Read Ebook: Les angoysses douloureuses qui procedent damours by Crenne H Lisenne De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 446 lines and 91114 words, and 9 pagesLes Angoysses Douloureuses qui procedent D'amours: composees par Dame Helisenne. Premiere Partie. De Crenne. Helisenne aulx Lisantes. Dames d'honneur & belles nymphes Pleines de vertus & doulceur, Qui contemplez les paranymphes, Du regard, de cueurs ravisseur: L'archier non voyant, & mal seur, Vous picquera, prenez y garde. Soyez toutjour sur vostre garde: Car tel veult prendre, qui est pris. Je vous serviray d'avantgarde A mes despens, dommage & pris. L'EPISTRE DEDICATIVE DE DAME HELISENNE A Toutes honnestes Dames, leur donnant humble salut. Et les enhorte par icelle a bien & honnestement aymer, en evitant toute vaine & impudicque amour. Les anxietez & tristesse des miserables se diminuent, quand on les peult declarer a quelque sien amy fidele. Parce que je suis certaine par moy mesmes, que les dames naturellement sont inclinees a avoir compassion. C'est a vous mes nobles dames, que je veulx mes extremes douleurs estre communiquees. Car j'estime que mon infortune vous provoquera a quelques larmes piteuses: qui me pourra donner quelque refrigeration medicamente. Helas quand je vins a rememorer les afflictions, dont mon triste cueur a est?, & est continuellement agit?, par infinitz desirs & amoureux aguillonnemens. Cela me cause une douleur qui excede toutes aultres, en sorte que ma main tremblante, demeure immobile. O trescheres dames, quand je considere que en voyant comme j'ay est? surprinse, vous pourez eviter les dangereux laqs d'amour, en y resistant du commencement, sans continuer en amoureuses pensees, Je vous prie de vouloir eviter ociosit?, & vous occupez a quelques honnestes exercices. En ces considerations je me vins a reverberer & reprehendre mes forces, en exorant celle qui est mere & file de l'altitonant plasmateur, de vouloir ayder a ma triste memoire, a soustenir ma debile main, pour vous le s?avoir bien escripre. COMMENCEMENT DES ANGOISSES AMOUREUSES de dame Helisenne, endurees pour son amy Guenelic. Chapitre premier. Au temps que la deesse CIBELE despouilla son glacial & gelide habit, & vestit sa verdoyante robbe tapissee de diverses couleurs, je fuz procree de noblesse: & fuz cause a ma naissance de reduyre en grand joye & lyesse mes plus prochains parens, qui sont pere & mere, parce qu'ilz estoient hors d'esperance de jamais avoir generation. O que a juste cause, je doibs mauldire l'heure que je nasquis, las que je fuz nee en maulvaise constellation, Je croys qu'il ne estoit Dieu au ciel, ne Fortune en terre pour moy, O que j'eusse est? heureuse, si le laict maternel m'eust est? venim, qui eust est? cause de la transmigration de l'ame sans ce qu'elle eust est? agitee de tant grand anxiet? & tristesse. Mais puis qu'il a pleu au createur, que j'ay est? receue au monde, & procree, force m'est de mitiguer mes grandes & extremes douleurs, ce qui me semble estre impossible. Et pour reciter la premiere de mes infortunes, la cruelle Atropos me feist ceste oultrage, premier que fuz aagee d'ung an, de me priver du personnage se fut mon pere, dont ma mere eust si grande tristesse & amaritude, que sans l'ardeur d'amour qu'elle avoit en moy, la dolente ame se fut separee de son corps. Ainsi doncques demouray fille unique, qui fut occasion que ma mere print ung singulier plaisir a me faire instruire en bonnes meurs, & honnestes coustumes de vivre. Et quand je fuz parvenue a l'aage de unze ans, je fuz requise en mariage de plusieurs gentilz hommes: mais incontinent je fuz mariee a ung jeune gentil homme, a moy estrange mais nonobstant qu'il n'y eust eu frequentation, ny familiarit? aulcune, il me estoit si tresagreable, que me sentois grandement tenue a fortune, & me reputant heureuse. Et aussi j'estois le seul plaisir de mon mary, & me rendoit amour mutuel & reciproque: moy vivant en telle felicit?, ne me restoit que une chose c'estoit sant?, qui de moy s'estoit sequestree, au moyen que j'avoys est? mariee en trop jeune aage: mais ce ne me pouoit empescher de persister en l'ardente amour de mon mary, & quand il estoit contrainct soy absenter, pour faire service a son prince, je demeurois si chargee d'une extreme tristesse, que je l'estime indicible, & non equiparable, combien que certaine son absence, estre propre pour ma sant?. En perseverant en telles amours ma personne croyssoit, & premier que pervinse au treiziesme an de mon aage, je estoye de forme elegante, & de tout si bien proportionee, que j'excedoye toutes aultres femmes en beault? de corps, & si j'eusse est? aussi accomplie en beault? de visaige, je m'eusse hardiment os? nommer des plus belles de France. Quand me trouvoye en quelque lieu, remply de grand multitude de gens, plusieurs venoient entour moy pour me regarder disans tous en general, voyez la, le plus beau corps que je veis jamais. Puis apres, en me regardant au visage disoient, elle est belle: mais il n'est a accomparer au corps. J'estoye requise de plusieurs, qui estoient ardens en mon amour non de gens de basse condition, mais princes & grans seigneurs: ce qui fut cause d'acroistre le bruict de moy, en plusieurs & divers lieux. Et fut parce que ung Roy avoit de coustume de sejourner souvent en une petite ville, dont n'y avoit de distance que deux lieues dela, jusques au lieu de nostre residence. Et luy estant inform? de moy, eut desir de me veoir, parquoy ung jour vint a nostre chasteau mais mon mary m'avoit faict absenter, cognoissant que impossible m'eust est? de resister contre ung tel personnage: mais le bruict du pays fut tel que j'estoy estimee du nombre de ses amyes, puis incontinent fut sceu le contraire, tellement que resplendissois en renommee de chastet? louable, & aussi jamais pour homme que j'eusse veu mon cueur n'avoit vari?, & avoit tousjours ferme propos de vivre ainsi, en desprisant & ayant a abomination celles qui avoient bruict d'estre flexibles & subjectes a tel delict. L'origine du divertissement de Helisenne, pour aymer a reproche. Ce pendant que vivoye ainsi constante & a bonne raison, parce qu'il ne estoit chose que peusse desirer, que promptement n'en fusse servie: & croys que si mon mary eust sceu le secret de mes pensees, que sans dilation les eust accomplies. Et si fortune muable ne eust est? envieuse de ma felicit?, je me reputeroye fort obligee a elle. Mais a ceste heure a juste cause m'en doibs plaindre, comme de celle qui a us? de crudelit? en moy. Et le moyen qui donna voye & ouverture a mes malheurs, fut par une terre que nous avons litigieuse, parquoy nous fut chose urgente & necessaire, de nous trouver en une ville a cause que celluy pour qui estions inquietez, se tenoit sur le lieu, & estoit fort vigilant, & craignant d'estre prevenuz deliberant y aller, Je n'estois aulcunement marrye de l'inquietitude, ignorant la fortune & maladventure, ou briefvement je debvoye succumber: mais suyvant le naturel du sexe foemenin ne pensoye jamais veoir le jour de nostre partement, & continuellement incitoye mon mary, que ce feust bien tost. Le desir? jour venu, nous transmigrames en ladicte ville ou estoit le comble de mes prochains malheurs. Or pleust a dieu, que j'eusse eu la science, de la troyenne Cassandra, laquelle par esprit de prophetie prevoioyt la destruction du tresillustre & noble sang Troyen. Helas je me feusse conservee des infiniz regretz qui journellement pullullent en mon triste cueur, mais je croys que c'estoit predestination divine, parce que je congnois, que serviray d'exemple aux aultres. Doncques parvenue au logis, incontinent me vins appuyer sur une fenestre, & regardois, en tenant propos joyeulx a mon mary, sans me soulcier de la chose, qui nous avoit contrainct de venir, ce qui estoit de grande importance. Ce jour se passa en toutes recreations, & voluptueux plaisirs. Et le lendemain me levay assez matin & en m'abillant vins ouvrir la fenestre, & en regardant a l'autre part de la rue, je veis ung jeune homme, aussi regardant a sa fenestre, lequel je prins a regarder ententivement, il me sembla de tresbelle forme, & selon que je pouoye conjecturer a sa physonomie, je l'estimoys gracieux & amyable: il avoit le visage riant, la chevelure creppe, ung petit blonde, & sans avoir barbe, qui estoit manifeste demonstrance, de sa gentille jeunesse. Il estoit assez honneste en son habit, toutesfoys sans user d'acoustremens superfluz. Et au moyen de la grande chaleur, n'avoit autre habillement, que ung pourpoint de satin noir. Apres l'avoir trop que plus regard?, retiray ma veue: mais par force estoye contraincte retourner mes yeulx vers luy, il me regardoit aussi, dont j'estoys fort contente: mais je prenoye admiration, en moymesmes, de me trouver ainsi subjecte, a regarder ce jeune home, ce que d'aultres jamais ne m'estoit advenu. J'avoys acoustum? de prendre & captiver les hommes, & ne me faisoye que rire d'eulx, mais moymesmes miserablement, je fuz prise. Je ne pouois retirer mes yeulx, ne desirois aultre plaisir, que cestuy la. O mes dames, je vous exore & prie, que vueillez considerer, la grande puissance d'amours, veu que jamais je n'avois veu ce personnage, Vous pourriez trouver cela fort estrange: car le plus souvent amours viennent par