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Munafa ebook

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Read Ebook: Modern literature: a novel Volume 3 (of 3) by Bisset Robert

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Ebook has 213 lines and 43380 words, and 5 pages

GEORGES EEKHOUD

Le Cycle patibulaire

PARIS

SOCI?T? DV MERCVRE DE FRANCE

M DCCC XCVI

Kees Doorik. Kermesses. Les Milices de Saint-Fran?ois. Nouvelles Kermesses. La Nouvelle Carthage. Les Fusill?s de Malines. Au Si?cle de Shakespeare. Mes Communions. Philaster . La Duchesse de Malfi .

IL A ?T? TIR? DE CET OUVRAGE:

LE CYCLE PATIBULAIRE

LE JARDIN

Allons, Monsieur Jules.... Un petit tour de jardin.... Il est dans son beau ? pr?sent.... Fille, ouvre donc la porte ? monsieur... car il a l'air de ne pas savoir le chemin....

Ah! oui, le jardin!

Il s'enfon?ait, oblong et assez vaste, derri?re la maison sans ?tage. On poussait une petite claire-voie peinte en vert qui le s?parait de la cour et emp?chait les poules d'y p?n?trer. Par-dessus la haie vive ?mergeaient le clocher du village et la plus haute croix du cimeti?re. Une gloriette tress?e de liserons, de capucines, d'aristoloches et de pois de senteur, occupait un des angles du fond.

C'est pourtant dans cet enclos rustique, trop r?gulier, ? la fois courtil, jardin et potager, trac? au cordeau, propret et sym?trique jusqu'? la manie, sem? de plantes prolifiques et voyantes, arborant de gros fruits rubiconds et peu d?licats, fleuri de roses perp?tuelles, de dahlias, de tournesols, de pivoines; des carr?s de choux alternant avec des buissons de groseilliers; c'est dans ce jardin vulgaire que vaguent obstin?ment mes souvenirs, ? chaque printemps, quand il fait tr?s doux et que cet air ti?de vous serre tendrement la gorge et vous donne envie de pleurer....

Avec ses l?gumes violets, ses poiriers taill?s en pyramides, ? la fois luisant et haut en couleur, il me faisait l'effet d'un pataud endimanch?, faraud et guind?, cachant sous des ?toffes trop caties et peu co?teuses son grand corps charnu et taill? ? grands coups.

En f?mes-nous souvent le tour, dans tous les sens; l'avons-nous parcouru de toutes fa?ons; me suis-je extasi?, pour flatter ton brave homme de p?re, devant les pu?riles arabesques de buis et d'oeillets nains, devant ces petits chemins en spirale et cette statuette en pl?tre portant sur la t?te un vase de cl?matites,--dis, ma bien-aim?e d'alors, ma plantureuse idole d'autrefois, ma taure b?nigne aux fortes hanches, aux yeux confiants, aux joues frambois?es!...

Si ce jardin d'un mauvais go?t si recherch? et si barbare avait quelque chose de toi, mon fruste animal rose, ? la fois vulgaire et app?tissant!

Les grandes fleurs rondes s'y ?panouissaient glorieusement; roses et girofl?es embaumaient ? outrance; cerises et groseilles y foisonnaient et les abeilles gloutonnes le pillaient sans vergogne.

Jardin radieux et candide! Comme toi, ch?re enfant, il ?clatait d'un rire sonore, que d'aucuns eussent trouv? canaille. Et dans ton corsage de cotonnade, ?treignant ta taille opulente, tu me semblais ces gros boutons de pivoines au moment de s'ouvrir ? l'humidit? de la ros?e fra?che. Qui me d?finira ta beaut? copieuse et tes charmes si bien ordonn?s, jardin ?lu des s?ves? Du jour o? tu connus le jeu d'amour, mon aim?e, tu le jouas avec la conscience que tu apportais ? un beau travail profitable, aux fonctions saines et r?mun?ratrices de la vie rurale.

