Read Ebook: Voyage en Espagne du Chevalier Saint-Gervais (2 de 2) by Lantier Etienne Fran Ois De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 284 lines and 88647 words, and 6 pagesProduced by: Ram?n Pajares Box. NOTE DE TRANSCRIPTION DE L'IMPRIMERIE DE Mmme Ve JEUNEHOMME, RUE HAUTEFEUILLE, N? 20. VOYAGE EN ESPAGNE DU CHEVALIER SAINT-GERVAIS, OFFICIER FRAN?AIS, ET LES DIVERS ?V?NEMENTS DE SON VOYAGE; PAR M. DE LANTIER, Ancien Chevalier de Saint-Louis. AVEC DE JOLIES PLANCHES GRAV?ES EN TAILLE-DOUCE, ET LE PORTRAIT DE L'AUTEUR. TOME SECOND. VOYAGE EN ESPAGNE. Je me tra?ne sur ces d?tails, parce qu'ils me rappellent les heures les plus fortun?es de ma vie. Alors j'?tais aim?. Je passais une partie de la nuit ? pincer de la guitare sous le balcon de dona Francisca. Parfois, quand elle pouvait tromper la vigilance de ses parents, elle y paraissait comme un astre qui vient embellir la nuit. Cette vie d?licieuse durait depuis quinze mois; l'amour avait triomph? de mes go?ts. Je regardais avec d?dain les plaisirs de la jeunesse; l'amour, la plus ?nergique, la plus douce, la plus terrible des passions, absorbait toute mon ame. Mon bonheur, mon existence, ?taient dans mon amante; je ne vivais, je ne sentais, ne respirais qu'aupr?s d'elle; je n?gligeais mes devoirs militaires. Mon commandant s'en plaignit ? mon p?re, qui me r?primanda tr?s-vivement. J'essuyai ses reproches en silence; mais j'allai me jeter aux genoux de ma m?re, lui fis l'aveu de ma passion et la suppliai de solliciter l'agr?ment de mon p?re pour mon mariage avec dona Francisca. Ma m?re, aussi alarm?e que surprise, joignit aux remontrances, aux reproches, les pri?res les plus pressantes pour me faire abjurer un attachement qui ferait mon malheur, affligerait mon p?re et toute la famille. Pour toute r?ponse, je lui dis: Ou la mort, ou dona Francisca. Lorsqu'elle vit mon obstination et le d?sespoir o? me jeterait un refus, elle me promit de parler ? mon p?re et de solliciter son indulgence. Mon p?re la repoussa durement et garda avec moi un profond silence: mais trois jours apr?s, mon colonel me fit mettre en prison, avec une sentinelle ? la porte. Quel coup de foudre! Je fus an?anti. Le d?sespoir troubla ma raison et accabla mon ame. J'?tais depuis quinze jours dans ce s?jour de la douleur, o? ma seule consolation ?tait de tracer sur les murs les traits de mon amante, lorsque je re?us une lettre de mon p?re, qui me disait que ma prison ne s'ouvrirait que lorsque ma d?mence aurait cess?, que je donnerais ma parole de renoncer ? mes folles amours et ? un hymen qui d?shonorait le sang des..., ses anc?tres. Nous nous arr?t?mes ? Salvatierra, premi?re ville du Portugal; nous y s?journ?mes pendant huit jours. Jours m?morables! heures enchanteresses et fugitives o? je savourai dans un ravissement continuel tout ce que l'hymen et l'amour peuvent avoir de volupt? et de d?lices! Apr?s ce court p?riode de temps, nous part?mes pour Lisbonne; je quittai mon nom et pris celui de ma femme, don Fernand?s Moreno. En traversant la cha?ne des montagnes, je me trouvai vis-?