continuelle frequentation. Las je m'effor?ay de resister, voulant expulser amours de mon cueur, car le soir quant je fuz couchee aupres de mon mary, je vins distinctement a penser, la grande amyti?, que luy avois tousjours portee, & que ma renommee avoit est? clere, sans estre notee, de chose, qui peust denigrer mon honneur. En ces considerations, raison me venoit a coroborer, me conseillant d'estre ferme, & ne me laisser vaincre, & me disoit, comment veulx tu prendre le villain chemin, ord, & fetide, & laisser la belle sente, remplye de fleurs odoriferentes: tu es liee de mary, tu peulx prendre ton plaisir en mariage, c'est beau chemin lequel suyvant, tu te peulx saulver. O paoure dame, veulx tu preferer amour lascif, a l'amour matrimonial qui est chaste & pudicque, que tu as en si grande observation conservee? En considerant toutes ces choses, combien que feusse attaincte, & mon entendement fort bless?, au moyen de l'ardent amour, dont j'estoye possedee. Raison dominoit encores en moy: car une bonne pensee m'en amenoit une aultre: & commen?ay a considerer, & ruminer plusieurs hystoires, tant antiques que modernes, faisant mention des malheurs advenuz par avoir enfraintz & corrumpu chastet? en excedant les metes de raison, & me vint souvenir de la grecque Helene, qui fut cause de la totalle destruction de Troye. Puis comparut en ma memoire, le ravissement de Medee, laquelle pour remuneration & recompense d'avoir preserv? de mort son amy Jason, il l'expulsa de son pays, parquoy luy fut necessaire de mendier, & requerir les suffrages & secours d'aultruy, dont advint que la paoure malheureuse, par ung desespoir, de ses propres mains occist ses enfans. Apres il me souvint de Eurial & la belle Lucrece, lequelz pour aulcun temps en grand hilarit? & joyeuset? furent: mais depuis ledict Eurial fut contraint soy absenter, & suyvre L'empereur, qui fut cause de la mort immaturee de sa dame. Plusieurs aultres, se representoient en mes tristes pensees: comme Lancelot du lac, & la royne Genevre, qui furent cause de adnichiller l'excellente renommee du magnanime Roy Artus, & consequemment des nobles chevaliers de la table ronde. Et en ce mesme temps, Tristan de cornouaille, & la Royne yseul souffrirent tresgriefves fatigues, parce que leurs damnables amours estoit venues a la notice du roy Marc. Apres avoir en mon ymagination consider? toutes ces choses, j'estoye deliberee de me desister d'amours, quand l'appetist sensuel me vint livrer ung tresdur assault, me voulant persuader de le suyvre, en accumulant en ma triste memoire innumerables pensees, toutes dissemblables aux premieres, dont je commen?ay a devenir froide, & feuz en telle extremit?, que par voix ne se pourroit exprimer, par conception comprendre, ou par fantasie ymaginer. La semblance, effigie ou similitude du jeune jouvenceau, estoit paincte & descripte en ma pensee. Cela causoit port, faveur, & ayde, a amours, en sorte que la pensant mitiguer, elle croissoit & augmentoit, & disois en moymesmes, se n'est que simplesse, d'estre ainsi timide, il fault laisser la triste apprehension de maulx qui sont advenus au temps preterit, & avoir regard au temps present. Je cognois plusieurs jeunes dames & damoyselles qui ont bruyct d'avoir quelque amy, lesquelles vivent en joye & en liesse, force me sera de les ensuyvre: car de resister, les puissances me sont ostees: une chose y a qui me conforte, c'est que qui peche avec plusieurs, il n'est pas digne de si tresgrande reprehension. Et pour finale resolution, pour le moins je veulx avoir le plaisir, du regard delectable de mon amy. Je nourriray amours licitement en mon cueur, sans le divulguer a personne, tant soyt il mon amy fidele. Ainsi doncques, commen?ay du tout a chasser raison, parquoy la sensualit? demeura superieure. Helisenne surprinse d'amours est apperceue de son mary. En telles varietez de pensees, je passay toute la nuyct, j'estoye debile & de petite complexion pour ceste cause, au matin quand me voulus lever, me trouvay en maulvaise disposition de ma personne, pour l'acerbe travail, que j'avoys eu, de mes vaines & infructueuses pensees. Non obstant cela, d'ung grand & fervent desir portee, Je m'abilllay le plus hastivement que je peuz, pour venir a la fenestre ou j'atendois d'avoir singulier plaisir, & incontinent que je y feuz, veis celuy qui estoit le vray possesseur & seigneur de mon cueur. Alors je commen?ay a user de regardz impudicques, delaissant toute craincte & vergoigne, moy qui jusques a ce temps avois us? de regardz simples & honnestes: il avoit aussi ses yeulx inseparablement sur moy, qui fut cause que mon mary eust quelque suspition, & pour en plus s?avoir, me disoit souvent, m'amye, par ce que je peulx comprendre, en considerant vostre contenance vostre cueur est fort oppress? & charg? de tristesse, & melencolie, dont suis esbahy, veu que vous avez si grand desir d'estre en ceste ville, vous fasche il de quelque chose mal faicte? que je puisse reparer, ou amender? ou si vous avez desir d'avoir chose qui soit en ma puissance, ne differez de le dire: car vous debvez estre certaine de l'avoir promptement: car je vous porte si grand amiti?, que liberallement exposeroye mon corps pour vous, jusques a la mort A l'heure en grand promptitude, trouvay une artificielle mensonge, & luy deiz non, je vous asseure, que pour le present n'ay aulcune fascherie, a quoy vous puissiez remedier, car ceste soubdaine melencolie, ne me procede d'aultre chose, sinon que j'ay craincte de la terre litigieuse, cognoissant que partye adverse, est fort vigilante, & nous avons accostum? de vivre en delices & plaisirs mondains. Parquoy nous sera difficile estre diligens, comme le cas le requiert. Et lors mon mary en monstrant semblant de prester foy a mon dire & face joyeuse, me respondit, m'amye, je vous supplie ne craignez riens de ce que soyons prevenus ou surprins: car je vous prometz y avoir tel soing, que n'aurez cause de vous irriter, & ne vous soulciez de riens que de faire bonne chere, & prendre recreation. Et en ce disant, il me monstra mon amy & me dit, voyez la le jouvenceau le plus accomply en beault? que je veis de long temps: bien heureuse seroit celle, qui auroit ung tel amy. Ainsi qu'il proferoit telles parolles, mon amoureux cueur se debatoit dedans mon estomach, en muant couleur, du principe, devins palle & froide, puis apres une chaleur vehemente, licencia de moy la palle couleur, & devins chaulde, & vermeille, & fuz contraincte me retirer, pour l'affluence des souspirs, dont j'estoye agitee comme le monstrois par indices evidens, gestes exterieures & mouvemens inconstans. Et quand je voulois prononcer quelque propos, par maniere de plaintes & exclamations, l'extreme destresse de ma douleur, interrompoit ma voix, je perdis l'appetit de manger, & de dormir m'estoit impossible. Long seroit a racompter & difficile, les pensemens que j'avoye: car je croy veritablement que jamais amoureuse ne fut si cruellement traictee en amours. Mais je m'esforceray d'en declarer, le plus qu'il me sera possible. Ainsi doncque perseveray journellement en telles amours tousjours usant des regardz acoustumez. Toutes ces choses veoit mon mary, comme cler voiant estoit certain que j'estoye surprinse, mais il ne m'en monstroit aulcun maulvais semblant. Mais au contraire, me monstroit plus grande amiti? que jamais, dont je faisoye bien petit d'estime, car toute l'amour que luy portoys au paravant, s'estoit de luy separee, & en estoit le jeune amy vray possesseur. J'avois tant de plaisir en le regardant, que n'estimoye liesse qui la mienne superast, & ne cessay de penser & ymaginer, comment je pourroye parler a luy, & aulcunesfoys estoye si perturbee, que quant mon mary parloit a moy, je luy faisoye reiterer son propos par plusieurs fois, parce que l'appetist desordonn?, avoit tout transport? mon esprit, au moyen de mes inutiles pensees. Je veoye mon amy quelques foys jouer d'une fleuste, aultres foys d'ung luc. Je prenoye singulier plaisir a l'ouyr, & a bref parler tous ces faictz m'estoient merveilleusement aggreables. Je ne feuz en ceste delectation suave, doulce & melliflue que jusques au sixiesme jour, parce que mon mary me donna a cognoistre, la suspition que celeement & tacitement portoit en son triste cueur: car en se venant apuyer a la fenestre aupres de moy, me vint a prononcer aulcunes parolles, qui me semblerent merveilleusement acerbes. Il se tourna vers moy, & en soubzriant me dit, m'amye, se jeune homme la vous regarde fort, il a ses yeulx immobillement sur vous, je s?ay que c'est d'amours, comme celuy qui l'a experiment?, mais je jugeroys & serois d'opinion selon ses gestes & contenances, qu'il est surprins de vostre amour. La prononciation de ce mauldit & insidieux propos me transper?a le cueur, & feuz agitee, persecutee, & affligee de nouvelles doleurs, parquoy ne peuz promptement respondre, & quand je peuz parler, riant fainctement luy deis. Je crois que ce bien la ne m'est pas deu, car vous estimez que celle seroit felice & heureuse, qui auroit ung tel amy, non pourtant je ne n'ay point d'envie, car feust il aussi beau que Narcissus, qui n'estimoit creature equiparable a luy en beault?, jamais mon cueur ne pouroit varier, ne vaciller, & certes aussi je croy que ces pensees & ymaginations, ne sont