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Munafa ebook

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Read Ebook: Nasr'Eddine et son épouse by Mille Pierre

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Ebook has 678 lines and 43815 words, and 14 pages

ll?e, la porte entre-b?ill?e du paradis!

Seulement, il y avait des jours, bien des jours, o? le bon Youssouf-Zia le faisait attendre! On est si bien, dans la chaleur du lit, on a tant de vaillance, parfois, au r?veil! Et tandis qu'il se dulcifiait, Rassim l'Entreprenant se morfondait.

--Allons, dehors, paresseux! Dehors, ? toi qui veux mettre ta pauvre femme sur la paille! disait Djanine impatiente ? son ?poux tr?s patient.

--Lou? soit le R?tributeur! r?pondait Youssouf: il n'y a pas d'autre salepji dans le quartier; donc les amateurs de salep ne m'?chapperont point.

Quand Rassim pouvait entrer, Djanine ?tait oblig?e d'attendre qu'une chaleur bienfaisante lui e?t rendu l'empressement qu'elle souhaitait; et Rassim, g?missant, disait que le froid, bient?t le ferait mourir.

--C'est qu'il n'a pas de concurrent, ce chien de crieur qui est mon mari! r?pondait Djanine. S'il avait un concurrent, il n'en prendrait pas tant ? son aise.

--Eh bien, dit un jour son ami, j'ai une id?e!

Le lendemain, alors que l'aube n'avait m?me pas blanchi les toits, Youssouf r?va qu'il entendait, dans le lointain, un cri singulier. Il en ?tait ? ce moment o? le sommeil, n'?tant plus une accablante n?cessit?, devient un voluptueux plaisir; et voil? que ce plaisir se changeait en cauchemar. Le bruit se rapprochait; oui, quelqu'un, dans la rue, criait, quelqu'un clamait de toute sa voix:

--Salep, salep! Salepji, salep!

Djanine r?veilla tout ? fait son ?poux.

--?coute, vaurien, ?coute! Tu as un concurrent, ? cette heure, un concurrent qui s'est lev? avant toi. Tel est le fruit de ta mollesse, oeuf de tortue! cloporte!

--Que cent mille tonneaux de diables s'installent dans ses boyaux et y tiennent garnison trois mois! s'?cria Youssouf, qui, s'habillant ? la h?te, se pr?cipita dans la rue pour joindre son rival.

Il avait ? peine disparu que Rassim le rempla?ait dans la chambre bien chaude, dans la chambre amoureuse.

--N'est-ce pas que j'ai bien imit? la voix du marchand de salep, ? ma colombe? dit-il.

--C'?tait toi, d?bauch?! C'?tait toi, po?te! C'?tait toi, dominateur! Viens, que je te paye, incomparable marchand de salep, et donne-moi encore de ta marchandise!

Et Rassim lui en donna encore, et encore, et encore, et ils furent heureux jusqu'? la limite de l'an?antissement, par del? les volupt?s. Et le lendemain, d'encore meilleure heure, le pauvre Youssouf fut r?veill? par la voix du crieur de salep.

--Je l'attraperai, cette fois, dit-il.

Il n'attrapa rien du tout, que des cornes. Mais il en avait d?j?; et le surlendemain, et tous les autres jours que fit Allah, il en fut de m?me, sauf que c'?tait maintenant par la nuit noire que cet insaisissable crieur de salep annon?ait sa venue d?loyale: par la nuit noire, car Rassim ?tait si press?!

