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Munafa ebook

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Read Ebook: Voyage en Espagne du Chevalier Saint-Gervais (2 de 2) by Lantier Etienne Fran Ois De

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Ebook has 284 lines and 88647 words, and 6 pages

D?s que cet eccl?siastique fut sorti, je mandai Margarita, la du?gne de ma fille: je la croyais coupable, je voulais la punir; mais elle se justifia. Elle me conta que depuis deux mois un jeune homme venait toutes les nuits jouer de la guitare et chanter des romances sous le balcon de S?raphine. <>

Ma fille et son amant, apr?s avoir re?u la b?n?diction nuptiale, m'ont envoy? diverses personnes pour solliciter leur pardon; je suis rest? inexorable. Je ne reconna?trai jamais pour mon gendre un roturier, un homme de commerce, et je ne pardonnerai jamais ? ma fille cette alliance, et de m'avoir fait manquer de parole ? un gentilhomme de votre m?rite, que j'aime et auquel je dois de la reconnaissance. Mon cher don Louis, agr?ez mes excuses. -- Monsieur, lui dis-je, vous n'avez aucun tort, vous et moi avons ?t? tromp?s. Voil? le fruit de vos pr?jug?s, de votre soumission aveugle ? vos pr?tres. Les Gaulois ou les Celtes avaient jadis des druides aussi puissants, aussi dangereux que vos gens d'?glise; comme vos inquisiteurs, ils sacrifiaient ? Dieu des victimes humaines; ils empruntaient de l'argent pour rendre dans l'autre monde, c'est ? peu pr?s ce que font vos moines en vous ran?onnant pour les ames du purgatoire. -- Senor capitano, s'est ?cri? don Pacheco!, ne voudriez-vous pas que je laissasse br?ler dans le purgatoire l'ame de mon p?re, de ma m?re et la mienne pendant des si?cles entiers? -- Non, senor; la v?tre est trop belle pour que Dieu la condamne au feu du purgatoire. Ce petit compliment calma don Pacheco qu'avait un peu ?mu la comparaison des druides avec les inquisiteurs, comparaison sans doute indiscr?te, mais que mon d?pit m'avait arrach?e. Apr?s cet entretien, don Pacheco m'offrit un logement chez lui, en me disant que les Espagnols ?taient reconnaissants, et qu'il n'oublierait jamais les bons offices que je lui avais rendus ? Perpignan. Je le remerciai, et lui dis que la plaie ?tait trop r?cente pour venir loger dans la maison qu'avait habit?e sa fille; que son souvenir m'y poursuivrait avec plus de vivacit? et de douleur; et j'ajoutai que j'avois un ami avec moi, dont l'amiti?, dans ce moment d'anxi?t?, m'?tait n?cessaire. -- Et quel est cet ami, me dit-il? -- C'est le po?te don Manuel Castillo, homme aimable et de beaucoup d'esprit. -- Je fais plus de cas d'un grenadier que d'un po?te; mais il est votre ami, ? ce titre je le verrai avec grand plaisir; et puisque vous refusez un logement chez moi, j'esp?re qu'au moins vous accepterez ma table et que vous m'amenerez votre ami. Allez le chercher, je vous attends tous les deux ? d?ner. Apr?s ces mots, il m'embrassa tendrement, en me r?p?tant qu'il se battroit contre ce picaron de roturier qui avait s?duit sa fille.

Quien non a visto a Sevilla, Non a visto Maravilla.

Nous y passerons une quinzaine de jours, vous aurez alors habitu? votre douleur ? l'inconstance de votre H?l?ne; et vous reverrez don Pacheco, Cordoue et S?raphine m?me, avec le sang-froid d'un Spartiate qui se r?jouissait de voir sa femme dans les bras d'un beau jeune homme. -- Je n'ai pas encore atteint ce haut degr? de sto?cisme, mais je suivrai votre conseil, et nous partirons pour S?ville. Don Manuel se chargea des appr?ts du voyage, d'en pr?venir don Pacheco, et de lui faire agr?er mes excuses, si je n'allais pas d?ner chez lui.

L'apr?s-d?n?e, j'?crivis ? don Inigo Flores, cet ami sensible et g?n?reux, pour lui faire part de mon arriv?e ? Cordoue, et de l'inconstance de S?raphine. Je lui disais que si j'?tais aupr?s de lui, je trouverais des consolations au sein de l'amiti? et dans le coeur de l'aimable Rosalie. Je finissais ma lettre, lorsque don Pacheco entra; il me sauta au cou, en m'appelant son fils, pestant toujours contre sa fille qui l'avait rendu infid?le ? sa parole pour la premi?re fois de sa vie. Mais, me dit-il, j'ai une ni?ce ? Madrid, fille de ma soeur; son p?re est hidalgo, et d'une famille de vieux Chr?tiens. Il descend par les femmes du marquis de Castellar, qui, en 1746, investi dans Parme, o? il commandait cinq mille hommes, par toute l'arm?e ennemie, aima mieux, en v?ritable Espagnol, hasarder sa vie, que de se rendre prisonnier de guerre. Il anime sa troupe, se met ? la t?te, et sort de la ville la ba?onnette au bout du fusil; ils percent l'arm?e ennemie, se battent pendant vingt heures; et poursuivis six jours de suite, ils arrivent ? Plaisance. Toute l'Europe admira la valeur espagnole, et le nom du marquis de Castellar fut grav? au temple de la gloire. Ce h?ros est l'a?eul de ma ni?ce. Je vous offre sa main; sa fortune ne r?pond pas ? sa naissance, mais je lui assurerai tout mon bien en faveur de votre mariage. Par-l?, j'acquitte ma promesse et la dette de la reconnaissance. Je remerciai cet homme g?n?reux avec toute la vivacit? du sentiment. Mais, lui dis-je, je n'accepterai jamais la d?pouille d'un h?ritier l?gitime; sa jouissance empoisonnerait ma vie. -- Que puis-je donc faire pour vous, pour vous d?dommager des peines d'un long voyage, et r?parer les torts de ma fille? -- Lui pardonner, reconna?tre votre gendre, et m'honorer toujours de votre amiti?. -- Oui, j'en jure par Saint Jacques et par l'ame de mes a?eux, je vous regarderai toujours comme mon fils, comme l'ami le plus tendre; ? l'?gard de S?raphine et de son ?poux le commer?ant, je ne veux pas les voir; ils ont une fortune suffisante pour exister: le luxe, l'opulence ne conviennent qu'? la haute noblesse. Revenez de S?ville, le plus t?t que vous pourrez; une ingrate, une perfide ne m?rite pas vos regrets. Je me flatte qu'? votre retour vous logerez chez moi, avec le seigneur don Manuel. Il est ici dans la patrie de Gonsalve, un des grands capitaines de son si?cle; je l'invite ? faire un po?me ?pique sur ce h?ros, que je pr?f?re de beaucoup au pieux ?n?e dont on m'a fatigu? les oreilles pendant mon enfance. Je me suis toujours rappel? ces bribes de vers:

At pius Eneas tendens ad sidera palmas, Sic fatur lacrimans.

Nous suiv?mes son avis; mais le sommeil descendit tard sur ma paupi?re. Je m'endormis enfin, et un songe bienfesant fit go?ter ? mon ame un moment de bonheur. Ce songe me transporta dans les montagnes de Barr?ge, aupr?s de la tendre C?cile qui cueillait des fleurs. Elle ?tait par?e du n?glig? le plus modeste. -- D'o? venez-vous? lui ai-je dit; il y a bien long-temps que je ne vous ai vue. -- Oh! oui, bien long-temps; je viens de tr?s-loin. -- Pourquoi m'avez-vous quitt?? Est-ce que vous ne m'aimez plus? -- Par quel motif me dites-vous cela? Je vous aime toujours; la preuve en est que je reviens pour vous. -- Permettez-moi donc de vous embrasser. -- J'y consens; je vous aime trop pour vous refuser. J'allais cueillir ce doux baiser, lorsqu'on frappa rudement ? ma porte; et le baiser, C?cile et mon bonheur s'?vanouirent. Ainsi dans la vie, un peu de bile, un vain propos, la moindre circonstance dissipent le r?ve du bonheur. J'entendais don Manuel qui criait ? ma porte: Allons, debout! le chant du coq a retenti trois fois; les chanoines sont ? matines. -- Quel triste r?veil! Le souvenir de la mort de C?cile succ?da ? la joie de l'avoir retrouv?e. Je crus la perdre une seconde fois. Adieu, ch?re et tendre amie, m'?criai-je; adieu, adieu pour jamais. La trahison de S?raphine acheva de contrister mon ame. Cependant, don Manuel criait ? la porte: D?p?chez-vous, les chevaux, le cocher, le chocolat, tout est pr?t et vous attend. -- Je fus bient?t sur pied et nous part?mes.

F?tons, chantons le Dieu du vin, C'est le patron de tous les ?ges; Dans leurs ennuis, dans leur chagrin, Il console les fous, les sages: Et j'aime mieux, c'est mon refrein, Malgr? l'attrait du mariage, Dans ma cave d'excellent vin, Qu'une femme dans mon m?nage.

Bravo! Senor Alessandro! Allons, continuez.

Un buveur est toujours en train; Que la terre soit plate ou ronde, Pourvu qu'elle porte du vin, Tout va pour lui le mieux du monde; Et j'aime mieux, c'est mon refrein, etc.

Le vin toujours p?tille et rit Quand on le verse dans mon verre; Mais la femme bient?t s'aigrit, Et pr?s d'un ?poux ne rit gu?re; Et j'aime mieux, c'est mon refrein, etc.

Dans la bouteille, en vieillissant, Le vin gagne et se bonifie; Mais une femme en m?rissant, Est tous les jours plus enlaidie; Et j'aime mieux, c'est mon refrein, etc.

Nous arriv?mes ? S?ville, le lendemain tr?s-tard. Un long et doux sommeil nous refit de nos fatigues. Le po?te du Toboso ? son r?veil, s'?cria: debout, debout! le soleil brille; allons voir cette fameuse cit? fond?e par Hercule, qui dans ses courses s'amusait ? b?tir des villes, ce qui est plus humain que de les piller et de les d?truire. S?ville est dans une vaste plaine, sur la rive gauche du Quadalquivir, autrefois le B?tis. Elle est entour?e de tours et de fortes murailles; on y compte douze portes; elle passe pour la plus grande ville d'Espagne. Philippe y r?sida pendant plusieurs ann?es: on dit qu'il passait son temps ? dessiner sur des planches de sapin avec la fum?e d'une lumi?re, ou ? p?cher ? la ligne des tanches dans un petit r?servoir.

Je plains l'homme accabl? du poids de son loisir.

