Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: The Eagle's eye by Cooper Courtney Ryley Flynn William J William James

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 1491 lines and 75489 words, and 30 pages

A c?t? de mon fils, sur les marches du seuil, je m'assieds pour songer, dans ce silence, au milieu d?c?s herbes. Jamais avec autant d'effroi je n'avais entrevu l'ab?me, le d?finitif ab?me ouvert entre ceux qui vivaient ici et l'homme que je suis devenu. Eux ?taient les sages et les calmes, et ma destin?e, au contraire, fut de courir ? tous les mirages, de sacrifier ? tous les dieux, de traverser tous les pand?moniums et de conna?tre toutes les fournaises....

D'ailleurs, une seconde fois, je ne retrouverais sans doute m?me pas les impressions profondes de cette journ?e; il n'y aurait plus, pour mes suivants retours, ces nuages et cette saison, ce renouveau d'avril entre ces murs abandonn?s, ce jardin refleuri sous ce ciel noir, rien de ce qui agit ? cette heure sur le mis?rable jouet que je suis de mes nerfs et de mes yeux.

Le mieux serait donc, il me semble, de laisser sommeiller toutes ces choses, de refermer respectueusement cette porte, comme on scellerait une entr?e de s?pulcre,--et de ne plus l'ouvrir, jamais....

LE CH?TEAU DE LA BELLE-AU-BOIS-DORMANT

<>

Souvent j'ai jet? un appel d'alarme vers mes amis inconnus pour qu'ils m'aident ? secourir des d?tresses humaines, et toujours ils ont entendu ma voix. Aujourd'hui il s'agit de secourir des arbres, de nos vieux ch?nes de France que la barbarie industrielle s'acharne partout ? d?truire, et je viens implorer: <>

Cette for?t-l?, j'y ai v?cu douze ann?es de mon enfance et de ma prime jeunesse; tous ses rochers me connaissaient, et tous ses ch?nes centenaires et toutes ses mousses. Le domaine appartenait alors ? un vieillard qui n'y venait jamais, vivait clo?tr? ailleurs, et qu'en ce temps-l? je me repr?sentais comme une sorte d'invisible personnage de l?gende. Le ch?teau restait livr? ? un r?gisseur, campagnard solitaire et un peu farouche, qui n'ouvrait la porte ? personne; on ne visitait pas, on n'entrait pas; j'ignorais ce que pouvaient cacher les liantes fa?ades closes et ne regardais que de loin les grandes tours; mes promenades d'enfant en for?t s'arr?taient au pied des terrasses moussues, envelopp?es de la nuit verte des arbres et de leur silence.

Ensuite, je m'en suis all? courir par toute la Terre, mais le ch?teau ferm? et ses ch?naies profondes hantaient mon imagination toujours; entre mes longs voyages, je revenais comme un p?lerin ramen? pieusement par le souvenir, me disant chaque fois que rien des lointains pays n'?tait plus reposant ni plus beau que ce coin si ignor? de notre Saintonge. Le lieu du reste se maintenait immuable: aux m?mes tournants des bois, entre les m?mes rochers, je retrouvais les m?mes gramin?es fines, les m?mes fleurettes exquises et rares; dans les clairi?res, sur les tapis des lichens jamais foul?s, je voyais, ?a et l?, comme autrefois, pareilles ? des turquoises, les petites plumes bleues tomb?es de l'aile des geais; dans les fourr?s, les renards en maraude poussaient leurs m?mes glapissements du soir. Rien ne changeait; seulement les mousses ?paississaient leurs velours sur les marches des perrons, les capillaires d?licats gagnaient lentement les terrasses, et, dans les marais d'en bas, les foug?res d'eau se faisaient plus g?antes.

Or cette situation de d?laissement, invraisemblable ? notre ?poque utilitaire, s'?tait prolong?e plus d'un demi-si?cle, et on se disait que ce sommeil du ch?teau peut-?tre durerait longtemps encore, comme il arriva pour celui de la Belle-au-Bois-Dormant. Mais voici que le vieillard invisible vient de mourir, rassasi? de jours; ses h?ritiers vont vendre le domaine enchant?, et des coupeurs de for?ts sont l? pr?ts ? acheter pour abattre: songez donc, il y aurait deux cent mille francs de bois r?alisables tout de suite, et la terre resterait!

