Read Ebook: L'impudente by Deberly Henri
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 976 lines and 54954 words, and 20 pages--Et par ici la Cagne, ajouta-t-il... Nous serons arriv?s dans trois minutes. Le chemin de traverse ?tait mauvais et le petit cheval dut marcher au pas. Le bruit de ses sabots, le roulement heurt? de la charrette souple troublaient seuls, avec des cris r?sonnant au loin, la pacifique splendeur pleine de promesses de cette fin de jour proven?ale. L?g?rement inclin?e vers la croupe du cob, la jeune fille, dont les doigts tourmentaient une fleur, essayait de distinguer une habitation dans la masse touffue du bosquet. Elp?mor alluma une cigarette et s'adossa nonchalamment au fond du tonneau. Bient?t ils atteignirent une all?e couverte. Il y faisait obscur et presque frais. Apr?s deux ou trois coudes ? peine sensibles, elle d?bouchait sur une terrasse ?galement plant?e o? d?j? la petite voiture s'engageait lorsqu'enfin la demeure se dessina. --Ma ch?re amie, voici Mademoiselle Lola Dimbre, dit Elp?mor ? une jeune femme qui s'?tait lev?e et venait ? leur rencontre ? travers les arbres. Lola re?ut dans la sienne une main timide et r?pondit au beau sourire d'un visage pensif. Les valises l'emp?chaient de sauter par terre. Debout dans la charrette, tandis qu'un domestique supprimait l'obstacle, elle rassura, en quelques mots, Denise Elp?mor qui craignait que le voyage ne l'e?t fatigu?e. --Et Claude, demanda Georges, o? donc est-il? Peut-?tre aurait-il pu se trouver pr?sent. C'e?t ?t?, de sa part, simplement poli! --Il a attendu, dit la jeune femme; mais la patience, tu sais, n'est pas son fort et il s'est d?cid? tout ? l'heure ? retourner jouer. --Ah! parfait!... D?s l'instant qu'il s'est d?cid?!... Elp?mor fit entendre un petit rire sec. Puis, haussant les ?paules, il s'?loigna. --Mademoiselle, dit Denise sans marquer d'humeur, si vous voulez prendre la peine de m'accompagner, je vais vous conduire ? votre chambre. La maison ?tait basse, toute en longueur, avec des contrevents vert fonc? sur une fa?ade ocre. Des arbres ?pars l'ombrageaient, la cime d'un marronnier d?passait son toit. Un pas donnait acc?s dans le vestibule o? prenait naissance l'escalier. A l'unique ?tage, un corridor mal ?clair? desservait les chambres. Celle o? Lola fut introduite ?tait assez grande et occupait un angle de la bastide. Elle communiquait avec la pi?ce attribu?e ? Claude, chang? d'appartement le matin m?me pour ?tre d?sormais sous sa surveillance imm?diate. --Ici, Mademoiselle, vous ?tes chez vous! Si la moindre des choses vous fait d?faut, n'h?sitez surtout pas ? me le faire dire. La jeune fille remercia, chercha ses cl?s et se mit aussit?t ? sa toilette. Quand elle redescendit, au bout d'un quart d'heure, Claude ?tait pr?s de sa m?re sous le marronnier. Il avait fallu le relancer au fond du jardin et le ramener presque de force. Les yeux maussades sous la broussaille des cheveux d?faits, il regarda venir l'?trang?re. --Bonjour, petit ami, lui dit Lola. Il r?pondit: < --C'est un affreux sauvage! gronda Denise. Mademoiselle, ne faites pas attention ? lui: vous le verrez bient?t s'apprivoiser. Le d?ner fut servi sur la terrasse. Elp?mor ne parut qu'apr?s le potage. Il jugeait inutile, n'en prenant jamais, de s'attabler devant une assiette vide. A son arriv?e, Denise interrompit la conversation pour lui poser avec tendresse une question banale qu'il fit d'ailleurs semblant de ne pas entendre. Elle en rougit et la jeune fille se sentit g?n?e. Leur entretien reprit sans ga?t?, ni suite. Georges, de temps en temps, pla?ait un mot, le plus souvent d?sagr?able et toujours jet? d'un ton sec. Son visage exprimait la mauvaise humeur. Il mangeait peu, sans app?tit, avec correction, et parut sur le point de s'impatienter parce que l'entremets se faisait attendre. Le d?ner s'acheva ? la lumi?re. Des papillons venaient r?der autour de la lampe, tombaient sur la nappe, les ailes br?l?es, et remuaient leurs petites pattes dans une convulsion jusqu'? ce que, d'une chiquenaude, on les e?t chass?s. Claude