Mais Allah est la justice! Allah voulait bien que Rassim f?t aim? de la belle adolescente, et que la belle adolescente f?t porter des cornes au vrai marchand de salep. Qu'est-ce que cela fait au salep que le marchand ait des cornes ou n'ait pas de cornes? Qu'est-ce que ?a change au salep? Qu'est-ce que ?a change ? l'ordre de l'univers? Seulement, on ne doit pas changer la besogne des heures. On peut prendre sa femme ? un mari: il y en a toujours autant pour lui. On ne doit pas lui prendre son sommeil: cela ne se retrouve point. C'est pourquoi, sans aucun doute, une derni?re fois que le calamiteux concurrent venait de faire entendre sa clameur astucieuse, comme Youssouf, ? sa recherche, arpentait les pav?s en criant: <> il tomba pour ainsi dire dans les bras d'Ahmed, le veilleur de nuit, le propre veilleur de sa rue.

--L'as-tu vu? lui demanda-t-il.

--Je vois un fou, r?pondit Ahmed s?v?rement. Un fou qui court quand il devrait dormir.

--Il y en a un autre bien plus fou que moi, dit Youssouf l'infortun?. C'est celui qui vient ? ma barbe me voler ma client?le, et toujours me devance pour crier sa marchandise.

--Oh! oh! fit Ahmed, est-ce l? le point? Je l'entends bien, moi aussi, et je l'ai vu, ton concurrent; mais il ne porte ni tasses ? salep, ni vase d'?tain plein de salep, ni salep, ni odeur de salep. Et je crois, je crois, je crois...

Il ne dit pas ce qu'il croyait, mais Youssouf n'en pensa pas moins.

--Veux-tu, demanda-t-il ? Ahmed, me laisser veiller ? ta place, la nuit prochaine?

--Bon! fit Ahmed, je comprends. Qu'il en soit ? ta volont?!

Le lendemain, apr?s son souper, Youssouf partit sans vouloir dire o? il allait. Et Djanine, qui n'avait aucun soup?on, pensa seulement: <>

Elle dormit. Les chiens se battaient, les heures coulaient. Youssouf, de sa canne pesante, les annon?ait en frappant sur les dalles, comme font les veilleurs de nuit. Les ?toiles tournaient lentement avec le ciel, au-dessus de la ville, et, dans le petit cimeti?re tout proche, les cypr?s droits et tristes avaient l'air de monter la garde autour des morts.

... Rassim arriva, sans se douter de rien, et, du bout de la rue, commen?a de crier:

--Salep! Salepji! Salep!

--Ah! c'est toi qui pr?tends vendre du salep? dit Youssouf. Et o? sont tes tasses, et o? est ton vase d'?tain, et o? est la licence de Son Excellence le pr?fet de police qui t'autorise ? vendre du salep?

Or, comme Rassim se gardait de r?pondre, il le battit comme linge au lavoir. Puis, ayant repris sa respiration, comme un ?ne; puis, ayant souffl? de nouveau, comme un Allemand, Rassim, qui avait mis son caftan sur ses yeux pour n'?tre pas reconnu, s'en alla sur sa meilleure jambe. De l'autre, il boitait tr?s fort. Et voil? pour lui.

Alors, Youssouf-Zia, l'?me pacifi?e, rentra dans sa demeure.

--C'est toi, mon amour? dit Djanine, dans l'ombre.

--C'est moi, ton amour, dit Youssouf d'une voix tranquille.

Ce n'?tait pas cet amour qu'attendait Djanine, mais c'?tait de l'amour pourtant: Youssouf en profita.

--Ce n'est pas ton heure, Youssouf, dit-elle faiblement, ce n'est pas ton heure.

--Non, dit-il bonnement, mais je crois que c'est la tienne.

Il s'?tait aper?u d'une diff?rence. Et, comme c'?tait un vrai sage, d'en profiter lui fut une grande consolation.

--?videmment, approuva Nasr'eddine, ?videmment! Ce Youssouf-Zia fut un grand sage. La seule question est de savoir si tout le monde peut ?tre aussi sage que lui.

--Mais il y a une suite, hodja, il y a une suite! poursuivit Ken?n. Elle n'est peut-?tre pas aussi instructive, mais elle est charmante, elle est charmante! ?coute!

