Read Ebook: Elizabeth Hooton by Manners Emily Penney Norman Editor
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 720 lines and 45792 words, and 15 pagesJean-Henri Fabre SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES Livre I ?tude sur l'instinct et les moeurs des insectes Table des mati?res Pour tous les yeux attentifs, c'est un spectacle ? la fois ?trange et d'une grandeur singuli?re que celui des insectes industrieux d?ployant dans leurs travaux l'art le plus raffin?. L'instinct port? ainsi au plus haut degr? dont la nature offre des exemples, confond la raison humaine. Le trouble de l'esprit augmente, lorsque intervient l'observation patiente et minutieuse de tous les d?tails de la vie des ?tres les mieux dou?s sous le rapport de l'instinct. E. Blanchard. CHAPITRE I LE SCARAB?E SACR? Les choses se pass?rent ainsi. Nous ?tions cinq ou six: moi le plus vieux, leur ma?tre, mais encore plus leur compagnon et leur ami; eux, jeunes gens ? coeur chaleureux, ? riante imagination, d?bordant de cette s?ve printani?re de la vie qui nous rend si expansifs et si d?sireux de conna?tre. Devisant de choses et d'autres, par un sentier bord? d'hy?bles et d'aub?pines, o? d?j? la C?toine dor?e s'enivrait d'am?res senteurs sur les corymbes ?panouis, on allait voir si le Scarab?e sacr? avait fait sa premi?re apparition au plateau sablonneux des Angles, et roulait sa pilule de bouse, image du monde pour la vieille ?gypte; on allait s'informer si les eaux vives de la base de la colline n'abritaient point, sous leur tapis de lentilles aquatiques, de jeunes tritons, dont les branchies ressemblent ? de menus rameaux de corail; si l'?pinoche, l'?l?gant petit poisson des ruisselets, avait mis sa cravate de noces, azur et pourpre; si, de son aile aigu?, l'hirondelle, nouvellement arriv?e, effleurait la prairie, pourchassant les tipules, qui s?ment leurs oeufs en dansant; si, sur le seuil d'un terrier creus? dans le gr?s, le l?zard ocell? ?talait au soleil sa croupe constell?e de taches bleues; si la mouette rieuse, venue de la mer ? la suite des l?gions de poissons qui remontent le Rh?ne pour frayer dans ses eaux, planait par bandes sur le fleuve en jetant par intervalles son cri pareil ? l'?clat de rire d'un maniaque; si... mais tenons-nous-en l?; pour abr?ger, disons que, gens simples et na?fs, prenant un vif plaisir ? vivre avec les b?tes, nous allions passer une matin?e ? la f?te ineffable du r?veil de la vie au printemps. Les ?v?nements r?pondirent ? nos esp?rances. L'?pinoche avait fait sa toilette; ses ?cailles eussent fait p?lir l'?clat de l'argent; sa gorge ?tait frott?e du plus vif vermillon. ? l'approche de l'aulastome, grosse sangsue noire mal intentionn?e, sur le dos, sur les flancs, ses aiguillons brusquement se dressaient, comme pouss?s par un ressort. Devant cette attitude d?termin?e, le bandit se laisse honteusement couler parmi les herbages. La gent b?ate des mollusques, planorbes, physes, limn?es, humait l'air ? la surface des eaux. L'hydrophile et sa hideuse larve, pirates des mares, tant?t ? l'un tant?t ? l'autre en passant tordaient le cou. Le stupide troupeau ne paraissait pas m?me s'en apercevoir. Mais laissons les eaux de la plaine et gravissons la falaise qui nous s?pare du plateau. L?-haut, des moutons p?turent, des chevaux s'exercent aux courses prochaines, tous distribuant la manne aux bousiers en liesse. Voici ? l'oeuvre les col?opt?res vidangeurs ? qui est d?volue la haute mission d'expurger le sol de ses immondices. On ne se lasserait pas d'admirer la vari?t? d'outils dont ils sont munis, soit pour remuer la mati?re stercorale, la d?pecer, la fa?onner, soit pour creuser de profondes retraites o? ils doivent s'enfermer avec leur butin. Cet outillage est comme un mus?e technologique, o? tous les instruments de fouille seraient repr?sent?s. Il y a l? des pi?ces qui semblent imit?es de celles de l'industrie humaine; il y en a d'autres d'un type original, o? nous pourrions nous- m?mes prendre mod?le pour de nouvelles combinaisons. Le Copris espagnol porte sur le front une vigoureuse corne, pointue et recourb?e en arri?re, pareille ? la longue branche d'un pic. ? semblable corne, le Copris lunaire adjoint deux fortes pointes taill?es en soc de charrue, issues du thorax; et entre les deux, une protub?rance ? ar?te vive faisant office de large racloir. Le Bubas Bubale et le Bubas Bison, tous les deux confin?s aux bords de la M?diterran?e, sont arm?s sur le front de deux robustes cornes divergentes, entre lesquelles s'avance un soc horizontal fourni par le corselet. Le Minotaure Typh?e porte sur le devant du thorax, trois pointes d'araire, parall?les et dirig?es en avant, les lat?rales plus longues, la m?diane plus courte. L'Onthophage taureau a pour outil deux pi?ces longues et courbes qui rappellent les cornes d'un taureau; l'Onthophage fourchu a pour sa part une fourche ? deux branches, dress?es d'aplomb sur sa t?te aplatie. Le moins avantag? est dou?, tant?t sur la t?te, tant?t sur le corselet, de tubercules durs, outils obtus que la patience de l'insecte sait toutefois tr?s-bien utiliser. Tous sont arm?s de la pelle, c'est-?-dire qu'ils ont la t?te large, plate et ? bord tranchant; tous font usage du r?teau, c'est-?-dire qu'ils recueillent avec leurs pattes ant?rieures dentel?es. Comme d?dommagement ? sa besogne orduri?re, plus d'un exhale l'odeur forte du musc, et brille sous le ventre du reflet des m?taux polis. Le G?otrupe hypocrite a par dessous l'?clat du cuivre et de l'or; le G?otrupe stercoraire a le ventre d'un violet am?thyste. Mais, en g?n?ral, leur coloration est le noir. C'est aux r?gions tropicales qu'appartiennent les bousiers splendidement costum?s, v?ritables bijoux vivants. Sous les bouses de chameau, la Haute-?gypte nous pr?senterait tel Scarab?e qui rivalise avec le vert ?clatant de l'?meraude; la Guyane, le Br?sil, le S?n?gal, nous montreraient tels Copris d'un rouge m?tallique, aussi riche que celui du cuivre, aussi vif que celui du rubis. Si cet ?crin de l'ordure nous manque, les bousiers de nos pays ne sont pas moins remarquables par leurs moeurs. Quel empressement autour d'une m?me bouse! Jamais aventuriers accourus des quatre coins du monde n'ont mis telle ferveur ? l'exploitation d'un placer californien. Avant que le soleil soit devenu trop chaud, ils sont l? par