Read Ebook: Voyage en Espagne du Chevalier Saint-Gervais (1 de 2) by Lantier Etienne Fran Ois De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 456 lines and 102477 words, and 10 pagesDeux jours de pluie et d'orages interrompirent mes promenades champ?tres, et le d?soeuvrement, ou plut?t la contagion de l'exemple, me jet?rent dans des parties de jeu. La fortune me fut favorable; un jeune homme nomm? Saint-Pons, officier au r?giment de Navarre, perdit beaucoup; je gagnai les trois quarts de cet argent. Nous avions jou? au quinze; le lendemain, Saint-Pons piqu? me demanda sa revanche au trictrac; je n'osai le refuser. Il me proposa un tr?s-gros jeu; je lui dis que je ne m'?tais jamais permis ce jeu immod?r?, mais que je risquerais volontiers tout l'argent que je lui avais gagn?. Nous jou?mes deux jours de suite; le malheur le poursuivit: souvent je voulus me retirer; mais il se plaignait, s'emportait m?me, et je continuais. Le soir du deuxi?me jour, ? minuit, quand nous nous quitt?mes, il me devait soixante louis; il me dit d'un air froid: Monsieur le chevalier, vous aurez votre argent demain ? votre lever. -- Rien ne presse, lui dis-je; mais il s'?loigna sans me r?pondre. J'?tais touch? de sa situation; la p?leur, le d?sespoir r?gnaient sur son visage. Je me retirai r?fl?chissant sur cette funeste passion, source de tant de crimes et de malheurs. Le lendemain au matin, son domestique m'apporta les soixante louis. Je lui demandai des nouvelles de son ma?tre. J'en suis inquiet, dit-il: il ne s'est pas couch?; il a ?crit des lettres; ce matin il a pay? son h?te; je l'ai surpris chargeant ses pistolets: il m'a dit qu'il allait passer quelques jours dans un ch?teau ? deux lieues d'ici, et qu'il ne m'emm?nerait pas. A propos, a-t-il ajout?, je te dois de l'argent; tu as depuis long-temps la fantaisie d'une montre: tiens, voil? la mienne. Elle est, lui dis-je, d'un prix bien au-dessus de ce que vous me devez, je ne puis vous rendre le surplus. -- Tu la garderas si je meurs avant toi; et si je te survis, je me paierai sur les gages. -- Mon ami, repris-je aussit?t, m?ne-moi chez ton ma?tre; il faut absolument que je lui parle. -- Oui, monsieur, parlez-lui; je ne sais ce qu'il a dans la t?te: tant?t il a l'air tranquille et de sang-froid, tant?t il me regarde avec des yeux ?gar?s; il a perdu tout son argent au jeu; il n'a que cette malheureuse passion, car du reste c'est le meilleur enfant du monde; il est g?n?reux, plein de franchise, gai, jovial quand il ne joue pas, brave comme son ?p?e; jugez-en, monsieur: c'est un des plus braves du r?giment de Navarre. Nous ?tions venus ici avec une bourse bien garnie et deux beaux chevaux que lui avait pr?t?s son p?re; l'argent et les chevaux, tout a pass? par le cornet du trictrac. Son p?re a d?j? pay? trois fois ses dettes, je doute qu'il aille jusqu'? la quatri?me. Mon ma?tre se flatte toujours que la fortune reviendra; il cite souvent un vers latin d'un po?te grec ou romain qui dit: Si cela va mal aujourd'hui, cela ira mieux demain. -- Partons, lui dis-je. Quand nous entr?mes dans la chambre de Saint-Pons, il sommeillait, dans un fauteuil, envelopp? de sa redingote; ses pistolets ?taient sur la table, avec deux lettres, une ? sa soeur, l'autre ? un officier de son r?giment. Il s'?veilla en sursaut en s'?criant: Heureux celui qui ne se r?veille plus! Il fut tr?s-surpris de me voir; je lui dis aussit?t que je voulais lui parler en particulier: il renvoya son domestique. Monsieur, repris-je alors, je vous ai gagn? quatre-vingt-dix louis ces jours pass?s; je ne connais pas d'argent plus mal acquis que celui du jeu. Profiter du malheur, de l'ivresse d'un homme pour le d?pouiller, c'est ? peu pr?s la m?me chose que l'attendre au coin d'un bois, ou tout au moins c'est ressembler ? celui qui volerait un homme dans le vin: permettez que, pour tranquilliser ma conscience, je vous rende votre argent. Je sais que vous allez m'opposer de vieux pr?jug?s de d?licatesse et d'honneur; mais veuillez r?fl?chir qu'au trictrac je joue mieux que vous; que je me poss?dais; que vous fesiez des ?coles sans nombre; et si je gardais votre d?pouille, je ressemblerais ? l'un des deux personnages que je viens de citer. Saint-Pons ?tonn? refusait de reprendre son argent. Composons, lui dis-je; faites-moi un billet des trente louis que je vous ai gagn?s au quinze; nous jouions alors ? jeu ?gal, et n'?tions pas t?te ? t?te; ? l'?gard des autres soixante, souffrez que