Avec quelle m?lancolie, l'autre jour, un apr?s-midi de fin d'?t?, je suis revenu l? faire un p?lerinage qui pourrait bien ?tre le dernier! L'un des nouveaux h?ritiers--jusqu'alors un inconnu pour moi,--averti de ma visite, avait eu la bonne gr?ce de me pr?c?der pour me recevoir. Mais je voulais d'abord ? ?tre seul, et, laissant ma voiture ? une demi-lieue du ch?teau, en familier de ces bois, je me suis gliss? par d'?troits sentiers dans le ravin o? j'avais eu, au temps de mon enfance, mes visions les plus passionn?es de nature et d'exotisme.

C'est un lieu certainement unique dans nos climats. La petite rivi?re sans nom, qui traverse toute la for?t dans une vall?e tr?s en contre-bas, s'attarde l?, plus enclose de rochers, plus enfouie sous l'amas des verdures folles; elle s'?pand au milieu des tourbes et des herbages pour former un semblant de marais tropical. Avant que j'aie vu les vraies flores exotiques, ce ravin d?j? les r?v?lait ? mon imagination d'enfant. Les arbres qui y font de la nuit verte sont singuli?rement hauts, sveltes, group?s en gerbes qui se penchent ? la mani?re des bambous. A l'abri de ces vo?tes de feuillage et de cette sorte de falaise qui garantit comme un mur contre le vent d'hiver, toute une r?serve de nature vierge demeure blottie dans une humidit? et une ti?deur presque souterraines; les roseaux jaillissent de souches si vieilles et si hautes qu'on les dirait mont?s sur un tronc, comme les drac?nas; de m?me pour la plus grande de nos foug?res, l'osmonde, qui y semble presque arborescente. C'est aussi la r?gion des mousses prodigieuses, qui sur toutes les pierres du sol imitent des plumes fris?es, et de mille autres plantes inconnues ailleurs, d'une fragilit? et d'une d?fiance extr?mes, qui ne se risquent ? para?tre que sur les terrains tranquilles depuis toujours.--Il faudrait pr?server jalousement de tels ?dens, sans doute mill?naires, que ni volont?, ni fortune ne seront capables de recr?er.--Dans la p?nombre de sous-bois, je prends le sentier, plut?t l'incertaine battue, qui passe tout au pied de la falaise d'enceinte. Les roches surplombent, des roches d'un gris?tre un peu rose, tellement frott?es par les si?cles qu'elles n'ont plus que des surfaces arrondies. Voici d'abord dans cette muraille une ?trange et adorable niche, toute festonn?e de stalactites et frang?e de capillaires, d'o? s'?chappe une source. Un peu plus loin, les roches lisses, ayant l'air de se plisser comme des draperies qu'on rel?ve, d?couvrent peu ? peu de profondes entr?es obscures,--et ce sont les grottes pr?historiques ouvertes le long de cet ombreux mar?cage; rien n'a d? beaucoup changer aux entours, depuis les temps o? des h?tes primitifs y aiguisaient leurs couteaux de silex. Il y en a plusieurs, de ces grottes, qui se suivent, montrant des porches en plein cintre ou bien dentel?s et d'un dessin ogival. Et enfin j'arrive ? la plus grande, dont la salle d'entr?e a comme un d?me d'?glise; le demi-jour verd?tre des feuill?es n'y p?n?tre pas tr?s loin, et on aper?oit au fond, entre les piliers trapus que lui ont faits les stalactites, des couloirs qui s'en vont plonger en pleine nuit. J'aimais m'y aventurer jadis avec une lampe et un fil conducteur, et je me rappelle qu'une fois, vers ma quinzi?me ann?e, j'avais failli me perdre dans le d?dale de ces galeries, que tapissaient comme d'?paisses coul?es de neige ou de lait, et qui ?taient toutes de la m?me blancheur de suaire.

Le sentier, toujours couvert et demi-sombre, mais de plus en plus facile, remonte enfin au niveau de la plaine, dans des bois touffus o? la flore devient tout autre, sur un terrain sec, feutr? de mousses diff?rentes.

Maintenant une large avenue droite, dans la direction du nord, va me conduire au ch?teau. Elle passe au milieu des bois, les pervenches lui font au printemps des tapis tout bleus, et les <> la recouvrent, lui donnant l'air d'une interminable nef; on s'en contenterait ailleurs, de ces ch?nes-l?, mais ce ne sont que des arbres d'une soixantaine d'ann?es, autant dire des arbrisseaux, compar?s ? ceux qui m'attendent plus loin.