essayait de les atteindre avec son couteau et se reculait sur sa chaise en poussant un cri toutes les fois que quelque vol lourd l'effleurait. --Dodo, Bouzou! lui dit sa m?re lorsqu'il fut neuf heures. L'institutrice se leva avec l'enfant. --Oh! non, Mademoiselle, je vous en prie! Vous devez avoir besoin de vous reposer. Laissez-moi le mettre au lit pour le dernier soir! Elp?mor eut un geste impatient? et ne put r?primer un l?ger sourire en s'apercevant qu'il avait ?t? surpris par Lola. Le menton entre les doigts, les paupi?res baiss?es, il entreprit de rassembler en tas sym?triques les cendres ?cras?es du cigare en train. La femme de chambre, en desservant, ?ta son assiette. Il dut alors chercher une autre attitude, se renversa sur sa chaise, fuma plus vite et feignit d'observer avec attention les capricieuses volutes que soufflaient ses l?vres. Mais sa mauvaise humeur n'?tait plus sinc?re. Il arrivait ? ce point de ses sourdes crises o? ses nerfs, ? l'exc?s tendus, s'apaisaient et o? il ne prolongeait plus que par artifice un ?tat qui pour lui n'?tait pas sans charme. Profitant d'une absence de la servante: --Mademoiselle, murmura-t-il, il faut m'excuser! Je suis insupportable et m'en rends compte. Mon caract?re, h?las! est ainsi fait que je n'ai jamais pu dissimuler mes contrari?t?s. Une boutade qu'il ajouta et dont elle put rire ?pargna ? la jeune fille l'ennui d'une r?ponse. Il en lan?a coup sur coup deux ou trois autres et paraissait en voie de se d?rider tout ? fait lorsque Denise redescendit avec un ouvrage. Alors, nonchalamment, il quitta la table et alla s'installer un peu plus loin sur le si?ge cann? d'une chaise longue. --Le Bouzou m'a charg?, Mademoiselle, de vous dire bonsoir. Il a ajout?, en se couchant, que vous lui ?tiez d?j? < La l?vre sup?rieure de la jeune fille se releva sur ses dents, qu'elle avait fort belles, et l'expression que prit alors son s?rieux visage aurait glac? Denise si elle l'avait vue. Mais d?j?, les yeux baiss?s, surveillant ses points, pour tenir une promesse qu'elle s'?tait faite, elle avait entrepris de d?finir Claude, de sugg?rer ? son ?gard une ligne de conduite. Il avait assur?ment de l?gers d?fauts. Il ?tait m?me sujet ? des caprices. Le mieux ?tait pourtant de ne pas l'aigrir. Chez lui, le coeur, parfait, conduisait la t?te, l'emp?chait de d?passer, dans l'espi?glerie, une limite en somme tol?rable. C'?tait surtout ? sa tendresse qu'il fallait parler: on ?tait alors surpris de ses prompts retours, de la sinc?rit? de ses confusions, de l'ing?niosit?, de la gentillesse qu'il mettait ? r?parer et ? se faire pardonner ses fautes. Lola, bien que donnant par politesse des signes d'attention, ?coutait distraitement ce pan?gyrique. Dans son esprit se dessinait une image morale qui n'?tait pas du tout celle de Claude. Elle faisait son affaire de celui-ci. L'intransigeant, le fantasque Elp?mor l'int?ressait seul, maintenant tout ? fait ?nigmatique, ?tendu dans l'ombre, et dont la proche pr?sence ne se r?v?lait que par le feu mobile de sa cigarette. Nul doute qu'il n'entend?t et ne l'observ?t. Elle devinait son regard sombre attach? sur elle, sa finesse appliqu?e ? lire sur ses traits l'ennui que lui causait la conversation. Aussi, se gardait-elle d'en marquer aucun: toute flatterie ? son ?gard l'aurait humili?e comme une reconnaissance de sa condition d?pendante. Un peu apr?s dix heures, elle se leva. Denise aimablement lui tendit la main, puis posa son ouvrage, et elles firent quelques pas sur la terrasse. Elp?mor cependant n'avait pas boug?. --Bonsoir, Monsieur! jeta-t-elle en passant. Il r?pondit de sa voix s?che: --Bonsoir, Mademoiselle! Mais elle ne le vit pas sortir de l'ombre et elle n'aurait pu affirmer qu'il avait pris la peine d'incliner la t?te. Sa premi?re anecdote sentimentale--et la plus importante, sous son air l?ger, puisque elle devait un jour fixer sa vie,--Elp?mor la situait ? Marseille, dans un salon cossu de la rue Saint-Jacques. Il avait ? cette ?poque environ treize ans. Sa m?re, veuve depuis peu, l'emmenait ? B?ne, o? elle