-vis de cet hermitage dont la porte ?tait ouverte; j'entre. Quel spectacle! Je vois dans un cercueil un hermite mourant; l'abstinence et la vieillesse avaient dess?ch? son corps; il me fit signe de lui donner un crucifix qui ?tait suspendu sur sa t?te. Quand il le tint, il le baisa plusieurs fois et l'appliqua sur son coeur. Il parut faire un effort pour me parler, mais sa voix ?tait ?teinte et il expira bient?t. J'?tais ind?cis si j'abandonnerais ce cadavre, ou si je l'enterrerais. J'aper?us deux p?tres et je les appelai; ils accourent; entr?s dans la caverne, ils se mettent ? genoux, disent des pri?res pour l'hermite et m'aident ensuite ? l'ensevelir. Je plantai une croix sur ce tombeau, o? je vais souvent prier pour lui et r?ver silencieusement ? la rapidit?, au n?ant de la vie. Les p?tres m'apprirent que cet anachor?te habitait la caverne depuis vingt ans: que tous les huit jours il allait faire la qu?te ? Carthag?ne, o? on lui donnait des l?gumes et du pain; c'?tait la provision de la semaine. Il passait sa journ?e dans un cercueil, lisant et relisant une vie des Saints, dont j'ai h?rit?, en poussant continuellement des soupirs vers le Ciel; c'est tout ce que l'on sait de lui; sa vie s'est ?coul?e dans l'ombre. Il est mort tout aussi avanc? que notre grand empereur Charles-Quint, qui a jou? un r?le si brillant sur la terre. Je passai la nuit dans cet hermitage; et voyant qu'il appartenait au premier occupant, je m'y ?tablis, r?solu d'embrasser la vie ?r?mitique; je me fis appeler comme mon pr?d?cesseur, don Ambrosio. Je vis ici depuis quinze mois avec mon fid?le Acate. La promenade, mes pinceaux et la lecture de la Vie des Saints, remplissent mes journ?es. Peut-?tre elles auraient pour moi plus de douceur, si le souvenir d?chirant d'une ?pouse infid?le, et le remords d'un meurtre ne me poursuivaient dans le silence de cette solitude.>> Le po?te du Toboso prit alors la parole et dit: Senor don Ambrosio, il me semble que la jalousie a pr?cipit? votre jugement; souvenez-vous du petit chien de Lisbonne, dont la physionomie avait troubl? votre cervelle. Il ne faut pas accuser l?g?rement les femmes; et dans le doute, il vaut mieux les croire innocentes que coupables. J'ai lu que Mahomet, le proph?te, ?tant averti que Aiesha, sa femme ch?rie, avait une intrigue avec un jeune Arabe, fit descendre du Ciel un chapitre du Coran pour affirmer que sa femme ?tait fid?le. Le calessero, qui jusqu'alors avait ?cout? sans rien dire, s'?cria qu'il avait l'esp?rance que le senor don Ambrosio reconna?trait l'innocence de dona Francisca, et qu'il la reprendrait. Mes pressentiments, ajouta-t-il, ne m'ont jamais tromp?. Un jour je fus arr?t? par des voleurs qui me prirent cinq piastres. Allez, leur dis-je, le Ciel vous punira. Deux mois apr?s, ils furent pris et massol?s pour d'autres crimes. Depuis cinq ans de mariage ma femme ne m'avait donn? aucun enfant; je pressentis qu'elle deviendrait enceinte si je l'envoyais ? Saragosse prier Notre-Dame del Pilar. Mon pressentiment ne me trompa point: apr?s neuf mois, elle accoucha d'un beau gar?on. Le jour commen?ait ? poindre; don Manuel dit alors: J'ai le pressentiment que nous irons ce soir coucher ? Carthag?ne. Un grand saint a dit, qu'il y a deux ?poques dans la journ?e qui m?ritent notre attention: le matin pour songer ? son d?n?, et le soir pour penser o? l'on soupera et o? l'on passera la nuit. Nous pr?mes cong? de don Ambrosio en le remerciant de l'honn?tet? de son accueil. Je lui conseillai de renoncer ? sa vie ?r?mitique et sauvage, d'autant plus malheureuse que la religion, qui, s'emparant de l'imagination, change les sacrifices en jouissances, n'en ?tait pas le principe. Quand le coeur, me r?pondit-il, est d?chir? par les objets de nos affections, leur abandon, leur perfidie semblent inculper tous les hommes; nous les enveloppons dans notre haine et dans nos ressentiments. Si un jour je ne puis supporter le poids de cette existence que vous appelez sauvage, j'irai me r?fugier dans un monast?re; mais jamais je ne rentrerai dans la soci?t?. Tout est fum?e, et tout nous fait sentir