Celui des nouveaux ma?tres de c?ans qui m'attendait vient ? ma rencontre. Il va donc me donner acc?s dans le ch?teau, pr?s duquel j'ai v?cu si longtemps sans y pouvoir entrer.

Premier portail en pierre rouge?tre, o? des bas-reliefs de quatre si?cles repr?sentent des lions endormis. Puis, donjon avanc? du guet, ancien pont-levis, cour d'honneur. Et les tours du ch?teau m?me sont ? pr?sent au-dessus de nos t?tes, avec leurs cr?neaux du moyen ?ge f?odal et leurs toits d'ardoise ajout?s lors de la Renaissance.

Une salle pourtant d?tonne par son luxe plus surcharg?. Des artistes de la Renaissance italienne, mand?s par les seigneurs d'alors, y avaient prodigu? les peintures et les ciselures; aux murailles et au plafond, des encadrements sculpt?s en plein bois, avec une pr?cieuse finesse, entourent de curieux tableaux, d'une ?poque ind?cise et transitoire, o? certains visages ont la na?vet? des primitifs, tandis que des clairs-obscurs et des d?tails de muscles sentent l'influence de Michel-Ange.

Mais ce qui est sans prix, ce qui est sans ?gal nulle part, c'est la vue que l'on a des fen?tres d'en haut et des chambres des tours: au del? des grandes terrasses superpos?es et des vieux jardins ? la fran?aise, partout, n'importe o? l'on regarde, un lointain qui fait oublier le si?cle pr?sent, un lointain qui n'indique aucune ?poque de l'histoire; si l'on veut, c'est le moyen ?ge, ou m?me c'est le temps des Gaules; rien que le tranquille d?ploiement des branches, la paix infinie des choses que l'homme n'a pas encore d?rang?es. On respire l'?ternelle senteur des arbres, des mousses et de la terre. Vers le sud, il y a les bois par lesquels je suis arriv? et qui tombent dans le ravin des grottes. Dans tout l'ouest, au-dessus de la rivi?re et d'une ligne rocheuse, ces autres bois tr?s embroussaill?s--o? je connais des s?pultures gallo-romaines et qui, en dehors du champ de la vue, confinent ? un ?trange petit d?sert de pierrailles. Vers le nord, enfin, c'est un moutonnement de cimes plus hautes et plus sombres, d'un vert intense o? jamais l'automne ne met ses teintes de rouille: la for?t de <> que nous visiterons tout ? l'heure.

Et, devinant d?j? aux allures de mon h?te, ? son esprit distingu?, qu'il saura comprendre, je lui repr?sente quel crime il commettrait en livrant ? des barbares ce domaine. En effet, il ?tait pleinement de mon avis. Mais, pour des questions de partage , il fallait vendre, et les coupeurs d'arbres renouvelaient des offres pressantes.

--Vous, me dit-il, achetez-le!

R?ponse ? pr?voir, ?videmment. Mais ce serait une peu raisonnable fantaisie, et pour ne venir jamais, car j'ai d?j?, moi aussi, fix? ma vie ailleurs....

Le soleil d?clinant, nous sommes all?s terminer ce p?lerinage dans la for?t de couleur sombre qui, du c?t? nord, commence tout de suite, d?s que finissent les terrasses et les vieux balustres.