centaines, grands et petits, p?le-m?le, de toute esp?ce, de toute forme, de toute taille, se h?tant de se tailler une part dans le g?teau commun. Il y en a qui travaillent ? ciel ouvert, et ratissent la surface; il y en a qui s'ouvrent des galeries dans l'?paisseur m?me du monceau, ? la recherche des filons de choix; d'autres exploitent la couche inf?rieure pour enfouir sans d?lai leur butin dans le sol sous- jacent; d'autres, les plus petits, ?miettent ? l'?cart un lopin ?boul? des grandes fouilles de leurs forts collaborateurs. Quelques-uns, les nouveaux venus et les plus affam?s sans doute, consomment sur place; mais le plus grand nombre songe ? se faire un avoir qui lui permette de couler de longs jours dans l'abondance, au fond d'une s?re retraite. Une bouse, fra?che ? point, ne se trouve pas quand on veut au milieu des plaines st?riles du thym; telle aubaine est une vraie b?n?diction du ciel; les favoris?s du sort ont seuls un pareil lot. Aussi les richesses d'aujourd'hui sont-elles prudemment mises en magasin. Le fumet stercoraire a port? l'heureuse nouvelle ? un kilom?tre ? la ronde, et tous sont accourus s'amasser des provisions. Quelques retardataires arrivent encore, au vol ou p?destrement. Quel est celui-ci qui trottine vers le monceau, craignant d'arriver trop tard? Ses longues pattes se meuvent avec une brusque gaucherie, comme pouss?es par une m?canique que l'insecte aurait dans le ventre; ses petites antennes rousses ?panouissent leur ?ventail, signe d'inqui?te convoitise. Il arrive, il est arriv?, non sans culbuter quelques convives. C'est le Scarab?e sacr?, tout de noir habill?, le plus gros et le plus c?l?bre de nos bousiers. Le voil? attabl?, c?te ? c?te avec ses confr?res, qui, du plat de leurs larges pattes ant?rieures, donnent ? petits coups la derni?re fa?on ? leur boule, ou bien l'enrichissent d'une derni?re couche avant de se retirer et d'aller jouir en paix du fruit de leur travail. Suivons dans toutes ses phases la confection de la fameuse boule. Le chaperon, c'est-?-dire le bord de la t?te, large et plate, est cr?nel? de six dentelures angulaires rang?es en demi-cercle. C'est l? l'outil de fouille et de d?p?cement, le r?teau qui soul?ve et rejette les fibres v?g?tales non nutritives, va au meilleur, le ratisse et le rassemble. Un choix est ainsi fait, car pour ces fins connaisseurs, ceci vaut mieux que cela; choix par ? peu pr?s, si le Scarab?e s'occupe de ses propres victuailles, mais d'une scrupuleuse rigueur s'il faut confectionner la boule maternelle, creus?e d'une niche centrale o? l'oeuf doit ?clore. Alors tout brin fibreux est soigneusement rejet?, et la quintessence stercoraire seule cueillie pour b?tir la couche interne de la cellule. ? sa sortie de l'oeuf, la jeune larve trouve ainsi, dans la paroi m?me de sa loge, un aliment raffin? qui lui fortifie l'estomac et lui permet d'attaquer plus tard les couches externes et grossi?res. Pour ses besoins ? lui, le Scarab?e est moins difficile, et se contente d'un triage en gros. Le chaperon dentel? ?ventre donc et fouille, ?limine et rassemble un peu au hasard. Les jambes ant?rieures concourent puissamment ? l'ouvrage. Elles sont aplaties, courb?es en arc de cercle, relev?es de fortes nervures et arm?es en dehors de cinq robustes dents. Faut-il faire acte de force, culbuter un obstacle, se frayer une voie au plus ?pais du monceau, le bousier joue des coudes, c'est-?-dire qu'il d?ploie de droite et de gauche ses jambes dentel?es, et d'un vigoureux coup de r?teau d?blaie une demi-circonf?rence. La place faite, les m?mes pattes ont un autre genre de travail: elles recueillent par brass?es la mati?re r?tel?e par le chaperon et la conduisent sous le ventre de l'insecte, entre les quatre pattes post?rieures. Celles-ci sont conform?es pour le m?tier de tourneur. Leurs jambes, surtout celles de la derni?re paire, sont longues et fluettes, l?g?rement courb?es en arc et termin?es par une griffe tr?s-aigu?. Il suffit de les voir pour reconna?tre en elles un compas sph?rique, qui, dans ses branches courbes, enlace un corps globuleux pour en v?rifier, en corriger la forme. Leur r?le est, en effet, de fa?onner la boule. Brass?e par brass?e, la mati?re s'amasse sous le ventre, entre les quatre jambes, qui, par une simple pression, lui communiquent leur propre courbure et lui donnent une premi?re fa?on. Puis, par moments, la pilule d?grossie est mise en branle entre les quatre branches du double compas sph?rique; elle tourne sous le ventre du bousier et se perfectionne par la rotation. Si la couche superficielle manque de plasticit? et menace de s'?cailler, si quelque point trop filandreux n'ob?it pas ? l'action du tour, les pattes ant?rieures retouchent les endroits d?fectueux; ? petits coups de leurs larges battoirs, elles tapent la pilule pour faire prendre corps ? la couche nouvelle et empl?trer dans la masse les brins r?calcitrants. Par un soleil vif, quand l'ouvrage presse, on est ?merveill? de la f?brile prestesse du tourneur. Aussi la besogne marche-t-elle vite: c'?tait tant?t une maigre pilule, c'est maintenant une bille de la grosseur d'une noix, ce sera tout ? l'heure une boule de la grosseur d'une pomme. J'ai vu des goulus en confectionner de la grosseur du poing. Voil? certes sur la planche du pain pour quelques jours. Les provisions sont faites; il s'agit maintenant de se retirer de la m?l?e et d'acheminer les vivres en lieu opportun. L?, commencent les traits de moeurs les plus frappants du Scarab?e. Sans d?lai, le bousier se met en route; il embrasse la sph?re de ses deux longues jambes post?rieures, dont les griffes terminales, implant?es dans la masse, servent de pivots de rotation; il prend appui sur les jambes interm?diaires, et faisant levier avec les brassards dentel?s des pattes de devant, qui tour ? tour pressent sur le sol, il progresse ? reculons avec sa charge, le corps inclin?, la t?te en bas, l'arri?re-train en haut. Les pattes post?rieures, organe principal de la m?canique, sont dans un mouvement continuel; elles vont et viennent, d?pla?ant la griffe pour changer l'axe de rotation, maintenir la charge en ?quilibre et la faire avancer par les pouss?es alternatives de droite et de gauche. ? tour de r?le, la boule se trouve de la sorte en contact avec le sol par tous les points de sa surface, ce qui la perfectionne dans sa forme