S?ville fut la premi?re ville d'Espagne, o? ce tribunal vint s'?tablir et forger ses foudres. Il aurait d? plut?t aller se fixer dans les ?les Eoliennes, o? Vulcain avait ses forges. Non loin de la cath?drale est l'Alcazar, ancien palais des rois maures; c'est-l? o? r?gnaient avec eux le luxe, les arts, les plaisirs et la galanterie; il a plus d'un mille d'?tendue en y comprenant les jardins. Nous v?mes dans une salle de petites statues, repr?sentant les rois d'Espagne, depuis les rois goths jusqu'? Philippe IV; o? sont tant de projets ambitieux, tant de faste et d'orgueil? A peine pourrait-on retrouver la poussi?re de tous ces monarques. On montre aupr?s de cette salle qui sert de chapelle, la chambre o? don P?dre-le-Cruel fit assassiner ses deux fr?res. Ce tyran farouche avait ordonn? par son testament, qu'on l'enterr?t rev?tu de l'habit de Saint Fran?ois, comme si ce v?tement religieux ouvrait les portes du ciel: cependant, un jour il montra quelque respect pour la justice; il aimait comme Neron, ? courir dans les rues, et ? s'amuser aux d?pens des passants. Un savetier qu'il attaqua, se d?fendit vigoureusement, et le maltraita beaucoup; le roi eut la cruaut? de le tuer. Une vieille femme, malgr? l'obscurit? de la nuit, reconnut l'assassin et le d?non?a aux magistrats, qui se pr?sent?rent devant le monarque, et lui demand?rent s'il ?toit coupable de la mort du savetier; il en convint, et pour expier son crime et satisfaire la justice, il fit couper la t?te ? son effigie. Un autre arr?t plein de jugement et d'?quit?, honore la m?moire de ce prince. Un pauvre cordonnier apporta un jour des souliers malfaits, ? un chanoine de la cath?drale de cette ville, tr?s-recherch? dans sa parure, et qui se piquait surtout d'?tre bien chauss?. Il entra dans une telle fureur en essayant ces souliers, qu'? force de coups sur la t?te, il tua ce malheureux. Il laissait une veuve, quatre filles et un gar?on de quatorze ans; ils port?rent leurs plaintes au chapitre, qui condamna le chanoine ? s'abstenir du choeur pendant un an. Le jeune cordonnier grandit au sein de la mis?re. Un jour de F?te-Dieu, il voyait d?filer la procession, assis sur les marches de l'?glise, lorsqu'il aper?ut l'assassin de son p?re; ? cet aspect, l'amour filial, son indigence, le d?sespoir irritant dans son sein la soif de la vengeance, il s'?lance sur lui, le frappe, et l'?tend ? ses pieds; il fut arr?t?, et son proc?s bient?t fait: il fut condamn? ? ?tre ?cartel?. Cette affaire parvint aux oreilles de Pierre-le-Cruel, alors ? S?ville; apr?s s'en ?tre fait rendre compte, il se chargea de prononcer le jugement. Il r?voqua d'abord l'arr?t de mort, et ayant demand? au jeune homme quelle ?tait sa profession, il lui d?fendit de faire des souliers pendant un an.

Nous entr?mes dans le jardin, qui n'est pas aussi beau que celui des franciscains. Don Manuel aborda l'un de ces p?res, qui avait l'air absorb? dans ses m?ditations, ou de b?yer aux corneilles, et lui demanda s'il ?tait permis de voir le jardin. Le fils de saint Bruno lui r?pondit par un signe embl?matique, une inflexion approbative de t?te, et soudain lui tourna le dos. Apparemment, dit le po?te de la Manche, que Dieu, comme l'empereur des Turcs, a des muets ? son service. Nous sort?mes bient?t de ce temple du Silence, o? Ovide aurait log? le Sommeil, si ces asiles avaient exist? dans son temps.

Interea dum fata sinunt jungamus amores, Jam veniet tenebris mors adoperta caput.

Don Manuel revint fort tard, et je me couchai sans l'avoir vu. Le matin j'?tais ?veill? depuis long-temps lorsqu'il vint dans ma chambre. Il me dit qu'il avait pass? une soir?e d?licieuse, au milieu d'un cercle de jolies femmes; qu'il avait improvis?, chant?, pinc? de la guitare; et que tout le monde l'avait trouv? charmant. Il me proposa d'aller prendre du chocolat chez la comtesse; mais je lui dis que je d?je?nais chez don Augustin. Il me promit de venir d?ner avec moi, et de ne pas me quitter du reste de la journ?e.

Quique sui memores, alios fecere merendo.

Ou peut appliquer ? cette ame h?ro?que les paroles de saint Luc:

Gustavit donum coeleste.

La comtesse me re?ut avec une gr?ce, une am?nit? tr?s-aimables; elle me dit qu'elle aimait beaucoup les officiers fran?ais qui ?taient aussi galants que valeureux; que son a?eul avait servi sous le duc de Vend?me, qui l'honorait de son amiti?. Je r?pondis ? ce compliment par des ?loges m?rit?s de la nation espagnole; je louai sa bravoure, sa fid?lit?, son amour pour ses rois, sa probit?, la noblesse de ses sentiments. Apr?s ces propos on me fit asseoir devant un cercle de jolies femmes, rassembl?es pour entendre l'improvisateur don Manuel; apr?s que l'on e?t servi le chocolat et les confitures, que le po?te de la Manche eut fortifi?, par cette collation, sa poitrine et sa voix, il pr?luda sur sa guitare, et, enflamm? par l'amour et la gloire, il entonna sa romance. Toutes les oreilles s'ouvraient, tous les yeux ?taient sur lui; on respirait ? peine; sa voix se d?ployait, s'animait, lorsque tout-?-coup une voiture s'arr?ta devant la maison. On entendait les cris, la rumeur des gens, le hennissement des chevaux. Ah! s'?cria la comtesse avec vivacit?, c'est mon mari, c'est lui! Elle se l?ve, mais il entre aussit?t et s'?lance dans ses bras. Toutes les dames l'entourent, le f?licitent. Il les embrasse les unes apr?s les autres. Pendant ce mouvement, je m'approchai du po?te du Toboso, dont la figure me parut along?e; et je lui dis tout bas: Voici un beau sujet de romance; un ?poux qui tombe des nues, comme une bombe au milieu d'une f?te. Ulysse n'arriva pas plus mal ? propos ? Ithaque pour les poursuivants, et peut-?tre pour P?n?lope. -- Patience; ma romance est faite, elle restera toujours. -- Nous sommes ici tr?s-inutiles. Filons tout doucement; c'est l'heure du berger pour le mari; la v?tre n'est pas encore venue. Nous nous ?chappons; personne ne prend garde ? nous; je demande dans l'antichambre le nom du comte, dont la figure, la politesse m'avaient frapp?; on me r?pond que c'est le comte d'Avila. Ce nom nous ?tonne singuli?rement: nous nous demandons si c'est ce comte d'Avila qu'avait tu? l'hermite Ambrosio. Don Manuel disait que c'?tait son ombre qui revenait expr?s de l'autre monde pour troubler ses amours. Tout nous portait ? croire l'identit? du personnage, et j'aurais dit volontiers ? l'hermite:

Les gens que vous tuez, monsieur, se portent bien.