J'ai dit que le ravin des grottes ?tait un lieu unique; de m?me pour cette for?t-l?, en courant le monde je n'en ai pas rencontr? qui lui ressemble, si ce n'est peut-?tre en un coin perdu de la Gr?ce. Le <>, qui en France n'existe ? l'?tat d'arbre forestier que dans nos r?gions sud-ouest temp?r?es parle vent marin, porte des feuilles d'une nuance fonc?e, un peu gris?tres en dessous comme celles de l'olivier, et, l'hiver, quand tout se d?nude ailleurs, il reste en pleine gloire. C'est un arbre d'une vie tr?s lente, auquel il faut des p?riodes infinies pour atteindre son complet ?panouissement. Lorsqu'il a pu se d?velopper dans une tranquillit? inviolable, comme ici, son tronc multiple s'arrange en gerbe, en bouquet gigantesque; alors, avec son branchage touffu du haut en bas qui descend jusqu'? terre, avec sa belle forme ronde, il arrive presque ? la majest? du banian des Indes.--Or ce coin de for?t n'a jamais ?t? touch? au cours des temps, il s'est fait comme il lui a plu de se faire; les arbres ne s'y sont pas serr?s les uns aux autres, mais d?ploy?s avec calme, laissant entre eux des intervalles comme en une sorte de myst?rieux jardin. Le sol y est d'une qualit? rare: un plateau calcaire sur lequel les si?cles n'ont d?pos? qu'une mince couche d'humus, et qui ne convient qu'? de patientes essences d'arbres, ainsi qu'? de tr?s exquises petites gramin?es, des mousses et des lichens. Par endroits, ce sont les lichens qui dominent; les pelouses alors prennent des teintes d'un gris?tre tr?s doux, le m?me gris?tre que l'on voit ici sur toutes les ramures et ? l'envers de toutes les feuill?es, et c'est un peu comme si la cendre des ?ges avait poudr? la for?t. Jadis on avait trac? au travers des ch?naies deux ou trois larges avenues,--jadis, on ne sait plus quand; elles subsistent sans qu'il soit besoin de les entretenir, car ce terrain ne conna?t ni la boue, ni les ajoncs, ni les broussailles; elles sont adorables, en d?cembre surtout, ces avenues, puisque les grands <>, et les phyllireas, qui forment parfois des charmilles ? leurs pieds, jamais ne s'effeuillent; on peut y cheminer plus d'une demi-lieue sans voir autre chose que ces arbres magnifiquement pareils, et lorsqu'on arrive enfin au bord de la muraille rocheuse, qui limite le plateau et ses futaies, pour descendre ? la zone plus basse des roseaux et de l'eau courante, l'horizon que l'on d?couvre est encore un horizon sans ?ge.

Et le charme si singuli?rement souverain de cette for?t, c'est l'espace, les passages libres partout. Entre les touffes majestueuses des feuillages vert-bronze att?nu?s de grisailles, on circule ais?ment sur de tr?s fins tapis, et, cela donne une impression de bois sacre, de parc ?lys?en. S?jour pour le calme ? peine nostalgique ou m?me pour le d?finitif oubli, dans l'enveloppement des vieux arbres et des vieux temps....

Comme nous rebroussions chemin, sur les velours d?licatement nuanc?s des mousses vertes ou grises, et que les tours du ch?teau, rougies par le soleil couchant, commen?aient de r?appara?tre entre les ?normes ch?nes tranquilles, mon h?te me dit tout ? coup:

--Non! c'est trop beau, et nous serions trop coupables! Ecoutez, nous allons essayer de surseoir ? la vente, si vous voulez nous aider ? trouver l'acheteur qui ne d?truirait pas....

Voil? donc pourquoi j'adresse cet appel ? tous, et vraiment j'ai conscience de remplir un devoir envers ma province de Saintonge, m?me envers mon pays. Il y aura, je le sais, des imb?ciles pour dire que je fais une r?clame int?ress?e, mais cela me sera ?gal parce qu'ils resteront seuls ? le croire.

A notre ?poque, qui est celle de la laideur envahissante, cette rage ?hont?e de d?boiser partout arrive ? son paroxysme, et, lorsque nos descendants comprendront enfin l'?tendue de notre stupidit? sauvage, il sera trop tard, car il faut des si?cles et des si?cles pour recr?er de vraies for?ts. Aux Pyr?n?es, restait celle d'Iraty, qui ?tait immense et o? la cogn?e n'avait jamais ?t? mise; or la voici bient?t ras?e jusqu'au sol, par des fabricants de je ne sais quel carton-p?te. Toutes celles de l'Est, vendues ? des juifs allemands, et celle d'Amboise, condamn?e ? mort. L'Institut de France, qui, semble-t-il, devrait ?tre gardien de toute beaut?, donne lui-m?me l'exemple du meurtre. Pr?s d'Hendaye o? j'ai mon ermitage, deux vieillards que j'affectionnais tendrement avaient en 1902 l?gu? ? l'Acad?mie des sciences leur ch?teau et leurs bois qui s'?tendaient jusqu'au bord des hautes falaises marines; averti par la rumeur publique tr?s accusatrice, j'y suis all? hier pour me rendre compte: h?las! je n'ai plus trouv? trace des all?es o? je me promenais nagu?re avec ces v?n?rables amis; les ch?nes ?taient coup?s et par endroits les souches arrach?es. Ainsi une compagnie d'hommes distingu?s ou illustres, qui s?par?ment d?sapprouveraient tous, a pu fermer les yeux sur ce vandalisme.