A quelque temps de l?, Hadji-Chukri, iman des derviches tourneurs, ?tait assis sur une pierre plate, au milieu du petit jardin qui est tout pr?s de la mosqu?e du sultan Mahmoud, ? Stamboul. De sa personne rien ne bougeait, sinon ses mains qui ?grenaient un chapelet aux boules de santal, et ses l?vres qui ?num?raient les quatre-vingt-dix-neuf perfections d'Allah. Mais ses yeux, sous son grand bonnet de bure ? la persane, demeuraient fort vifs.

--C'est celui-l?, saint homme, celui-l? dans le cimeti?re, qui est mon ?poux. Tu as promis...

Hadji-Chukri ne commit pas l'inconvenance de lever les yeux, mais son grand bonnet s'inclina d'un air savant.

Youssouf-Zia, le m?me Youssouf-Zia que tu viens de voir, s'appr?tait ? d?poser sur la tombe o? dormait son p?re deux petits bols de riz encore chaud, tir?s d'un beau vase en ?tain ?troitement clos par un couvercle luisant o? se lisait, en longues lettres arabes, ce verset du Coran sur les ?lus: <> Je ne sais s'il est enti?rement conforme ? la logique d'apporter deux bols de riz ? un ?lu qui dans le paradis poss?de d?j? tant de choses meilleures: mais telle ?tait la religion de Youssouf, parce qu'il avait le coeur simple.

Du haut de ce petit cimeti?re de Stamboul, tant leur couleur ?tait forte et violente, les eaux de la Corne d'Or et du Bosphore semblaient remonter jusqu'? ses yeux. Avant toutes choses, avant les minarets des mosqu?es, les d?mes innombrables, les maisons par dizaines de mille qui d?ferlaient en vagues fig?es sur les pentes, c'?tait la beaut? de ces eaux marines qui frappait, retenait, attirait comme une sorcellerie: vertes et bleues ? la fois, transparentes, profondes. La Corne d'Or semblait la poign?e d'un cimeterre avec ses ?maux, ses turquoises, ses brillants, et le Bosphore en jaillissait comme une lame immense, jet?e ? plat entre les montagnes fendues.

Comme l'heure en ?tait sonn?e, devant ce paysage magique Youssouf-Zia fit sa pri?re, suivant les rites, avec les g?nuflexions qui conviennent; et chaque fois qu'il relevait la t?te, encore appuy? sur ses deux mains, la beaut? des choses lui apparaissait plus vivante et plus forte. Les chr?tiens ignorent qu'il faut consid?rer tout ce qui n'a pas de mesure, la mer, les montagnes, le ciel, du niveau d'un brin d'herbe. Les musulmans savent. Ils savent tout ce qui grandit Dieu.

Youssouf se releva, reprit son vase d'?tain, et quitta le cimeti?re apr?s en avoir referm? la porte avec la grande clef de fer rouill?e qui p?se pr?s d'une demi-livre et qu'il remit au gardien de la rue. Ce n'est pas ? cause des hommes qu'on ferme les portes des cimeti?res ? Constantinople; les musulmans respectent leurs morts comme il faut: ils ne les craignent pas, mais ils les v?n?rent. C'est ? cause des chiens, qui ne sont pas bons musulmans.

--Que la vie est bonne, dans la solitude! se disait Youssouf. On dirait qu'elle est... qu'elle est d?j? ?ternelle!

Or, il chantonnait ces paroles ? demi-voix, et les yeux mi-clos, ainsi que font beaucoup de Turcs du populaire, quand ils sont sur les routes, parce que leur race n'oubliera jamais tout ? fait que jadis elle ?tait nomade, et que chaque cavalier des temps h?ro?ques chantait ainsi pour lui-m?me, ? travers les espaces ind?finiment plats, dans les prairies mongoles. Et Hadji-Chukri le derviche, qui l'observait ainsi que je te l'ai fait voir, lui dit enfin:

--Le salut avec toi, Youssouf! Mais que dis-tu de la vie ?ternelle?

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