Nous fin?mes la soir?e dans notre chambre, don Manuel en chantant sa d?convenue sur sa guitare, et moi en lisant et en r?vant ? l'inconstance de S?raphine. Nous interroge?mes l'aubergiste sur l'existence du comte, et nous f?mes confirm?s que c'?tait le rival de l'hermite, qui heureusement ne l'avait pas bien tu?.

Le lendemain ? notre d?je?ner, don Manuel et moi d?lib?rions, si nous informerions le comte de la retraite, de la vie ?r?mitique de don Fernand?s, lorsque nous re??mes de sa part un billet d'invitation pour d?ner; nous accept?mes, et nous voil? encore plus embarrass?s ? r?soudre notre probl?me: pour en avoir la solution, je crus devoir recourir au p?re don Augustin. Don Manuel me dit qu'en m'attendant, il irait ? la messe pour voir de jolies femmes, et que nous nous rejoindrions ? l'auberge.

Je me rendis chez don Augustin; je lui contai l'histoire de don Fernand?s, sa jalousie, son combat, sa retraite dans une caverne, et le priai de m'?clairer de ses conseils. Mon avis, me dit-il, est d'avouer tout au comte; il est loyal, g?n?reux, et loin de poursuivre don Fernand?s, il cherchera ? lui rendre service. Il faut arracher ce malheureux ?poux de son antre; je n'approuve pas la vie ?r?mitique, nous en avons l'obligation ? Saint Paul de la Th?ba?de. Cette existence sauvage est inutile ? la religion; tous les miracles op?r?s dans les d?serts, me paraissent peu dignes de notre croyance. Je n'aime pas ce corbeau qui apporte tous les jours un pain ? Saint Paul, et deux lorsque Saint Antoine vient lui rendre visite. Saint J?r?me offense aussi la raison, et infirme sa v?racit? lorsqu'il nous dit qu'il a rencontr? un satire dans le d?sert. -- Mon p?re, j'admire vos lumi?res et votre pi?t? d?gag?e des liens de la superstition; mais si votre fa?on de penser ?tait connue, vous souleveriez contre vous toute l'arm?e des moines d'Espagne. -- Mais aussi ma pens?e reste au fond de mon ame. Le grand tort des religieux de ce pays est d'?touffer le christianisme sous un amas de superstitions et de miracles ridicules: plus la religion sera simple, mieux elle parlera au coeur. C'est un arbre dont la t?te superbe touche les nues, et qui n'a nul besoin de l'entourage des plantes parasites pour soutenir sa tige et rester debout. Comparons la vie de Saint Vincent de Paul, toujours active, toujours consacr?e aux malheureux, voyez ce saint fondant des h?pitaux, des maisons religieuses: comparez-le, dis-je, ? l'hermite Paul, enseveli vivant dans un d?sert, inutile au monde, ne pouvant m?me l'?difier par sa pi?t? et par ses vertus. Apr?s ce discours, je quittai ce Socrate moderne et chr?tien, en promettant de lui rendre compte du succ?s de nos d?marches aupr?s du comte d'Avila.

Apr?s ce r?cit, nous d?lib?r?mes au moyen d'ouvrir les yeux de don Fernand?s, et de le retirer de sa caverne. Je proposai au comte de charger de cette commission le p?re don Augustin, religieux plein de prudence, de pi?t? et d'onction. Vous avez raison, me dit-il, je le connais; indulgent pour autrui, et s?v?re pour lui-m?me, il joint ? la piet? d'un anachor?te, la philosophie d'un sage; le roi lui a offert un ?v?ch?, qu'il a refus?: on lui en demanda la cause; il r?pondit: Lorsqu'on a les yeux fix?s sur l'?ternit?, la vie est un point entre deux ab?mes, et les honneurs de ce monde, des jeux d'enfants. Demain matin nous irons le prier de nous rendre ce bon office. Je rappelai au comte qu'il m'avait promis le r?cit d'une anecdote au sujet de l'orgueil national. -- La voici. Deux dames de haut parage, de Madrid, se rencontr?rent dans une rue tr?s-?troite. Il fallait que l'une des deux voitures recul?t pour laisser passer l'autre; aucune de ces deux dames ne voulut c?der le pas; et leur orgueil, s'irritant de plus en plus, elles rest?rent jusqu'au jour dans cette situation. Elles y auraient, je crois, pass? leur vie, plut?t que de reculer. Enfin, pour terminer ce noble d?bat, on leur envoya deux chaises ? porteur, qui les emmen?rent en m?me temps.