pas en moy, au moins que j'eusse peu appercevoir. Et apres avoir excus? mon amy, je me retiray oultrageusement irritee, nouveaux & divers pensementz discouroyent par ma fantasie, j'estois incessamment aguillonnee de la beault? ymaginee & paincte en ma memoire du plaisant jouvenceau, mais quand j'euz bien consider?, je commen?ay a mitiguer, & temperer ma fureur, disant en moy mesmes, je ne doybs estre hors d'esperance de mon amy, car mon mary n'a point de suspicion de moy, mais indubitablement m'estime ferme & constante, S'il c'est apperceu des coustumiers regardz de mon amy, je trouveray bien excuse qui aura lieu. Il me fault apprendre a souffrir patiemment, car il n'est si grand travail, que par prudence ne soit moder?: ne acerbe douleur, que patience ne derompe. Et avec ce qui se differe, ne s'abolist. En ceste deliberation passay encores quatre jours, je n'osoye plus regarder a la fenestre en la presence de mon mary, mais en son absence, je usoys des regardz accoustumez, pensant que par ce moyen me fust imparty quelque refrigeration, mais cela me causoit plus de ardeurs & enflammemens. Ung jour entre les aultres, je veiz mon amy allant par la rue, Il me print vouloir de m'enquerir de son estat, & maniere de vivre, ce qui me fut exhib?. Il estoyt de basse condition, dont je feuz merveilleusement marrye, mais la grand fureur d'amours me offusquoit, & ostoit la congnoyssance, en sorte que combien qu'il m'en despleust, l'amour ne diminuoyt. Helisenne change de logis non pas de cueur. Ce pendant que vivoye ainsi destituee de ma libert?, mon mary estoit melancolieusement irrit?, de veoir mes gestes & contenances. Et pour ceste occasion, voulut changer de lieu mais considerant que mon amy trouverroit bien le lieu, & que amours le presseroit, & stimuleroit, de investiguer & chercher. Je ne feis aulcun semblant de mal contentement, & ainsi nous departasmes & alasmes resider en ung aultre lieu ce qui vint incontinent a la notice de mon amy. Parquoy la journee sequente, se trouva en la maison plus proche de la nostre, sejournoit a la porte, regardant s'il me verroit a la fenestre, mais incontinent que je l'euz veu, je me retiray ung petit, affin de prendre conseil a mon miroir, de mon accoustrement, grace, & contenance. Puis apres me mis a regarder affectueusement, & pour la doulceur intrinseque que je sentoye de sa veue, je commen?ay a dire en moymesmes Certes mon amy vous estes fors diligent, aulcune negligence ne vous doibt estre attribuee, ou improperee. Parquoy vous estes digne, & meritez d'avoir recompence, pour le moins vous doibt estre imparty ceste privault? d'avoir audience. Ainsi que je prenoys singulier plaisir, en mes amoureuses pensees, mon mary se vint apuyer aupres de moy, lequel ne se peust garder de desclairer & descharger son cueur, en adressant son propos a moy, d'une grand fureur me vint a dire. Je vois la vostre amy que vous regardez merveilleusement, soyez certaine, que je s?ay veritablement que vous estes surprinse, dont il me deplaist. Je vous vois user de regard dissolus & impudiques, & estes si perturbee, que raison ne domine plus en vous, mais je vous asseure si vous continuez en telz regardz, je vous donner? a congnoistre que vous m'aurez tresgriefvement offens?. Quant je l'euz escout?, ne fut en ma puissance de respondre, mais comme femme vehementement affligee, par langoureuse infirmit?, & tresangoissieuse douleur, me convint asseoir, aultrement je feusse tombee, & quant je peuz parler luy commen?ay a dire. Las mon amy, qui vous meult de m'increper, & si cruellement blesser mon cueur, en me servant de telz propos? vous me causez si extreme douleur, qu'il ne m'a est? possible de vous s?avoir promptement respondre, car je n'eusse jamais pens?, que votre esperit eust est? occup? de telles vaines & inutiles pensees. Vous m'avez veue tousjours user de telles honnestetez que ceulx qui me cognoissent tous en general ont eu bonne opinion de ma vie, & n'ay est? digne de reprehension. Mais quand j'ay bien pens? & encharg? en la sublimit? & infinit? de ma pensee, je ne puis concepvoir que n'ayez est? intoxiqu? ou contamin? de quelque langue maligne, lesquelles pullulent maintenant en grande affluence et infiny nombre. Mais si vous considerez quelle a est? ma vie, facilement vous pourrez reduyre es termes de raison, dont vous vois grandement alien?. Quand j'euz dis, il commen?a a me regarder en proferant telz motz en grand rigueur. Ha fausse femme, telles excuses ne trouveront lieu de reception en mon cueur, car combien que tu ayes est? chaste & pudicque, je congnois apertement ton cueur estre subverty & eschauff? d'ardeur libidineuse & as contamin? pudicit?, pour ensuyvre amour lascif, parquoy j'ay bien raison de mauldire l'heure que premierement je te veis, car telles dissolutions seront cause de denigrer & adnichiler ton honneur, & le mien: & si la chose vient a ma congnoissance, soye certaine que j'en prendray cruelle vengence, & en ce disant, se despartist, & je demeuray tant chargee de tristesse & amaritude que impossible seroit le s?avoir relater, ne reciter. Mais apres avoir est? longue espace en telle extremit?, commen?ay a reprendre ung petit de vigueur, parquoy a voix cassee & interrompue je deiz, O mon trescher amy unicque esperance de mon afflict cueur comment pourray je a ceste heure temperer la grand ardeur, qui journellement croist & multiplye en mon cueur, en sorte que je brusle & consumme. Je ne vois apparence ne commencement de refrigeration, & quand possible me seroit de m'en desister, je ne vouldroys, pour le delectable plaisir, que j'ay en ton regard. Las Fortune, tu me preste continuellement cause de desespoir, car si je suis privee de la veue de mon amy, je ne desire aultre chose, que l'oultraigeuse Atropos immatureement use de crudelit? en moy, qui me semblera doulceur, combien qu'elle provocque les aultres a avoir timeur & craincte. En disant ces propos j'estoye tant fatiguee & lassee, qu'il n'estoit possible de plus. Ainsi que j'estoye en telle vaine & superflue sollicitude, je veis mon mary lequel revenoit de solliciter aulcuns de ses affaires, Lequel voyant que j'estoye si triste, pensoit que j'eusse eu honte & vergongne des injures qu'il m'avoit dict, mais il estoit bien alien? de la verit?, car aultre chose que la mort, ne m'eust sceu separer de son amour. Nonobstant mon mary avoit moder? sa fureur, & me dist. Je vous prie dictes moy d'ou vous procede vostre tristesse, esse pource que n'avez l'oportunit? d'accomplir vostre vouloir luxurieux & inceste? ou s'il vous desplaist, ayez contrition d'avoir si long temps persist? en voz continuelz regardz, ne vous voulant desister de vostre folye. Vous repentez vous d'avoir laiss? surprendre vostre cueur voulant commencer une vie detestable & abominable? Si je pensoye que vostre vouloir fut de adnuller, & chasser amour de vostre cueur, & vous vouloir reduyre & remettre a plus honnestes coustumes de vivre, je ne vous en tiendroye en moindre estime, parce que je cognois les premiers mouvemens n'estre en nostre puissance. Tout subit qu'il eut achev? son propos, je luy commen?ay a nyer le tout. Car j'estoye devenue hardye, & audacieuse, Et jusques a ce temps avoys est? timide, & luy deis ainsi. Comment estes vous encores en telle mauldicte & damnable opinion. Je cognois manifestement que c'est tentation dyabolicque, vous estes persuad? de quelque furie infernalle, tendant a fin de vous faire perpetrer & commettre ce enorme & execrable pech?, qui vous cause destruction de corps & d'ame. Certes vous avez grand tort, car l'integrit? de mon cueur jamais ne se maculeroit. Et au contraire de vostre dire, le pouez s?avoir par longue experience. Et en ce disant me retiray en une aultre chambre, & parce qu'il estoit heure de coucher, deliberay ne retourner jusques a ce qu'il fut endormy, ce que je feiz. Et environ l'heure de mynuict, me allay coucher en grand melencolye, car toutes choses m'estoient desplaisantes tristes & odieuses. Mais le lendemain matin allay ouyr les suffraiges divins, en ung petit temple, & ainsi que vouloys retourner, je veiz mon amy, lequel me jetta une trespersante oeillade, qui me fut penetrative jusques au cueur, j'eux si parfaicte joye, que je mis en oubly tous les tourmens & griefves douleurs que j'avoye soubstenuz, a l'occasion de luy. Je me prins a regarder sans avoir honte, ne vergongne, & ne me sousioye d'ung sien compaignon, qui evidemment pouoit apparcevoir mes regardz impudicques & artificielz. Et quand je pensoye de retourner, l'apprehension m'estoit plus triste, que selon mon advis, n'avoye eu de recreation de sa veue, mais craignant que mon mary ne survint contre mon vouloir, me convenoit retirer. Ainsi comme avez ouy j'estoye traictee en amours, aulcunesfoys par extremes douleurs contraincte gemir & lamenter, & quelque fois grand joye & consolation m'estoit irrigee, au moyen du plaisant regard de mon amy, j'allois ordinairement ouyr les suffraiges divins au maistre temple ou tout chascun convenoit, pareillement si faisoit mon amy tousjours accompaign? de plusieurs. Je veoye manifestement son inconstance & imprudence, par ce qu'il me monstroit. Et comme je pouois conferer, ou presupposer par signes evidentz, il publioit & divulgoit noz amours. Et oultre plus j'en feuz certaine