Dans notre pays cependant, tous les gens riches ne sont pas les grossiers brasseurs d'affaires qui abattent pour alimenter des scieries m?caniques ou des usines ? papier. A mon appel surgira peut-?tre quelque acheteur d'?lite, digne d'?tre l'habitant du ch?teau enchant? et capable de respecter alentour la vie des grands ch?nes s?culaires. Mais qu'il se h?te, car la menace est pressante! Par discr?tion envers celui-l?, oh! je m'engagerais de bon coeur ? renoncer au p?lerinage que tous les ans je faisais dans certains sentiers, satisfait avec la seule certitude que la ch?re for?t, o? sont rest?s mes r?ves d'enfant, poursuivrait le cours ind?fini de sa dur?e, m?me apr?s que j'aurai cess? de vivre.

P.-S.--Il faut pourtant bien que je me r?signe ? faire une sorte d'annonce plus pr?cise, car je m'aper?ois que l'on ne saurait m?me pas de quoi je veux parler. Il s'agit du ch?teau et de la for?t de La Roche-Courbon, sis en Sainteonge, ? vingt-deux kilom?tres de Rochefort, environ trente-cinq de Royan et onze de la gare lapins prochaine.

NOYADE DE CHAT

Les chats ont un cri sp?cial pour l'heure de la grande angoisse, l'heure o? ils voient la mort appara?tre. Tous ceux qui les fr?quent?rent et surent les comprendre le connaissent aussi bien qu'eux-m?mes, ce cri, tellement peu semblable ? leurs habituels miaulements de demande, de vague ennui, d?col?re ou d'amour. C'est leur appel ? on ne sait quelle piti? sup?rieure, obscur?ment con?ue par eux,--piti? des ?tres ou peut-?tre piti? latente des choses; on pourrait dire que c'est leur pri?re, leur pri?re d'agonie....

Hier apr?s midi, au grand resplendissement de trois heures, au milieu du silence coutumier de ma maisonnette qui baigne dans l'estuaire basque, par ma fen?tre, j'entendis ce cri-l? venir d'en bas, monter du bord de l'eau, et je vis les deux chats gardiens du logis, qui dormaient voluptueusement dans le jardin sur l'herbe, tout ? coup dresser la t?te, puis se lever, prendre leur course ensemble vers le balcon d'une terrasse qui domine la gr?ve, pour voir quel drame se passait.

Quand je vins les rejoindre, leur attitude ?tait caract?ristique, et r?v?lait un monde de pens?es diff?rentes dans ces deux petites cervelles fantasques, pour moi imp?n?trables ? jamais. L'un, tout jeune, un matou de dix-huit mois, n? dans la maison, heureux depuis l'enfance et par suite tr?s confiant dans l'humanit?, regardait, les oreilles droites, le cou tendu, les yeux dilat?s, comme n'arrivant pas ? bien comprendre et se refusant ? croire. L'autre, sa m?re, une vieille chatte violente et rancuni?re, qui a connu des jours sans p?t?e et amass? maintes preuves de la malice des hommes avant de trouver enfin chez moi le bon refuge, l'autre ?tait furieuse; en grondant, elle allait et venait, tournait sur elle-m?me ? la fa?on des b?tes f?roces dans leur cage, et ?videmment devinait tout, ayant assist? souvent ? des noyades pareilles; m?me ? mon arriv?e elle me fit la grimace et: Pft! pft! comme me rendant responsable aussi et m'englobant dans son d?go?t de l'esp?ce humaine.

Ce que j'aper?us quand je regardai sur cette gr?ve au-dessous de moi, dans la premi?re minute, comme le jeune matou na?f, je ne compris pas bien. Une fille en cheveux--quelque servante du voisinage--?tait l? debout, et pr?s d'elle, se r?fugiant tout contre sa robe, un pauvre chaton d'environ deux mois, mouill?, tremp?, avec sur le museau un peu de sang qui coulait d'une blessure. C'?tait lui qui poussait le cri de la grande angoisse, ouvrant tant qu'il pouvait sa petite gueule rose bord?e de perles blanches, levant vers la fille ses petits yeux pleins d'eau et pleins de larmes.