et donne consistance ?gale ? sa couche ext?rieure par une pression uniform?ment r?partie. Et hardi! ?a va, ?a roule; on arrivera, non sans encombre cependant. Voici un premier pas difficile: le bousier s'achemine en travers d'un talus, et la lourde masse tend ? suivre la pente; mais l'insecte, pour des motifs ? lui connus, pr?f?re croiser cette voie naturelle, projet audacieux dont l'insucc?s d?pend d'un faux pas, d'un grain de sable troublant l'?quilibre. Le faux pas est fait, la boule roule au fond de la vall?e; l'insecte, culbut? par l'?lan de la charge, gigote, se remet sur ses jambes et accourt s'atteler. La m?canique fonctionne de plus belle. -- Mais prends donc garde, ?tourdi; suis le creux du vallon, qui t'?pargnera peine et m?saventure; le chemin y est bon, tout uni; ta pilule y roulera sans effort. -- Eh bien non: l'insecte se propose de remonter le talus qui lui a ?t? fatal. Peut-?tre lui convient-il de regagner les hauteurs. ? cela je n'ai rien ? dire; l'opinion du Scarab?e est plus clairvoyante que la mienne sur l'opportunit? de se tenir en haut lieu. -- Prends au moins ce sentier, qui, par une pente douce, te conduira l?-haut. -- Pas du tout, s'il se trouve ? proximit? quelque talus bien raide, impossible ? remonter, c'est celui-l? que l'ent?t? pr?f?re. Alors commence le travail de Sisyphe. La boule, fardeau ?norme, est p?niblement hiss?e, pas ? pas, avec mille pr?cautions, ? une certaine hauteur, toujours ? reculons. On se demande par quel miracle de statique une telle masse peut ?tre retenue sur la pente. Ah! un mouvement mal combin? met ? n?ant tant de fatigue: la boule d?vale entra?nant avec elle le Scarab?e. L'escalade est reprise, bient?t suivie d'une nouvelle chute. La tentative recommence, mieux conduite cette fois aux passages difficiles; une maudite racine de gramen, cause des pr?c?dentes culbutes, est prudemment tourn?e. Encore un peu, et nous y sommes; mais doucement, tout doucement. La rampe est p?rilleuse et un rien peut tout compromettre. Voil? que la jambe glisse sur un gravier poli. La boule redescend p?le-m?le avec le bousier. Et celui-ci de recommencer avec une opini?tret? que rien ne lasse. Dix fois, vingt fois, il tentera l'infructueuse escalade, jusqu'? ce que son obstination ait triomph? des obstacles, ou que, mieux avis? et reconnaissant l'inutilit? de ses efforts, il adopte le chemin en plaine. Le Scarab?e ne travaille pas toujours seul au charroi de la pr?cieuse pilule: fr?quemment, il s'adjoint un confr?re; ou, pour mieux dire, c'est le confr?re qui s'adjoint. Voici comment d'habitude se passe la chose. -- Sa boule pr?par?e, un bousier sort de la m?l?e et quitte le chantier, poussant ? reculons son butin. Un voisin, des derniers venus, et dont la besogne est ? peine ?bauch?e, brusquement laisse l? son travail et court ? la boule roulante, pr?ter main forte ? l'heureux propri?taire, qui para?t accepter b?n?volement le secours. D?sormais, les deux compagnons travaillent en associ?s. ? qui mieux mieux, ils acheminent la pilule en lieu s?r. Y a-t-il eu pacte, en effet, sur le chantier, convention tacite de se partager le g?teau? Pendant que l'un p?trissait et fa?onnait la boule, l'autre ouvrait-il de riches filons pour en extraire des mat?riaux de choix et les adjoindre aux provisions communes? Je n'ai jamais surpris pareille collaboration; j'ai toujours vu chaque bousier exclusivement occup? de ses propres affaires sur les lieux d'exploitation. Donc, pour le dernier venu, aucun droit acquis. Serait-ce alors une association des deux sexes, un couple qui va se mettre en m?nage? Quelque temps, je l'ai cru. Les deux bousiers, l'un par devant, l'autre par derri?re, poussant d'un m?me z?le la lourde pelote, me rappelaient certains couplets que moulinaient dans le temps les orgues de Barbarie. < Ni communaut? de famille, ni communaut? de travail. Quelle est alors la raison d'?tre de l'apparente soci?t?? C'est tout simplement tentative de rapt. L'empress? confr?re, sous le fallacieux pr?texte de donner un coup de main, nourrit le projet de d?tourner la boule ? la premi?re occasion. Faire sa pilule au tas demande fatigue et patience; la piller quand elle est faite, ou du moins s'imposer comme convive, est bien plus commode. Si la vigilance du propri?taire fait d?faut, on prendra la fuite avec le tr?sor; si l'on est surveill? de trop pr?s, on s'attable ? deux, all?guant les services rendus. Tout est profit en pareille tactique; aussi le pillage est-il exerc? comme une industrie des plus fructueuses. Les uns s'y prennent sournoisement, comme je viens de le dire; ils accourent en aide ? un confr?re qui nullement n'a besoin d'eux, et sous les apparences d'un charitable secours, dissimulent de tr?s ind?licates convoitises. D'autres, plus hardis peut-?tre, plus confiants dans leur force, vont droit au but et d?troussent brutalement. ? tout instant des sc?nes se passent dans le genre de celle-ci. -- Un Scarab?e s'en va, paisible, tout seul, roulant sa boule, propri?t? l?gitime, acquise par un travail consciencieux. Un autre survient au vol, je ne sais d'o?, se laisse lourdement choir, replie sous les ?lytres ses ailes enfum?es et du revers de ses brassards dent?s culbute le propri?taire, impuissant ? parer l'attaque dans sa posture d'attelage. Pendant que l'expropri? se d?m?ne et se remet sur jambes, l'autre se campe sur le haut de la boule, position la plus avantageuse pour repousser l'assaillant. Les brassards pli?s sous la poitrine et pr?t ? la riposte, il attend les ?v?nements. Le vol? tourne autour de la pelote, cherchant un point favorable pour tenter l'assaut; le voleur pivote sur le d?me de la citadelle et constamment lui fait face. Si le premier se dresse pour l'escalade, le second lui d?tache un coup de bras qui l'?tend sur le dos. Inexpugnable du haut de son fort, l'assi?g? d?jouerait ind?finiment les tentatives de son adversaire si celui-ci ne changeait de tactique pour rentrer en possession de son bien. La sape joue pour faire crouler la citadelle avec la garnison. La boule, inf?rieurement ?branl?e, chancelle et roule, entra?nant avec elle le bousier pillard, qui s'escrime de son mieux pour se maintenir au dessus. Il y parvient, mais non toujours, par une gymnastique pr?cipit?e qui lui fait gagner en altitude ce que la rotation du support lui fait perdre. S'il est mis ? pied par