L'affreux n?ant qui va nous engloutir. Nous part?mes au grand jour, et nous arriv?mes ? Guadix par de mauvais chemins. Cette ville est situ?e sur une haute montagne, entour?e de promenades agr?ables, qui furent souvent arros?es du sang des Maures et des Chr?tiens. Apr?s avoir r?par?, par un long sommeil, nos forces ?puis?es, j'allai, avec le po?te du Toboso, visiter la cath?drale. En chemin, je lui demandai des nouvelles de l'archev?que de Grenade, et de ses hom?lies, dont Gilblas admirait l'?l?gance du style. Vous trouverez, me dit-il, les hom?lies du pr?lat, avec les com?dies du po?te Fabrice, et les ordonnances du docteur Sangrado. Je comptai cinq nefs dans cette cath?drale, mais le d?me est ce qui frappe le plus. Il est soutenu par vingt-deux colonnes d'ordre corinthien, qui portent sur leurs architraves les statues colossales et dor?es des douze ap?tres. Ce d?me a soixante pieds d'?l?vation, et quatre-vingts de diam?tre. Deux grands tombeaux de marbre attir?rent nos regards. C'?taient le dernier s?jour de Ferdinand et d'Isabelle. Des harpies occupent les deux coins de ce monument. A l'opposite on y voit des figures de saints, ?trange contraste. J'en demandai l'explication ? don Manuel, qui pr?tendit que les harpies ?taient l? pour marquer la rapacit? des rois, et les saints pour emp?cher que ces chiennes, filles de Jupiter et de Junon, n'enlevassent les ossements des deux ?poux. Ordinairement sur la tombe des morts c?l?bres on ?prouve quelque ?motion; pour moi, aussi froid que le marbre qui les couvrait, je dis avec Malherbe: Et dans ces grands tombeaux o? leurs ames hautaines Font encore les vaines, Ils sont rong?s des vers. Je fus tent? d'interroger les m?nes de Ferdinand et d'Isabelle, dont l'ambition, la politique et l'avarice agitaient l'existence. Voil? donc, dis-je, l'ab?me qui a englouti tant de vastes projets, tant de grandeur, de travaux et d'esp?rances! Ferdinand ?tait d'une taille m?diocre, avait le teint brun, les yeux noirs et vifs, et sa physionomie respirait tonte la gravit? espagnole. Naturellement sobre, il ne mangeait que de deux mets, ne buvait que deux fois dans ses repas. Il ?tait grand politique; mais faux, astucieux, d?vot sans vertus, et ambitieux sans ?l?vation dans l'ame. Sa femme Isabelle ?tait de petite stature; mais bien faite. Elle avait les cheveux presque rouges, les yeux verts et pleins de feu, et le teint oliv?tre. Sa physionomie ?tait imposante et agr?able. La hauteur, la fiert?, dominaient dans son caract?re. Ses talents en politique, en administration, ?galaient ceux de Ferdinand. Jalouse ? l'exc?s, ? sa mort elle exigea de son ?poux le serment qu'il ne contracterait pas de nouveaux liens. Elle mourut ?g?e de cinquante-quatre ans. Les deux ?poux ?tablirent l'inquisition. Quel titre de gloire et de reconnaissance pour la post?rit?! Aupr?s de ces deux monarques on voit, sur une tombe semblable ? la leur, les effigies de Philippe-le-Bel d'Autriche et de Jeanne sa femme. Je lus, sur une des ailes de la nef, une ordonnance qui fulminait la plus forte excommunication contre les ind?vots qui causeraient dans la chapelle avec une femme, ou seraient dissip?s et peu recueillis; mais, de peur que les foudres spirituelles fussent insuffisantes, on condamnait les d?linquants ? quatre ducats d'amende. < AUTRE INSCRIPTION. < AUTRE. < A cette lecture, don Manuel me dit que le saint-office avait tort de faire br?ler des gens si pieux, si p?n?tr?s de l'existence de la divinit?, qui en parlent si magnifiquement. Allez, lui dis-je, adresser vos remontrances au grand-inquisiteur. -- J'attendrai