je ne me donne pas la r?putation d'un escroc. Cette proposition termina la dispute, et il me fit un billet de trente louis payable dans un an. En me le remettant, il me sauta au cou, en s'?criant: Ami trop g?n?reux! vous me rendez la vie; ?perdu, d?sesp?r?, en horreur ? moi-m?me, un pistolet allait terminer mon existence et mon d?sespoir: voil? deux lettres qui devaient partir pour annoncer ma mort. -- Que je suis heureux, que je me f?licite d'avoir pr?venu ce malheur! Mais pourquoi ce projet affreux? -- Je n'avais plus de ressources; il y a huit jours que j'ai vendu, pour quinze louis, deux chevaux de mon p?re qui en valent cinquante, en me r?servant le droit de les racheter au bout de ces huit jours; ce terme expirait ce matin: je n'osais plus repara?tre devant mon p?re qui m'avait tant recommand? ses chevaux, et dont la bont?, la tendresse a d?j? pay? mes dettes jusqu'? trois fois, et apr?s vingt paroles d'honneur que je lui ai donn?es de renoncer au jeu. -- Peut-?tre si vous la donniez ? un ?tranger, ? moi par exemple, vous vous croiriez plus oblig? ? la tenir. -- Je vous la donne; que je sois d?shonor?, que la foudre m'?crase si je joue jamais un jeu ? perdre plus d'un ?cu. Je partirai demain, ce soir j'irai vous faire mes adieux et vous t?moigner toute ma reconnaissance. Je le vis le soir; il me renouvela son serment, me demanda mon amiti?; et nous nous quitt?mes apr?s de longs embrassements. Pour achever son histoire, au bout de trois mois il me renvoya mes trente louis avec un pr?sent d'une bague d'environ vingt louis, qu'il me priait d'accepter et de porter pour l'amour de lui. Cette promptitude ? se lib?rer, ce cadeau, me firent soup?onner, malgr? sa parole et son appel ? la foudre, une rechute dans son p?ch? d'habitude: six mois apr?s, ?tant ? Bordeaux, son domestique vint me voir; je lui demandai d'abord des nouvelles de son ma?tre. -- H?las! monsieur, il n'est plus; je le pleure encore tous les jours: c'?tait un si bon ma?tre! -- Il est mort? -- Oui, monsieur; tout ? fait mort. -- Quoi, si jeune! et comment? -- Nous avons fait courir le bruit qu'il avait ?t? frapp? d'apoplexie; mais la v?rit? est qu'il s'est br?l? la cervelle. Ce maudit jeu, cette ex?crable passion en est la cause. -- Il m'avait donn? sa parole d'honneur qu'il ne jouerait plus! -- Et ? moi aussi, monsieur; mais il l'aurait donn?e au pape, au P?re ?ternel, qu'il ne l'aurait pas tenue. La passion l'emportait; souvent il me disait, quand il avait perdu, je suis un indigne, un mis?rable: je ne m?rite pas de vivre. Huit jours avant sa mort il avait gagn? consid?rablement; c'est alors qu'il vous envoya vos trente louis, et une bague en pr?sent. Il ?tait au comble de la joie de ce retour de fortune qui le mettait ? m?me de s'acquitter envers vous, et de vous t?moigner sa reconnaissance. Il paya quelques dettes, et envoya cent ?cus ? son p?re nourricier, autant au cur? du village de la terre de son p?re, pour les distribuer aux indigens. Enfin, c'est grand dommage qu'il ne fut pas toujours en bonheur, car l'argent ne pouvait rester dans ses mains. Mais la fortune l'abandonna bient?t; il perdit dans deux nuits non seulement tout son b?n?fice, mais mille ?cus sur sa parole. Il rentra dans sa chambre ? quatre heures du matin; je sommeillais alors dans un fauteuil, et j'entendis qu'il disait en parlant de moi: < Ce r?cit m'attendrit jusqu'aux larmes; je tirai alors de mon doigt le diamant dont m'avait fait pr?sent l'infortun? Saint-Pons, et je le donnai au fid?le Antoine; il voulait le refuser. Mon ami, lui dis-je, en payant la dette de ton ma?tre, j'honore sa cendre, et je remplis ses intentions. Mais rentrons ? Barr?ge, dont m'a ?loign? ce triste r?cit. Apr?s le d?part du jeune Saint-Pons, je vis plus rarement mes camarades; le jeu m'?tait devenu odieux. Le beau temps ayant reparu, je recommen?ai mes promenades solitaires. J'allai m'asseoir avec un livre que me pr?tait le m?decin des eaux, au pied d'un rocher, au bord d'un torrent, o?, lisant, r?vant, contemplant la nature, je voyais mes heures s'?couler aussi rapidement que le torrent qui fuyait ? mes pieds. Mes camarades m'appelaient, les uns le sauvage, les autres le philosophe: deux ?pith?tes qui ont quelque rapport. L'arriv?e de madame de Montheil et de sa fille prouva que je n'?tais sauvage qu'avec les indiff?rents, et que ma philosophie ?tait de bonne composition. Cette dame venait aux eaux pour une sciatique, et C?cile pour sa m?re. Elles connaissaient