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Munafa ebook

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Read Ebook: Les roses d'Ispahan: La Perse en automobile à travers la Russie et le Caucase by Anet Claude

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Ebook has 1686 lines and 92016 words, and 34 pages

Mais voil? qu'? ma grande surprise, ? dix kilom?tres d'Isma?lia, la route s'arr?te net! Mes amis sont moins ?tonn?s que moi et sans h?siter lancent les machines ? travers champs en suivant les orni?res trac?es devant nous. Ici le sol est beaucoup plus doux, mais on ne peut avancer vite. En temps de pluie, ces pistes d?tremp?es seraient impraticables.

Nous allons ainsi mollement ? travers le pays bessarabien; la terre est noire; des paysans travaillent dans les champs; de longs attelages de boeufs tr?s loin se d?coupent sur l'horizon o? s'avivent encore quelques lueurs du couchant.

Et nous voil? cherchant notre chemin le long des orni?res, ? la clart? mouvante des phares qui jettent de grandes tra?n?es lumineuses dans le paysage d?sert.

Nous d?couvrons enfin un amas de maisons espac?es et pauvres; c'est la petite ville de Bolgrade o? nous passerons notre premi?re nuit en pays russe.

Bolgrade!--Nous nous attendions au pire; nous ?tions pr?ts ? tout supporter, la salet?, la vermine, la nourriture m?diocre, dans cette petite ville perdue de la campagne bessarabienne. C'?tait le <> le plus trou de notre itin?raire. O surprise charmante! nous d?couvrons dans un b?timent au fond de la cour, quatre petites chambres blanchies ? la chaux, proprement carrel?es, et, chose extraordinaire, des draps et des lits de fer. La chambre Touring-Club au fond de la Bessarabie! Au mur d'attendrissantes lithographies d'un touchant second Empire, <>. On nous sert un d?ner tr?s convenable qu'arrose un vin de Bessarabie d?licieux.

L'?tat moral de notre troupe est excellent. Comme nous avons bien fait de partir, de ne pas ?couter les proph?tes de malheur qui nous pr?disaient d?s le d?but les pires calamit?s!

L'exp?rience d'hier nous a enseign? qu'il ne faut pas songer ? faire de la vitesse ? travers champs, et, qu'en cas de pluie, on ne peut rouler.

D?s le lever, nous consultons mon petit barom?tre de voyage. H?las! il est en baisse, ? 750 millim?tres. Des gens sages auraient pris le train ? Bolgrade pour Odessa. Mais nous n'avons pas quitt? Paris et nos affaires pour ?tre sages; il ne pleut pas encore, nous traverserons ce pays en automobile!

Nous partons ? neuf heures, en retard, car nous ne savons pas encore le temps qui est n?cessaire pour faire et arrimer nos vingt-huit colis ? main ? bord des autos. Lorsque nous le saurons, cela sera du reste la m?me chose, et nous continuerons ? partir en retard parce que nous en aurons pris l'habitude.

Nous gravissons une haute colline qui surmonte Bolgrade, et bient?t la Bessarabie ondule devant nous, d?serte et sans arbres; les lignes arrondies des collines sont bris?es ici et l? par un tertre, tombeau o? les chefs scythes se faisaient enterrer debout, chevauchant leur cheval de guerre, ou par un ancien poste d'observation des phalanges de Trajan. La grande paix romaine s'est ?tendue jusqu'ici; deux vallonnements qui courent de l'est ? l'ouest marquent encore l'ancienne fronti?re de l'Empire; au del? c'?taient les barbares Sarmates.

Les champs d'une terre noire, les pr?s pel?s s'en vont sans fin, sans un arbre, sous le ciel d'un gris perl? d?licat. Les grands paysages ras s'?tendent ? l'infini. On voit ? une lieue la silhouette d'un berger qui s'enfuit ? notre approche; puis c'est une nouvelle ondulation de terrain, si longue, si lente, qu'elle semble la houle arr?t?e d'un monde mille fois grand comme le n?tre.

O? vont mourir ces molles vagues de terre?