un faux mouvement, les chances s'?galisent et la lutte tourne au pugilat. Voleur et vol? se prennent corps ? corps, poitrine contre poitrine. Des pattes s'emm?lent et se d?m?lent, les articulations s'enlacent, les armures de corne se choquent ou grincent avec le bruit aigre d'un m?tal lim?. Puis celui des deux qui parvient ? renverser sur le dos son adversaire et ? se d?gager, ? la h?te prend position sur le haut de la boule. Le si?ge recommence, tant?t par le pillard, tant?t par le pill?, suivant que l'ont d?cid? les chances de la lutte corps ? corps. Le premier, hardi flibustier sans doute et coureur d'aventures, fr?quemment a le dessus. Alors, apr?s deux ou trois d?faites, l'expropri? se lasse et revient philosophiquement au tas pour se confectionner une nouvelle pilule. Quant ? l'autre, toute crainte de surprise dissip?e, il s'attelle et pousse o? bon lui semble la boule conquise. J'ai vu parfois survenir un troisi?me larron qui volait le voleur. En conscience, je n'en ?tais pas f?ch?. J'en demande bien pardon ? mon illustre ma?tre, M. Blanchard, mais certainement, les choses ne se passent pas ainsi. D'abord les deux r?cits sont tellement conformes, qu'ils ont sans doute chacun m?me origine. Illiger, sur une observation trop peu suivie pour m?riter confiance aveugle, a mis en avant l'aventure de son Gymnopleure; et le m?me fait a ?t? r?p?t? pour les Scarab?es, parce que, en effet, il est tr?s commun de voir deux de ces insectes occup?s en commun soit ? faire rouler une pilule, soit ? la retirer d'un endroit difficile. Mais le concours de deux ne prouve en rien que le bousier dans l'embarras soit all? requ?rir main forte aupr?s des camarades. J'ai eu, dans une large mesure, la patience que recommande M. Blanchard; j'ai v?cu de longs jours, pourrais-je dire, en intimit? avec le Scarab?e sacr?; je me suis ing?ni? de toutes les mani?res pour voir clair, autant que possible, dans ses us et coutumes et les ?tudier sur le vif, et je n'ai jamais rien surpris qui de pr?s ou de loin, fit songer ? des compagnons appel?s en aide. Comme je le relaterai bient?t, j'ai soumis le bousier ? des ?preuves bien autrement s?rieuses que celles d'une cavit? o? la pilule aurait pu choir; je l'ai mis dans des embarras plus graves que celui d'une pente ? remonter, vrai jeu pour le Sisyphe ent?t? qui semble se complaire ? la rude gymnastique des endroits d?clives, comme si la pilule en devenant de la sorte plus ferme, gagnait ainsi en valeur; j'ai fait na?tre par mon artifice des situations o? l'insecte avait besoin plus que jamais de secours, et jamais ? mes yeux n'a paru quelque preuve de bons offices entre camarades. J'ai vu des pill?s, j'ai vu des pillards, et rien de plus. Si plusieurs bousiers entouraient la m?me pilule, c'est qu'il y avait bataille. Mon humble avis est donc que quelques Scarab?es r?unis autour d'une m?me pelote dans des intentions de pillage, ont donn? lieu ? ces r?cits de camarades appel?s pour donner un coup de main. Des observations incompl?tes, ont fait d'un audacieux d?trousseur un compagnon serviable, qui se d?range de son travail pour pr?ter un coup d'?paule. Ce n'est pas affaire de faible port?e que d'accorder ? un insecte une intelligence de la situation vraiment ?tonnante, et une facilit? de communication entre individus de la m?me esp?ce plus surprenante encore. J'insiste donc sur ce point. Comment? Un Scarab?e dans la d?tresse concevrait l'id?e d'aller qu?rir de l'aide? Il s'en irait au vol, explorant le pays tout ? la ronde, pour trouver des confr?res ? l'oeuvre autour d'une bouse; et les trouvant, par une pantomime quelconque, par le geste des antennes en particulier, il leur tiendrait ? peu pr?s ce langage: < Mais terminons l? cette digression, qu'excuse l'importance du sujet. J'ai dit qu'un Scarab?e, propri?taire d'une boule qu'il pousse ? reculons, est fr?quemment rejoint par un confr?re, qui accourt le seconder dans un but int?ress?, et le piller si l'occasion s'en pr?sente. Appelons associ?s, bien que ce ne soit pas l? le mot propre, les deux collaborateurs, dont l'un s'impose et dont l'autre peut-?tre, n'accepte des offices ?trangers que crainte d'un mal pire. La rencontre est d'ailleurs des plus pacifiques. Le bousier propri?taire ne se d?tourne pas un seul instant de son travail ? l'arriv?e de l'acolyte; le nouveau venu semble anim? des meilleures intentions et se met incontinent ? l'ouvrage. Le mode d'attelage est diff?rent pour chacun des associ?s. Le propri?taire occupe la position principale, la place d'honneur: il pousse ? l'arri?re de la charge, les pattes post?rieures en haut, la t?te en bas. L'acolyte occupe le devant, dans une position inverse, la t?te en haut, les bras dent?s sur la boule, les longues jambes post?rieures sur le sol. Entre les deux, la pilule chemine, chass?e devant par le premier, attir?e ? lui par le second. Les efforts du couple ne sont pas toujours bien concordants, d'autant plus que l'aide tourne le dos au chemin ? parcourir, et que le propri?taire a la vue born?e par la charge. De l?, des accidents r?it?r?s, de grotesques culbutes dont on prend ga?ment son parti: chacun se ramasse ? la h?te et reprend position sans intervertir l'ordre. En plaine, ce mode de charroi ne r?pond pas ? la d?pense dynamique, faute de pr?cision dans les mouvements combin?s; ? lui seul, le Scarab?e de l'arri?re ferait aussi vite et mieux. Aussi l'acolyte, apr?s avoir donn? des preuves de son bon vouloir, au risque de troubler le m?canisme, prend-il le parti de se tenir en repos, sans abandonner, bien entendu, la pr?cieuse pelote qu'il regarde comme d?j? sienne. Pelote touch?e est pelote acquise. Il ne commettra pas cette imprudence: l'autre le planterait l?. Il ramasse donc ses jambes sous le ventre, s'aplatit, s'incruste pour ainsi dire sur la boule et fait corps avec elle. Le tout, pilule et bousier cramponn? ? sa surface, roule d?sormais en bloc sous la pouss?e du l?gitime propri?taire. Que la charge lui passe sur le corps, qu'il occupe le dessus, le dessous, le c?t? du fardeau roulant, peu lui importe; l'aide tient bon et reste coi. Singulier auxiliaire, qui se fait carrosser pour avoir sa part de vivres! Mais qu'une rampe ardue se pr?sente, et un beau r?le lui revient. Alors, sur la pente p?nible, il se met en chef de file, retenant de ses bras dent?s la pesante masse, tandis