par l'une de mes damoyselles, laquelle l'ouyt en devis, & disoit ainsi a l'ung de ses compaignons, ceste dame la est merveilleusement amoureuse de moy: voyez les regardz atrayans, de ses yeulx, je presuppose qu'en continuant de poursuyvre, facilement en pourray avoir jouissance. Quand ce propos me fut recit?, tout subit deffaillit la vigueur de mon cueur, & par passionnee facherie, enclinay mon chef en terre, comme fait une violette sa couleur purpurine, quand elle est abbatue du fort vent Boreas. Je demouray long temps fort pensant, puis apres redressant ma veue je veiz mon amy, lequel je regarday en monstrant semblant en maniere de plaincte, & disoye en moymesmes. Las fortune que tu m'es aspre, adverse, feroce & cruelle. Je congnois a present que ce n'est que simulation & fainctise de celluy que j'estimoys qu'il m'aymast cordialement, mais helas il ne tend a aultre fin que a me priver d'honneur, pour en tenir ses propos & derisions, mais combien que je le congnoisse tel, mon cueur est tant a luy, qu'il n'est en ma facult? de le retirer, mais doresnavant je ne useray plus de regardz, au moins en public, car la bonne renommee est facile a denigrer, & par especial des gentilles femmes, quand elles ne sont modestes, comme a leur honnestet? appartient, en ceste deliberation me departis, et vins en ma chambre, & me tins tout le jour solitairement, et au soir quand je fuz couchee aupres de mon mary, mon entendement commen?a a voltiger en composant diverses et nouvelles fantasies, qui me causoit une laborieuse peine, en sorte que ne pouoye dormir. Helisenne se passionne pour son amy. Moy estant ainsi tormentee et travaillee, je ouy plusieurs instrumens, lesquelz sonnoyent en grande armonie et melodieuse resonnance, j'eux quelque suspicion que ce pourroyt estre mon amy. Et pour en s?avoir la verit?, me vouluz lever, combien que j'eusse tousjours est? paoureuse aux tenebres nocturnes: je devins hardie et asseuree, mais en pensant saillir de mon lict pour aller a la fenestre, mon mary me dist. Ou voulez vous aller? Je croy veritablement que c'est vostre amy, & sans plus dire mot se rendormit. O que j'estoye marrye, & plus triste que ceulx qui sont detenuz en prison caligineuse, parce que tremeur me detenoit, que je n'osoye regarder a la fenestre, dont j'estoye remplie de ire & de courroux, qu'il n'estoit en ma facult? de refrener, & ainsi se passa la nuyct. Mais mon amy continua de revenir par plusieurs foys, & une foys entre aultres, mon mary s'esveilla, & en ce tournant vers moy, tel principe donna a son parler. O mauldicte femme, tu m'as tousjours ny? ce que par signes demonstratifz evidentement pouoye cognoistre, si je n'eusse est? de vray sens alien?, je suis certain & le s?ay indubitablement que c'est ton amy, qui amene plusieurs joueurs d'instrumens pour te donner renovation, & pour te induyre & faire condescendre a son inique vouloir, mais s'il cognoissoit ton cueur aussy bien que moy, il ne s'en travailleroit pas fort. Car ton effrenee lascivit? a bien la puissance de te contraindre a le provocquer luy mesmes, & s'il estoit expert en amours, il auroit peu congnoistre la grant ardeur qui incessamment te domine, ton appetit venerien a envenim? ton cueur, qui au paravant estoit pur & chaste: tu es si abusee de son amour, que tu as chang? toutes tes complexions, fa?ons, gestes, vouloyrs & manieres honnestes, en opposite sorte, mais sois asseuree que je n'en souffriray plus, car ta vie desordonnee me cause tant d'ennuyz, & de passions, que contraincte me sera de user de crudelit?, & ignominie en ta personne: & quant il eut ce dit il se teut. Et je me levay comme femme furieuse, & sans s?avoir prononcer la premiere parolle, pour luy respondre, je commen?ay a derompre mes cheveulx, & avioler et ensanglanter ma face de mes ongles, & de mon trenchant cry femenin penetroye les aureilles des escoutans. Quant je peuz parler comme femme du tout alienee de raison je luy dis. Certes je croy que quelque esprit familier vous revele le secret de mes pensees, ce que je pensoye estre reserv? a la divine prescience: & vrayement je l'ayme effusement & cordialement, & avecq si grande fermet?, que aultre chose que la mort ne me s?auroit separer de son amour: venez doncques avecques vostre espee, faictes transmigrer mon ame de ceste infelice prison corporelle, & je vous en prie, car j'ayme mieulx mourir d'une mort violente, que le continuel languir, car mieulx vauldroit estre estranglee, que d'estre tousjours pendant, & pourtant ne tardez plus, transpercez le cueur variable, & retirez vostre espee taincte et sanguinolente. Ne usez de piti? en moy non plus que feist Pirrhus en Polisenne, laquelle fut immolee sur le tumbeau de Achilles, et si vous ne le faictes, la fureur et rage qui me tient me pressera et pourforcera de me precipiter moy mesmes: et en ce disant mes yeulx estincelloient de furieuse chaleur, et frappoye de mon poing contre mon estomach, tellement que je feuz si lassee, que je demeuray comme morte. Et quand je feuz revenue en moy, je veiz mon mary et mes damoyselles, et aultres serviteurs domesticques qui estoient esbahys de telle sincopise et pasmoison. Et quand je peuz parler je demanday pourquoy on s'estoit lev?, et mon mary respondit, mais que vous soyez couchee, je vous le diray, & sans tenir plus long propos, par une de mes familieres servantes me feist porter coucher, & commen?a a me dire. O mon dieu, je n'eusse jamais pens? que la chaleur d'amours eust est? en vous si vehemente & inextinguible, car je voy que vous en estes a la mort, dont je suis marry. Car combien que vous en ayez grandement failly, & que m'avez confess? de vostre bouche que vous estes occupee en nouvelles amours, je vous ayme tant qu'il me seroit difficile, & impossible de me s?avoir divertir de vostre amour, mais je vous asseure que je prendray cruelle vengeance de vostre amy, lequel est cause de accumuler & assembler tant de tristesse en mon cueur, mais s'il vous prent envie de le baiser, devant qu'il soit trois jours je vous le feray baiser mort. Quand je ouy ces propos, mon cueur fut aussi fort oppress? que ceulx qui re?oipvent condemnation & sentence mortelle, & ne me peuz tenir de luy respondre. J'ayme trop mieulx que prenez vengence de moy comme je l'ay merit?, sans oultrager ce jeune homme, qui n'a riens offens?, pourtant s'il est amoureux a il servy la mort? c'est le propre & vray naturel des jeunes gens, Ces parolles proferees en souspirant jusques a effusion de larmes, en sorte que mon dolent mary fut contrainct de me appaiser, en me jurant & affermant que puis que j'en estois si amerement couroucee qu'il ne le vouldroit molester ny oultrager, mais il me prioit de delaisser le fol desir que j'avoye de mon jeune amy, disant que facilement le pourrois faire, en me conseillant en moymesmes, & que combien qu'il soit difficile, si est il possible. Et en me faisant telles remonstrances se approcha de moy, pour parvenir au plaisir de Venus, mais en grand promptitude me retiray loing de luy, & luy dis. Mon amy Je vous supplie que me laissez reposer, car au moyen des tristesses & angoisses dont mon miserable cueur est continuellement agit?, j'ay une deliberation de tous mes membres en sorte que n'espere plus de vivre, sinon en langueur & infirmit?. Et en ce disant me assis en mon lict, faignant d'estre griefvement attainte de maladie, dont il desplaisoit grandement a mon mary, & se effor?oit de appaiser mes larmes, pleurs, douleurs, & souspirs, & quand il pensa m'avoir ung peu consolee, il s'endormit jusques au jour. La jalousie du mary avec la description d'une femme laide. Quand le SOLEIL matutin eust rendu le jour cler, il s'esveilla & me print entre ses bras, pour me penser resjouyr & retirer a son amour, mais il estoyt merveilleusement abus?, car mon cueur avoit desja faict divorce & repudiation totale d'avecq luy, parquoy tous ses faictz me commencerent a desplaire, & n'eust est? contraincte, je n'eusse couch? avecq luy, mais pour couvrir & donner umbre a mon unicque vouloyr, me convenoit user de dissimulation, monstrant semblant de me vouloyr reduyre & remettre es termes de raison, en quoy mon mary avoit esperance: pour ce jour ne me vouluz lever, & feiz fermer les fenestres, ne desirant que d'estre solitaire, & en lieux taciturnes, comme font gens contritz inconsolablement, parce qu'il m'estoit prohib? & deffendu de me trouver en lieux ou fut mon amy, & encores mon ingrate fortune permist que mon mary s'enquist a plusieurs des voysins que signifioyent telz & semblables jeux, que journellement on continuoyt de sonner devant nostre maison. Il luy fut respondu, n'estre la coustume s'il n'y avoyt fille a marier, & incontinent la response ouie, s'en vint a nostre hoste qui estoit homme rusticque, & de rude & obnubil? esperit, auquel il dict. Mon hoste, n'avez vous ouy ces jours precedentz par plusieurs & diverses foys, la grand melodie des joueurs de fleutes, dont on joue devant vostre maison? Je vous asseure que selon ma conception je presuppose que c'est quelqu'ung qui est espris de l'amour de vostre femme ou de la mienne. A ces motz respondit l'hoste, Monsieur, je m'esbahys qui vous meult, ny a quel propoz vous dictes telles parolles, car j'estime ma femme aussi bonne & chaste que femme de la ville, & en ce disant