Parfois la vague se brise. C'est alors un ravin au fond duquel on d?couvre un mis?rable village. Puis de nouveau le silence et la solitude de la campagne nue.

Un faucon rose traverse les pr?s devant nous; ? quelques centaines de m?tres une bande d'outardes se prom?ne ? travers champs. Un aigle est l?, pos? sur une pierre; il regarde venir la lourde machine et comme nous arrivons sur lui, s'envole p?niblement.

Nous n'avan?ons que lentement, car la route est ex?crable.

Il faut nous mettre d'accord tout de suite sur le sens du mot route en Bessarabie. Une route, c'est une piste ? travers champs; jamais ing?nieur ne s'y risqua: elle a indiff?remment, suivant la configuration du terrain, trois cents m?tres de large ou trois; parfois on s'y perd, parfois on la perd; elle est sem?e d'orni?res, de trous et de bosses; ici, un talus la traverse, l?, un foss?; elle ne conna?t pas les m?nagements; si elle voit un ravin, elle s'y pr?cipite comme une folle; lorsqu'elle est tomb?e au fond du ravin, elle s'en sort comme elle peut, ? l'aide de sauts successifs sur des gradins ?tag?s; lorsqu'il s'agit de franchir une rivi?re et de passer un pont, invoquez fervemment le fabricant qui construisit votre auto. Fuyez, si vous m'en croyez, fuyez les travaux d'art en Bessarabie et les ponts. Lorsqu'il n'y a pas de route, vous avez une chance de vous en tirer; quand on a empierr? une t?te de pont, elle est impraticable. Des trous se creusent entre les pierres o? on laisserait une roue; deux ravins flanquent la chauss?e boueuse et rendent le moindre d?rapage mortel.

En outre nous perdons, comme on peut croire, notre route ? tout bout de champ, c'est le cas de le dire, et lorsque nous rencontrons un bouvier, nous sommes oblig?s de nous emparer de lui pour le forcer de r?pondre ? cette simple question: <> dite en montrant deux pistes allant l'une ? gauche, l'autre ? droite. Mais il ne comprend pas.

Aussi faisons-nous peu de chemin, du vingt kilom?tres ? l'heure, et secou?s comme si nous marchions ? cent sur route royale et pav?e de l'Ile-de-France.

<> Voil? que, soudain, la pluie, une pluie drue se met ? tomber; elle a bient?t fait de d?tremper le sol mou sur lequel nous roulons; une odeur forte monte ? nos narines; il semble qu'on respire le parfum m?me de la terre.

La 40-chevaux travaille puissamment; les pneumatiques arrachent d'?normes mottes humides et noires, qu'ils envoient en l'air. Nous d?rapons, par moments, de fa?on inqui?tante; avec une voiture moins stable, nous aurions vers? d?j?. Maintenant nous sommes pris dans deux orni?res si profondes que le carter touche.

Georges Bibesco jette la voiture sur la droite; elle enfonce jusqu'aux essieux; les roues patinent, s'arr?tent dans un pied de boue; la grande Merc?d?s reste immobile sous l'averse qui cingle.

Il est pr?s de midi, nous avons fait cinquante kilom?tres et sommes loin de notre d?jeuner ? Tatar-Bounar. Comment sortirons-nous du champ o? nous sommes enlis?s?

Les deux voitures de nos compagnons ne sont pas en vue. Que leur est-il arriv?? Comment auront-ils pass? sous la pluie par les chemins, d?j? abominables en temps sec, que nous avons suivis?

Une heure s'?coule. L'averse cesse. Nous travaillons ? sortir la voiture de l'orni?re qu'elle a creus?e; nous la soulevons ? l'aide d'un cric, puis tassons de la terre sous les roues, et recommen?ons. Enfin on met le moteur en marche, nous nous arcboutons derri?re l'automobile; lentement la Merc?d?s sort de l'orni?re et repose maintenant en plein champ.

Les jeunes femmes sont descendues. Dans le foss? elles trouvent une touffe de violettes courb?es par l'averse. Ces fleurs d?licates et famili?res nous sont plus ch?res encore au milieu du d?sert o? nous sommes perdus.