que son confr?re prend appui pour hisser la charge un peu plus haut. Ainsi, ? deux, par une combinaison d'efforts bien m?nag?s, celui d'en haut retenant, celui d'en bas poussant, je les ai vus gravir des talus o? sans r?sultat se serait ?puis? l'ent?tement d'un seul. Mais tous n'ont pas le m?me z?le en ces moments difficiles: il s'en trouve qui, sur les pentes o? leur concours serait le plus n?cessaire, n'ont pas l'air de se douter le moins du monde des difficult?s ? surmonter. Tandis que le malheureux Sisyphe s'?puise en tentatives pour franchir le mauvais pas, l'autre, tranquillement laisse faire, incrust? sur la boule, avec elle roulant dans la d?gringolade, avec elle hiss? derechef. J'ai soumis bien des fois deux associ?s ? l'?preuve suivante, pour juger de leurs facult?s inventives en un grave embarras. Supposons-les en plaine, l'acolyte immobile sur la pelote, l'autre poussant. Avec une longue et forte ?pingle, sans troubler l'attelage, je cloue au sol la boule, qui s'arr?te soudain. Le Scarab?e, non au courant de mes perfidies, croit sans doute quelque obstacle naturel, orni?re, racine de chiendent, caillou barrant le chemin. Il redouble d'efforts, s'escrime de son mieux; rien ne bouge. -- Que se passe-t-il donc? Allons voir. -- Par deux ou trois fois, l'insecte fait le tour de sa pilule. Ne d?couvrant rien qui puisse motiver l'immobilit?, il revient ? l'arri?re, et pousse de nouveau. La boule reste in?branlable. -- Voyons l?-haut. -- L'insecte y monte. Il n'y trouve que son coll?gue immobile, car j'avais soin d'enfoncer assez l'?pingle pour que la t?te dispar?t dans la masse de la pelote; il explore tout le d?me et redescend. D'autres pouss?es sont vigoureusement essay?es en avant, sur les c?t?s; l'insucc?s est le m?me. Jamais bousier sans doute ne s'?tait trouv? en pr?sence d'un pareil probl?me d'inertie. Voil? le moment, le vrai moment de r?clamer de l'aide, chose d'autant plus ais?e que le coll?gue est l?, tout pr?s, accroupi sur le d?me. Le Scarab?e va-t-il le secouer et lui dire quelque chose comme ceci: < Si j'avais eu voix d?lib?rative au conseil, j'aurais dit: Il faut pratiquer une excavation et extraire le pieu qui fixe la boule. -- Ce proc?d?, le plus ?l?mentaire de tous et d'une mise en pratique facile pour des fouilleurs aussi experts, ne fut pas adopt?, pas m?me essay?. Le bousier trouva mieux que l'homme. Les deux coll?gues, qui d'ici, qui de l?, s'insinuent sous la boule, laquelle glisse d'autant et remonte le long de l'?pingle ? mesure que s'enfoncent les coins vivants. La mollesse de la mati?re, qui c?de en se creusant d'un canal sous la t?te du pieu in?branlable, permet cette habile manoeuvre. Bient?t la pelote est suspendue ? une hauteur, ?gale ? l'?paisseur du corps des Scarab?es. Le reste est plus difficile. Les bousiers, d'abord couch?s ? plat, se dressent peu ? peu sur les jambes, poussant toujours sur le dos. C'est dur ? venir ? mesure que les pattes perdent de leur puissance en se redressant davantage; mais enfin cela vient. Puis un moment arrive o? la pouss?e avec le dos n'est plus praticable, la hauteur limite ?tant atteinte. Un dernier moyen reste, mais bien moins favorable au d?veloppement de force. Tant?t dans l'une, tant?t dans l'autre de ses postures d'attelage, c'est-?-dire la t?te en bas ou bien la t?te en haut, l'insecte pousse soit avec les pattes post?rieures, soit avec les pattes ant?rieures. Finalement, la boule tombe ? terre, si l'?pingle toutefois n'est pas trop longue. L'?ventrement de la pilule par le pieu est tant bien que mal r?par? et le charroi aussit?t recommence. Mais si l'?pingle est d'une longueur trop consid?rable, la pelote, encore solidement fix?e, finit par ?tre suspendue ? une hauteur que l'insecte, se redressant, ne peut plus d?passer. Dans ce cas, apr?s de vaines ?volutions autour du m?t de cocagne inaccessible, les bousiers abandonnent la place si l'on n'a pas la bont? d'?me d'achever soi-m?me la besogne et de leur restituer le tr?sor. Ou bien encore, on leur vient en aide de la mani?re suivante. On exhausse le sol au moyen d'une petite pierre plate, pi?destal du haut duquel il est possible ? l'insecte de continuer. L'utilit? de ce secours ne semble pas imm?diatement comprise, car nul des deux ne s'empresse d'en faire profit. N?anmoins, par hasard ou ? dessein, l'un ou l'autre finit par se trouver sur le haut de la pierre. O bonheur! en passant, le bousier a senti la pilule lui effleurer le dos. ? ce contact, le courage revient et les efforts recommencent. Voil? l'insecte qui, sur la secourable plate-forme, tend les articulations, fait comme on dit le gros dos et refoule en haut la pilule. Quand le dos ne suffit plus, il manoeuvre des pattes, soit droit, soit renvers?. Nouvel arr?t et nouveaux signes d'inqui?tude lorsque la limite d'extension est atteinte. Alors, sans d?ranger la b?te, sur la premi?re petite pierre mettons-en une seconde. ? l'aide de ce nouveau gradin, point d'appui pour ses leviers, l'insecte poursuit le travail. En ajoutant ainsi assise sur assise, ? mesure qu'il en ?tait besoin, j'ai vu le Scarab?e, hiss? sur une branlante pile de trois ? quatre travers de doigt de hauteur, persister dans son oeuvre jusqu'? complet arrachement de la pilule. Y avait-il en lui quelque vague connaissance des services rendus par l'exhaussement de la base d'appui? Je me permettrai d'en douter, bien que l'insecte ait fort habilement profit? de ma plate-forme de petites pierres. Si, en effet, l'id?e si ?l?mentaire de faire usage d'une base plus haute pour atteindre ? un objet trop ?lev? ne d?passait la port?e de ses facult?s, comment se fait-il qu'?tant deux, nul ne songe ? pr?ter son dos ? l'autre pour l'?lever d'autant et lui rendre ainsi le travail possible? L'un aidant l'autre, ils doubleraient l'altitude gagn?e. Ah! qu'ils sont loin de semblable combinaison! Chacun pousse ? la boule, du mieux qu'il peut, il est vrai; mais il pousse comme s'il ?tait seul et sans para?tre soup?onner l'heureux r?sultat qu'am?nerait une manoeuvre d'ensemble. Ils font l?, sur la pilule clou?e ? terre par une ?pingle, ce qu'ils font dans des circonstances analogues, lorsque la charge est arr?t?e par un obstacle, retenue par un lacet de chiendent, ou bien fix?e en place par quelque menu bout de tige qui s'est implant? dans la masse molle et roulante. Mes artifices ont