Nous nous s?par?mes apr?s cette conversation, et le comte promit de venir me chercher le lendemain matin pour me mener chez don Augustin. Il fut exact au rendez-vous, et nous part?mes dans la voiture avec don Manuel pour le couvent des Franciscains. Lorsque nous y arriv?mes, don Augustin allait dire sa messe; nous all?mes l'entendre. Le po?te de la Manche nous y donna une petite sc?ne de ga?t?; un p?re qu?teur lui pr?senta un bassin, en lui demandant pour les ames du purgatoire. Il y mit une piastre. Le moine ravi et ?tonn? de cette g?n?rosit?, lui dit: Senor, vous venez de tirer une ame du purgatoire. A ces mots don Manuel donne une autre piastre. Ah! s'?crie le qu?teur toujours plus enchant?: Voil? une autre ame qui sort triomphante du purgatoire; toutes les deux montent au ciel, les anges s'avancent pour les recevoir, je vois ces ames, au milieu d'eux, rayonnantes de joie. Elles sont donc maintenant en paradis, lui demanda don Manuel? -- Assur?ment, elles sont entour?es des anges; elles jouissent de la gloire et du bonheur des Saints. -- En ce cas je reprends mon argent; ces ames n'en ont plus besoin, on ne sort plus du paradis lorsqu'on y est entr?; et en effet il reprit ses piastres. Le moine confus et rouge de col?re, murmurait, le maudissait entre ses dents. Le comte et moi nous l'appais?mes en jetant quelque argent dans le bassin. Le po?te du Toboso au sortir de l'?glise donna ? un pauvre les piastres qu'il avoit reprises du moine. Je lui demandai pourquoi il enrichissait un mendiant aux d?pens de l'?glise? -- C'est que je suis plus s?r de retirer un pauvre de la mis?re qu'une ame du fond du purgatoire.

Nous mont?mes apr?s la messe dans la cellule de don Augustin, et le comte apr?s un r?cit fid?le de son combat et de l'injustice des soup?ons de don Fernand?s, lui proposa d'aller le chercher, et d'employer son ?loquence et le charme de la persuasion pour l'?clairer sur ses erreurs et le ramener ? son ?pouse. C'est une mission, dit-il, dont je me charge plus volontiers que d'une mission chez les sauvages, dont je ferais de tr?s-mauvais Chr?tiens. Les Ath?niens ?lev?rent un temple ? l'humanit?, Marc-Aur?le ? la bont?, et la religion chr?tienne ? la charit?. Je suis pr?t ? partir demain; je d?sirerois cependant que l'un de ces messieurs voulut bien m'accompagner et me servir de second: don Manuel s'offrit g?n?reusement en disant: J'aime mieux faire ce p?lerinage que celui de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il y a plus d'indulgence ? gagner, n'est-ce pas, mon p?re? -- Je ne puis le d?cider. Tout ce que j'ose assurer c'est que toute bonne oeuvre est not?e dans le Ciel, et que saint Jacques est un grand saint, le patron de l'Espagne. Oui, r?pliqua don Manuel, comme Minerve ?toit la patronne d'Ath?nes, Diane de Lemnos, Junon d'Argos et Jupiter Olympien de Rome. Cela vous prouve, dit le p?re, que les hommes ont toujours cru avoir besoin de la Divinit?. Je lui demandai par quel ?v?nement l'Espagne avoit choisi Saint-Jacques pour son patron? -- Parce que le premier il est venu nous pr?cher l'?vangile. Mais ce qui a le plus contribu? ? le faire adopter pour patron, c'est un songe que fit le roi L?on la veille d'une bataille contre les Maures. Le saint lui apparut, et lui promit la victoire. Il annon?a cette apparition a son arm?e qui combattit avec ardeur et gagna la bataille. Depuis les troupes espagnoles march?rent sous sa banni?re, et le nom de Saint-Jacques fut leur cri de guerre, comme jadis Saint-Denis ?tait le cri des Fran?ais. Mais, lui dis-je, il me semble que saint Jacques n'est pas n? en Espagne, et que m?me il n'y est pas mort, quoiqu'il ait son tombeau ? Compostelle. -- Il est mort ? J?rusalem, par les ordres d'H?rode Agrippa. -- Et comment son corps se trouve-t-il en Espagne? -- L'an 42 de notre ?re, ses disciples l'enlev?rent, le mirent sur un vaisseau qui aborda en Galice, d'o? il fut transport? ? Compostelle, et d?pos? dans une grotte de marbre, au milieu d'un bois. Ce corps fut d?couvert en 800; et c'est autour de cette grotte que l'on a b?ti la ville, ou depuis se rend l'affluence des p?lerins. Mon p?re, lui dis-je alors, pardonnez-moi mon pyrrhonisme; cette histoire, tous les miracles de saint Jacques me paraissent apocryphes, et aussi difficiles ? croire que les exploits d'Hercule, qui a d?livr? la B?tique du monstre Geryon, et s?par? pr?s de Cadix, d'un tour de main, les monts Calp? et Abila. -- La translation de saint Jacques en Espagne, l'invention de son corps, ses miracles ne sont pas des articles de foi; imitons sa pi?t?, sa vie ?difiante; c'est l? ce que la religion exige de nous.

Apr?s le d?n?, le comte nous lut la lettre qu'il ?crivait ? don Fernand?s.

<>

Le comte remit cette lettre ? don Manuel, avec une bourse de cent piastres pour subvenir aux frais du voyage de don Augustin, et de don Fernand?s. Il me pressa beaucoup d'accepter un logement chez lui; je le refusai pour garder ma libert?: je lui promis de venir ? sa table me d?dommager des privations que je m'imposais.

Le lendemain, ? la pointe du jour, don Augustin ?tait ? notre porte, avec une voiture. J'embrassai tendrement don Manuel, qui me dit, en me pressant dans ses bras: Cher Oreste, tu reverras bient?t Pylade vainqueur du farouche Thoas. Je lui donnai une lettre pour don Pacheco, et lui promis d'aller l'attendre ? Cordoue. Don Augustin m'assura qu'ils y seraient dans quinze jours.

Je dois ici le portrait de la comtesse d'Avila, qui m'accueillait avec cette politesse douce et ais?e, que l'usage du monde perfectionne, mais qui prend sa source dans le coeur. Dona ?l?onora, un peu maigre, le teint p?le, attirait les regards par l'?clat de ses yeux, et une physionomie int?ressante, et la gr?ce de ses mouvements. Elle lisait l'idiome fran?ais, l'?nonnait un peu et aimait ? le parler.

