Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: Nasr'Eddine et son épouse by Mille Pierre

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 678 lines and 43815 words, and 14 pages

--Le salut avec toi, Youssouf! Mais que dis-tu de la vie ?ternelle?

--Qu'elle doit ?tre comme celle-ci, juste comme celle-ci, quand on est seul au sein de la beaut? des choses. Car c'est alors qu'on s'?l?ve jusqu'? concevoir l'id?e des perfections d'Allah, r?pondit le bon Youssouf.

--Il ne faut pas le croire, dit l'astucieux Hadji-Chukri, s?v?rement, il ne faut pas le croire, ya Youssouf: la solitude est condamn?e par le Livre.

--Elle est condamn?e par le Livre?

--En mille endroits. Est-ce que se glorifier de rester seul, jouir d'?tre seul, ce n'est pas pr?tendre--? sacril?ge!--s'?galer au Seul Unique? Est-ce qu'Allah--louange au mis?ricordieux!--n'a pas mis les ?toiles en troupes, les herbes en touffes, les hommes en groupes? Est-ce que nous autres, derviches tourneurs, nous ne nous assemblons pas pour tourner, pour c?l?brer en tournant, tournant, tournant toujours, le tournoiement des astres dans le ciel? Est-ce que le Proph?te--qu'il soit exalt?!--n'a pas dit que les croyants ne devaient pas rester seuls, mais prendre femme, pour procr?er d'autres croyants et vivre au milieu d'eux?

>>C'est pour cette cause, ajouta Chukri, que notre Proph?te--qu'il soit glorifi?!--a dit que toutes les fois qu'un croyant s'approche de sa femme, il ajoute un kiosque ? la demeure qu'il occupera dans le paradis.

--Il a dit cela? fit le pauvre Youssouf.

--Il l'a dit. Et agir contrairement ? ce qu'il a dit est un p?ch? tr?s noir, qui ne sera point pardonn?.

--Qui ne serait point pardonn?? r?p?ta le pauvre Youssouf.

--Qui ne serait point pardonn?, quand m?me on vivrait ensuite une vie dix fois plus longue que celle de l'?l?phant.

--Ouallahi! fit Youssouf. Je n'en savais rien... Le salut sur toi, Hadji!

--Le salut sur toi, Youssouf!

--Il sait ce qu'il faut qu'il sache, pronon?a le derviche du bout des l?vres.

--Allah t'a donn? la sagesse, saint homme, r?pondit Djanine. Prends ceci pour les oeuvres de ton couvent, et ne tiens pas au d?dain, je te prie, la pauvre offrande d'une pauvre femme.

Depuis le matin que le bon Youssouf, crieur de salep, avait ross? Rassim, boucher trop entreprenant, Rassim le D?fris? n'?tait pas revenu chez Youssouf, crieur de salep, et Djanine avait trouv? que Youssouf, son ?poux, quand il voulait, pouvait remplacer Rassim avec avantage, avec avantage! Mais Youssouf ne voulait plus, mais Youssouf mangeait, mais Youssouf sortait, mais Youssouf criait son salep; et puis il rentrait, et puis il mangeait, et se couchait, et dormait, et telle ?tait sa journ?e, et telle ?tait sa nuit; et quand il se levait c'?tait pour crier son salep, comme s'il n'y avait que salep au monde, et il s'en allait en sa route, et Djanine trouvait que c'?tait une mauvaise route.

Alors, de sa part, une veuve ?g?e ?tait all?e, avant elle, parler ? Hadji-Chukri, et Hadji-Chukri avait dit: <> Et voil? l'histoire!

Djanine avait de petits pieds, de petits pieds qui marchaient vite, de petits pieds qui couraient, quand ils allaient au plaisir. Et Youssouf avan?ait tout doucement, ya Allah! il m?ditait: un homme qui m?dite va doucement.

Il arriva ce qui arriva. C'est le secret de la foi musulmane.

--... Je crois que ce kiosque ?tait un tr?s beau kiosque, dit Youssouf.

--Un kiosque? interrogea Djanine d'un air innocent.

--C'est une chose que tu ne sais pas! dit Youssouf, qui ?tait fier de sa science. Je viens de me construire un kiosque en paradis; c'est la r?compense d'Allah.

--Lou? soit le R?tributeur! s'?cria Djanine. Que tu es beau, mon architecte!

Le lendemain Youssouf alla encore vendre son salep et gagner avec son salep le pain du m?nage.

--Le paradis vient, songeait-il, ? l'heure o? il est ?crit. La faim vient en attendant, la faim vient tous les jours.

Il disait cela, ?tant un homme raisonnable. Cependant il construisit encore un kiosque, par prudence et par id?e de grandeur. Et Djanine l'aida avec conscience, et elle y mit de la magnificence, et ils firent une oeuvre immense. Et quand ils eurent achev? la coupole, ils ajout?rent des clochetons; apr?s les clochetons, des pendentifs; apr?s les pendentifs, des arabesques, et apr?s les arabesques, un portique.

--Je crois, dit Djanine ? son tour, que c'est un tr?s beau kiosque.

--Je le crois, r?pondit Youssouf.

--Il sera pour moi, dit Djanine.

--Si tu veux, r?pondit Youssouf.

Il b?illait fort, et s'endormit.

Mais, le lendemain, Djanine sugg?ra:

--Il y a un kiosque pour toi, il y en a un pour moi, il n'y en a pas pour les h?tes que nous recevrons dans le paradis. D'ailleurs, il en faut pour l'hiver, et il en faut pour l'?t?.