Autant que toi ce jardin faisait l'orgueil de ton p?re le cabaretier:

--Allons, Monsieur Jules, un petit tour du jardin!...

Et tu m'y pilotais et m'en montrais les m?tamorphoses progressives, ? ma Chair non pareille!

Je m'int?ressais, avec toi, aux v?g?tations les plus discr?dit?es. Charme du temps, atrocement cru, mais point banal, o? fleurissent les pommes de terre! Temps humide, temps de g?sine, temps gros, o? la gl?be transpire et sent la luxure. Oh! je n'oublie pas l'odeur f?tide et pourtant irritante de ces fleurs, ce parfum de racines qui t?tent.... C'est par un jour de pluie chaude de juin que tu te ployais pour me cueillir des fraises et en te relevant ta croupe craquait et ondulait, comme chez une pouliche qui se tr?mousse, et je me penchai, et ton visage fr?la le mien, si ? propos, que, bouche ? bouche, nous confond?mes longtemps nos souffles, ?perdus....

Baiser sain, savoureux, abondant.... Mais si tes l?vres avaient le go?t ambrosiaque de la fraise, elles avaient aussi l'ar?me un peu terreux et suret des fleurs d?daign?es, des fleurs de la pomme de terre.... Parfum de touffeur, d'orage et de sol d?tremp?....

Combien de fois, dans la gloriette, me suis-je promen? autour de toi, avec des haltes fr?quentes, apr?s avoir fait le tour du jardin! Amour reposant et s?r, viriles d?bondes, harmonieuse et pleine r?fection des sens.

Cela devint une habitude.

Jamais de jalousie, de bouderie ou d'humeur. Je te retrouvais toujours secourable et complaisante comme je t'avais laiss?e la veille....

C'est ? peine si au mois des sureaux ou vers la chute des feuilles nos prostrations normales, longues, absolues, sans subterfuges et sans artifices, dignes de la Nature qui n'entend pas malice en ses oeuvres, furent un peu plus violentes, ton rire moins joyeux et ta prunelle plus fi?vreuse!

Une ann?e, une pleine ann?e de totales et copieuses possessions, ma soeur, ma libre et candide ma?tresse!

Pourquoi ne me demandas-tu ni promesses ni gages? Il ne me fallut rien te jurer. Tu t'?tais donn?e comme je t'avais prise, tacitement, apr?s quelques visites, sans pr?ambule apparent, sans que nous ayons parl? de cela.... Je crois m?me que nous parlions de bien autre chose: de la vieille servante du cur?, si bavarde; de ton voisin, le fils du charron, ce rougeaud dont tu te moquais de si bonne foi, ou d'objets moins notables encore, de la voiture du baron d'Armelbrang, qui venait de passer avec un fracas despotique sur la grand'route silencieuse.... Midi. Les mouches p?m?es et moribondes battent des ailes au bord de la vitre. Tu me tends une allumette enflamm?e pour rallumer ma pipe, tu ris de ma maladresse et de ma distraction, je prends tes mains, je les presse, tu ris toujours, mes dents crissent, j'ai froid dans le dos, et comme tu te recules derri?re le comptoir, je te renverse et hume, cueille et m'approprie les irritantes pr?mices de ta jeunesse.

Damnation!... A ce seul souvenir mon sang s'insurge et se cabre comme un coursier de guerre dresse l'oreille ? la fanfare de la charge.... Et ce jour-l?, je revins te voir au cr?puscule.... Et comment se fait-il que rien de ce jour ne me fut indiff?rent, que je revois jusqu'au sarrau bleu de ton polisson de fr?re, qui rentra ce soir, un peu ?m?ch?, son foulard rouge sortant de la poche, et qui crut devoir me distraire on me proposant une partie de billard.... Le brave gar?on!