s'eschaulfoyt, monstrant par signes evidentz qu'il estoit oultrageusement irrit?, qui estoit manifeste demonstrance de son petit & rural entendement, parce que sa femme estoyt layde & odieuse, & de sa deformit? & laydeur je vous en veulx faire le recit: Elle estoyt de petite stature, bossue & boyteuse, & si avoit le visaige fort rid?, les sourcylz larges de deulx doygs, sans y avoir distance de l'un a l'aultre, elle avoyt les yeulx petitz & noyrs, merveilleusement enfoncez en la teste, & le nez fort camus, la bouche oultrageusement grande, & les lebvres grosses, & si n'avoyt seulement que deux dentz grandz oultre mesure, & avoit le col court, & les tetins luy reposoient sur le ventre, & si estoit aagee de soixante & douze ans. Parquoy toutes ces choses considerees, je pense & a bon droict, qu'elle eust est? refusee & chassee de tous hommes. Ainsi que mon mary se delectoyt l'une de mes damoyselles estoit presente, laquelle incontinent me vint reciter le tout, mais combien que fusse fort marrie & destituee de tous plaisirs, je ne me peulx garder de rire, en considerant la follie de l'hoste, & comme j'en tenoys propos mon mary survint, lequel me demanda comment je me portoye, & me deist. M'amye, je vous prie que delaissez voz pleurs & gemissemens, & reduysez vostre cueur en consolee liesse. Quant a moy, je ne vous presteray matiere, ny occasion de melencolie. Il est demain le jour d'une feste solennelle, parquoy je veulx & vous commande que vous accoustrez triumphamment, affin que vous assistez au temple avecq moy, car doresnavant ne vous sera permis de sortir de la maison sinon en ma compaignie, car je veulx veoyr quelle contenance sera la vostre en ma presence, parce que je suis certain, que vostre amy se y trouvera. Tel propos me tenoyt mon mary, auquel ne feiz aulcune responce, mais tins silence, nonobstant que tacitement grand joye & hilarit? m'estoyt irrigee, emanee, ou exhibee au moien de l'esperance future de la veue de mon amy, & pour le fervent desir que j'avoye, la nuyct me sembla de grande duree. Mais quand Proserpine commen?a a cheminer en la maison du chien tricipite, & Phoebus son chair au zodiac accomodoyt, sur lequel portoit en son chef son dyademe tout couvert de resplendissantz & lucides rais pour illustrer & esclarcir l'universel monde, Je me levay subitement, & commen?ay a m'appareiller, je vestis une cotte de satin blanc, & une robbe de satin cramoisy, j'aornay mon chef de belles brodures, & riches pierres precieuses, & quand je fuz accoustree, je commen?ay a me pourmener, en me mirant en mes sumptueulx habillemens, comme le pan en ses belles plumes, pensant plaire aux aultres comme a moymesmes, & ce pendent mon mary se habilloit, lequel prenoit singulier plaisir en me voyant, & me dict qu'il estoit temps d'aller, & en ce disant, sortasmes de la chambre en la compaignie de mes damoyselles, je cheminoye lentement, tenant gravit? honneste, tout le monde jectoit son regard sur moy, en disant les ungz aux aultres, voyez la, la creature excedant & oultrepassant toutes aultres en formosit? de corps. Et apres qu'ilz m'avoyent regardee, ilz alloyent appeller les aultres, les faisant saillir de leurs domicilles, afin qu'ilz me veissent. S'estoyt une chose admirable de veoyr le peuple qui s'assembloyt entour moy, & quand je feuz parvenue jusques au temple, plusieurs jeunes hommes venoyent en circuyt tout a l'entour de moy, me monstrant semblant amoureux, par doulx & attrayantz regardz tirez du coing de l'oeil, pour essayer de me divertir & decepvoyr, mais je ne m'en soucioye aulcunement, Car toutes mes pensees estoyent accumulees en ung seul. Je regardoye en plusieurs et divers lieux, mais je ne veoye celuy qui estoit le singulier plaisir de ma veue, et ne vint jusques a ce que le service divin fut commenc?, et luy venu, il ne usa des regardz accoustumez, mais ne feist seulement que passer devant moy, Je ymaginoye que c'estoyt pource que mon mary estoit present, pour eviter de luy donner suspition, parquoy je feuz contente. Et quand l'office solennel fut fin?, nous partismes pour venir au logis, et passasmes le temps en recreation et voluptueulx plaisirs, jusques a ce que retournasmes pour ouyr vespres, ou mon amy ne faillit de se trouver, lequel ne usa de discretion, parce que a la presence de mon mary donnoyt evidente demonstrance de son affection, par ses regardz amoureux, & doulx attraictz, en perseverant de me monstrer a sez compaignons, combien qu'il n'eust encores parl? a moy, & quand je veoye son inconstance, je regardoye d'ung regard doulx & simple, affin de luy monstrer & exhiber par signes, que par sa contenance il causoyt une grande doleance en mon cueur: mais pour ce, ne differa ses importunitez, car il venoyt passer si pres de moy qu'il marchoit sur ma cotte de satin blanc, j'estoye fort curieuse en habillemens: c'estoit la chose ou je prenoye singulier plaisir: mais non obstant cela il ne m'en desplaisoit, mais au contraire voluntairement & de bon cueur j'eusse bais? le lieu ou son pied avoit touch?: mon mary veoit le tout, lequel par fascherie fut contrainct soy absenter, dont contre mon vouloyr, & pour eviter occasion de noyse je le suyvis, et incontinent que feusmes en la maison il me deist. Je m'esbahys de vostre amy, lequel n'a sceu dissimuler son amoureuse follye en ma presence, il luy procede de grande presumption de venir marcher sur vostre cotte, il semble par cela qu'il eust grand privault? et familiarit? avecq vous. Doncques pour eviter de m'engendrer plus de passions et fascheries, que mon triste cueur ne s?auroit porter, je vous prohibe et deffendz de vous trouver en lieu ou il soyt en mon absence, et oultre plus quand je seroye present, et feust a l'eslevation du corps de Jesuchrist, je veulz que incontinent que vous le pourrez apercevoyr, que sans dilation vous absentez: et sy vous n'observez ce mien commandement, j'ay ferme propos et deliberation de me separer de vous: vous avez du bien de par vous, terres et seigneuries plus que je n'en ay, lequel je ne vous veulx retenir. Car je ne vouldroye aulcunement prouffiter du bien d'une femme lascive. Et quand il eust ce dict, je luy respondis, que j'accompliroye son commandement, et qu'il n'en fut perplex ne doubteux, sy je ne luy en donnoye l'occasion: et a l'heure il se contenta adjoustant foy a mon dire, et n'en fut non plus parl? jusques au lendemain que me vouluz lever et accoustrer d'habillementz riches & sumptueux: ce que mon mary ne voulut permettre, et pour luy complaire feuz contente de me habiller plus simplement, & quand je fuz appareillee, nous nous transportasmes au temple ou je trouvay mon amy, lequel persevera ses importunitez, en sorte que je fuz contraincte de changer trois foys de lieu, mais tousjours il me suyvoit, en tenant propos de moy a ses compaignons, & par conjecture je pense qu'il parloit de mon mary, lequel continuellement estoit avecq moy, car j'entendis l'ung de ses compaignons qui luy disoit, que parce qu'il pouvoit comprendre en regardant ma face, qui me demonstroit si anxieuse, qu'il y avoit de la suspition: & quand mon amy ouyt ces motz, il commen?a a rire, & voyant cela, & aussi memorative du commandement de mon mary, je m'absent?, pensant que quelque foys trouveroys lieu plus commode & opportun pour exprimer l'ung a l'aultre les secretz de noz pensees. Les approches des deux amans pour parler ensemble. Ainsi doncques perseveray tousjours de suyvre la maulvaise partie de mon esprit, & n'eurent puissance les propos & derisions de me s?avoir desmouvoir de ma follie: mais parce que j'avoye les jours precedens observ? le commandement de mon mary, en dissimulant l'ardente flamme qui me brusloit & consumoyt, qui est une chose fort difficile, il me fut imparty plus de libert? que je n'avoye eu de long temps: car j'alloye au temple seulement en compaignie de l'une de mes familieres damoyselles, dont j'estoye fort joyeuse, pensant que mon amy auroit opportunit? de parler, & pour l'inciter, je me tenoye dedans le temple jusques a ce qu'il estoit vuyde de toutes gens, & continuay ainsi par plusieurs jours, nonobstant il ne se advan?oit de parler, dont estoye esmerveillee, & ymaginoye que ce qu'il differoit luy procedoit de pusillanimit?, toutesfoys je ne lassay de persister, & ung jour entre aultres, je vey qu'il estoit plus pensif qu'il n'avoit accoustum?, & se promenoit seul tenant son bonnet en sa main, pour me donner recreation en voyant ses beaux cheveux tant bien pignez. Et apres qu'il se fut assez pourmen?, il entra en une chapelle ou on commen?oit a faire le divin service, parquoy j'eu occasion honneste de me lever, & aller pres de luy. Je veoye qu'il regardoit souvent entour luy, & aussi faisois je pareillement, & croys que noz pensees n'estoient differentes, car tous deux d'ung vouloir unanime avions timeur de la survenue de mon mary: & incontinent le service divin faict & accomply, il commen?a a se pourmener, mais il ne tarda gueres qu'il ne se vint presenter devant moy, en me saluant & regardant d'ung oeil doulx & amoureux, & dict ainsi. Les amans pour n'estre apperceulx usent de letres. Madame, il y a long temps que j'ay grand desir & affection de parler a vous, pour vous declairer ce que facilement pouez conjecturer, mais je ne veulx tenir long propoz, affin d'eviter