Elle ?tait tr?s-attach?e ? son mari, fesait peu de cas des moines, et, chose ?tonnante pour une Espagnole, elle croyait que la vertu et l'humanit? ouvraient, dans toutes les religions, les portes du Ciel; elle aimait la lecture, et lisoit de bons livres; mais la vivacit? de son esprit nuisait ? son attention; elle accusait sa m?moire du peu de fruits de ses lectures. A tort, lui dis-je un jour, vous inculpez cette facult?; vous retiendrez ce que vous lirez attentivement. Mais les femmes lisent comme bien des hommes voyagent; ils courent la poste, traversent rapidement les villes, les campagnes, br?lent d'arriver ? l'auberge, et en rentrant dans leur patrie, semblent avoir bu des eaux du L?th?. La comtesse aimable, spirituelle, et d'un caract?re heureux, comme le soleil avait ses taches;

Car ? l'humanit?, si parfait que l'on f?t, Toujours par quelque faible on paya le tribut.

Elle avait h?rit? de son p?re l'orgueil de la naissance; elle croyait l'organisation d'un gentilhomme bien sup?rieure ? celle d'un roturier. Elle me demanda un jour si Voltaire et Racine ?taient gentilshommes; je lui r?pondis qu'ils ?taient les premiers de la nation, et que les beaux g?nies avaient une origine c?leste. Elle avoit beaucoup d'esprit; mais le d?sir d'en montrer la jetait quelquefois dans l'affectation, et d?truisait ce beau naturel, cet heureux abandon qui fait le charme de la conversation et le d?lice de la soci?t?. Ce d?sir de briller lui fesait citer ? tort et ? travers des faits qu'elle ignorait ou qu'elle savait mal. Elle aimait peu la compagnie des femmes; et habile ? saisir leurs ridicules ou leurs d?fauts, elle les raillait avec un ton plaisant et malin, mais sans aller jamais jusqu'? la m?chancet?: au reste, ses vertus, sa g?n?rosit?, sa fid?lit? en amiti? et dans le mariage, couvraient toutes ses imperfections.

La comtesse me proposa de me mener passer la soir?e chez dona Bianca Aladera, qui paraissait me voir avec plaisir, et qui disait quelle ne trouvait rien d'aussi aimable qu'un officier fran?ais. J'allai donc chez dona Bianca, qui m'accueillit avec le sourire le plus flatteur. Elle me r?serva pour jouer ? l'ombre avec elle, jeu que je savais tr?s-mal. Son pied rencontra le mien sons la table, ce qui m'embarrassa, car je rougis, et quoiqu'elle f?t jeune et jolie, je ne fus nullement tent? de lui r?pondre; la plaie de la perte de S?raphine ?tait encore bien ouverte; et d'ailleurs je d?daignais ces amours impromptus, enfants du caprice et du d?sir. La partie finie, elle me pla?a ? ses c?t?s. Quand son mari entra, c'?tait un homme bien fait et d'une physionomie heureuse, elle me dit tout bas: Voil? mon mari, c'est un tr?s-honn?te homme, mais il est jaloux; il faut nous observer: et elle s'observa si bien qu'elle ne me parla plus que par ses regards, que j'aurais trouv?s fort ?loquents, si mon coeur avait ?t? dispos? ? les entendre. Quand je me retirai, elle m'invita, tout bas, ? me rendre le lendemain matin, vers les dix heures, ? sa paroisse, que l? nous causerions ensemble apr?s la messe. Je lui r?pondis que j'avais des engagements qui m'emp?chaient de profiter de ses bont?s et de la messe. Depuis, dona Bianca Aladera a dit beaucoup de mal des Fran?ais, et de moi particuli?rement.

Milord Dorset voyageait pour se d?faire d'une passion malheureuse: il aimait ?perduement la femme de l'un de ses amis, auquel il avait rendu des services signal?s; et il ne voulait pas souiller ses bienfaits, en abusant de sa confiance, de son amiti? et de sa reconnaissance: et redoutant la s?duction de l'amour et le danger de l'occasion, il avait brusqu? son d?part de Londres, pour se distraire en parcourant l'Europe. Il ?tait ce qu'on appelle fataliste: les hommes selon lui ?taient des automates sous la main de la Divinit?: Dieu, disait-il, ayant r?gl? l'harmonie, le cours des astres, le mouvement p?riodique de l'univers, ne peut avoir abandonn? les ?v?nements futurs au caprice des hommes. Je lui r?pondis: Dieu a mis en moi l'intime persuasion que je suis libre; voudrait-il me tromper? Cette id?e est incompatible avec sa bont? et sa justice: l'id?e de la libert? m'honore ? mes propres yeux, et m'excite ? la vertu: je ne puis, il est vrai, l'accorder avec sa prescience; mais tant de choses sont si imp?n?trables ? ma raison, qu'elle se soumet en avouant sa faiblesse. -- Dans l'incertitude d'un choix ? faire, votre volont? vous d?cide, n'est-ce pas? -- Sans doute. -- Et d'o? ?mane cette volont?? On lit dans les livres saints, que Dieu a cr?? Cyrus, Alexandre, inspir? Mo?se, illumin? ses ap?tres, pour l'ex?cution de ses vastes desseins; et s'il est d?montr? qu'il est l'auteur, le principe des pens?es de tout ces grands personnages, pourquoi supposez-vous qu'il d?daigne assez les autres hommes pour les abandonner ? leur libre arbitre? car enfin, si le p?re de Cyrus avait pu se dispenser de lui donner l'existence, si un homme avait ?t? le ma?tre de l'?touffer dans son berceau, il n'aurait pas conquis la Perse et renvoy? les Juifs ? J?rusalem, pour reb?tir leur temple, selon la pr?diction d'Isa?e. Donc, il ?tait impossible que tout ce que Dieu avait arr?t? n'arriv?t pas. Mais nous voici devant la cath?drale; ce que nous y verrons sera plus compr?hensible pour nous.