Youssouf r?fl?chit une minute et r?pondit:

--Djanine, je suis assez bien log? comme ?a. Et puis il n'y a plus de place pour b?tir; je t'assure qu'il n'y a plus de place!

--Je te remercie, ya Ken?n, dit Nasr'eddine. Mais en effet la fin de cette histoire, bien qu'au bout du compte plus morale, est moins instructive que son commencement.

O? L'ON VOIT NASR'EDDINE GAGNER CINQUANTE-CINQ DU CENT DANS UNE OP?RATION PHILANTHROPIQUE

La m?saventure dont Nasr'eddine avait ?t? victime lorsqu'il s'enterra dans une des fosses du cimeti?re de Bounar-Bachi n'?tait point rest?e inconnue: ? d?faut des chameliers qui ne manqu?rent point d'en faire leurs gorges chaudes, il y aurait eu Ken?n; ? d?faut de Ken?n, Nedjib?. Ah! comme Nedjib? sut bien la conter, ? la fontaine! C'est depuis ce jour qu'on dit ? Brousse, toutes les fois qu'il se casse un pot: <> Et le saint homme alors passa pour un peu fou. D'autres disaient stupide: il n'?tait ni l'un ni l'autre; il aimait seulement parfois, comme les enfants, croire ? une belle aventure. Quelques semaines plus tard, il n'?tait plus question que de son grand sens et de la parfaite connaissance qu'il avait des choses de la terre, s'il pouvait se tromper sur l'apparence et la nature des visions du Paradis.

Ce fut quand le vint voir N?chat-effendi, un Jeune-Turc d'entre les Jeunes-Turcs, qui avait fait ses ?tudes en Europe, et pour cette cause venait d'?tre envoy? en exil ? Brousse par Sa Majest?: car Sa Majest? n'aimait point la science que les Occidentaux nomment ?conomie Politique, dont N?chat-effendi ?tait tout farci. Il avait de grands projets de r?formes.

--Je suis s?r que tu m'?couteras, hodja, dit un jour N?chat. Ton ?me est bonne, tu aimes les pauvres, ta main est ouverte, ton coeur g?n?reux; et tu sais comme ces chiens d'usuriers, les juifs et les chr?tiens, exploitent les malheureux paysans?

--Eh bien, dit N?chat ardemment, si d'honn?tes gens, comme toi et moi, pr?tions ? ces malheureux, comme font les banquiers roumis en Europe, ? cinq ou six pour cent, l'ann?e faite? Ce ne serait plus l'usure, qui est d?fendue par le Livre, c'est l'aum?ne, hodja, c'est l'aum?ne.

--Ouallahi! fit Nasr'eddine, tu as raison. Ce n'est plus p?cher, ce n'est plus p?cher! Car tout est dans l'intention: la prosp?rit? sur ton intention... Et qui as-tu charg?, mon fils, d'aller porter cette bonne nouvelle et faire les avances aux laboureurs?

--Abd-el-Kader-ben-Yaya, Ken?n, et Bachir le Borgne. Tu les connais, ya hodja.

--Je les connais, ya N?chat, je les connais. Tu vas avoir mon argent; et je prends comme ils te donneront. Comme ils te donneront, je prends.

En voyant qu'il triomphait ? si peu de peine, N?chat se sentit inquiet dans l'?me de son ?me. Car presque toujours, si un homme vous dit tout de suite: <>, c'est qu'il pense: <>

Mais quand Z?ineb, la femme de Nasr'eddine hodja, s'aper?ut que son mari avait ?t? d?terrer le pot o? se trouvaient les medjidiehs d'argent fin, et qu'il y avait pris tous les medjidiehs, et qu'il avait retourn? le pot devant N?chat en disant: <> quand Z?ineb vit tout cela, sur-le-champ la col?re noircit ses yeux, la fureur enfla son nez, et ses doigts devinrent tout griffus, ses dix doigts devant sa poitrine.

--O toi, l'?ne des ?nes! dit-elle. Toi, plus fou qu'un li?vre qui court en mars et n'a pas encore trouv? sa femelle, toi, sot comme une araign?e sans toile, ivrogne sans avoir bu, goitreux! Si tu ne voulais, d?cervel?, laisser cet argent o? il ?tait, ne pouvais-tu le confier ? Abraham-ben-Manass?, qui t'en aurait donn? vingt-deux pour cent, l'ann?e faite, ou le placer chez Th?otokopoulo, Grec d'Ath?nes, qui est encore bien plus malin que Manass?? Assassin de toi-m?me, bourreau de ta femme, br?leur de ta maison, t?te plus vide que ta jarre vide, idiot!

--Un de nos plus saints califes a dit, r?pliqua Nasr'eddine: <> C'est une aum?ne que j'ai voulu faire, tu es t?moin que c'est une aum?ne!

--Et avec quoi payeras-tu pour couvrir le toit qui est perc?, ? infirme de raison? pour l'?nesse qui est morte, et qui n'a pas fait d'?non, imb?cile? pour la terre qu'il faut faire valoir ? bras lou?s, vagabond qui n'as pas d'esclaves?

--Allah est le plus grand! fit Nasr'eddine. J'ai dit que je voulais faire une aum?ne. Mes intentions sont pures, il n'est rien de plus pur que mes intentions! Mais il arrivera ce qui arrivera. C'est Abd-el-Kader-ben-Yaya, Bachir et Ken?n qui sont charg?s d'avancer l'argent: n'as-tu pas entendu?...

Et il s'absorba dans une m?ditation profonde, et il n'y eut plus rien dans sa bouche, rien sur sa langue, rien sur ses dents. Et voil? pour lui, jusqu'? l'heure.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Back to top Use Dark Theme