ma famille, et leur accueil me prouva l'estime qu'elles en fesaient. Le premier regard que je jetai sur C?cile ?veilla mon coeur, assoupi par sept ans de guerre. Cependant elle n'avait point cet ?clat de beaut? qui d'abord frappe, ?blouit; mais son ame donnait ? sa physionomie une expression si heureuse, si touchante; ses grands yeux bleus parlaient si bien le langage du sentiment, qu'ils semblaient dire: J'aime tout ce qui m'environne; mon ame expansive se pla?t ? se r?pandre, et le plaisir d'aimer est mon premier besoin. Son ing?nuit?, sa douceur, sa gr?ce, donnaient un charme ineffable ? ses paroles, ? tous ses mouvements. On ne pouvait voir C?cile un quart-d'heure sans ?motion, ni la quitter sans regret. Sa voix douce et m?lodieuse achevait de gagner les coeurs que ses regards attiraient Sa toilette l'occupait tr?s-peu; le n?glig? ?tait sa parure, et les fleurs qu'elle aimait beaucoup, ses perles et ses diamants. Elle pr?f?rait les doux rayons de la lune ? l'?clat du soleil; elle aimait l'ombre des bois, les sites champ?tres, romantiques, le silence des d?serts, la belle horreur des rochers. Elle me disait souvent: Je ne hais pas la soci?t?; je danse volontiers, et cependant je m'ennuie souvent dans les bals, dans les grands cercles. Elle pr?f?rait de beaucoup Melpom?ne ? Thalie; et, comme madame de S?vign?, elle aimait les romans o? l'on donne de grands coups d'?p?e. Plus d'une fois je l'ai trouv?e pleurant la mort d'un h?ros, ou de quelque victime du malheur; et je lui disais alors, comme ce bon cur? qui pr?chait la passion disait ? ses paroissiens fondants en larmes: < Madame de Montheil avait eu de la beaut?: neuf lustres, en ternissant sa fra?cheur, laissaient sur son visage le souvenir de ses attraits; elle suppl?ait par un grand usage du monde ? la m?diocrit? de son esprit, et la gr?ce et l'am?nit? de son caract?re attachaient ? sa personne, plus que l'esprit, les talents et le savoir. Il est chez les femmes une ignorance aimable; ce sont des fleurs qui, pour parer le printemps, n'ont besoin que d'une l?g?re culture. La seconde fois que je vis C?cile, je sentis que j'allais l'adorer. Bient?t je ne la quittai plus; sa m?re m'accueillait avec bont? et amiti?, et sa fille avec cette douceur, cette sensibilit? qui entra?nent l'ame la plus indiff?rente. On peint l'?loquence avec des cha?nes d'or sortant de sa bouche: c'est la Sensibilit? qu'il faudrait pr?senter sous cet embl?me. Depuis mes amours de Toulouse, mon coeur, occup? de carnage et de gloire, n'avait plus senti ces mouvements si doux, qui raniment la vie, et en l'agitant nous la rendent plus ch?re. Mais enfin l'esp?rance et l'amour, avec tout leur prestige, entr?rent dans mon ame et l'enivr?rent de leurs d?lices. Un jour, me promenant avec la m?re et la fille, madame de Montheil, qui marchait avec peine appuy?e sur mon bras, me dit: < Cependant peu ? peu je m'accoutumai ? cette situation. Je passais avec la m?re et la fille une partie de la journ?e. La douceur de C?cile, ses amiti?s, ses regards, ses discours trompaient mon imagination et me fesaient oublier mon rival. Je lui disais un jour: Vous comptez bien sur vos appas, car vous n?gligez votre parure. -- C'est que si je vous plais, je me trouve assez par?e. D'ailleurs le cadre d'un tableau ou la reliure d'un livre n'en font pas la beaut?. Lorsqu'elle apercevait sur mon front quelque nuage de tristesse: Quoi! me disait-elle, vous n'avez donc plus de plaisir ? me voir, ? m'aimer? -- Je sens ? vous aimer un charme inexprimable; vous ne faites pas un geste, ne dites pas un mot, ne jetez pas un regard que je n'y attache un vif int?r?t de plaisir ou de peine. Hier un jeune officier vous baisa la main, j'en souffris; bient?t apr?s vous m'honor?tes d'un regard, et je fus consol?.>> Cependant le d?nouement approchait. J'?tais pri? ? d?ner chez madame de Montheil; nous avions arrang? pour l'apr?s-d?n?e une promenade charmante pour aller go?ter sur l'herbe: la m?re prenait une monture, et C?cile et moi devions suivre ? pied. Ma cuisse se fortifiait, je ne boitais presque plus. La perspective d'une promenade si agr?able me rendit la matin?e d?licieuse. A l'heure du d?ner, transport? de plaisir, j'arrive chez madame de Montheil. J'y trouv? un jeune homme en bottes, portant l'uniforme du r?giment du roi. Je restai comme frapp? de la foudre: je p?lis; mon sang glac? s'arr?ta dans mes veines; un cruel pressentiment m'annon?ait l'arriv?e de mon rival. Je regarde C?cile, et