r?alis? une condition d'arr?t peu diff?rente au fond, de celles qui doivent naturellement se produire quand la pilule roule au milieu des mille accidents du terrain; et l'insecte agit, dans mes ?preuves exp?rimentales, comme il agirait en toute autre circonstance o? je ne serai pas intervenu. Il fait coin et levier avec le dos, il pousse avec les pattes, sans rien innover dans ses moyens d'action, m?me lorsqu'il pourrait disposer du concours d'un confr?re. S'il est tout seul en face des difficult?s de la boule clou?e au sol, s'il n'a pas d'acolyte, ses manoeuvres dynamiques restent absolument les m?mes, et ses efforts aboutissent ? un succ?s, pourvu qu'on lui donne l'indispensable appui de la plate-forme, ?difi?e petit ? petit. Si pareil secours lui est refus?, le Scarab?e, que le toucher de sa ch?re pilule trop ?lev?e ne stimule plus, se d?courage et, t?t ou tard, ? son grand regret, sans doute, s'envole et dispara?t. O? va-t-il? Je l'ignore. Ce que je sais fort bien, c'est qu'il ne revient pas avec une escouade de compagnons pri?s de lui venir en aide. Qu'en ferait-il, lui qui ne sait pas utiliser la pr?sence d'un confr?re quand la pilule est part ? deux? Mais peut-?tre mon exp?rience, dont le r?sultat est la suspension de la boule ? une hauteur inaccessible lorsque sont ?puis?s les moyens d'action de l'insecte, sort-elle un peu trop des habituelles conditions. Essayons alors une fossette assez profonde et assez escarp?e pour que le bousier, d?pos? avec sa pelote au fond du trou, ne puisse remonter la paroi en roulant sa charge. Voil? bien les conditions exactes cit?es par MM. Blanchard et Illiger. Or, qu'advient-il dans ce cas? Lorsque des efforts obstin?s, mais sans r?sultat aucun, l'ont convaincu de son impuissance, le bousier prend son vol et dispara?t. Longtemps, tr?s-longtemps, sur la foi des ma?tres, j'ai attendu le retour de l'insecte avec le renfort de quelques amis; j'ai toujours attendu en vain. Maintes fois aussi, il m'est arriv? de retrouver, plusieurs jours apr?s, la pilule sur les lieux m?mes de l'exp?rience, au sommet de l'?pingle ou bien au fond du trou; preuve qu'en mon absence rien de nouveau ne s'?tait pass?. Pilule d?laiss?e pour cause de force majeure, est pilule abandonn?e sans retour, sans tentatives de sauvetage avec secours d'autrui. Savant emploi du coin et du levier pour remettre en marche la boule immobilis?e, telle est donc en somme la plus haute prouesse intellectuelle dont m'ait rendu t?moin le Scarab?e sacr?. En d?dommagement de ce que l'exp?rience nie, savoir l'appel entre confr?res ? un coup de main, tr?s volontiers je transmets ce haut fait m?canique ? l'histoire pour la glorification des bousiers. Orient?s au hasard, ? travers plaines de sable, fourr?s de thym, orni?res et talus, les deux Scarab?es coll?gues quelque temps roulent la pelote et lui donnent ainsi une certaine fermet? de p?te qui peut-?tre est de leur go?t. Tout chemin faisant, un endroit favorable est adopt?. Le bousier propri?taire, celui qui s'est maintenu toujours ? la place d'honneur, ? l'arri?re de la pilule, celui enfin qui presque ? lui seul a fait tous les frais du charroi, se met ? l'oeuvre pour creuser la salle ? manger. Tout ? c?t? de lui est la boule, sur laquelle l'acolyte reste cramponn? et fait le mort. Le chaperon et les jambes dent?es attaquent le sable; les d?blais sont rejet?s ? reculons par brass?es, et l'excavation rapidement avance. Bient?t l'insecte dispara?t en entier dans l'antre ?bauch?. Toutes les fois qu'il revient ? ciel ouvert avec sa brass?e de d?blais, le fouisseur ne manque pas de donner un coup d'oeil ? sa pelote pour s'informer si tout va bien. De temps ? autre, il la rapproche du seuil du terrier; il la palpe, et ? ce contact, il semble acqu?rir un redoublement de z?le. L'autre, sainte-nitouche, par son immobilit? sur la boule, continue ? inspirer confiance. Cependant la salle souterraine s'?largit et s'approfondit; le fouisseur fait de plus rares apparitions, retenu qu'il est par l'ampleur des travaux. Le moment est bon. L'endormi se r?veille, l'astucieux acolyte d?campe chassant derri?re lui la boule avec la prestesse d'un larron qui ne veut pas ?tre pris sur le fait. Cet abus de confiance m'indigne, mais je laisse faire dans l'int?r?t de l'histoire: il me sera toujours temps d'intervenir pour sauvegarder la morale si le d?nouement menace de tourner ? mal. Le voleur est d?j? ? quelques m?tres de distance. Le vol? sort du terrier, regarde et ne trouve plus rien. Coutumier du fait lui- m?me, sans doute, il sait ce que cela veut dire. Du flair et du regard, la piste est bient?t trouv?e. ? la h?te, le bousier rejoint le ravisseur; mais celui-ci, rou? comp?re, d?s qu'il se sent talonn? de pr?s, change de mode d'attelage, se met sur les jambes post?rieures et enlace la boule avec ses bras dent?s, comme il le fait en ses fonctions d'aide. -- < Mais si le voleur a le temps de s'?loigner assez, ou s'il parvient ? celer la piste par quelque adroite contremarche, le mal est irr?parable. Avoir amass? des vivres sous les feux du soleil, les avoir p?niblement voitur?s au loin, s'?tre creus? dans le sable une confortable salle de banquet, et au moment o? tout est pr?t, quand l'app?tit aiguis? par l'exercice ajoute de nouveaux charmes ? la perspective de la prochaine bombance, se trouver tout ? coup d?poss?d? par un astucieux collaborateur, c'est, il faut en convenir, un revers de fortune qui ?branlerait plus d'un courage. Le bousier ne se laisse pas abattre par ce mauvais coup du sort: il se frotte les joues, ?panouit les antennes, hume l'air et prend son vol vers le tas prochain pour recommencer ? nouveau. J'admire et j'envie cette trempe de caract?re. Supposons le Scarab?e assez heureux pour avoir trouv? un associ? fid?le; ou, ce qui est mieux, supposons qu'il n'ait pas rencontr? en route de confr?re s'invitant lui-m?me. Le terrier est pr?t. C'est une cavit? creus?e en terrain meuble, habituellement dans le sable, peu profonde, du volume du poing, et communiquant au dehors par un court goulot, juste suffisant au passage de la pilule. Aussit?t les vivres emmagasin?s, le Scarab?e s'enferme chez lui en bouchant l'entr?e du logis avec des d?blais tenus en r?serve dans un coin. La porte close, rien au dehors ne trahit la salle du festin. Et maintenant vive la joie; tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes! La