Read Ebook: Partant pour la Syrie by Mazi Re Pierre La
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1050 lines and 42465 words, and 21 pagesLe Sphinx bouscul? la Travers?e des Dupes Une fois encore je pars pour l'Orient m?diterran?en vers lequel, ? quatre reprises d?j?, depuis la guerre, j'ai navigu?. Comment, ayant quitt? hier soir un Paris de novembre, ne m'exalterais-je pas ? la pens?e de traverser ? nouveau la mer b?nigne, ? revoir les c?tes de Corse et de Sardaigne, le d?troit de Messine, Alexandrie, le Caire, d'aborder enfin ? Beyrouth, porte de la Syrie, cette terre l?gendaire, berceau et s?pulcre de tant de proph?tes, de thaumaturges et de dieux? D?lices attendues, d?lices escompt?es d'une d?cade pass?e ? bord du plus somptueux palais flottant des Messageries Maritimes! F?eries des aubes et des couchants! Longues stations d'apr?s-midi sur la plage arri?re annexe du bar! Et le soir, la danse sous les ?toiles! Vie charmante, vie incomparable, faite de langueur, de loisirs go?t?s sans remords et dont chaque heure apporte un nouvel enchantement! Chacun, sur le bateau, conna?t son nom, la dignit? dont il est fra?chement investi et sa l?gende. On sait qu'il jouit en France du prestige attach? aux hommes ayant men? ? bien--m?me avec une apparente nonchalance--toutes les t?ches qu'ils entreprirent. On sait que, par de beaux succ?s remport?s ? Gen?ve, il a acquis ce lustre international qui lui manquait encore, ? quoi il attachait du prix et qu'il conquit avec cette m?me aisance que toutes choses auxquelles tient sans le laisser para?tre; probablement pour que, si d'aventure elles lui ?chappent, il lui soit ?pargn? de montrer ? autrui un visage morose... On sait... On sait... Que ne sait-on de lui? ?tonnez-vous, d?s lors, que sa pr?sence suscite un peu de fi?vre, de fr?missement, d'excitation et tant de curiosit? chez les passagers et surtout chez les passag?res unanimement r?solues ? avoir pour lui les yeux de Chim?ne, ? exhiber en son honneur toutes leurs robes, tous leurs joyaux, et, ainsi qu'il se doit, lorsqu'on a le privil?ge de naviguer au m?me bord qu'un homme dont la r?putation est aussi solidement ?tablie que la sienne, le plus possible de leur chair? Le voici qui arpente le pont. Mains au dos, il va d'une marche l?g?rement balanc?e sous les regards convergents. --Justes dieux, qu'il a l'air oriental! murmure-t-on sur son passage. Est-ce pour cela qu'on l'a choisi? --Il ressemble ? Aadly-Yeghen-Pacha, ancien premier de chez nous, affirme une jeune ?gyptienne. Et, naturellement, les gens inform?s content des anecdotes ? ceux qui le sont moins. M. Henry de Jouvenel sait bien lesquelles. Vous aussi, parbleu! Mais il est certains voyageurs qui t?moignent au repr?sentant de la France en Syrie un int?r?t plus vif encore que celui manifest? par nos officiers, nos fonctionnaires, les touristes fran?ais, anglais, am?ricains en route pour l'?gypte et les enfants du Delta regagnant leur patrie. Ce sont des quidams au teint de vieil ambre, d'olive ou de bronze, aux cheveux bleus, aux yeux couleur de caf? en poudre, assis, ?? et l?, sur des chaises de pont et qui, observant le promeneur avec insistance, essaient visiblement, par le seul examen de son visage, de deviner son caract?re, ses pens?es, ses desseins. Qui sont-ils? Je ne tarde pas ? l'apprendre de la bouche de l'un d'eux qui, se d?tachant d'un groupe, m'aborde en me d?clarant qu'il m'a connu nagu?re ? Constantinople, ce dont, d'ailleurs, je n'ai conserv? aucun souvenir. Mais cela doit ?tre vrai! Non, certes, parce que le personnage le dit avec tant d'assurance! Mais parce qu'il m'appelle fort correctement par mon nom et--voil? de quoi me flatter--me parle de mes livres. Pourtant, comme je lui demande de vouloir bien me rappeler quelles circonstances nous nous rencontr?mes, il m'avoue ing?nument ceci: il fut, il y a trois ans, une semaine durant, mon voisin d'?tage au P?ra-Palace. Il s'enquit alors de mon identit?. Et c'est strictement ? cela que se born?rent nos relations, ces relations qu'il ?voquait tout ? l'heure, en me saluant avec tant de cordialit? heureuse. Excellents Orientaux! Je vous retrouve tous en la personne de ce gaillard aux lourdes paupi?res bistre fonc?, aux l?vres aubergine. Vous conservez jusqu'? votre mort le souvenir du visage que vous v?tes un instant. Jamais vous n'oubliez un nom prononc? une fois devant vous, que vous l?tes sur une carte, une malle, une enveloppe, ou que vous vous f?tes communiquer par un portier d'h?tel. Je dis: --Vous ?tes chr?tien, n'est-ce pas? --Oui! Mais comment l'avez-vous devin?? --Un air que vous avez et qui ne trompe pas!... De quel front lui euss?