je la vois dans le fond de l? chambre, immobile, les yeux baiss?s. Sa m?re, loin de tout soup?on, s'avance d'un air riant, et me dit: Chevalier, je vous pr?sente le vicomte de Beaupr?, notre ami, et bient?t mon gendre. Troubl? et interdit, je balbutiai je ne sais quelle r?ponse. Madame de Montheil, ?tonn?e de mon trouble, m'en demanda la cause. Je r?pondis que j'avais eu la fi?vre toute la nuit, et un mal de t?te violent qui durait encore; que je m'?tais tra?n? avec peine chez elle pour venir m'excuser, et la prier de ne point m'attendre ? d?ner. Cette aimable dame, touch?e de mon ?tat, me pressa beaucoup de rester, me promettant ses soins et ses secours. C?cile alors se l?ve, vient ? moi, et me dit de l'air le plus affectueux: Restez, vous nous ferez grand plaisir; nous t?cherons de vous distraire. -- Je vous serais ? charge; j'ai besoin de repos, permettez que je rentre chez moi: je reviendrai d?s que je me sentirai mieux. -- Mais, retourner seul! me dit sa m?re; ? peine vous pouvez vous soutenir. Alors le vicomte offrit de me donner le bras; j'eus beau refuser: sur ses instances et celles de madame de Montheil, il fallut accepter. C?cile me dit: Revenez le plus t?t que vous pourrez; votre maladie nous fait bien de la peine... Voil? donc mon heureux rival qui me donne le bras, m'accable de soins, de pr?venances, me parle de mon indisposition, m'offre ses services; mon embarras, ma confusion croissaient avec ses marques de bont? et d'amiti?; j'h?sitais, mes r?ponses ?taient succinctes et insignifiantes. A cette am?nit? de moeurs, le vicomte joignait une figure charmante, et mon ame flottait entre la jalousie et la reconnaissance: tant?t je lui pardonnais son bonheur, tant?t j'en ?tais d?sesp?r?. Lorsqu'il m'eut quitt?, loin de rentrer chez moi, j'allai m'?garer dans les montagnes. L'asp?rit? des lieux, l'aspect triste et sauvage de ces rochers arides et mena?ants, le silence profond de ce d?sert, la chute, le bruit des torrents, tout ce deuil de la nature si analogue ? la situation de mon ame, nourrissait sa tristesse, semblait l'y attacher plus fortement. Vingt fois je m'?criai: Ah! C?cile, C?cile! et l'?cho me r?pondait: C?cile. Fatigu? de marcher, je m'assis au pied d'un sapin. Je m'y livrais ? la plus sombre r?verie quand tout-?-coup le son d'une musette frappa mon oreille. Ces modulations douces et plaintives, que la m?lancolie ?coute avec tant d'int?r?t, suspendirent ma douleur; j'?coutai avec attendrissement et je versai des larmes; elles me soulag?rent; et quand ces sons eurent cess?, je me levai et retournai chez moi plus m?lancolique, mais moins malheureux. Le lendemain, ? peine avais-je quitt? mon lit, que j'entendis frapper ? ma porte. J'ouvre; quel ?tonnement! je vois le vicomte. Je viens, me dit-il, de la part de ces dames, m'informer de votre sant?. -- Je regrette la peine que vous vous ?tes donn?e; je me trouve un peu mieux. -- Vous verra-t-on aujourd'hui? -- Je ferai mon possible. -- Votre absence nous afflige tous; moi-m?me j'ai le plus grand d?sir de faire voire connaissance; mais je vous tient debout, asseyons-nous. Maintenant permettez, chevalier, que je vous parle avec franchise et cordialit?, comme il convient entre camarades. Au premier coup d'oeil vous m'avez inspir? de l'int?r?t; votre trouble subit ? mon aspect, votre maladie, que je crois suppos?e, m'ont fait soup?onner vos sentiments pour mon aimable cousine. Je lui ai fait part de mes doutes, et son ame noble et pure, que n'a jamais terni le souffle du mensonge, m'a tout avou?, votre amour, vos assiduit?s et son amiti? pour vous. Je suis d?sol? de faire votre malheur; mais jugez-moi. Je suis attach? depuis pr?s de deux ans ? mademoiselle de Montheil; nos parens respectifs ont approuv? notre amour et notre mariage; et je viens la chercher pour la mener ? l'autel: voyez ce que je dois faire, ce que vous feriez ? ma place. -- Peut-?tre je ne serais pas aussi g?n?reux que vous; mais du moins je sais appr?cier un proc?d? si beau: je renonce ? l'amour, mais d?dommagez-moi, par votre amiti?, de la perte que je fais. -- Je vous la promets en ?change de la v?tre; de plus, vous aurez celle de ma cousine, qui m'a d?clar? que, si vous souffriez, vos peines troubleraient son bonheur. Vous verra-t-on ? d?ner? C?cile et sa m?re vous attendent. Nous partons dans trois jours: accordez ce temps ? notre amiti?. -- Oui, je m'y rendrai; je veux m'accoutumer ? votre bonheur. -- Adieu, chevalier; je vais vous