Nous repartons en auto ? la recherche de nos compagnons, silencieux assez et plus inquiets sur leur sort que nous ne voulons en convenir, passons le plus dangereux des ponts, traversons un village qui n'est qu'un lac de boue, et remontons une c?te abrupte, lorsque nous apercevons enfin la voiture de L?onida d?gringolant la colline.

De quelle fa?on, grands dieux! Elle n'a pas d'antid?rapants, et va de gauche, de droite, marche de flanc, voire d'arri?re, s'incline, se redresse, s'arr?te et recommence sur une pente raide, glissante, ravin?e et bossel?e. Elle gagne enfin le village. Elle a quatre ressorts de cass?s. Il faut r?parer.

Puis arrive ? cinq kilom?tres ? l'heure l'auto des m?caniciens. Ils ont l'air de comprendre difficilement que ce soit pour notre plaisir que nous traversions la Bessarabie.

LA HALTE.--Nous voici dans le village mis?rable. On nous indique l'auberge; c'est une pauvre maison en terre; dans la premi?re pi?ce, on vend quelques ?piceries; une petite salle nous offre une table et un banc; sur le derri?re, donnant sur la cour, un fourneau sans feu. C'est l? que couchent, sur des planches, sans se d?v?tir, les habitants de cette triste demeure. L'h?te et l'h?tesse nous regardent entrer avec indiff?rence et ne s'occupent pas de nous; lui continue ? r?parer le mur qui est l?zard?, elle dispara?t bient?t, et nous voil? ? chercher du bois, dont nous trouvons quelques morceaux, et des oeufs que nous faisons cuire tr?s durs; l'un de nous pr?pare du riz. A boire, il n'y a que du vodka et nous n'en voulons pas. Nous sommes partis sans vivres, supposant que nous arriverions facilement pour d?jeuner ? Tatar-Bounar et comme si le pays que nous devions traverser allait nous fournir le n?cessaire. Il faut d?chanter.

Le riz a un go?t de souris si accentu? que nous renon?ons ? le manger; le pain qu'on nous donne est moisi; nous d?jeunons d'un oeuf dur. C'est maigre.

Et nous regardons village et paysage. Le village porte le nom de Fontaine-aux-F?es. La fontaine, c'est un marais fangeux au fond de la vall?e. La boue est si ?paisse qu'on ne peut circuler. Les paysans viennent nous voir. Ils sont d'une ?tonnante salet?. Apr?s de lentes discussions, ils s'approchent; une conversation s'engage entre le plus hardi d'entre eux et Emmanuel Bibesco. Il montre la grande Merc?d?s et demande:

--Cela co?te-t-il beaucoup d'argent?

--Plus de dix mille roubles.

Il reste ?tonn?, r?fl?chit encore et dit:

--Est-ce que cela peut transporter du bl??

Et il s'en va rejoindre le cercle de ses compagnons de mis?re, qui restent ? quelques pas de nous, immobiles, ? nous regarder. On parlera de nous longtemps ? Fontaine-aux-F?es.

Cependant chez le mar?chal-ferrant, L?onida, aid? du jeune et m?lancolique Giorgi, qui d?j? regrette la Roumanie, fabrique lui-m?me des ressorts suppl?mentaires.

Nous tenons le premier conseil de voyage. Que faire? Chaque jour, cette question se posera devant nous. Nous sommes ? quarante kilom?tres, pensons-nous, de Tatar-Bounar, petite ville de cinq mille habitants, affirme Emmanuel Bibesco qui a travaill? les cartes; ? Tatar-Bounar, pas de chemin de fer. Aurons-nous la chance de gagner Tatar-Bounar et d'y coucher, pour arriver ? Ackermann demain? Pour cela le beau temps est indispensable, comme l'exp?rience du matin l'a prouv?. D?j? les deux heures de pluie ont amolli les terres jusqu'au point dangereux o? l'on s'enlise.

Rentrerons-nous ? Bolgrade d'o? le train peut nous emmener ? Odessa?