Il y a sur ces bords une all?e de cinq files d'ormeaux touffus, arros?s par de petits canaux. On y trouve des fontaines et des si?ges; ? chaque extr?mit? on a ?lev? deux grands ob?lisques. La nuit une file de lumi?res des deux c?t?s, rendent cette promenade tr?s-agr?able. Milord disait que S?ville ?tait le paradis terrestre pendant les deux tiers du jour, et le purgatoire depuis dix heures du matin jusqu'? cinq heures du soir. Nous v?mes passer le carrosse de l'archev?que, attel? de six mules, conduites par deux postillons. Savez-vous, me dit-il, pourquoi les cochers, en Espagne, ne montent plus sur leurs si?ges? -- Non, milord; je ne sais si cet usage vient des Goths ou des Maures. -- Ni des uns, ni des autres; c'est depuis que le cocher du duc d'Olivar?s entendit de son si?ge un secret que ce ministre confiait ? son ami.

Je s?journai encore une semaine ? S?ville, passant la plus grande partie de mes journ?es dans l'aimable soci?t? du comte d'Avila: je fus combl? d'amiti?s et de caresses par ces deux charmants ?poux. La veille de mon d?part, la comtesse me demanda comment je me vengerais de S?raphine? -- En lui rendant service, si je le puis. -- Vous ?tes g?n?reux! -- Et pourquoi aurais-je des projets de vengeance? Elle m'a aim?, je lui dois de la reconnaissance; son coeur n'est plus ? moi, elle est ma?tresse de le reprendre. Je la regrette, je ne l'aime plus; mais je ne la hais pas. Ces aimables ?poux furent aussi afflig?s que moi d'une s?paration qui devait ?tre ?ternelle. Cette pens?e fatale de quitter pour jamais des amis aupr?s desquels on voudrait finir sa vie, devrait d?go?ter des voyages toute ame sensible: mais notre curiosit?, notre vague inqui?tude nous arrachent tous les jours aux plus douces situations.

Mais renoncer au Dieu que l'on croit dans son coeur, Est le crime d'un l?che, et non pas une erreur.

Le soir on nous r?gala d'une sc?ne plus comique. La place ?tait illumin?e avec des fagots de sapin et des tonneaux enduits de graisse de haleine, et la place remplie de monde. Tout-?-coup on l?cha un jeune taureau dont les cornes ?taient envelopp?es de boules de cuir; les feux, la foule, la musique, ?pouvant?rent tellement ce jeune animal, que dans son effroi, il se jeta au milieu des spectateurs, et renversa plusieurs personnes. Tout fuyait, et moi comme les autres; alors des hommes se jet?rent sur lui, et l'envelopp?rent d'un manteau. On lui attacha des fus?es: ses bonds, sa frayeur et ses mugissements divertirent beaucoup les spectateurs. Qui croirait, monsieur, que je vous fais le r?cit d'une f?te religieuse?

La conversation de M. Jacob-Dominique me rendit le voyage tr?s-agr?able. Nous nous s?par?mes en entrant ? Cordoue. Je lui dis, en le quittant, que je souhaitais qu'il v?t bient?t son temple reb?ti sur la montagne de Sion, et l'arriv?e du Messie avec le proph?te ?lie. Il me r?pondit que, peut-?tre, il ne les verrait pas; mais que ses neveux ou petits-neveux jouiraient infailliblement de ce bonheur.

J'allai loger chez don Pacheco, qui me re?ut avec la plus tendre amiti?. Je lui demandai des nouvelles de sa fille. Je n'ai pas voulu la voir, me dit-il, et je ne la verrai jamais. Mon confesseur veut que je lui pardonne. Tout ce que je puis faire pour elle, lui ai-je dit, c'est de retirer ma mal?diction: je ne veux pas ?tre la cause de sa damnation. Je lui ai renvoy? ses hardes, ses rosaires, ses reliques, les diamants de sa m?re; ? l'?gard du seigneur la Roca son ?poux, je renonce ? me battre avec lui, d'abord parce qu'il n'est pas gentilhomme; en second lieu, parce que l'?glise l'a fait mon gendre, et qu'il est le mari de ma fille, quoique sans mon consentement.

Je trouvai ? Cordoue deux lettres: une de ma m?re, qui me f?licitait de mon mariage, qu'elle croyait d?j? c?l?br?, et qui m'apprenait le sien avec un lieutenant-colonel retir?, ?g? de soixante ans. Elle me disait que la solitude, l'abandon o? elle ?tait, contristaient son ame, et pesaient sur sa vie, et qu'elle avait cherch? dans un ?poux un soutien et un ami. L'autre lettre ?tait de don Inigo Flores, qui m'exhortait ? ne pas regretter une femme du caract?re de S?raphine; que j'?tais trop heureux d'?tre sorti de ses filets; que la beaut?, surtout en m?nage, ?tait le moindre m?rite d'une femme. Il ajoutait: Ma fille ne con?oit pas que l'on ait pu vous trahir. Au reste, je suis fort content d'elle; ses soins et sa tendresse me font oublier ses fautes et l'?garement d'un jour: elle est la consolation et le charme de ma vie. Je ne lui vois aujourd'hui qu'un d?faut; c'est celui d'une d?votion exag?r?e. Elle confond la superstition avec la pi?t?. Je la grondai l'autre jour, elle m'avouait qu'elle regardait comme des hommes sans moralit? et sans vertu, tous ceux qui ?taient hors de la religion romaine. Il finissait par ces phrases: <> Ah! m'?criai-je ? cette lecture, si j'avais aim? dona Rosalia, elle ne m'aurait pas abandonn? pour un autre. Je r?pondis ? ma m?re que mon mariage ?tait rompu; que je serais toujours heureux de son bonheur, et que j'esp?rais avoir le plaisir de l'embrasser bient?t.