annoncer, et porter la joie dans le coeur de C?cile. Cet entretien, l'aimable franchise du vicomte, firent tomber le voile qui couvrait mes yeux, obscurcissait ma raison; et mon ame, amollie par les d?lices de l'amour, reprit tout son ressort. Cependant, en entrant chez madame de Montheil, j'?prouvai un saisissement qui alt?ra mes traits; C?cile, qui s'en aper?ut, vint ? moi, et me dit: Craignez-vous vos amis? ils ont tant de plaisir ? vous voir! -- H?las! non; mais je suis un convalescent encore bien faible. -- Laissez agir le temps et la raison. Madame de Montheil, qui n'avait aucun soup?on, me fit de tendres reproches sur mon absence et mon ent?tement ? fuir mes amis. Cependant le vicomte eut la d?licatesse de s'occuper plus de moi que de sa cousine, et paraissait la n?gliger. C?cile, de son c?t?, mettait tant de gr?ce, de sensibilit? dans ses regards, dans ses expressions, que je commen?ai ? leur pardonner leur amour; et je crois m?me que j'aurais pardonn? ? C?cile une infid?lit? r?elle. Les trois jours s'?coul?rent, et l'instant de la s?paration arriva. C?cile, avant de monter en voiture, me dit: Mon cher chevalier, ne nous oubliez pas; songez que l'amiti? doit ?tre encore plus fid?le que l'amour. Je ne lui r?pondis rien; j'avais le coeur oppress?, et, ne pouvant retenir mes larmes, je m'?vadai sans faire des adieux. Le vicomte me poursuivit, m'embrassa, et me fit promettre d'aller le voir au ch?teau de son p?re, o? devait se c?l?brer le mariage. Le s?jour de Barr?ge me devint insupportable, et je partis le lendemain. J'?tais enti?rement r?tabli, et je n'ai plus boit? que parfois dans les variations du temps. J'allai dans la terre de mon p?re chercher au sein de ma famille des consolations contre les disgr?ces de l'amour. La vie de la campagne para?t triste, insipide, monotone aux ames arides et agit?es par les passions, et infect?es des vices de la soci?t?. L'ennui file leurs heures ?ternelles. Sans doute ? la campagne il y a des moments de langueur; mais quoi! l'ennui craint-il le s?jour des villes? ne se trouve-t-il pas au milieu des grandes soci?t?s, des f?tes bruyantes, dans les salons des grands, ? leurs spectacles? C'est l? qu'est son s?jour habituel. L'ennui est une maladie de l'esprit humain. Si l'on peut s'en d?faire, c'est au sein d'un air pur, ?lastique, et des beaut?s riantes et vraies de la nature. Mon p?re me disait: Je vois avec plaisir que tu as un bon esprit et un bon coeur; que tu aimes la campagne; mais ce n'est pas encore pour toi le temps de la retraite; il faut payer ta dette ? la soci?t?: un gentilhomme ne doit se retirer dans sa terre qu'avec la croix de Saint-Louis, s'il est catholique, ou avec des titres de gloire, s'il est protestant. Dans le calme heureux des champs, dans le sein de ma famille, je n'oubliai pas l'aimable C?cile; mais il se m?lait ? ce souvenir un charme, une douceur qui temp?raient l'amertume de mes regrets. Une autre fois, nous trouv?mes une jeune fille qui pleurait, se d?solait. Qu'as-tu, ma ch?re amie, lui demanda C?cile en l'abordant. -- Ah, madame, je n'ose retourner chez mon p?re; il me battrait. -- Et pourquoi? -- Je me suis endormie dans le bois, et j'ai perdu notre ch?vre; elle s'est ?chapp?e; oui, mon p?re va me battre. Mon Dieu, ma pauvre ch?vre! je l'aimais tant! Ce qu'elle disait en versant un torrent de larmes. -- Eh bien, r?pliqua la g?n?reuse C?cile, va lui dire que c'est moi qui l'ai prise, qui la veux acheter, et que je le prie de venir chercher son argent au ch?teau. C?cile pratiquait sa religion sans enthousiasme, j'ose dire sans r?flexion. Elle croyait, parce que c'?tait son devoir de croire; mais elle ne pouvait se persuader que Dieu punit la faiblesse humaine d'une ?ternit? de tourments. Elle disait que les pr?dicateurs le calomniaient en le repr?sentant comme un Dieu irascible et vindicatif. Ah! s'?criait-elle, j'aime trop cet ?tre supr?me, cet ?ternel bienfaiteur, pour croire qu'il veuille se venger si cruellement d'une faible cr?ature! Sans adopter la mysticit? de madame Guion, comme elle, C?cile aimait Dieu d'un amour pur et d?sint?ress?. Un jour je lui demandai si elle croyait que les protestans seraient damn?s. -- Non, je ne le pense pas, car je serais bien malheureuse en paradis si je savais en enfer mes fr?res et mon ami. Larochefoucault pr?tend qu'il n'est point de mariages d?licieux; il ne connaissait sans doute que les mariages de Paris; mais s'il avait vu dans leur ch?teau, au fond d'une