allait rendre visite ? un oncle infirme. De passage ? Marseille, leur bateau ne partant que le jour suivant, ils avaient ?t? les h?tes des Ricard, grands bourgeois enrichis par le commerce, amis des Elp?mor et tr?s lointainement leurs alli?s. La fille de ces bourgeois sortait du couvent. C'?tait une personne fra?che et pleine d'entrain. Elle faisait f?te ? Georges, l'accaparait, courait avec lui toute la ville sous la conduite d'une vieille servante qui soufflait ? suivre, le fourrait de g?teaux, de chocolat, et ne le ramenait qu'? l'heure du d?ner, satur? de fatigue et de friandises. Le soir, dans le salon, elle s'asseyait aupr?s de lui sur le canap?, lui montrait des dessins et des gravures. M. Ricard ?tait au cercle et les dames causaient. Le clair de lune blanchissait la maison d'en face. Dans la conversation, Mme Elp?mor demandait ? Mme Ricard si elle et son mari ne songeaient pas ? l'?tablissement de Denise. La jeune fille se tournait alors vers l'enfant et, d'un geste r?p?t? de sa petite main, lui signifiait plaisamment: < Le jour suivant, il prenait le bateau pour B?ne; mais ce badinage l'avait frapp?: il devait, par la suite, y penser souvent. Des ann?es pass?rent. En sortant du coll?ge, Georges entreprit de conqu?rir sa licence en droit, sans intention sp?ciale, et d'ailleurs sans go?t, simplement parce que sa m?re l'y poussait et que lui-m?me ne se sentait attir? vers aucune Ecole. Le jeu le captivait, les filles l'amusaient, il avait tout ? fait oubli? Denise, mais il aimait la po?sie d'un amour ardent. Ma?tre ? vingt-et-un ans de son patrimoine, il le jugea trop mesquin pour pouvoir en vivre. A peine s'agissait-il de cent vingt mille francs, dont les trois quarts en terres qui rapportaient peu. Il ne mit pas quatre ans ? en voir la fin. Un matin d'octobre, il se pr?senta chez sa m?re et lui annon?a paisiblement qu'il ?tait ruin?. Cette femme pleine d'exp?rience n'en fut pas surprise. De p?re en fils, tous les hommes de sa famille d?butaient ainsi, et Georges, compar? aux plus intr?pides, avait montr? quelque mesure dans le gaspillage. Apr?s la sc?ne traditionnelle, et qu'elle abr?gea, elle accepta les dettes courantes, promit une pension, mais imposa comme condition le choix d'une carri?re. Georges lui demanda de l'y aider. Un mois apr?s, M. Ricard, consult? par elle et qui go?tait ? s'entremettre un bonheur na?f, appelait le jeune homme ? Marseille chez un courtier maritime de ses amis. La maison des Ricard lui ?tant ouverte, il y sonna le premier jour en enfant perdu. Quelle ne fut pas sa surprise de s'apercevoir que le coeur de Denise battait pour l'homme fait comme il avait battu pour le coll?gien? Des pr?sents lui parvinrent ? son h?tel. Un mot, toujours sign?, les accompagnait, et les cadeaux n'?taient que de sucreries, ce qui leur enlevait toute port?e g?nante. Denise, les premiers temps, les offrait sans trouble; mais du jour o?, par ga?t?, Georges l'embrassa, elle se consid?ra comme sa fianc?e. Lui, pourtant, la voyait sans aucun amour. L'?ge, en la m?rissant, l'avait affin?e, elle ?tait grave, adroite et fort jolie, mais il n'arrivait pas ? priser une ?me qui ne devait qu'? l'absence de tout relief sa consid?rable ?tendue. La charit?, la douceur de Denise donnaient le m?me ennui qu'un jardin de roses. Sa patience ?tait sans borne et toujours ?gale. Vers sa vingti?me ann?e, elle avait voulu entrer au couvent. Conjur?e par son p?re d'y renoncer, elle avait abandonn? ce fervent dessein ? condition qu'on lui perm?t de demeurer fille. Tout en elle rappelait qu'elle l'avait form?. Sa passion de souffrir ?tait si grande qu'elle allait au-devant du sacrifice comme autrefois les saintes vers les lions couch?s. Elle disait ? Georges: --Plus tard, mon ch?ri, quand vous me ferez du chagrin, promettez-moi que vous ne resterez jamais plus de trois ou quatre jours sans rentrer!... Elle se frottait contre sa joue pour sentir sa barbe et, quand il l'embrassait, elle soupirait. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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