table est somptueusement servie; le plafond tamise les ardeurs du soleil et ne laisse p?n?trer qu'une chaleur douce et moite; le recueillement, l'obscurit?, le concert ext?rieur des grillons, tout favorise les fonctions du ventre. Dans mon illusion, je me suis surpris ? ?couter aux portes, croyant ou?r, pour couplets de table, le fameux morceau de l'op?ra de Galath?e: < Qui oserait troubler les b?atitudes d'un pareil banquet? Mais le d?sir d'apprendre est capable de tout, et cette audace, je l'ai eue. J'inscris ici le r?sultat de mes violations de domicile. -- ? elle seule, la pilule presque en entier remplit la salle; la somptueuse victuaille s'?l?ve du plancher au plafond. Une ?troite galerie la s?pare des parois. L? se tiennent les convives, deux ou plus, un seul tr?s souvent, le ventre ? table, le dos ? la muraille. Une fois la place choisie, on ne bouge plus, toutes les puissances vitales sont absorb?es par les facult?s digestives. Pas de menus ?bats, qui feraient perdre une bouch?e, pas d'essais d?daigneux, qui gaspilleraient les vivres. Tout doit y passer, par ordre et religieusement. ? les voir si recueillis autour de l'ordure, on dirait qu'ils ont conscience de leur r?le d'assainisseurs de la terre, et qu'ils se livrent avec connaissance de cause ? cette merveilleuse chimie qui de l'immondice fait la fleur, joie des regards, et l'?lytre des Scarab?es, ornement des pelouses printani?res. Pour ce travail transcendant qui doit faire mati?re vivante des r?sidus non utilis?s par le cheval et le mouton, malgr? la perfection de leurs voies digestives, le bousier doit ?tre outill? d'une mani?re particuli?re. Et, en effet, l'anatomie nous fait admirer la prodigieuse longueur de son intestin, qui, pli? et repli? sur lui- m?me, lentement ?labore les mat?riaux en ses circuits multipli?s et les ?puise jusqu'au dernier atome utilisable. D'o? l'estomac de l'herbivore n'a rien pu retirer, ce puissant alambic extrait des richesses qui, par une simple retouche, deviennent armure d'?b?ne chez le Scarab?e sacr?, cuirasse d'or et de rubis chez d'autres bousiers. Or cette admirable m?tamorphose de l'ordure doit s'accomplir dans le plus bref d?lai: la salubrit? g?n?rale l'exige. Aussi le Scarab?e est-il dou? d'une puissance digestive peut-?tre sans exemple ailleurs. Une fois en loge avec des vivres, jour et nuit il ne cesse de manger et de dig?rer jusqu'? ce que les provisions soient ?puis?es. La preuve en est palpable. Ouvrons la cellule o? le bousier s'est retir? de ce monde. ? toute heure du jour nous trouverons l'insecte attabl?, et derri?re lui, appendu encore ? l'animal, un cordon continu grossi?rement enroul? ? la fa?on d'un tas de c?bles. Sans explications d?licates ? donner, ais?ment on devine ce que le dit cordon repr?sente. La volumineuse boule passe, bouch?e par bouch?e, dans les voies digestives de l'insecte, c?de ses principes nutritifs, et repara?t du c?t? oppos? fil?e en cordon. Eh bien, ce cordon sans rupture, souvent d'une seule pi?ce, toujours appendu ? l'orifice de la fili?re, prouve surabondamment, sans autres observations, la continuit? de l'acte digestif. Quand les provisions touchent ? leur fin, le c?ble d?roul? est d'une longueur ?tonnante: cela se mesure par pans. O? trouver le pareil de tel estomac qui, de si triste pitance, afin que rien ne se perde au bilan de la vie, fait r?gal une semaine, des quinze jours durant sans discontinuer. Toute la pelote pass?e ? la fili?re, l'ermite repara?t au jour, cherche fortune, trouve, se fa?onne une nouvelle boule et recommence. Cette vie de liesse dure un ? deux mois, de mai en juin; puis quand viennent les fortes chaleurs aim?es des Cigales, les Scarab?es prennent leurs quartiers d'?t? et s'enfouissent au frais dans le sol. Ils reparaissent aux premi?res pluies d'automne, moins nombreux, moins actifs qu'au printemps, mais occup?s alors apparemment de l'oeuvre capitale, de l'avenir de leur race. CHAPITRE II LA VOLI?RE Si l'on recherche dans les auteurs quelques renseignements sur les moeurs du Scarab?e sacr? en particulier, et sur les rouleurs de pilules de bouse en g?n?ral, on trouve que la science en est encore aujourd'hui ? quelques-uns des pr?jug?s ayant cours du temps des Pharaons. La pilule cahot?e ? travers champs, contient, dit-on, un oeuf; c'est un berceau o? la future larve doit trouver ? la fois le vivre et le couvert. Les parents la roulent sur le sol accident? pour la fa?onner plus ronde; et quand par les chocs, les cahotements, les chutes le long des pentes, elle est convenablement ?labor?e, ils l'enfouissent et l'abandonnent aux soins de la grande couveuse, la terre. Ces brutalit?s de la premi?re ?ducation m'ont toujours paru peu probables. Comment un oeuf de Scarab?e, chose si d?licate, si impressionnable sous sa tendre enveloppe, r?sisterait-il aux commotions du berceau roulant? Il y a dans le germe une ?tincelle de vie que le moindre attouchement, un rien, peut dissiper; et les parents s'avisent de la cahoter des heures et des heures par monts et vall?es! Non, ce n'est pas ainsi que les choses se passent; la tendresse maternelle ne soumet pas sa prog?niture au supplice du tonneau de R?gulus. Il fallait cependant autre chose que des consid?rations logiques pour faire table rase des opinions re?ues. J'ai donc ouvert par centaines des pelotes roul?es par les bousiers; j'en ai ouvert d'autres extraites des terriers creus?s sous mes yeux; et jamais, au grand jamais, je n'ai trouv? ni loge centrale, ni oeuf dans ces pilules. Ce sont invariablement de grossiers amas de vivres, fa?onn?s ? la h?te, sans structure interne d?termin?e, de simples munitions de bouche avec lesquelles on s'enferme pour couler en paix quelques jours de bombance. Les bousiers mutuellement se les jalousent, se les pillent avec une ardeur qu'ils ne mettraient certainement pas ? se d?rober de nouvelles charges de famille. Entre Scarab?es, le vol des oeufs serait une absurdit?, chacun ayant assez ? faire pour assurer l'avenir des siens. Donc sur ce point d?sormais aucun doute: les pelotes que l'on voit rouler aux bousiers jamais ne contiennent d'oeufs. Pour r?soudre la question ardue de l'?ducation de la larve, ma premi?re tentative fut la construction d'une ample voli?re, avec sol artificiel de sable et provisions de bouche fr?quemment renouvel?es. Des