Read Ebook: Monsieur Barbe-Bleue... et Madame by Mille Pierre
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 420 lines and 22253 words, and 9 pagestat semblable on ne comprendrait pas les m?decins qui viennent de voir ? l'h?pital les milliers d'aspects que prennent la douleur et la mort, et rentrent pourtant chez eux l'?me paisible, sans s'imaginer qu'ils pourraient trouver leurs enfants ? l'agonie ou leur femme veill?e d?j? par les cierges fun?bres. Tout ce qui est l'objet d'?tudes habituelles n'atteint plus que l'intellect, ?chappe ? la sensibilit?. Il passa une robe de chambre et marcha vers le cabinet de travail, d'un pas ?gal, ? peine un peu h?t?. L'odeur sulfureuse qui se m?le aux ?manations plus perfides de l'oxyde de carbone flottait encore, malgr? les fen?tres ouvertes. M?rulle ?tait ?tendu sur le plancher, comme s'il avait voulu se lever pour ouvrir la porte, et l'on voyait qu'il avait vomi. Alors seulement le pr?sident sentit son coeur se serrer. Cela aussi, c'?tait dans les < Il r?fl?chit un instant et d?cida: --Priez miss Clare de faire habiller les petites, sans rien leur dire, et de les emmener en promenade tout de suite. Vous, passez chez le m?decin et... non, ne pr?venez pas la police. C'est un accident. Je vais faire un mot pour le procureur g?n?ral. Il faut qu'il soit pr?venu, c'est plus r?gulier. Miss Clare ?tait d?j? entr?e. --Oui, miss Clare, dit-il de sa voix volontairement froide, vous allez... Mais l'Anglaise cria: --C'est Madame! Ce n'est pas un accident, c'est madame! Oui, c'est elle qui l'a assassin?, c'est elle qui a tourn? la clef du po?le! Elle est venue la nuit, c'est elle qui s'est veng?e parce que... parce qu'il n'?tait plus ? elle, mais ? moi! --Vous dites? fit une voix un peu rauque. Mme Rennemont aussi ?tait arriv?e, en peignoir et tr?s p?le, mais coiff?e, la fra?cheur de l'eau sur son corps, et des bas sous ses mules, comme s'il y avait longtemps qu'elle f?t lev?e, longtemps d?j?. --Vous dites? r?p?ta-t-elle. Avouez donc que c'est vous, malheureuse! C'est vous qui vous vengez! C'est vous qui m'accusez parce que c'est moi qu'il aimait au moment o? j'allais vous chasser. Allons, avouez, avouez! Tout ? coup elles se retourn?rent, rendues muettes malgr? la fureur qui les pr?cipitait. C'?tait les m?choires du pr?sident qui claquaient, parce qu'il voulait parler et ne pouvait pas. Et de n'?tre plus ma?tre de son corps, de sa parole, de son jugement, lui le juge, on voyait que cela augmentait le mal de son ?me: l'adult?re ? son foyer, l'assassinat ? son foyer, toutes ces r?v?lations dans la m?me seconde, l'ignominie dans laquelle on l'avait fait vivre! Et les deux femmes, d'un m?me geste, mirent les mains sur leurs yeux pour leur cacher un spectacle ?pouvantable. Quoi! Il y avait donc un autre homme au monde que celui qui ?tait couch? l?, sur le plancher, que celui qui ?tait mort! Elles n'y avaient pas pens?. A la fin, le pr?sident pronon?a, en regardant fixement la cuisini?re: --Elles sont folles! C'est bien naturel en ce moment, elles ont perdu la t?te... C'est moi qui ai ferm? la clef du po?le au lieu de l'ouvrir, hier soir. C'est une erreur atroce, atroce... Il s'?tait reconquis, et en ?prouvait une fiert? qui rouvrait toutes les ?cluses de son sang. Il se mit ? son bureau et ?crivit: < < Il tendit la lettre, non cachet?e, ? miss Clare. --Portez cela, lui dit-il. La gouvernante recula. --Oh! ce n'est pas un pi?ge, ajouta le pr?sident, vous pouvez lire. Mais comme miss Clare s'?loignait, il dit encore: --Pourtant il faudrait mettre d'abord M. M?rulle sur son lit. Les deux femmes firent un mouvement, mais seule miss Clare s'avan?a. Mme Rennemont s'?tait arr?t?e devant le corps, glac?e, sans oser faire un pas. Alors le pr?sident lui dit ? l'oreille: --C'est vous qui avez tu? cet homme! Mais il n'avait fait cela que pour savoir, et n'en dit jamais