Read Ebook: Œuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 22 by Maupassant Guy De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 2457 lines and 78596 words, and 50 pagesEt leurs bouches se rencontr?rent. Il enleva son ombrelle et la d?v?tit de sa jaquette printani?re, avec des mouvements prompts et s?rs, habitu?s ? cette manoeuvre famili?re. Comme elle s'asseyait ensuite sur le divan, il demanda avec int?r?t: --Votre mari va bien? --Tr?s bien, il doit m?me parler ? la Chambre en ce moment. --Ah! Sur quoi donc? --Sans doute sur les betteraves ou les huiles de colza, comme toujours. Son mari, le comte de Guilleroy, d?put? de l'Eure, s'?tait fait une sp?cialit? de toutes les questions agricoles. Mais ayant aper?u dans un coin une esquisse qu'elle ne connaissait pas, elle traversa l'atelier, en demandant: --Qu'est-ce que cela? --Un pastel que je commence, le portrait de la princesse de Pont?ve. --Vous savez, dit-elle gravement, que si vous vous remettez ? faire des portraits de femme, je fermerai votre atelier. Je sais trop o? ?a m?ne, ce travail-l?. --Oh! dit-il, on ne fait pas deux fois un portrait d'Any. --Je l'esp?re bien. Elle examinait le pastel commenc? en femme qui sait les questions d'art. Elle s'?loigna, se rapprocha, fit un abat-jour de sa main, chercha la place d'o? l'esquisse ?tait le mieux en lumi?re, puis elle se d?clara satisfaite. --Il est fort bon. Vous r?ussissez tr?s bien le pastel. Il murmura, flatt?: --Vous trouvez? --Oui, c'est un art d?licat o? il faut beaucoup de distinction. ?a n'est pas fait pour les ma?ons de la peinture. Depuis douze ans elle accentuait son penchant vers l'art distingu?, combattait ses retours vers la simple r?alit?, et par des consid?rations d'?l?gance mondaine, elle le poussait tendrement vers un id?al de gr?ce un peu mani?r? et factice. Elle demanda: --Comment est-elle, la princesse? Il dut lui donner mille d?tails de toute sorte, ces d?tails minutieux o? se compla?t la curiosit? jalouse et subtile des femmes, en passant des remarques sur la toilette aux consid?rations sur l'esprit. Et soudain: --Est-elle coquette avec vous? Il rit et jura que non. Alors, posant ses deux mains sur les ?paules du peintre, elle le regarda fixement. L'ardeur de l'interrogation faisait fr?mir la pupille ronde au milieu de l'iris bleu tach? d'imperceptibles points noirs comme des ?claboussures d'encre. Elle murmura de nouveau: --Bien vrai, elle n'est pas coquette? --Oh! bien vrai. Elle ajouta: --Je suis tranquille d'ailleurs. Vous n'aimerez plus que moi maintenant. C'est fini, fini pour d'autres. Il est trop tard, mon pauvre ami. Il fut effleur? par ce l?ger frisson p?nible qui fr?le le coeur des hommes m?rs quand on leur parle de leur ?ge, et il murmura: --Aujourd'hui, demain, comme hier, il n'y a eu et il n'y aura que vous en ma vie, Any. Elle lui prit alors le bras, et retournant vers le divan, le fit asseoir ? c?t? d'elle. --A quoi pensiez-vous? --Je cherche un sujet de tableau. --Quoi donc? --Je ne sais pas, puisque je cherche. --Qu'avez-vous fait ces jours-ci? Il dut lui raconter toutes les visites qu'il avait re?ues, les d?ners et les soir?es, les conversations et les potins. Ils s'int?ressaient l'un et l'autre d'ailleurs ? toutes ces choses futiles et famili?res de l'existence mondaine. Les petites rivalit?s, les liaisons connues ou soup?onn?es, les jugements tout faits, mille fois redits, mille fois entendus, sur les m?mes personnes, les m?mes ?v?nements et les m?mes opinions, emportaient et noyaient leurs esprits dans ce fleuve trouble et agit? qu'on appelle la vie parisienne. Connaissant tout le monde, dans tous les mondes, lui comme artiste devant qui toutes les portes s'?taient ouvertes, elle comme femme ?l?gante d'un d?put? conservateur, ils ?taient exerc?s ? ce sport de la causerie fran?aise fine, banale, aimablement malveillante, inutilement spirituelle, vulgairement distingu?e qui donne une r?putation particuli?re et tr?s envi?e ? ceux dont la langue s'est assouplie ? ce bavardage m?disant. --Quand venez-vous d?ner? demanda-t-elle tout ? coup. --Quand vous voudrez. Dites votre jour. --Vendredi. J'aurai la duchesse de Mortemain, les Corbelle et Musadieu, pour f?ter le retour de ma fillette qui arrive ce soir. Mais ne le dites pas. C'est un secret. --Oh! mais oui, j'accepte. Je serai ravi de retrouver Annette. Je ne l'ai pas vue depuis trois ans. --C'est vrai! Depuis trois ans! ?lev?e d'abord ? Paris chez ses parents, Annette ?tait devenue l'affection derni?re et passionn?e de sa grand'm?re, Mme Paradin, qui, presque aveugle, demeurait toute l'ann?e dans la propri?t? de son gendre, au ch?teau de Ronci?res, dans l'Eure. Peu ? peu, la vieille femme avait gard? de plus en plus l'enfant pr?s d'elle et, comme les Guilleroy passaient presque la moiti? de leur vie en ce domaine o? les appelaient sans cesse des int?r?ts de toute sorte, agricoles et ?lectoraux, on avait fini par ne plus amener ? Paris que de temps en temps la fillette, qui pr?f?rait d'ailleurs la vie libre et remuante de la campagne ? la vie clo?tr?e de la ville. Depuis trois ans elle n'y ?tait m?me pas venue une seule fois, la comtesse pr?f?rant l'en tenir tout ? fait ?loign?e, afin de ne point ?veiller en elle un go?t nouveau avant le jour fix? pour son entr?e dans le monde. Mme de Guilleroy lui avait donn? l?-bas deux institutrices fort dipl?m?es, et elle multipliait ses voyages aupr?s de sa m?re et de sa fille. Le s?jour d'Annette au ch?teau ?tait d'ailleurs rendu presque n?cessaire par la pr?sence de la vieille femme. Autrefois, Olivier Bertin allait chaque ?t? passer six semaines ou deux mois ? Ronci?res; mais depuis trois ans des rhumatismes l'avaient entra?n? en des villes d'eaux lointaines qui avaient tellement raviv? son amour de Paris, qu'il ne le pouvait plus quitter en y rentrant. La jeune fille, en principe, n'aurait d? revenir qu'? l'automne, mais son p?re avait brusquement con?u un projet de mariage pour elle, et il la rappelait afin qu'elle rencontr?t imm?diatement celui qu'il lui destinait comme fianc?, le marquis de Farandal. Cette combinaison, d'ailleurs, ?tait tenue tr?s secr?te, et seul Olivier Bertin en avait re?u la confidence de Mme de Guilleroy. Donc il demanda: --Alors l'id?e de votre mari est bien arr?t?e? Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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