Il y a quelque chose de honteux ? prendre ce dernier parti, ? se laisser vaincre par les difficult?s de la route d?s le premier jour! Non, le ciel s'est ?clairci, le barom?tre a une tendance ? monter, les terres depuis trois heures qu'il ne pleut plus doivent avoir s?ch?, partons pour l'inaccessible Tatar-Bounar.

Nous laissons ? Fontaine-aux-F?es, L?onida, son m?canicien et sa voiture; il nous rejoindra dans la nuit; et, vers cinq heures et demie, nous voici de nouveau, avec deux voitures seulement, ? travers champs. Les terres sont gluantes et collent aux roues; il y a des coups de d?rapage terribles; la descente des ravins et le passage des ponts sont p?rilleux. Mais nous avan?ons tout de m?me.

Nous avan?ons si bien que nous nous trompons de route et ajoutons vingt kilom?tres aux quarante que nous avions ? faire. La nuit nous surprend; il faut allumer les phares. Ce voyage commence bien; nous ne voyagerons que de nuit. Apr?s deux heures de vagabondage ? travers des champs d?serts coup?s de ruisseaux perfides, nous entrons enfin dans les faubourgs de ce Tatar-Bounar que nous esp?rions voir ? midi. Il est pr?s de dix heures du soir et nous sommes p?les de faim.

Nous manquons dispara?tre dans les rues qui ne sont que mar?cages. Les habitants, r?veill?s, nous entourent. L'ouradnik, ou commissaire de police, nous prend, ? juste titre, pour des gens suspects ou, ? tout le moins, d?s?quilibr?s. Nous nous obstinons en vain ? r?clamer l'h?tel promis ? nos fatigues. Il n'y a pas d'h?tel, et, en y r?fl?chissant, je me demande pour qui il y aurait un h?tel ? Tatar-Bounar. Depuis que Tatar-Bounar existe , il est certain que nous sommes les premiers Europ?ens qui l'aient travers?e et qu'apr?s nous, si on a la sagesse de me croire, personne ne se risquera dans ce trou calamiteux.

On nous pousse, presque de force, dans une mis?rable auberge. Traverser la cour ? pied, c'est risquer sa vie, tant le sol est boueux et plein de trous saugrenus.

En entrant dans l'auberge par la porte de derri?re, nous manquons nous rompre le cou. Des femmes graisseuses nous re?oivent.

Une fille, qui n'est pas la plus belle du monde, mais une des plus laides, nous offre ce qu'elle a: une chambre sale o? trois lits sont serr?s l'un contre l'autre. Il r?gne dans cette pi?ce une odeur qu'on ne veut pas d?finir, mais qui est atroce. Impossible de songer ? dormir dans cette maison malpropre et louche. O? est la charmante auberge de Bolgrade?

Alors Emmanuel Bibesco, voyant notre d?couragement, fait entendre sa voix persuasive. Il nous dit Ackermann, ses quatre-vingt mille habitants, ses h?tels somptueux, des lits propres, des bains, des nourritures succulentes. Il affirme que soixante kilom?tres ? peine nous en s?parent. <>

J'essaie de faire entendre quelques arguments raisonnables, je montre devant nous une ?tape aussi longue que celle du matin, ? travers un pays inconnu, difficile, d?sert, dans la nuit, sous la pluie peut-?tre. Mais je n'insiste pas. Tatar-Bounar nous a trop vivement d??us. Les deux jeunes femmes se d?clarent pr?tes ? la marche de nuit. Nous partirons, nous n'en sommes d?j? plus ? une folie pr?s. En attendant, soupons.

Cela n'est pas facile. Les vivres manquent.

On finit par nous trouver une bo?te de sardines dess?ch?es, du saucisson racorni. Nous mangeons sardines et saucisson, faute de mieux.

Cependant, par un ph?nom?ne dont nous avons d?j? eu un exemple, la salle basse ? c?t? de celle o? nous sommes se remplit, malgr? les portes ferm?es sur la rue, d'une foule de gens crasseux. Les fen?tres sont closes; de ma vie, je n'ai senti une puanteur pareille. L'odeur la plus insupportable ? l'homme est certainement celle de l'homme.

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