province, ces deux jeunes ?poux toujours occup?s l'un de l'autre, ne se s?parant qu'avec regret, et se cherchant sans cesse, n'ayant qu'une volont?, qu'un d?sir, et deux ames fondues, pour ainsi dire, l'une dans l'autre, alors il aurait cru aux d?lices de l'hymen. Pour moi j'?tais touch?, ravi de ce tableau du bonheur. Quand j'?tais seul avec C?cile, je me croyais avec un ange; son visage en avait la s?r?nit?, et son ame la puret?. Que le temps fut rapide dans ce s?jour fortun?! Il fallut le quitter; mon cong? expirait, et je voulais arriver ? Bordeaux, o? ?tait alors mon r?giment, le jour de son expiration: lorsque j'annon?ai mon d?part ? la vicomtesse, son visage p?lit, son ame se gla?a; mais bient?t, remise, elle me dit: Partez, puisque votre devoir l'exige; mais il est bien douloureux de se quitter. Souvenez-vous que vous avez une tendre amie dans ce ch?teau, et une chambre qui sera toujours vacante quand vous n'y serez pas: nul ?tranger ne la profanera. Le vicomte me fit donner ma parole qu'au premier semestre je viendrais passer trois mois avec eux. C?cile me donna devant son ?poux une bague tissue de ses cheveux, en me disant: Gardez fid?lement ce gage de l'amiti?; peut-?tre ce talisman vous portera bonheur: du moins je le d?sire vivement. Adieu, mon cher chevalier; je me flatte que, malgr? les distances, nous serons souvent ensemble. Voil? les derniers mots que j'ai entendus de cette tendre amie. Je la trompai sur mon d?part; je partis un jour plus t?t, au moment o? l'aube commen?ait ? poindre. En m'?loignant du ch?teau, dix fois je tournai la t?te pour le revoir, en disant: Adieu, charmant s?jour; adieu, C?cile, femme adorable; adieu, ma tendre et g?n?reuse amie. J'avais le coeur navr?, oppress? de tristesse; il semblait qu'un noir pressentiment m'annon?ait que je ne la verrais plus. J'?tais ? cheval; je marchai lentement tant que je pus apercevoir le ch?teau, le clocher du village: d?s qu'ils disparurent, je m'?loignai ? grands pas. J'arrivai heureusement ? Bordeaux. Le mar?chal de Richelieu y commandait, et y avait port? ses moeurs, et la corruption de la cour. Il en infecta les dames de la sienne; mais, avec les vices de Versailles, il ne put leur donner les gr?ces et le coloris s?duisant qui en voilent la laideur. Il n'est pas de degr? du m?diocre au pire. Cette le?on me d?senchanta; je donnai son cong? ? P?gase; je le rappelai pourtant ? la sourdine, pour finir ma trag?die de Tarquin-le-Superbe, dont je parlerai bient?t. Au lieu de faire la description de Bordeaux, qui est partout, je citerai deux anecdotes arriv?es pendant mon s?jour. La premi?re peint les moeurs du mar?chal de Richelieu, l'autre celles des femmes de sa cour. Le mar?chal, frapp? de la beaut? de madame de ..., femme d'un pr?sident au parlement, chercha tous les moyens de s'assurer cette belle proie. Cette dame, ainsi que les autres femmes de son ?tat, paraissait rarement chez lui, et n'y allait que par biens?ance et par devoir. Le galant mar?chal l'invita ? un grand souper, o? devait se tirer une loterie, invent?e par sa munificence, pour faire tomber un lot consid?rable ? l'objet de ses voeux; mais elle n'y parut point. Le mar?chal, quoiqu'un peu d?concert?, continua sa loterie, et voulut que, malgr? son absence, la pr?sidente e?t un billet. Le sort, comme on s'y attendait, lui fut favorable, et elle gagna une tr?s-belle bo?te d'or. L'autre anecdote regarde un capitaine du r?giment de Clermont, cavalerie, et une dame d'Alp..., femme tr?s-galante: elle avait re?u les hommages, et bient?t fait le bonheur de ce militaire. Le r?giment eut un d?m?l? avec le directeur de la com?die; et les officiers assembl?s donn?rent tous leur parole d'honneur de ne pas y mettre les pieds, et de plus condamn?rent ? une amende de dix louis celui qui manquerait ? sa parole. L'amant de madame d'Alp... se rendit chez elle l'apr?s-d?n?e, et la trouva qui se pr?parait ? aller au spectacle. Chevalier, lui dit-elle, vous me donnerez la main. Celui-ci all?gua les motifs qui lui d?fendaient de l'accompagner. Plaisant motif, dit-elle, pour un amant! Eh bien! au pis aller, vous donnerez dix louis; songez que je le veux. Le chevalier ob?it. Apr?s la com?die, il se rendit au souper de ses camarades, et jeta en entrant dix louis sur la table, en avouant qu'il sortait de la com?die. Votre argent ne vous absout pas, s'?cria un de ses camarades; il n'y a qu'un l?che qui manque ? sa parole. Une affaire fut in?vitable: ils all?rent se battre