Scarab?es sacr?s y furent introduits au nombre d'une vingtaine, en soci?t? de Copris, de Gymnopleures et Onthophages. Jamais exp?rience entomologique ne me valut autant de d?boires. Le difficile ?tait le renouvellement des vivres. Mon propri?taire avait ?curie et cheval. Je gagnai la confiance du domestique, qui rit d'abord de mes projets, puis se laissa convaincre par la petite pi?ce blanche. Chaque d?jeuner de mes b?tes me co?tait vingt-cinq centimes. Budget de bousier n'avait jamais sans doute atteint un pareil chiffre. Or, je vois encore, je verrai toujours Joseph qui, le matin, apr?s le pansement du cheval, dressait un peu la t?te par-dessus le mur mitoyen des deux jardins et, tout doucement, faisant porte-voix de la main, me criait: h?! h?! J'accourais recevoir un plein pot de crottin. La discr?tion des deux parts ?tait n?cessaire, vous allez voir. Un jour le ma?tre survient de fortune au moment de l'op?ration; il s'imagine que tout son fumier d?m?nage par-dessus le mur et que je d?tourne au profit de mes verveines et de mes narcisses ce qu'il r?serve pour ses choux. Vainement j'essaie d'expliquer la chose: mes raisons paraissent plaisanteries. Joseph est houspill?, trait? de ceci, trait? de cela, et menac? d'?tre cong?di? s'il recommence. On se le tint pour dit. Il me restait la ressource d'aller sur la grande route cueillir honteusement, ? la d?rob?e, dans un cornet de papier, le pain quotidien de mes ?l?ves. Je l'ai fait et je n'en rougis pas. Quelquefois le sort me favorisait: un ?ne apportant au march? d'Avignon les produits mara?chers de Ch?teau-Renard ou de Barbentane, d?posait son offrande en passant devant ma porte. Telle aubaine, aussit?t recueillie, m'enrichissait pour quelques jours. Bref, rusant, guettant, courant, faisant de la diplomatie pour une bouse, je parvins ? nourrir mes captifs. Si le succ?s est attach? aux entreprises faites avec passion, avec amour que rien ne rebute, mon exp?rience devait r?ussir; elle ne r?ussit pas. Au bout de quelques temps, mes Scarab?es consum?s de nostalgie dans un espace qui ne leur permettait pas les grandes ?volutions, se laiss?rent mis?rablement mourir sans me livrer leur secret. Les Gymnopleures et les Onthophages r?pondirent mieux ? mon attente. En moment opportun, je profiterai des renseignements par eux fournis. Avec mes essais d'?ducation en voli?re ?taient men?es de front les recherches directes, dont les r?sultats ?taient loin de ce que je pouvais d?sirer. Je crus n?cessaire de m'adjoindre des aides. Pr?cis?ment, une joyeuse bande d'enfants traversaient le plateau. C'?tait un jeudi. Oublieux de l'?cole et de l'affreuse le?on, une pomme dans une main, un morceau de pain dans l'autre, ils venaient du village voisin, les Angles; ils s'en allaient tout l?-bas gratter la colline pel?e o? viennent s'amortir les balles de la garnison dans les exercices de tir. Quelques morceaux de plomb, de la valeur d'un petit sou peut-?tre pour la r?colte enti?re, ?taient le mobile de la matinale exp?dition. Les fleurettes roses des g?raniums ?maillaient les pelouses qui se h?taient d'embellir un moment cette Arabie p?tr?e; le motteux oreillard, mi-partie blanc et noir, ricanait en voletant d'une pointe de rocher ? l'autre; sur le seuil de terriers creus?s au pied des touffes de thym, les grillons emplissaient l'air de leur monotone symphonie. Et les enfants ?taient heureux de cette f?te printani?re; plus heureux encore des richesses en perspective, du petit sou, prix des balles trouv?es, du petit sou qui leur permettrait d'acheter le dimanche suivant, ? la marchande ?tablie devant la porte de l'?glise, deux berlingots ? la menthe, deux gros berlingots de deux liards pi?ce. J'aborde le plus grand, dont la mine ?veill?e me donne bon espoir; les petits font cercle tout en mangeant leur pomme. J'expose la chose, je leur montre le Scarab?e sacr? roulant sa boule; je leur dis que dans cette boule, enfouie quelque part en terre, je ne sais o?, doit quelquefois se trouver une niche creuse et dans cette niche un ver. Il s'agit, en fouillant ?? et l? au hasard, en surveillant les manoeuvres du Scarab?e, de trouver la boule habit?e par le ver. Les boules sans ver ne doivent pas compter. Et pour les all?cher par une somme fabuleuse, qui d?tourn?t d?sormais au profit de mes recherches le temps consacr? ? quelques liards de plomb, je promis un franc, une belle pi?ce toute neuve de vingt sous, pour chaque boule habit?e. ? l'?nonc? de cette somme, il y eut des ?carquillements d'yeux d'une adorable na?vet?. Je venais de bouleverser leurs conceptions sur le num?raire, en cotant ? ce prix fou la valeur d'un crottin. Puis, pour confirmer le s?rieux de ma proposition, quelques sous furent distribu?s en mani?re d'arrhes. La semaine suivante, ? pareil jour, ? pareille heure, je devais me retrouver aux m?mes lieux, et fid?lement remplir les conditions du march? envers tous ceux qui auraient la pr?cieuse trouvaille. La bande bien endoctrin?e, je cong?diai les enfants. < Au jour dit, la semaine d'apr?s, je revins au plateau. Je ne doutais pas du succ?s. Mes jeunes collaborateurs avaient d? parler ? leurs camarades du commerce si lucratif des pilules de bousier, et montrer les arrhes pour convaincre les incr?dules. Je trouvai, en effet, sur les lieux un groupe plus nombreux que la premi?re fois. ? mon arriv?e, ils accoururent, mais sans ?lan de triomphe, sans cris de joie. Je voyais d?j? les choses prendre une mauvaise tournure. L'appr?hension n'?tait que trop fond?e. Au sortir de l'?cole, ? bien des reprises, ils avaient cherch? sans rien trouver de conforme ? ce que je leur avais d?crit. Il me fut pr?sent? quelques pelotes trouv?es en terre avec le Scarab?e; mais c'?tait simplement des amas de vivres, ne contenant pas de ver. De nouvelles explications sont donn?es, et la partie remise au jeudi suivant. L'insucc?s fut le m?me. Les chercheurs d?courag?s n'?taient d?j? plus qu'en petit nombre. Une derni?re fois, je fais appel ? leur bonne volont?, toujours sans r?sultat. Enfin, je d?dommageai les plus z?l?s, ceux qui avaient tenu bon jusqu'au bout, et le pacte fut rompu. Je ne devais compter que sur moi seul pour des recherches qui, tr?s simples en apparence, ?taient r?ellement d'une difficult? extr?me. Add to tbrJar First Page Next Page |
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