Dans la terreur de la mort entrevue, il exhalait ? pleine voix sa supr?me pri?re, tout enfantine: <>

Oh! le dernier cri des b?tes condamn?es, leur pauvre cri qui est si inutile et qui, on le sait d'avance, ne touchera personne!... celui d'un boeuf ? l'abattoir, m?me celui d'une humble poule qu'un marmiton ?gorge pour la faire cuire!...

Ce qui s'?tait pass? avant mon arriv?e sur la terrasse, je le reconstituai, bien entendu, presque aussit?t. La fille voulant noyer le chaton, sans avoir m?me la pudeur de lui mettre une pierre au cou pour que ce f?t fini plus vite, avait d? le lancer d'abord du haut de son logis, par quelque fen?tre: d'o? la blessure et le petit museau saignant. Ensuite, ayant vu qu'il nageait avec tant de courage pour essayer encore de survivre, elle ?tait descendue afin de l'achever. Mais voici maintenant qu'elle prolongeait son attente et ses grands cris, ayant commenc? de rire avec un batelier qui passait justement dans sa barque le long du bord et l'int?ressait davantage.

Enfin, elle se baissa vers la petite chose impuissante et bless?e qui l'implorait de toutes ses forces, et sans me laisser le temps d'intervenir, elle l'avait jet?e ? nouveau, d'une grosse main brutale, tr?s loin, en plein courant. Quelques secondes on vit surnager deux oreilles minuscules, le bout d'une mince queue noire qui se tordait; et puis, plus rien: la petite chose qui avait tant suppli? et tant souffert ?tait rentr?e dans la paix.

Alors elle s'en alla tranquillement, la sauvagesse, en gardant aux l?vres, ? l'adresse du batelier, son sourire de brute.

Un moment plus tard, la chatte de ma maison, qui s'?tait rendormie sur l'herbe avec son fils, se r?veilla inqui?te; puis, jetant de vilains cris de haine, retourna vers la terrasse d'o? elle avait vu tuer. Mais en route, distraite tout ? coup, elle fit halte pour se l?cher une griffe; ?videmment les images se brouillaient dans sa t?te, elle ne se souvenait plus bien, et, calm?e, indiff?rente, elle revint se coucher.

Les b?tes ont leurs id?es surtout par ?clairs, d'une fa?on aussi vive que nous peut-?tre, bien que toujours incompl?te et sans suite. La grande Pens?e, immanente au fond de tout, et qui depuis les origines continue la lutte pour se d?gager, s'est fourvoy?e, comme en autant d'impasses, dans ces pauvres t?tes-l?, obscurcies de mati?re, et du reste ? peu pr?s imperfectibles,--fourvoy?e bien plus maladroitement encore que dans les n?tres, qui restent cependant si inaptes ? concevoir le pourquoi de la vie. Mais il est croyable que certains animaux sup?rieurs, pendant les minutes o? ils sont lucides , sentent aussi d?sesp?r?ment que nous la tristesse d'?tre l'un des milliers d'?chelons, si vite bris?s, sur lesquels cette Pens?e essaye sa marche ascendante,--l'indicible tristesse d'exister et l'horreur de finir.

Et nos ?vangiles, pourtant si admirables dans les le?ons de charit? qu'ils nous donnent, ont une d?routante lacune: la piti? pour les b?tes n'y est m?me pas indiqu?e, alors que le Brahmanisme, le Bouddhisme et l'Islam nous l'enseignent en termes que l'on n'oublie plus.

L'AGONIE DE L'EUZKALERRIA

Hendaye, f?vrier 1908.

Au pays basque, notre hiver, qui est plut?t nuageux, plut?t tourment?, nous r?serve pourtant d'adorables surprises de ti?deur, d?s que se met ? souffler le vent du sud, grand magicien de la r?gion.