-je avou?: --Nous, Fran?ais quelque peu familiaris?s avec l'Orient m?diterran?en, nous reconnaissons au premier coup d'oeil un chr?tien n? sur la terre levantine et si diff?rent du chr?tien de chez nous qu'il est difficile de concevoir qu'un m?me esprit les anime tous deux. Nous le reconnaissons ? l'expression tour ? tour arrogante et humili?e de son regard et de son sourire, ? sa rouerie, ? son impudeur, ? son indiscr?tion tranquille, ? cent petites choses qui nous offensent et nous irritent. Mais encore une fois, qui est mon ami? Et qui sont ses compagnons? Des Syriens ou, si vous le voulez, des Libanais. Agents plus ou moins mandat?s de Comit?s, de groupements politiques ou religieux locaux, exer?ant en outre les professions les plus diverses: avocats, banquiers, commissionnaires, courtiers, sous-courtiers, interm?diaires en tous genres, ils quitt?rent Beyrouth lorsqu'ils apprirent le nom du successeur de Sarrail et la date de son embarquement. Pourquoi ont-ils abandonn? leurs parties d'?checs ou de baccara, leurs affaires, toutes leurs fructueuses petites combinaisons? Vous allez comprendre. Dans l'Orient m?diterran?en, la nomination d'un fonctionnaire important ne constitue pas seulement un ?v?nement politique et administratif. Elle repr?sente un int?r?t ? la fois commercial et financier pour qui sait et peut l'exploiter ? temps. Chaque fois qu'un vali, un pr?fet, un Haut-Commissaire, prend possession de ses fonctions, tout ce qui vend, ach?te, pr?te, procure, plaide ou s'entremet, tient cabinet, office ou bureau, commence de s'agiter, dresse un plan d'action. Il s'agit d'?tre bien en cour, ou, si l'on ne peut y parvenir, d'en donner les apparences aux amis, ? la client?le aupr?s desquels on trafiquera, en toute ing?nuit? et sans voir de mal ? cela, de l'influence acquise--ou de celle dont on se targuera. Aussi, d?s que le nouveau ma?tre est en place, se lance-t-on ? l'assaut de sa personne. On gagne d'abord son entourage. Comme on sait multiplier les d?marches, supporter avec patience les plus longues stations dans les couloirs, accepter en souriant les plus humiliantes rebuffades, comme dans tous les pays du monde et singuli?rement en Orient, la r?sistance du sollicit? c?de devant l'obstination du solliciteur, lorsque celui-ci est dou? d'une patience syst?matique et r?solue, il arrive presque toujours qu'on se puisse prosterner devant le soleil levant et en recevoir les bienfaisants rayons. Est-on vraiment si abandonn? du ciel qu'on ne puisse obtenir au moins d'?tre re?u une fois? Chaque jour, l'heure des audiences, durant une semaine, deux semaines, tout le temps qu'il faudra, on se tiendra dans l'antichambre du dispensateur de tous emplois, de toutes faveurs, de tous avantages. Et, par le truchement des personnes qui, vous ayant rencontr?, pensent tout naturellement que vous attendez votre tour, la ville enti?re apprendra que vous avez une conf?rence quotidienne avec le repr?sentant du pouvoir, qu'il n'a rien ? vous refuser, que, partant, vous ?tes un homme ? m?nager! Vous pourrez d?s lors taxer comme vous l'entendrez vos consultations, vos conseils, vos interventions plus ou moins fictives et tous les petits services qu'on sollicitera de vous!... Mais la grande tactique consiste ? faire le si?ge du nouveau ma?tre avant les confr?res, les concurrents, les rivaux. C'est pourquoi, lorsque la chose est possible, on n'attend pas qu'il soit install?. On va ? sa rencontre. Et quand, pour rejoindre son poste, il doit voyager longtemps--surtout par mer--alors, c'est vraiment une affaire! La vie de paquebot est favorable aux rencontres, aux pr?sentations. Elle permet certaines familiarit?s. A bord, on peut toujours se d?brouiller! Confiant en son industrie, en sa subtilit?, pr?t ? ne reculer devant aucun moyen, chacun d'eux compte bien, en multipliant les mouvements de reptation et les bonds successifs, approcher un des collaborateurs du repr?sentant de la puissance mandataire. Par fortune, plusieurs effectuent leur premier voyage au Levant. Ils sont donc sans d?fense contre certains proc?d?s classiques auxquels un Europ?en inexp?riment? se laisse toujours prendre. D?j?, on les a rep?r?s. Ce soir, demain matin au plus tard, les gentlemen au teint de vieil ambre, d'olive ou de bronze, < --Tout ce qui m'appartient est ? vous, mon cher!... Et ils obtiendront, du moins en nourrissent-ils l'espoir, d'?tre pr?sent?s ? M. Henry de Jouvenel. Apr?s avoir, selon les us, d?clar? ? celui-ci que < Tel pr?sentera une requ?te en son nom ou au nom d'un de ses gros clients. Celui-l? proposera une combinaison commerciale, industrielle ou bancaire. Ce troisi?me sollicitera un monopole et ce dernier offrira d'aller traiter avec les rebelles pour le compte de cette France qu'il aime plus que sa m?re. Mais oui! M. Henry de Jouvenel cingle pour la premi?re fois, lui aussi, vers les ?chelles du Levant. Il ignore donc encore par quels moyens un peu rudes il importe, au-del? d'une certaine longitude, d'?carter l'engeance des qu?mandeurs. Avec politesse, avec bonne gr?ce, en r?ussissant m?me assez bien ? feindre qu'il y prend un tr?s vif int?r?t, il ?coutera les discours qu'on lui tiendra. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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