rien ? personne. LA JUSTICE IMMANENTE Ceci se passait avant la guerre. Il y avait encore, ? cette ?poque recul?e, des grandes manoeuvres. Quelques personnes d'un mauvais caract?re demandent parfois si vraiment nous avons gagn? quelque chose ? gagner la guerre: nous y avons gagn? qu'il n'y a plus de grandes manoeuvres! --... Est-ce que c'est encore loin? --Quoi, mon colonel? demanda le lieutenant Birot. --Toussuges, parbleu, pas Saint-P?tersbourg: le ch?teau de Toussuges, o? vous me logez. Vous trouvez que l'?tape n'est pas assez longue? Les chevaux m?me n'en peuvent plus. C'?tait vrai. Les chevaux buttaient contre tous les cailloux. Leur pas, qui s'?tait raccourci, retentissait douloureusement par contre-coup sur le cuir des selles, et les cavaliers ?prouvaient cette crampe lancinante des cuisses, presque in?vitable, m?me pour les plus endurcis, apr?s de longues heures d'une allure uniforme et lente. Le colonel Hersac se retourna: quelques jeunes dragons, la figure crisp?e, soulevant en silence leurs ?triers, avaient ramen?, pour changer de position, leurs rotules ? la hauteur du cou de leurs montures. Se sentant regard?s, ils remirent l'?trier au bout du pied, la jambe correctement tombante, et le colonel fit comme s'il n'avait rien vu. C'?tait un brave homme, et pas b?te. Il savait que, pour obtenir, quand il le faut, un coup de collier de jeunes soldats, le meilleur moyen est de ne pas les brutaliser pour des sottises. Lui-m?me, ?reint?, tenait ? n'en laisser rien para?tre. D'ailleurs, il continuait de parler, intarissablement. C'?tait, selon ses subordonn?s imm?diats, le seul d?faut s?rieux du colonel: il e?t parl? sous le couteau, parl? ? l'article de la mort; bien plus, devant un sup?rieur! Il parlait comme on respire. Et cependant on allait, sur la route poudreuse, vers l'horizon d'ouest, o? le soleil couchant jetait des flammes longues qui faisaient cligner les yeux, dess?chant encore les gorges alt?r?es: et le colonel dissertait toujours. Il bl?ma la m?thode allemande qui d?ploie en cha?ne, pour l'attaque, la seconde ligne d'infanterie, en la rapprochant trop de la premi?re. Il fit le proc?s de l'artillerie lourde. Voil? ce que c'est que de vouloir ?tre intelligent; les jugements de l'avenir sont parfois terribles pour ceux qui pr?tendent les pr?voir! C'est ainsi que, dans son enthousiasme guerrier, il devenait r?volutionnaire. Puis il eut des mots nombreux, et vivants, et gais, malgr? sa fatigue, pour vanter l'acc?l?ration des mouvements tactiques, peignit des bataillons de cyclistes, d'innombrables ?quipes d'automobiles, passant sur les derri?res de l'ennemi pour y jeter le d?sordre et la peur. Les secousses du cheval, le poids m?me de son corps, qui portait depuis si longtemps sur les m?mes muscles, avaient fini par lui donner un petit pincement dans la r?gion du coeur; ses paroles sortaient mal ? travers sa moustache rousse toute blanchie de poussi?re; et pourtant il trouvait encore d'autres paroles pour de nouvelles pens?es. Le village de Toussuges apparut, pareil ? tous les villages de la basse Bourgogne: des maisons qui ressemblaient, de loin, ? des cocottes en papier, rang?es bien sagement sous une grand'm?re poule, l'?glise, qui les dominait pacifiquement, avec l'?chine droite de son toit, redress?e brusquement par un clocher pointu. --Mais votre ch?teau, votre sacr? ch?teau, dans tout ?a? demanda le colonel Hersac. --Vous y ?tes, r?pondit le lieutenant. Le colonel, se baissant sur l'encolure de sa b?te, leva la jambe droite pour sauter ? terre. Alors il sentit, avec le commencement de raideur impos? par les ann?es, la cruelle contraction de ses muscles froiss?s. Ses traits nets et volontaires se tir?rent. Il eut, un instant, cette impression p?nible des hommes fiers d'?tre rest?s alertes apr?s la quarantaine, et qui sentent pourtant, ? de certaines minutes et ? certains indices, que l'?nergie de leur jeunesse ne durera pas toujours. Et ce fut juste ? cet instant, par malencontre, que le lieutenant Birot dit ? son chef: --Mme de Toussuges m'a pri? de vous dire qu'elle comptait que vous lui feriez le plaisir de d?ner au ch?teau. --Zut! cria le colonel Hersac. Zut! Vous entendez? Et lui faire une visite, n'est-ce pas, avant le d?ner, ? la dame du ch?teau, la visite d'usage: non! Je vais dormir, sapristi, je vais dormir, tant que je pourrai. Et puis, j'irai d?ner ? l'auberge. Et apr?s, je retournerai dormir, dormir encore! --Mais, mon colonel... --Allez-y, vous! Excusez-moi. Dites... dites ce que vous voudrez. Dites que je suis sourd, par exemple, sourd comme une pioche, sourd ? ne pas entendre le canon, et que ?a m'emp?che d'aller dans le monde, que j'y ai l'air trop idiot. Je vous autorise ? lui dire ?a, ? la dame du ch?teau, que j'ai l'air trop idiot! Le lieutenant avait le respect des ordres donn?s. Il fit la commission, tr?s ponctuellement, bien que dans des termes adoucis. Mme de Toussuges accepta ces explications de la meilleure gr?ce du monde. Une heure plus tard, le colonel Hersac, qui s'?tait jet? sur un canap?, fut fort ?tonn? de se r?veiller parfaitement dispos. Il en ?prouva quelque vanit?. Son ordonnance lui avait tir? ses bottes, la circulation s'?tait r?tablie, un sang plus frais et comme rajeuni coulait dans ses veines. Une aspersion d'eau froide, la joie de patauger quelques instants pieds nus dans la cuve de zinc qu'il trouva dans le cabinet de toilette, ajout?rent encore ? ce sentiment de pl?nitude et d'all?gresse. Au-dessus des deux portes qui s'ouvraient dans sa chambre, un ?mule de Boucher, sans doute ce P?rot qui a laiss? sur les panneaux des < Le colonel Hersac se piquait d'aimer cet art subtil. Il ?tait peut-?tre, comme beaucoup de gens, moins sensible ? son ing?nieuse ?l?gance, qu'enclin ? exprimer en phrases abondantes des id?es sur l'histoire de cet art; et il avait, tout pr?t, un d?veloppement sur Dendrillon, Tremblin, Pierre Hall?, Gillot, Bachelier, d?corateurs, sculpteurs, ciseleurs raffin?s, dignes de garder une petite part de la gloire qu'on accorde aux Caffieri, aux Desportes, aux Oudry. Il m?ditait d'y joindre d'autres d?veloppements, m?me patriotiques. Et je vous le dis sans railler; car, en v?rit?, qu'un soldat esp?re pour son pays, sur les champs de bataille, la m?me sup?riorit? qu'Huet et Boucher lui donn?rent dans la peinture d?licate des plaisirs, il est possible que ce soit na?f, mais aussi cela est beau et touchant. Dans ce besoin d'expansion, le colonel Hersac se rappela qu'il devait une visite ? la ch?telaine de Toussuges, et ne se rappela rien autre. Il se croyait seulement certain de trouver en elle une personne susceptible d'appr?cier la profondeur et la diversit? de ses vues. Il se mit en grande tenue, brossa ses cheveux encore drus, sa grosse moustache rousse, descendit un ?tage et se fit annoncer. --Ah! mon Dieu! dit la bonne Mme de Toussuges, le pauvre homme! Il n'a pas os?, malgr? son infirmit?, s'?pargner cette corv?e. Comme il doit souffrir! Elle ?tait d'esprit charitable. Elle se promit d'abr?ger une c?r?monie qui devait para?tre infiniment p?nible au colonel. Elle pensa enfin que ses propres ressources de conversation ?taient n?cessaires pour att?nuer le ridicule d'une sc?ne embarrassante. Et sans h?siter, tout uniment, d'une voix per?ante, elle exprima toute l'obligation qu'elle avait d'une telle visite ? un officier sup?rieur que d'autres soins devaient occuper, et qui n'avait besoin d'autre excuse pour ne pas accepter la place qu'elle e?t ?t? si heureuse de lui offrir ? sa table. Le colonel rougit. Il se rappela son mensonge, il le jugea saugrenu, il en ?prouva une am?re confusion. --J... fit-il. Add to tbrJar First Page Next Page |
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