qu'il soit ? Londres ou ? Paris. De cette salle nous mont?mes, par un petit escalier, dans une galerie au fond de laquelle est une esp?ce de cage ferm?e d'une grille de fer. C'?tait la prison de la reine, femme d'Abdali, dernier roi de Grenade, accus?e, par les Gomels et les Z?gris, d'un commerce illicite avec les Abencerrages, objets de leur jalousie et de leur haine. Les accusateurs produisirent des t?moins, qui attest?rent avoir vu un jour de f?te, sous un berceau de roses, Albin Ham?te dans les bras de la reine. Le cr?dule Abdali jura aussit?t la perte de cette puissante famille. Les Z?gris lui conseill?rent, pour assurer sa vengeance, de les attirer dans le pi?ge les uns apr?s les autres. Le roi, ?coutant ce conseil, se rendit dans l'Alhambra avec un bourreau et trente soldats de sa garde. Les Abencerrages, mand?s successivement, ?taient d?capit?s en arrivant. Il y avait dans cette cour une coupe d'alb?tre, qui fut bient?t remplie du sang et de la t?te des proscrits. D?j? trente-cinq avaient p?ri, et toute cette famille allait ?tre immol?e, lorsque le page du dernier mort, entr? avec son ma?tre, eut le bonheur de s'?chapper sans ?tre aper?u. Il court avertir les Abencerrages, qui prennent les armes, parcourent la ville avec leurs partisans, en criant: Vengeance! Trahison! Meure le roi, qui a fait assassiner les Abencerrages! Le peuple, qui les aimait, se range en foule autour d'eux; ils marchent au palais ? la t?te de quatorze mille hommes, criant, r?p?tant: Meure le roi! Abdali, d?sesp?r? de voir son crime d?couvert, fait fermer les portes; mais on y met le feu. Malahusen, qui avait ?t? forc? d'abdiquer en faveur d'Abdali, son fils, entendant, du ch?teau o? il s'?tait retir?, les clameurs, les vocif?rations de cette multitude, se pr?sente pour apaiser sa furie. Elle l'entoure aussit?t, l'?l?ve en l'air, en criant: Voil? notre roi; nous n'en voulons pas d'autre: vive Malahusen! Les Abencerrages lui donnent une garde, et p?n?trent avec lui dans l'Alhambra, escort?s de cent soldats. Ils n'y trouvent que la reine au milieu de ses femmes, tremblante, effray?e d'un tumulte dont elle ignore la cause. Ils demandent le roi; on leur r?pond qu'il est dans la cour des Lions: ils y volent. Cette cour ?tait d?fendue par les Gomels et les Z?gris. Les conjur?s en ?gorg?rent deux cents; mais Abdali s'?vada. Les corps des Abencerrages d?capit?s furent port?s dans la ville ?tendus sur des draps noirs. Musa, fr?re d'Abdali, apr?s tant de victimes sacrifi?es ? leur vengeance, parvint ? les appaiser; aim? du peuple par ses belles qualit?s et sa vaillance, il alla chercher son fr?re, r?fugi? dans une mosqu?e, et il le ramena au ch?teau. Cette cour des Lions, th??tre du carnage, est d'une grande beaut?. Elle est pav?e de marbre blanc, soutenue de soixante colonnes fort ?l?gantes, environn?e de bassins de marbre blanc, d'o? tombent des cascades qui s'?lancent en jets d'eau. Mais le plus bel ornement, d'o? d?rive son nom, est une coupe d'alb?tre d'une seule pi?ce, de six pieds de diam?tre, orn?e d'arabesques, et support?e par douze lions. On y voit une inscription en quatre-vingts vers, sans doute digne de m?moire, mais je n'ai pas eu le temps d'en charger la mienne. Grenade a douze portes; elle est assise moiti? sur les montagnes, moiti? dans la plaine, et divis?e en quatre quartiers. La noblesse, les n?gociants habitent celui qu'on appelle Grenade. Les maisons en sont belles; chacune a sa fontaine et son jardin. Les principales rues sont vo?t?es, ? cause des canaux qui conduisent l'eau dans les maisons: voil? pourquoi il est d?fendu