la suspition dez gens, qui vous pourroient causer & engendrer scandale: & pourtant je vous prie de me dire familierement, s'il vous plaira recepvoir une mienne letre. Quand je l'eux ouy parler je luy deis, que liberalement la recepvroye, & qu'il ne feist difficult? de m'escripre entierement tout son vouloyr sans riens reserver, & que pareillement le feroye s?avant du mien. A la prononciation de mes parolles je devins palle, & me print ung tremblement de tous mes membres, souspirs en si grand multitude vuidoyent de mon estomach que l'ung ne donnoit lieu a l'aultre, parquoy je luy declairoye assez par mes gestez exterieures, & par le semblant de mes yeulx attrayans, que j'avoye l'affection interieure de mesmes a luy, dont il se monstroit joyeulx par semblant, & en prenant ung humble cong?, me remercya. Et incontinent qu'il fut party, je retournay en mon logis jusques au lendemain, que nous retournasmes au temple: nous arrivez, je le veis accompaign? d'ung sien compaignon, mais incontinent qu'il m'eust veu, de luy fut licenci?, & en se pourmenant, faignant dire ses heures se monstroit plus modeste & craintif que au paravant, ce qu'il ne feit jamais depuis. Et quand il eust l'opportunit?, il me vint saluer, me presentant ses lettres, lesquelles je receupz le plus subtilement que je peuz, pensant n'estre apperceue de nul, & luy dictz, que le lendemain luy en rendroys response: & lors en baissant le chief, se tint taciturne aulcune espace, puis apres en rompant silence reprint le propos en ceste maniere. Ma dame, je craintz merveilleusement monsieur vostre mary, & a l'heure en grand promptitude sans luy donner loisir d'achever son propos, je luy deis. Je vous prie ne vous souciez de cela, car il n'a doubte, ne suspition sur moy. A ces motx il me print a regarder comme par admiration, considerant en son ymagination que l'impetuosit? D'amours avoit rompu en moy les laqz de temperance & moderation, qui me faisoit exceder toute audace foeminine: toutesfoys suyvant son propos, il me dict. Ma dame, je suis joyeulx d'estre certain qu'il n'a doubte ne suspition de nous: il fault moderer nostre vouloir avecq discretion, pour ne luy prester occasion d'estre en doubte, & le plus occultement & secretement qu'il vous sera possible m'exhiberez voz lettres, en me monstrant par quelques honnestes, & secretz signes, quand il vous plaira que je m'approche pour les recepvoyr. Et en ce disant, print cong?, & je le conduysoye de mes yeulx estincellantz de desirs amoureulx, car j'estoye toute embrasee du feu Venerien & croissoit L'amour si puissant en mon cueur, que le reciter seroit incredible a ceulx qui n'ont experiment? Amours. La lecture des letres de l'amoureux. Incontinent apres la reception de ses lettres, fort hastivement je retournay, & en entrant dedans ma chambre les ouvry, & leu le contenu d'icelles, lequel s'ensuyt. Ma dame puis que la libere facult? de parler a vous, pour vous encliner mon amoureuse conception ne m'est permise, j'ay est? contrainct par la persuasion du filz de Venus vous escripre la presente, & pour vous certiorer de l'extremit? ou amour excessif m'a conduict, devez s?avoir que lors que premierement dressay ma veue sur voz yeulx vers & irradians, me sembla veoir issir une splendeur, laquelle plus pres le cueur me transper?a, que ne feist l'agu? sagette de Juppiter, Phaeton, & a l'heure me sentant de ce doulx regard surprins, je vins distinctement a speculer vostre excellente beault?, mais en considerant l'excellence de vostre beau corps proportionn?, oultre la forme commune de mon vray sentement demeuray priv?. Et pour la recente memoire de l'acerbe douleur ou je fuz reduict, mon entendement est si perturb?, qu'il me seroit impossible de vous louer & extoller de louenge condigne, selon la speciosit? de vostre forme, & encores que ne fusse agit? d'aulcune perturbation cognoissant les debiles forces de mon fragile esperit, je ne l'oseroye entreprendre, parce que j'estime que le narrer seroit difficile a toutes langues disertes, car selon ma conception, l'exprimer de choses si singuliere se doibt reserver a la divine eloquence de Mercure. Et pour ce je m'en abstiendray, & veulx continuer de vous exposer le secret de mon cueur, voulant observer la coustume antique des trescelebres Persians, qui estoit de ne se presenter a l'altissime sublimit? du Roy les mains vaques de presens, non pour presumption qu'ilz eussent que le seigneur fust flexible a aulcune avarice, mais pour observance & supreme reverence. Et pource ma dame que je n'ay chose de moy plus estimee que ma personne, le plus fidelement que je puis je vous en fais present pour ung perpetuel mancipe: vous suppliant que de tel cueur l'acceptez comme je le vous presente, & considerez que ce n'est moindre vertu le gracieulx recepvoir, que le liberal donner. Aultre chose donc ne reste, que a ung fidelle serviteur rendre guerdon. Et si ma valeur est petite au respect de vostre altitude, non comme ma compaigne ou eguale, mais comme ma dame & superieure vous prie me guerdonner, affin que par duret? ou negligence de me secourir ne me prestez matiere de cruelle & violente mort, mais vous estant sur toutes creatures souveraine & plaine de urbanit? traictable, soyez commeue a piti? & compassion, & ne vueillez souffrir que si infelicement je renonce a la nature, & soubz l'esperance de vostre doulceur imposeray fin a ma fidelissime lettre. Escript par celluy qui hardiment se peult nommer le serviteur en amours excedant tous aultres en loyault? & fidele servitude. Et apres les avoir leues, j'eu une incomprehensible & inestimable joye & consolation: car par ses escriptz, il se disoit mien a perpetuit?, & lors je commen?ay a cogiter & penser en moy mesmes, quelle response je donneroys a ses lettres, & me sembla qu'il ne seroit bon d'acquiescer promptement a sa requeste, parce que les choses qui facilement sont obtenues, sont peu apprecieez: mais celles que en grandz fatigues on acquiert, sont estimees cheres & precieuses. Pour ces causes, je luy escripvis lettres par lesquelles il ne pouoit gueres esperer de parvenir a son intention, dont le contenu d'icelles s'ensuyt. Lettres que la dame escript a son amy. Apres avoir a mes yeulx present? voz lettres, & le contenu d'icelles distinctement medit? & consider?, par ce que puis concepvoir je presuppose que par l'insupportable charge d'amours estes plus angusti? & afflict? que a homme prudent ne convient: car si bien considerez, vous ne devez persister en telles amours, lesquelles ne consistent en vertu, Parce que impossible me seroit satisfaire a vostre affectueux desir sans denigrer & adnichiler ma bonne renommee: ce qu'il me seroit plus accerbe que une violente mort, parce que je n'estime ceulx ou celles vifz desquelz la bonne renommee est estaincte, mais se doibvent estimer pires que mortz. Et au contraire de ceulx qui ont faict actes vertueux dont leurs noms sempiternellement durent, en despit de la cruelle Atropos, combien que en cendres leurs oz demolis reposent. Iceulx se doibvent estimer vifz, & se doibt l'on persuader de les ensuyvre par vertueuses coustumes, qui rendent l'homme immortel. Et pour a ce parvenir necessairement fault eviter de se laisser submerger en ses voluptueuses lascivitez, affin de n'estre conduict a ceste antique & accoustumee infelicit?, soubz laquelle tout le monde se lamente, & s'en ensuyvent plusieurs inconveniens. Si la fille de Leda eust observ? le vivre pudicque, le Grec n'eust le tresfameux ylion mis en totalle ruyne. Et si la royne de Carthage eust persever? d'estre constante, elle eust avec louenge perpetuelle de son amy Sicheus l'umbre suyvie. Telles hystoires doibvent estre suffisantes pour nous garder de succumber en semblables delictz. Et pour ung petit appetit, n'estre si faciles d'escouter les polides, elegantes & suaves parolles de vous aultres jouvencaux: lesquelles ne sont sinon ung laqz deceptif pour circunvenir & decepvoir cellez qui sont trop faciles ou dommageable croire: lequel vice a est? cause de adulterer plusieurs dames fameuses, puis apres qu'ilz ont obtenu la privee & secrete fruition des amours de celles qu'il disent tant aymer ne sont contentz, mais aulcunesfoys par indiscretion s'en vantent & glorifient, Parquoy toutes ces choses considerees tresheureuses sont celles qui de la flamme d'amours se peuvent conserver. Pour laquelle evaderie vous supplie que imposez fin au continuel poursuyvre, car je crains que par voz continuelles stimulations je ne soye persuadee de exceder les metes de raison, car voz doulx & attrayans regardz, avecq les parolles exhibees par voz lettres pourroient causer grand efficace & emotion aux cueurs des jeunes dames, & aulcunes de simple entendement penseroient resider en leurs personnes beaucoup plus de dons & de perfections que dieu & nature n'y en auroit mis. Mais ne voulant tumber au laberinthe de presumption, je ne prens aulcune gloire de voz louenges & exaltations, car peult estre que par affection non moderee vostre oeil peult errer. Mais croyez que ce amour de son auree sagette m'avoit attainte, que aultre que vous de ma benevolence ne seroit possesseur. Et de ce vous supplie vous vouloir contenter. En exorant L'altitonant que felice repos vous octroye. Les Miennes Lettres Sigillay, & avec ung grand desir