Apr?s un jour de repos, don Pacheco s'empressa de me montrer les beaut?s de la ville. Nous commen??mes par la cath?drale; d'abord nous nous arr?t?mes dans un bois d'orangers contigu ? l'une des extr?mit?s de l'?glise. En entrant dans ce bois, le chant harmonieux des oiseaux, la fra?cheur de l'ombrage entretenue par des fontaines qui coulent aux pieds des orangers, l'aspect de ces eaux, me firent ?prouver les sensations les plus douces. Quand nous f?mes dans l'?glise, don Pacheco jouit de ma surprise. J'?tais frapp? de son ?tendue et de sa magnificence. J'y comptai vingt-neuf nefs en longueur, et dix-neuf en largeur, d?cor?es par plus de mille colonnes de jaspe de diverses couleurs. Le ma?tre-autel est sous un d?me superbe, dont l'enceinte est si vaste, qu'il ressemble ? une ?glise. Le tabernacle est une esp?ce de temple surmont? d'un d?me entour? de figures de bronze dor?, hautes de quinze pouces, repr?sentant les ap?tres. Les colonnes sur lesquelles repose le tabernacle, sont de jaspe vein? et nuanc? de plusieurs couleurs. L'?glise a six cents pieds de longueur, et deux cents cinquante de largeur; on y entre par dix-sept portes couvertes d'arabesques. Ce temple du vrai Dieu, me dit don Pacheco, ?tait jadis une mosqu?e b?tie par Abderame dans le huiti?me si?cle; il voulait en faire la premi?re mosqu?e du monde apr?s celle de la Mecque. Quatre mille sept cents lampes ?clairaient nuit et jour cette mosqu?e, et consumaient par an pr?s de vingt mille livres d'huile. On br?lait aussi soixante livres de bois d'alo?s et autant d'ambre gris pour les parfums. Il faut convenir, ajoutait don Pacheco, que ces Maures ?taient des hommes magnifiques et braves. J'aime beaucoup leurs f?tes, leur galanterie; cependant, s'il existait encore dans un coin de l'Espagne quelques individus de cette nation, j'irais les combattre ? outrance ? cause de leur religion.

Ce fut en 1236 que Ferdinand fit de cette mosqu?e la cath?drale de Cordoue. Don Pacheco me montra un crucifix grav? sur une colonne de marbre par l'ongle d'un esclave chr?tien qui y ?tait encha?n?. C'est un ouvrage, disait-il, miraculeux. Je fus de son avis. Nous all?mes voir ensuite la petite chapelle o? le Coran ?tait renferm?. Elle ?tait en grande v?n?ration chez les Maures. Nous visit?mes encore la chapelle toute dor?e o? est la statue ?questre de saint Louis, roi de France. C'est un grand saint, me dit don Pacheco. -- Et de plus un grand roi, ajoutai-je; on n'a d'autre reproche ? lui faire que les croisades. -- Non, par saint Jacques, s'?cria don Pacheco: je voudrais qu'on les recommen??t, j'y volerais un des premiers. J'abhorre les Turcs et leur Mahomet, et je donnerais la moiti? de mon bien pour monter au Calvaire o? J?sus fut crucifi?, et pour baiser son tombeau. Il me raconta ensuite que Ferdinand avait oblig? les Maures, apr?s la prise de Cordoue, ? rapporter ? Compostelle, sur leurs ?paules, les cloches de cette cath?drale: il y a environ cent quatre-vingts lieues de distance. C'?tait par droit de repr?sailles: les Maures, deux cent soixante ans auparavant, avaient forc? les Chr?tiens de Compostelle d'apporter de cette m?me mani?re, ? Cordoue, les cloches de leur cath?drale.

La grande place de Cordoue est superbe, par son ?tendue, et par le nombre des maisons qui l'environnent, qui toutes ont des portiques agr?ables et tr?s-commodes. C'est dans cette place, me dit don Pacheco, que se font les courses des taureaux. Je lui r?pondis que j'aimerais mieux y voir les magnifiques tournois des Maures.

Le p?re don Basile, qui croyait que Dieu avait renouvel? pour lui le miracle de l'apostolat, fut de son avis; et, ? ce sujet, il nous lit un pan?gyrique de saint Dominique, fondateur de son ordre. C'est, dit-il, un de nos plus grands saints; nous lui devons l'institution du rosaire dans lequel la m?re de Dieu est invoqu?e cent cinquante fois. Ce grand saint, anim? par un z?le apostolique, a combattu en personne, le crucifix ? la main, dans l'arm?e du comte de Monfort, contre les Albigeois. Notre ordre a donn? ? l'?glise trois papes, quarante-huit cardinaux, six cents archev?ques, et quinze cents ?v?ques; de plus, quantit? de patriarches, de saints, de confesseurs de rois, et une foule de fameux th?ologiens. Je convins que l'univers avoit de grandes obligations ? son ordre. Par saint Pierre et saint Paul, s'?cria-t-il, les jacobins sont les colonnes du temple du Seigneur; et tant qu'ils existeront, nul Samson ne pourra les ?branler...

Le lendemain, en prenant le chocolat dans la chambre de don Pacheco, je m'amusai ? observer la forme bizarre de son lit. La couchette ?tait un assemblage de planches dor?es pos?es sur les carreaux, et sur ces planches ?taient deux matelas: ce lit sans rideaux n'avait d'autre ornement que la dorure des planches; au lever du ma?tre, tout cet attirail est enlev?, et rang? dans un coin de la chambre.

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