?que de Bordeaux, s'?tait form? ? cette ?cole. Sous l'empire de nos lois, sous l'empire des faits au milieu desquels se passera leur vie, ce m?me esprit p?n?trera chez les pr?tres qui iront dans l'Oc?anie accomplir leur grande oeuvre. Et la France aura ?t? fid?le ? son pass?; la France aura prot?g? dans le monde la religion catholique sans que la libert? religieuse en ait souffert nulle part; elle y aura gagn? au contraire de nouveaux exemples et de nouveaux serviteurs.>>

La Chambre ne comptait pas beaucoup sur la tol?rance des missionnaires, catholiques ou protestants; sa disposition, quant ? la question religieuse, ?tait un peu inqui?te, comme pour la question mat?rielle; mais il y a, dans les grandes v?rit?s morales, une puissance dont les honn?tes gens ne peuvent se d?fendre, m?me quand ils doutent de leur succ?s, et c'est ? travers les h?sitations et les troubles des hommes qu'elles font leur chemin dans le monde. Domin?es par l'honneur du drapeau fran?ais et par le d?sir de se montrer protectrices ? la fois de la religion et de la libert?, les deux Chambres vot?rent, ? de fortes majorit?s, pour nos nouveaux ?tablissements dans l'Oc?anie, le cr?dit que nous leur demandions.

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