aux carrosses d'y passer. On compte dans la ville, ou dans ses environs, jusqu'? dix mille fontaines. Sa population est de cinquante mille habitants, dont presque les deux tiers sont gens inutiles et d?soeuvr?s, tels que gens de loi, moines et mendiants. Pour achever cette agr?able journ?e, nous all?mes le soir ? la com?die. La salle est d'une construction bizarre; les hommes occupent le rez-de-chauss?e, et les femmes sont plac?es en haut, dans des galeries assez maussades. Nous ne p?mes rien entendre; la voix des acteurs ?tait couverte par le bruit des briquets que les spectateurs battaient tour ? tour pour allumer leurs pipes: c'?tait un feu roulant. Le d?nouement de la pi?ce fut amen? par un capucin mont? sur un ?ne; apr?s maintes grimaces et bouffonneries, il r?unit les acteurs et les actrices deux ? deux, et leur donna la b?n?diction nuptiale. Je dois citer une inscription qui honore la pi?t? et l'humanit? de ces Arabes dont les Espagnols abhorraient le culte, et qui pourtant adoraient le m?me Dieu: elle se trouve au-dessus de la porte de la maison d'un particulier, qui jadis fut un h?pital: < Voici une autre inscription arabe que nous trouv?mes sur la porte d'un couvent de franciscains, b?ti sur une ancienne mosqu?e: < Nous descend?mes au r?fectoire, occup? d?j? par une vingtaine de moines qui nous accueillirent avec jubilation, pr?sent?s par le p?re gardien comme des amis de son fr?re, don Pacome. Nous d?n?mes sur une table ? part avec le p?re gardien; la ch?re fut assez bonne; le vin encore meilleur. On nous servit au dessert une assiette de glands dont le go?t est plus agr?able que celui de la noisette. Nous ne connaissons pas en France bette esp?ce de glands; c'est apparemment celle que portait, dans l'?ge d'or, l'arbre de Jupiter, et qui nourrissait les hommes de ce si?cle fortun?, O?, sous un ch?ne, on soupait galamment Avec de l'eau, du millet et du gland. D'abord, apr?s d?n?, don Polycarpe nous mena ? l'?glise pour nous faire voir le tombeau de Gonsalves de Cordoue, sur lequel ?tait une inscription latine, dont voici la traduction: < La toile de l'honneur doit ?tre grossi?rement tissue. Eh bien! me dit le po?te de la Manche, ?tes-vous content de don Polycarpe, de don Antonio Caracalla? -- Oui, j'en suis tr?s-satisfait. Votre beau g?nie aurait invent? le cheval de Troye y si vous aviez ?t? dans l'arm?e des Grecs. Reviendrez-vous entendre l'hom?lie de ce grand pr?dicateur? -- Qui? moi? me r?pondit-il, agit? comme la Pythie sur son tr?pied, Non, vous verrez plut?t l'avare, an fond de l'ame, Pr?f?rer ? l'argent les vertus et l'honneur: Vous verrez bien plut?t un ?poux et sa femme, Br?ler, apr?s dix ans, d'une constante flamme; Un po?te modeste, un grand, plein de candeur, Une belle, ? trente ans, nous avouer son ?ge, Que vous ne me verrez, de ce vieux sermonneur, Revenir ?couter le pieux radotage. Nous sort?mes enfin de Grenade; le premier regard de l'aurore nous vit en chemin pour nous rendre ? Cordoue, o? tendaient tous mes voeux, o? la fid?le S?raphine devait me faire oublier les peines du voyage, m'enivrer des d?lices de l'amour. Nous travers?mes la plaine de la Vega , qui a huit lieues de large et vingt-sept de circonf?rence. Elle est environn?e de montagnes, de collines couvertes d'oliviers, de m?riers, de vignes et de citronniers, arros?e de plusieurs rivi?res et de quantit? de ruisseaux qui serpentent sur des pr?s toujours fleuris. La nature y r?pand avec profusion ses richesses et tout son luxe, et cependant cette plaine d?licieuse est le lieu de la terre o? le sang humain a coul? avec le plus