D'o? vient que je te regrette, ma blonde potel?e, cr?me de femme, fra?che et moelleuse, ferme et tendre, douce ? respirer comme les simples, sapide comme une m?re sauvage mordue ? m?me les buissons, d'une saveur presque fraternelle, aussi caressante au toucher que l'?toffe satin?e des martagons du jardin!

Me faut-il appr?cier seulement aujourd'hui ton amour s?r et reposant, le seul qui ne me laissa ni rancoeur, ni d?boire? Dis, faut-il que ce soit seulement aujourd'hui? Et le sentiment de cet amour qui ne me d?molit point qui m'assouplit et me fortifia m?me comme un massage, qui n'eut rien d'artificiel et de corrodant, se met ? fermenter maintenant dans mon coeur. Ainsi l'anodine et rafra?chissante bi?re blanche du pays devient capiteuse et tra?tresse dans les cruchons de gr?s herm?tiquement clos.

Lorsque je partis pour la ville, tu ne te plaignis m?me pas, fille incomparable. Devant les tiens ta main secoua cordialement la mienne. Demeur?s seuls un instant, ton baiser ne fut ni plus exasp?r? ni moins balsamique que de coutume.... Tu demeuras bonne, rieuse, accorte, comme toujours.

C'?tait pourtant en mai, amie point com?dienne, et le jardin que me vantait ton p?re serait si glorieux cette ann?e et recommencerait avec tant d'exub?rance et de prodigalit? sa carri?re dont nous avions suivi les progr?s avec tant de sympathie l'autre ?t?.... Et tu n'avais point d?m?rit?, tu n'avais point vieilli.

Pas une allusion ? la vie nouvelle qui commen?ait pour moi et aux cons?quences de notre s?paration.... Nous nous quittions bons camarades, comme nous nous ?tions rapproch?s....

Les premiers mois de l'absence, je m'?chappai, de loin en loin, de la ville, pour te faire visite. Heureux, dans mon ?go?sme, de te trouver toujours rose, rieuse et vaillante.

La derni?re fois, c'est d'un air tr?s simple et avec une pudique rougeur bien loyale, nullement affect?e, que tu te levas ? mon entr?e.... J'interrompais ton t?te-?-t?te avec le fils du charron.... Vous ?tiez attabl?s pr?s de la fen?tre.... Assis ? ma place habituelle, le gars me tira gauchement sa casquette.... Et devant ton bon sourire, et devant la fa?on dont tes yeux clairs me d?signaient, pour ton fianc?, le ferme et cr?ne gaillard dont les grosses cuisses et le visage de pleine lune te mettaient en gaiet? autrefois, je fus sur le point d'oublier que rien ne se f?t pass? entre nous, de croire, mon enfant, ? ton innocence, bien entendu ? cette innocence de la chair, dont parlent le cat?chisme et la po?sie surann?e--car pour celle de ton coeur, de ton bon coeur, je n'en ai jamais dout?....

Cela fut si simple, si digne, si d?pourvu de mise en sc?ne et de posture que dans le moment je fus conquis ? la situation nouvelle sans un regret, sans un d?pit, m?me pris de v?n?ration pour l'extraordinaire fille. Je fus m?me de belle humeur, je riais et te racontai, un peu en h?bleur et en gascon des histoires merveilleuses de la grande ville, et le soir, quand ton fr?re rentra, accompagn? du charron membru, je perdis royalement, au billard, deux tourn?es de bi?re blanche, et tu pus croire,--oh! le compl?ment suave de ma chair!--que je te perdais avec autant de r?signation et de s?r?nit? que le reste de l'enjeu....

--Allons, Monsieur Jules, un petit tour de jardin!...