Ce matin, quand se sont ouvertes mes fen?tres qui regardent l'Espagne, une f?te de lumi?re commen?ait, sous un ciel id?alement pur. Pendant la nuit, le vent du sud, en un rien de temps, avait clarifi? l'atmosph?re; il soufflait doucement, pour nous apporter les langueurs, les limpidit?s du Midi espagnol, et c'?tait une tr?ve de quelques jours ? ces longues bourrasques d'ouest, ? ces plaies persistantes, qui font de ce pays une autre Bretagne, plus chaude que la vraie, mais aussi verte et aussi mouill?e.

Donc, aujourd'hui, f?te de soleil partout sous mes yeux. En face de moi, Fontarabie--qui, dans un avenir prochain, va ?tre, h?las! irr?m?diablement d?figur?e,--l'antique Fontarabie, aux couleurs de cuivre et de basane, tr?nait encore telle qu'autrefois, sur son rocher, au pied de la cha?ne des Cantabres. Et plus loin la mer--qui va bient?t, h?las! m'?tre cach?e derri?re une ligne de modernes villas--tra?ait ? l'horizon sa tranquille ligne bleue.

A un tel matin une journ?e a succ?d?, douce comme en juin. Et l'apr?s-midi j'ai pris la route de la plage. Une petite route ?troite, que j'ai connue jadis paisible et charmante; ? pr?sent, r?tr?cie encore par un tramway, et d?fonc?e par les autos, si impraticable qu'il faut prendre ? c?t? dans les champs.

En cette belle journ?e d'hiver, les intrus cependant n'?taient en vue nulle part, chass?s sans doute vers les villes par tant de bourrasques et de pluies qui viennent de passer. On apercevait seulement au loin, sur le sable lisse et mouill?, tout au bord des lames qui d?ferlaient, des essaims de petits ?tres, d'une taille de pygm?e, cheminant avec lenteur et sans jeux: trois cents petits gar?ons et petites filles; les convalescents de la tuberculose; les h?tes de l'immense sanatorium que j'ai vu tout r?cemment fonder sur cette plage jusqu'alors d?serte, et qui, de saison en saison, d?veloppe toujours plus ses maisonnettes ? toit rouge, grandit, envahit comme un puissant village. Oh! les pauvres petits, loin de moi la pens?e de protester contre leur pr?sence, si peu d?corative soit-elle, puisque cet air marin les sauve. Passe pour le sanatorium envahisseur. Mais les villas, les h?tels, le casino, les croupiers, j'en saisis moins les bienfaits.

Du c?t? sud de la grande plage, je regardais maintenant se d?tacher, sur le fond sombre des montagnes espagnoles, le groupe de ces villas qui ont surgi depuis une ann?e, avec une stup?fiante vitesse,--et je me sentais forc? de convenir qu'elles n'?taient pas laides; que, si l'on s'en tenait l?, ce serait acceptable encore. En effet, dans notre infortune, nous avons ?t? assez heureux pour que le chef de l'exploitation ne f?t qu'un demi-barbare; quelqu'un de d?j? ?volu?, qui a d?pass? tout de m?me l'?poque du chalet polychrome ? clochetons en zinc. Il a compris ce qui n'avait pu entrer jusqu'ici dans les cervelles bouch?es des am?nageurs de villes d'eaux, ? savoir qu'ils ont int?r?t, m?me pour attirer leurs clients, ? laisser ? chaque pays-un peu de son caract?re. Et ces aillas dont il vient de nous doter sont des Biaisons basques, interpr?t?es avec une assez louable recherche d'exactitude; du toc s'y est gliss?, il va sans dire; cependant, b?nissons le destin qui nous a pr?serv?s du <>!

Mais quelle mentalit? ont-ils donc, en somme, ces malfaiteurs inconscients qui entreprennent d'am?nager notre plage? Avant sans doute obscur?ment senti--puisqu'ils sont venus--le charme de l'Euzkalerria, ils ne s'aper?oivent pas qu'ils le d?truisent! Ce charme, ont-ils vraiment cru pouvoir le maintenir ici, rien qu'en recopiant, ou ? peu pr?s, l'architecture de quelques maisons surann?es? Et restent-ils incapables de comprendre ce qui va manquer ? leur pastiche je ville basque: l'empreinte du pass?, le myst?re et l'ind?finissable calme, la protection latente des vieilles ?glises et le chant de leurs cloches, tout l'indicible de ce pays, et son ?me enfin,--son ?me ombrageuse qui bien entendu fuit et se d?robe ? leur seule approche?...

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Back to top Use Dark Theme