le lendemain ? la pointe du jour; le malheureux amant re?ut un coup d'?p?e dans la poitrine et expira sur le champ de bataille. Il fut vivement regrett? de tout son r?giment. Deux jours apr?s, madame d'Alp... ?tait fort tranquillement dans sa loge ? la com?die. A sa vue, mon sang bouillonna dans mes veines; et sans un de mes camarades, je crois que j'allais l'insulter. Je re?us ? cette ?poque une lettre du vicomte de Beaupr?, qui m'annon?ait, avec des transports d'all?gresse, qu'il aurait bient?t le bonheur d'?tre p?re. Il ajoutait que sa femme ?tait dans l'ivresse de la joie, qu'elle s'?criait vingt fois par jour: Bient?t je serai m?re! j'aurai un enfant. Ah! comme je vais l'aimer, le caresser, le soigner! Elle m'?crivait dans une apostille: Mon cher chevalier, ma grossesse me jette dans un terrible embarras: mon mari veut un gar?on, et moi je d?sire une fille. A quoi me d?cider? Il y a beaucoup de raisons pour et contre. Que me conseillez-vous? Je lui conseillai de faire deux jumeaux d'un sexe diff?rent. Je me plaisais beaucoup ? Bordeaux, o? je voyais tr?s-bonne compagnie, o? je cultivais ? la fois les plaisirs et les lettres. Mais les militaires, comme les moines, sont errants sur la terre: un ordre envoya le r?giment ? Perpignan. Il fallut quitter ses liaisons, ses ma?tresses; il y eut des pleurs r?pandus, des promesses de revenir bient?t; promesses qui furent grav?es sur le sable. Pour moi, je pense que le souvenir encore r?cent de la tendre C?cile, me sauva d'un attachement. La personne que je regrettai le plus ? Bordeaux, fut M. de Secondat. J'allai prendre cong? de lui; il me dit en m'embrassant: Mon jeune ami, vous allez passer votre vie dans les garnisons; elles sont tristes, leurs soci?t?s insipides: mais celui qui pense, qui sait s'occuper, est bien partout, dans un grand bal, dans la solitude: l'ennui, comme le vice, est enfant de l'oisivet?. Je lui promis de ne point oublier ses le?ons, ni son exemple. Arriv? ? Perpignan, je me rappelai le sage de Bordeaux; et, pour remplir le vide de mes journ?es, je repris ma trag?die. Tarquin-le-Superbe ?tait encore vivant dans mon porte-feuille; je pronon?ai l'arr?t de sa mort sous la dict?e de Melpom?ne. J'entassai vers sur vers; et de rime en rime, je parvins au d?nouement, et Tarquin p?rit assassin?. Ma pi?ce ?tait dans toute sa perfection, lorsque le mar?chal de ..., gouverneur du Roussillon, arriva ? Perpignan. On lui parla de mon oeuvre tragique, et il me t?moigna le d?sir de l'entendre. Un simple capitaine n'oserait refuser un mar?chal de France; peut-?tre mon amour-propre ob?issait avec plaisir. Le mar?chal composa l'ar?opage qui devait me juger, des personnages de la ville les plus distingu?s et les plus ?clair?s, de l'?tat-major du r?giment, du major et du commandant de la place; de deux r?colets, lumi?re de l'ordre; de deux avocats; de six belles dames, engou?es du bel esprit; de trois abb?s, dont l'un fesait des couplets, le second les chantait, et le troisi?me les mettait en musique, de plus composait des romans et pr?chait des pan?gyriques de saints dans les couvents de religieuses. Apr?s que l'on eut pris des glaces, mang? des biscuits et des confitures, on apporta une petite table et deux bougies. Je m'assis, arm? de mon manuscrit. L'aspect de cette brillante et savante assembl?e troubla un peu ma confiance; mais, apr?s avoir balbuti? une vingtaine de vers, mon amour-propre se rassura. L'enthousiasme me saisit, et je r?citai chaque acte presque tout d'une haleine. Je fus d'autant plus rassur? et enhardi, qu'? la fin du premier acte les applaudissements retentirent, et ?veill?rent le major de la place et le lieutenant-colonel du r?giment, qui aussit?t s'empress?rent de m?ler leurs louanges et leurs battements de mains, ? ceux de l'assembl?e. Ma vie coulait assez tranquillement dans cette garnison; c'est tout ce que l'on peut d?sirer sur la terre, surtout avec l'esp?rance du mieux. Mon titre de bel esprit m'avait attir? les regards et la bienveillance des femmes; elles aiment la gloire. La marquise de Saint-Hilaire s'?tait empar?e de moi, et j'aurais pu, je crois, contrarier la gr?ce et la r?concilier avec les amours; mais je ne voulus pas lui fermer les portes du Ciel. Mes camarades me ch?rissaient; quelques-uns ?taient travaill?s d'un levain de jalousie, mais si ma gloire les affligeait, mes attentions, mon caract?re les d?sarmaient. Ce qui acheva d'adoucir l'envie, c'est l'affront que re?ut ma muse au