trouvay subtil moyen de les luy consigner, & il les receut joyeusement, & tout subit apres les luy avoir exhibees me retiray en ma chambre, ou j'estoys plus voluntiers seule, que accompaignee, pour plus solitairement continuer en mes fantasieuses pensees, & en telle solicitude je me delectoye a lire les lettrez de mon amy, puis apres je regardoye le double des miennes, distinctement tous les termes de l'une & de l'aultre. Et ainsi que m'occupoye en telles solacieuses exercices mon mary survint, dont ne me prenoye garde, lequel en hurtant du pied par grande impetuosit? ouvrit l'huys de ma chambre, dont je fuz si merveilleusement troublee, que je n'euz advis ne discretion de cacher les lettres. Il commen?a a me regarder par grand despit & desdaing mesl? de colere en pronon?ant telles parolles. Le courroux du mary jaloux, & l'excuse de sa femme. O Meschante femme, presentement est venue l'heure que tu ne pourroys aulcunement nyer ta lubricit?, & non moderee affection: Car combien que tes deceptives parolles ont eu puissance de m'instiguer & incliner a t'eslargir & impartir quelque libert?, en adjoustant foy a tes mensonges, parce que je pensoye, au moyen des remonstrances que je te faisoye journellement que tu feusses pressee & stimulee de te reduyre a ta premiere coustume: mais pour quelques exhortations ou monitions que je sceuz faire, ton cueur en ce inveter? & endurcy, n'ay aulcunement sceu convertir, & en ce disant print les lettres que j'avoye laissees sur mon lict, parce que timeur avoyt obnubilee la clart? de mon entendement, & quand il les eust leues, ce luy fut cause d'augmentation de fureur, & fort indign? s'approcha de moy, & me donna si grand coup sur la face, que violentement me feist baiser la terre, dont ne me peuz lever soubdainement, mais quand je commen?ay a reprendre mes forces, je plouray moult amerement, tellement que les ruysseaulx de mes larmes tomboyent en grande superfluit? & abondance aval ma face. La cause de mon pleur ne me procedoit de la juste douleur, & remordz de conscience que je debvoye avoyr de ma vie detestable, mais au contraire d'une grande superbit?, car au moyen que j'avoye chass? raison, tousjours depuis c'estoyt monstree de moy loingtaine & fugitive, parquoy selon mon advis mon mary me faisoit grand tort, lequel continuant ses parolles injurieuses, me deist. Admiration ne te prenne de ce que oultre ma coustume je t'ay furieusement frapp?, mais approche de moy, & regarde tes lettres, que tu ne s?auroys nyer: & me deis sans me servir d'une artificielle mensonge . Qui est le personnage a qui tu pretendz commettre telz escriptz? Quant il eust ce dict, je commen?ay a mediter & penser, & disoye a moymesmes. Helas je ne me s?auroye excuser, car ma lettre de ma main escripte rend cler tesmoignage de ma vie, puis je disoye au contraire, si m'est il necessaire de le nyer, car a face hardie une prouve ne nuyt. Lors en faisant grandz plainctes & exclamations, deis ainsi. Helas mon amy, qui vous meult d'estre si cruel, pour la lettre que vous avez trouvee, laquelle a est? composee seulement par exercice, & pour eviter oysivet?, parquoy ne me debvez ainsi injurier ne molester, sans avoir ouy mes raisons. Quelle loy au monde est tant inicque, barbare & triste, qu'elle permette le supplice devant la sentence? Ou est la conseillee raison? ou est vostre prudent jugement, que premier me condamnez que de m'escouter? Ainsi que je proferoye telles parolles, les pensant continuer, il interrompit propos, en disant. Voicy lettres qui t'ont est? envoyees, d'ou viennent elles? Je luy respondis, que je ne les cognoissoye. Non & pour plus grand approbation de telz mensonges, je te certifie que j'ay recogneues tes letres entre les mains de ton amy, lequel par inconstance & indiscretion les communicquoit a deux de ses compaignons, & si tu es si hardie & asseuree que vueilles soustenir le contraire, je trouveray maniere de les avoir de luy par quelque subtil moyen, car tout son desir & affection n'est qu'a penser & ymaginer diverses fa?ons, & divers actes, a toy dommageables, pour te priver d'honneur, affin de te publier, mais doresnavant tu n'auras plus de delectable plaisir de sa veue, parce que je ne veulx que tu sorte de ta chambre, ne que regarde a la fenestre, & s'il te semble que en ceste sorte ta vie seroit trop infelice, je ne me veulx desdire de l'offre que je t'ay faicte, c'est de separation comme j'ay predict. Ainsi doncques estoye contraincte d'endurer, & souffrir toutes ces fatigues, estant privee de la veue de mon amy, lequel estoyt esmerveill? de ce qu'il ne me veoyt plus: mais ce nonobstant il ne voulut imposer fin a l'amoreuse poursuyte, mais continua par plusieurs & diverses foys de venir avecques chantres, dont entre les aultres je recognoyssoye sa voix. O que j'estoye anxieuse a l'occasion que ne m'osoye monstrer, & adoncques je fuz plusieurs foys tentee de me lever, & me precipiter, en me jectant du hault des fenestres en bas, je feuz en telle calamit? quinze jours ou environ, que fusmes contrainctz partir pour eviter scandale, car les voisins tenoient divers propos, de ce que l'on perseveroit telz & semblables jeuz. Je feuz assez joyeuse de changer de lieu, affin que plus facilement me feust permis d'aller parmy la ville, pensant que quelque foys pourroye rencontrer mon amy, toutesfoys apres noz transmigrations je feuz trois sepmaines sans le veoir, ne ouyr de ses nouvelles, qui me fut chose tresgriefve, & quasi insupportable. Pendant ce temps que je languissoye en telle calamit?, toutes choses m'estoient tristes & odieuses, & ne prenoye delectation es choses de ce monde, & encores fortune non rassasiee de me prester matiere d'angoisseuses douleurs, les voulant augmenter s'effor?a d'appareiller une infortune, dont le rememorer m'est triste, & ayant horreur de le relater, toutesfoys en plorant & lamentant mon infelicit?, je m'effor?ay de l'escripre. Et pour vous declairer, la male adventure ou je cuiday succumber, ung jour entre les aultres moy estant couchee aupres de mon mary, merveilleusement pensive, en sorte que les affections me consummoient l'esperit, dont j'estoye si debile, qu'il me sembloit impossible de me s?avoir lever, mais je fuz si fort oppressee de mon mary, que contraincte me fut de m'evertuer, combien que par plusieurs foys me convint recoucher, sans me s?avoir ayder de mes membres, helaz ce m'estoit certain presaige de mon mal futur, mais la demonstrance m'estoyt occulte. Parquoy sans y avoir regard, ne consideration, en grande & laborieuse peine me habillay, puis allasmes ouyr le divin service de Dieu en ung devot monastere, & ainsi que vouloys entrer dedans, mon mary me deist. Je vous prie dictes moy s'il advenoyt que vostre amy fust dedans ce temple, seroyt il en vostre facult? de pouoyr moderer vostre vouloir & appetit, en sorte que ne useriez des regardz accoustumez? Adoncques je commen?ay a le regarder, en disant. Je prie au createur que au cas que cela me advienne: que toute puissance elementee me soit contraire, & que tygres & loups ravissans lacerent & devorent mon corps, ou que les troys seurs le fil vital immaturement me couppent, & quand je euz ce dict, nous entrasmes dedans le temple. Je commen?ay a regarder entour moy. Je veis grand multitude de peuple tant hommes que femmes, & entre aultres je veis mon amy, & lors combien qu'il me fust prohib? & deffendu de le regarder, je ne peuz dissimuler ne temperer mon vouloir: car sans differer de rompre & enfraindre ma promesse, je regardoye tresaffectueusement, sans reduyre en ma memoyre les peines & tourmens que mon mary me faisoit souffrir, a l'occasion de luy: mais comme une femme en?aincte, laquelle est persecutee de griefves & excessives douleurs devant la nais?ance de l'enfant, mais incontinent qu'elle voit son fruict, la parfaicte joye & lyesse ou elle est reduicte luy faict oublier les peines precedentes, & aussi pour la suavit? & doulceur intrinsecque que je recepvoye du delectable regard de mon amy, me faisoit oublier tous mes travaulx & fatigues preteritz. Mon mary voyant cela, me vint dire que j'entrasse en ung lieu ou il me mena, ce que je feiz, mais pourtant ne laissay de continuer ma folle contenance, & sans tenir gravit? comme a mon honnestet? appartenoit, regardois tousjours si je pourrois veoir passer mon amy, & mon mary voyant qu'il estoit impossible de refrener la vehemence d'amours qui me possedoit & seigneurioit, ne pouant souffrir telles dissolutions en regardz impudicques, fut contrainct de soy absenter, & lors je feuz ung peu memorative de son commandement que j'avoye transgress?, & de mes juremens que j'avoys parjurez, & pour ce me levay soubdainement & le suyvy, & quand feusmes parvenuz en la maison, mon mary commen?a a m'increper & injurier, en disant. O meschante & malheureuse creature remplie de iniquit? qui ne desire que l'execution de ton appetit desordonn? comment t'ose tu trouver en ma presence? n'as tu crainte que je convertisse mon espee par juste ire en ta poictrine? En proferant tel motz, par si grand fureur & impetuosit?, me donna si grand coup, que au cheoir je me rompiz deux dentz, dont de l'extreme douleur je fuz longue espace sans monstrer signe d'esprit vital, & quand je fuz revenue de pasmoison toute palle & descoulouree, je commen?ay