d'abondance, dans la longue lutte des Maures et des Chr?tiens. Le fameux Rodrigue, roi d'Espagne, qui avait d?shonor? la fille du comte Julien, y livra aux Maures la plus terrible des batailles: elle dura huit jours, d'un mercredi ? l'autre; la nuit s?parait les combattants, et la m?l?e recommen?ait au lever du soleil. Rodrigue combattit en h?ros, il disparut et l'on n'a jamais su sa destin?e. Au souvenir de tant de sang et de carnage, au milieu de ce verger si riant et cr?? pour les jouissances de l'homme, j'?prouvais un sentiment de tristesse; mon imagination voyait des torrents de sang, des membres ?pars et sanglants, des cadavres infects qui couvraient ces riches tapis de verdure et de fleurs. Et ce qui m'affligeait le plus, c'est que ce tableau m'inspirait de l'aversion et du m?pris pour l'esp?ce humaine. Tombe sur moi le Ciel, pourvu que je me venge! Nous lui demand?mes s'il pouvait nous confier la cause de la haine et du crime de ses confr?res. -- Vous paraissez des gens d'esprit incapables de me trahir, et la s?r?nit? de votre physionomie inspire la confiance. Mes parents ?taient pauvres et tr?s-pieux. J'avais ? peine atteint ma septi?me ann?e, que je fus d?vou? ? saint Fran?ois et rev?tu d'un petit habit de capucin. A quinze ans, j'entrai dans cet ordre; j'?tais dou? d'une excellente constitution et d'un temp?rament monacal qui se d?veloppait et s'irritait avec l'?ge. Troubl?, agit? de mes nouveaux besoins, je les combattis avec courage et opini?tret?. La religion, sans r?primer mes sens, jetait l'effroi dans mon ame. Je souffrais, ma t?te s'?garait; si je rencontrais une jeune femme, elle me paraissait environn?e d'?tincelles. Je fr?missais, je rugissais; la nuit, les songes ?pouvantaient ma conscience. Je me levais alors, me jetais au pied de la croix, et demandais pardon ? Dieu du crime de la nature. J'eus des acc?s violents de fr?n?sie. On me lia, et deux saign?es copieuses calm?rent mes sens et r?tablirent ma raison. Les p?res me disaient que c'?tait le d?mon qui s'?tait empar? de moi, et que leurs pri?res l'avaient chass? de mon corps; mais ce d?mon revint bient?t avec la sant?. Enfin, me promenant un jour ? quelque distance du couvent, j'aper?us une jeune fille, assise devant sa chaumi?re; elle se leva et vint me baiser la main. Mille ?tincelles sortirent de ses yeux ou des miens; ?perdu, hors de moi, je la serrai dans mes bras et mes l?vres press?rent les siennes. Je ne vis, je n'entendis plus rien; mon ame s'?vanouit. La jeune fille apercevant sa m?re, m'en avertit et s'?loigna. Je me retirai poursuivi de l'image de la belle Antonia, et enflamm? du baiser br?lant que j'avais savour?. Plus de repos, mon sang coulait ? flots pr?cipit?s et bouillonnait dans mes veines. Dans le silence de la nuit, je br?lais, je soupirais, je poussais des cris de fureur. Quelquefois j'?tais pr?s de succomber; mais la religion, arm?e de ses vengeances, m'arr?tait sur le bord de l'ab?me. Quelquefois cependant je me disais: Les patriarches, ces ?lus du Seigneur, avaient des femmes, des concubines; Abraham re?ut Agar dans son lit; Rachel et Lia, femmes de Jacob, lui amen?rent deux servantes. Les gens du monde ont des ?pouses, des ma?tresses et le paradis sur la terre, et moi mon partage est l'enfer dans l'un et dans l'autre monde. Nous y arriv?mes ?puis?s de fatigue et de faim. Le cabaret et le soup? ?taient, comme ? l'ordinaire, fort mauvais; mais l'ex-capucin nous amusa par ses r?cits. Si pr?s de l'objet de mes voeux, au moment de le revoir, il ?tait difficile de jouir du sommeil: toute ma nuit fut agit?e par les r?ves de