Mais ? pr?sent, rentr? ? la ville, ce n'est plus la m?me chose. C'en est fait de mon beau calme, de mon indiff?rence, de mon d?dain, de mon renoncement. Veux-tu croire, ? succulente fille, amoureuse au rago?t inoubliable, que je souffre ? l'id?e de ton mariage avec ce rustre aux ?treintes victorieuses! Je me le repr?sente ? l'oeuvre, le gaillard exp?ditif. Un voile passe devant mes yeux. Vrai, s'il ?tait ici, je lui chercherais querelle, moi qui l'ai compliment? sinc?rement, moi qui ai mis et sans arri?re-pens?e, alors, vos mains l'une dans l'autre, et qui ai promis d'assister ? la noce....

Pardonne cette d?claration, la premi?re, mais depuis, je commence ? croire que je t'ai aim?e. C'?tait donc de la passion pour de vrai, et non de la bagatelle, du simple plaisir, de l'amusement corps ? corps que nous prenions sous la tonnelle du banal jardin.... Heureusement, positive campagnarde, que tu n'as jamais lu de livres et d'autres b?tises o? des gens, sous pr?texte qu'ils se voient volontiers de pr?s, se lamentent, r?vassent, p?rorent, se rongent le coeur, se boudent, se jalousent au lieu de profiter de l'occasion et du temps, et de s'accoler, et de se m?ler....

D'ailleurs, tu n'y comprendrais rien. C'est la ville qui r?veille et entretient chez nous ces lubies, ces chim?res d'enfant g?t?, ces recherches de midi ? quatorze heures, et qui nous fait regretter,--oh! ne ris pas trop!--comme des tr?sors de bonheur, des p?riodes culminants de b?atitude, des paroxysmes de f?licit?, l'habitude, le passe-temps, le plaisir machinal, le pis-aller d'autrefois....

Tu ne ressasseras pas le pass?, toi, ma placide et simplice compagne des francs jeux, tu ne rumineras point ta vie morte et ne conna?tras jamais les lancinantes nostalgies, ma simple et rose femelle, quand des enfants, beaucoup d'enfants, te seront venus....

--Un tour de jardin, Monsieur Jules....

Pas un d?tail que ma m?moire ne me rab?che. Les plus futiles sont les plus acharn?s. Le revers de la main dont le charron s'essuie le front et rejette en arri?re sa casquette de soie; la couleur saurette de ses bragues rapi?c?es, la camisole rose de la petite, les turquoises de ses boucles d'oreille. Une touffe de pens?es qui expiraient, dans un verre d'eau sur le comptoir. L'odeur de la pipe. L'orteil qui passe par le bas trou? du pacant, mon rival, lorsque, assis en balan?ant les jambes, il a laiss? choir son sabot. Et l'air de petite m?nag?re en perspective, de petite femme qui soignera bien son homme, l'air un peu d?go?t? mais compatissant et prometteur aussi, dont elle a regard? l'orteil du robuste ouvrier. Les bouff?es lourdes qui soufflent du jardin.... Le clapotis de l'eau dans le bac o? elle rince les verres; le glouglou du robinet.... Leurs yeux d'une b?tise si affolante, le claquement de l?vres luron du gaillard, sa fa?on de se caler sur ses hanches et de se cambrer... et l'ostensible app?tence de la fianc?e, devant ce prochain coucheur.

Toutes ces choses, toutes, toutes, bien d'autres encore me suffoquent, compactes et pesantes, et se r?solvent en larmes contre les parois de mon coeur.

Au jardin du cabaret sur la grand'route de Hollande, mes souvenirs butinent comme des abeilles; mais le miel qu'ils en rapportent tourne ? l'amertume.

Et les longs silences, quand tu te penchais sur ta couture avec, pour les scander, cet ?ternel: <>

O ch?re b?te qui me manque!...

Dire que je sais m?me ? pr?sent, ? quel moment tu soupirais! Dire que tout cela est pass?, bien pass?; que tu ne me seras jamais plus ce que tu m'as ?t?, que je vieillirai, que je vieillis....

--Allons, Monsieur Jules, un petit tour de jardin!...

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