tribunal de la com?die fran?aise; on lui refusa l'entr?e du temple ? l'unanimit?. Le mar?chal, ?tonn? de cette disgr?ce; m'en donna la nouvelle, et ajouta, sans doute pour consoler mon amour-propre, qu'un militaire n'avait pas besoin d'un vain laurier du Parnasse; que ceux de Mars ?taient les v?ritables lauriers de la gloire. La marquise de Saint-Hilaire, outr?e d'un refus qui contrariait son jugement, traita les com?diens fran?ais d'ignorants, d'allobroges et de b?otiens; mais, me dit-elle, je pars dans une semaine pour Toulouse, nous y avons de bons acteurs; je vous ferai jouer; j'ai des amis, une grande influence, et je vous promets un triomphe ?clatant. Je la remerciai et ne jugeai pas ? propos de faire poignarder mon Tarquin par les Brutus de Toulouse. Je me consolai de mon infortune en me rappelant qu'Auguste avait aussi compos? une mauvaise trag?die d'Ajax, qu'il avait ?touff?e courageusement. Avec la m?me intr?pidit?, je condamnai la mienne aux flammes d?vorantes; j'allumai un fagot dans ma chemin?e, je saisis mon manuscrit d'une main assur?e, et, nouveau Jepht?, j'offris mon enfant ch?ri en holocauste au g?nie malfesant de la po?sie. Une femme, ? qui l'on racontait le sacrifice d'Isaac, command? par Dieu m?me ? son p?re, r?pondit: Dieu ne l'aurait pas ordonn? ? une m?re; et moi j'ajoute que Dieu n'aurait pas command? ? un v?ritable auteur le sacrifice de son ouvrage. Mais je devais payer un tribut de douleur plus vrai et plus cruel. Une lettre de ma m?re m'apporta la nouvelle de la mort de mon p?re, frapp? d'apoplexie au sortir de table, au milieu de ses amis et de la joie d'un festin qu'il leur donnait pour c?l?brer l'anniversaire de sa naissance. La plus courte mort est la meilleure, a dit Montaigne; oui, pour celui qui meurt subitement: mais les parents, les amis sont plus attrist?s, plus effray?s d'une mort si impr?vue. Mourir dans un festin, entour? de ses amis, le jour de sa naissance! Cette r?union de circonstances rendait l'?v?nement plus terrible: j'en fus accabl?. Ma m?re, en m'annon?ant cette perte cruelle, me mandait que mon h?ritage, les dettes et la l?gitime de ma soeur pay?es, n'exc?derait pas deux mille livres de revenu, que pourrait rapporter la terre que mon p?re me laissait avec la gloire de sa vie. Je la priai, en r?ponse, de garder pour elle la moiti? de ce revenu, l'assurant que mille livres et ma compagnie me donnaient une aisance tr?s-honn?te. J'obtins une permission de deux mois pour aller mettre ordre ? mes affaires, et verser quelques consolations dans le coeur de ma m?re. En arrivant, je courus au tombeau de mon p?re, situ? au milieu d'un petit bois; je lui dis en versant des larmes: Adieu, adieu, le meilleur des p?res; que l'?tre-Supr?me couronne tes vertus, et nous r?unisse un jour dans la demeure c?leste! Quel homme sensible, aupr?s de l'urne de l'objet aim?, pourrait douter de l'immortalit? de l'ame? Je fis planter des rosiers et des lauriers autour de la tombe, et j'y gravai cette ?pitaphe: Ici g?t un guerrier, bon p?re et bon ?poux; Brave et fier aux combats; chez lui, doux et paisible; O vous! ami passant, ? la vertu sensible, Venez baiser sa tombe et pleurer avec nous. Mes affaires termin?es, je retournai ? Perpignan. Bien des lecteurs me diront ici que mon titre leur promet un voyage en Espagne, et que je suis toujours en France, parlant beaucoup de moi et de mes aventures qui leur sont indiff?rentes: leur plainte est juste. J'ai cru d'abord que deux ou trois pages suffiraient pour me faire conna?tre; insensiblement je me suis laiss? entra?ner au plaisir de parler de moi, des ?v?nements de ma jeunesse: pardonnez, messieurs, cette petite faiblesse; bient?t nous entrerons en Espagne. Pendant cette messe, mes jeunes camarades, gens peu d?vots, ?taient moins occup?s du pr?tre officiant que des jeunes beaut?s qui paraient l'?glise. L'un d'eux me dit tout bas: Regarde cette jeune Espagnole couverte de sa mantille, c'est un ange ou une divinit?. A ces mots je tournai mes regards sur elle, et je vis une figure c?leste, les plus beaux yeux... Elle me regarda: leurs ?clairs m'?blouirent. Non, Jean-Jacques, ? l'aspect de sa ch?re pervenche, n'?prouva pas autant de joie et de surprise. Je n'ai jamais oubli? ce premier coup d'oeil. On dit que les Turcs craignent l'influence des regards; les Romains pensaient de m?me, t?moin ce vers de Virgile: Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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