l'esp?rance, par l'image de S?raphine, et l'attente d'un jour si fortun?. Ces pens?es, mon impatience, retardaient la marche des heures; je craignais une nuit ?ternelle. Fatigu? de ma couche, j'?piai ? ma fen?tre le lever de l'aurore. D?s qu'elle parut, je commen?ai ma toilette; je me promenai dans ma chambre, en attendant la neuvi?me heure. Enfin elle sonna, et je partis. Don Manuel me recommanda de ne pas l'oublier dans l'ivresse de l'amour. Vous savez qu'Horace a dit: Nil ego contulerim jucundo sanus amico. --Et notre La Fontaine, r?pliqu'ai-je: Qu'un ami v?ritable est une douce chose!... Ainsi croyez, mon cher Manuel, que l'amour ne fera nul tort ? l'amiti?. C'?tait un jour de f?te, je revenais de la grand'messe; je trouve chez moi un eccl?siastique qui m'attendait: il ?tait d?put? par le grand-vicaire de ma paroisse. Je le re?ois avec les ?gards et le respect que l'on doit ? tout homme honor? du sacerdoce. Il me dit qu'il venait chercher ma fille de la part du grand-vicaire. -- Eh! pourquoi? Quel rapport a-t-il avec elle? -- Il va la d?poser chez votre tante dona Elvira. -- Et la raison? ma tante radote, elle a quatre-vingt-cinq ans, et que fera ma fille chez elle? -- Dona S?raphina a promis sa foi ? don Juan y Alonzo della Roca; ils sont li?s par des engagements et des promesses r?ciproques; et l'?glise va resserrer et confirmer leurs noeuds. -- Quoi! sans ma permission, sans m'avoir consult?? Quel est donc cet homme, ce don Juan de la Roca? je ne connais pas ce nom. -- C'est le fils d'un riche n?gociant de Cadix. -- Comment, un commer?ant, un roturier ose aspirer ? la main de la fille de don Pacheco, y Nun?s, y Garcie Lasso, conde de Montijo, de la orden de Santiago, gentilhomme de la chambre du roi! Et que diront mes anc?tres, don Gonsalve et don Garcie Lasso, si fameux dans l'histoire par leur bravoure et leur loyaut?? Non, je ne le souffrirai jamais. -- Monsieur le comte, les mariages sont ?crits dans le Ciel: si celui de votre fille est sur cette feuille... -- Il faut la d?chirer, m'?criai-je vivement. -- Il se fera malgr? vous: devant Dieu et la religion les hommes sont ?gaux. Don Juan a d?clar? ? notre grand-vicaire qu'il aimait dona S?raphina, qu'il en ?tait aim?, qu'ils d?siraient leur union mutuelle, et il a montr? des lettres qui manifestaient les voeux de votre fille. Cependant le grand-vicaire l'a interrog?e secr?tement, et votre fille a tout avou?. Vous voyez, monsieur, que ce mariage est de toute n?cessit?. -- J'avais promis ma fille ? un chevalier fran?ais, joli homme, brave militaire; il aimait ma fille, et il en ?tait aim?. -- Apparemment que votre fille a fait des r?flexions plus sages, plus solides; nous n'avons pas besoin en Espagne de militaires fran?ais qui viendraient y r?pandre des semences d'incr?dulit? et d'irr?ligion. Enfin, monsieur, vous ne pouvez refuser votre fille sans encourir la censure de l'?glise. Je fis alors appeler S?raphine; mais on me dit qu'elle ?tait chez sa tante. Puisque la malheureuse, dis-je au pr?tre, brave l'autorit? paternelle, et ce qu'elle doit ? sa naissance, au sang des Lasso, mariez-la; je la donne ? l'?glise, au commer?ant la Roca, et au diable; mais je ne la verrai jamais. D?s que cet eccl?siastique fut sorti, je mandai Margarita, la du?gne de ma fille: je la croyais coupable, je voulais la punir; mais elle se justifia. Elle me conta que depuis deux mois un jeune homme venait toutes les nuits jouer de la guitare et chanter des romances sous le balcon de S?raphine. < Add to tbrJar First Page Next Page |
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