a regarder autour moy sans dire mot. Car a l'occasion des griefves & insuperables douleurs inferieures, la parolle m'estoit fortclose, mais peu apres grand multitude de souspirs vuydoyent de mon estomach, & m'intervindrent diverses & merveilleuses fantasies si cruelles & ignominieuses, que la recente memoire rend ma main debile & tremblante, en sorte que par plusieurs foys y laissay & infestay la plume, mais pensant qu'il me seroit attribu? a vice de pusillanimit?, je me veulx efforcer de l'escripre. L'impatience d'amours par despit cherche la mort. Et pour les bien declarer, vous fault entendre que toutes mes pensees se reduyrent en une, qui estoit telle que par mort me vouloye mediciner. En mon trouble courage, je fuz si eschauffee de fureur, pour l'ardent desir que j'avoye de mettre mon miserable vouloir a execution, que furieuse rage revocqua les forces en mon corps angoisseux & debile, qui toutes dehors estoient dispersees, & voyant que n'avoye l'opportunit? de ce faire comme beste vulneree & blessee courroys au long de la chambre en la presence de mon mary, & d'une jeune damoyselle disant en moy mesmes. O Thesiphone, O Megera & Alecto furies infernales, qui continuellement exagitez l'humaine generation, aydez moy a user de crudelit? en moymesmes. Tel present me soit faict de par vous qui fut a Canac? de par le roy Eolus son pere, qui fut ung glaive pour transpercer son corps, a cause du crime par elle perpetr? & commis. Ou que j'eusse le moyen de me precipiter, comme fist Isiphile. Ou sinon que peusse metre fin a ma miserable vie par quelque venimeux bruvaige, comme celluy qui fut cause du dernier jour a Socrates. Ou que a ma grand fureur & rage fust impos? fin, par telle mort dont Philis se desespera, en se pendant a ung arbre, a l'occasion du tardif retour de son amy Demmophon: mais puis qu'il m'est impossible de trouver moyen de la mort, a cause de la presence de mon mary, je vouldroye qu'il me advint comme a la belle nymphe Perye, laquelle en marchant sur l'herbe de son pied nud, tendre, & delicat, ung aspic venimeux la picqua d'une dent, en y laissast le venin mortifere, dont la pudicque vierge alla promptement mourir, ou qu'il me advint comme a Dathan & Abiron, lesquelz furent transgloutiz en la terre. Moy estant de telle fureur esmeue, cerchoye par tout pour trouver moyen de la mort, mais je croy que quelque furie infernale que j'avoye invocquee, se monstra diligente de me servir selon mon affectueux desir, parce qu'en regardant en plusieurs & divers lieux, se presenta & offrit devant ma veue ung petit cousteau, lequel je prins, & le plus subtilement & occultement que je peuz en le cachant soubz ma robbe. Et lors que je feuz saisie, incontinent je commen?ay a trembler a cause de la triste apprehension de la mort, & en pensant marcher, je tumboys & sentoys en moy ung grand debat entre ma douloureuse ame & mes paoureux esperitz de vie, mais la cruelle Megera me persuadoit de suyvre le propos mortel, me faisant rememorer que moy vivante ne pourrois plus veoir mon amy, parce que mes amours estoient trop publiees & vulgarisees, mais apres ma mort mon ame le pourra frequentement visiter, parquoy la mort me seroit felice & heureuse. Et doncques chassa de moy la froide paour, parquoy je feuz enflambee de plus ardens desirs a la mort. Et combien que ma face fust paincte de palle couleur, je commen?ay a reprendre mes forces, & sans plus vouloir differer, me levay par grand fureur & impetuosit? voulant sortir de la chambre, ce que mon mary ne voulut permettre, pensant en son imagination, en considerant les contenances que la grand fureur dont j'estoys oppressee me contraignoit d'aller, affin de trouver mon amy, mais quand je veiz que ne pouoye sortir, je me retiray en une garde robe, & ainsi que je vouloye transpercer ce cueur amoureux avecq le glaive, je croy que par permission divine je fuz preservee & gardee. Car la jeune damoyselle qui estoit en la chambre survint, laquelle voyant chose si horrible & espouentable, ne se peult contenir qu'elle ne s'escriast haultement, & s'approcha de moy pour me oster le cousteau. A quoy feiz tout mon effort de resister, & ce pendant mon mary survint, lequel pensoit que de rechef feusse tumbee en paulmaison, mais quand il eut regard? & consider? la furieuse rage qui me detenoit, il fut espris d'angoisseuse douleur, a cause de l'excessif amour qu'il me portoit, dont il n'estoit en sa facult? de se pouoir divertir: laquelle eust ceste puissance de refrener l'ire dont son triste cueur estoit persecut?, & la convertit en compassion, parquoy benignement me vint a consoler, en me faisant plusieurs remonstrances, & entre aultres propos me disoit: M'amye, puis que je cognois manifestement qu'il n'est en vostre facult? de vous pouoir desister d'amours, parce que n'y avez resist? du commencement, mais par longues & continuelles pensees avez nourry amour lascif en vostre estomach, en vous destituant de vostre libert?, vous estes voluntairement submise a suyvre vostre sensualit?. Parquoy l'amour est tousjours augmentee avec si grande puissance, que mieulx aymez estre privee de vie que d'amy, & sans avoir memoire ne recordation, que si par telle mort concedez a la nature, que vous avez perdu vostre bonne renommee, veu & consider? que auriez us? de crudelit? en vous mesmes, & moy qui ne l'ay deservy en serois tenu toute ma vie en moindre estime, & devez aussy avoir regard, que quand vostre ame seroit separee de vostre miserable corps, triste demeure luy seroit consignee a l'occasion de l'enorme & execrable pech? que vous auriez commis par estre homicide de vous mesmes. Mais affin d'eviter que ne succumbez en semblables inconveniens, je vous conseille de vous retirer, comme je vous ay dict par plusieurs fois, laquelle chose vous sera tresurgente, parce qu'il m'est impossible de plus supporter les importunitez que je seuffre, affin de ne vouz engendrer scandale, car pour la conservation de vostre honneur me fault dissimuler, sans oser prendre vengeance de mon ennemy, combien qu'il soit homme de basse condition, qui m'est chose si penible & fatigeuse, que ne le s?auroye exprimer, & pourtant regardez d'imposer fin a mes extremes tristesses, soit par separation ou par vous reduyre en vivant en plus grande honnestet?. Le conseil du serviteur fidele. Ce pendant qu'il pronon?oit tel propos, ung de noz serviteurs survint, lequel venoit de solliciter aulcuns de noz affaires. Luy arriv?, fut incontinent adverty par la jeune damoyselle du perilleux dangier ou j'avoye cuyd? succumber. Lequel voyant que c'estoit chose digne d'estre conservee en profunde silence, luy dict, qu'elle se gardast sur sa vie d'en faire plus recit a d'aultre persone. Et apres avoit ce dict, il vint saluer son maistre, duquel il estoit estim? serviteur fidele, & pour tant il luy declara mon infortune, reserv? qu'il se taisoit de mon amoureuse follie. Le serviteur oyant ce propos, feist semblant d'en prendre admiration, faignant de n'en s?avoir aulcune chose, & voyant son maistre tant angusti? & adolor?, luy commen?a a dire. Monsieur, par ce que je puis comprendre, je cognoys vostre cueur estre merveilleusement oppress? mais ce nonobstant, il vous est necessaire que par bonne discretion moderez & temperez les passions de vostre triste cueur, car la vertu de l'homme, n'est demonstree sinon en adversit?, parce que celluy qui est remply de grand s?avoir, doibt refrener sa volunt?, en sorte qu'il ne s'esjouysse non plus des choses prosperes, que s'esbahyr des choses tristes & adverses. Vous debvez prendre consolation, considerant que ma dame a est? tousjours vertueuse, & combien que son entendement soit perturb? par quelques agitations & afflictions a nous incongneues, si debvez vous avoir certaine esperance que raison dominera en elle, car vertu ne peult estre ostee d'ung lieu ou elle a est? quelque temps, ne pour quelque cause, & pourtant je seroye d'opinion qu'elle doibt declarer ses extremes tristesses a quelque scientificque personne, qui avecq l'efficace de ses parolles la pourra corroborer & conforter, & par ce moyen pourra retourner a sa premiere coustume. Telles & semblables parolles escoutoit mon mary, & combien qu'il feust oultrageusement troubl?, si print il quelque peu de consolation, & delibera d'user de l'opinion de son serviteur domesticque. Parquoy en adressant son propos a moy, me remonstroit doulcement, pensant tousjours que par ses exhortations mon angoysseuse rage & extreme douleur se deust diminuer, mais il ne congnoissoit pas que mon mal estoit incurable, mais apres que l'euz escout?, je faignis de me vouloir reduyre, car nulle yre n'est si furieuse, que aulcunement ne se refroydisse, parquoy je commen?ay a plorer, & en grand amaritude plaindre mon oultrageuse follie, toutesfoys ne me repentoye d'avoir est? surprise d'amour, mais estoye irritee de ce que n'avoye aym? plus temperement, sans le donner a congnoistre a mon amy, lequel pensant par la mutation de ma contenance que ses parolles eussent eu lieu de reception, & fructifiay en mon cueur. Et affin que je feusse plus inclinee a adnichiler mon inique vouloir me mena en ung devot monastere, affin que en confession & sans difficult? je voulusse exhiber mon infortune, & descharger mon cueur a ung auctenticque religieux, lequel estoit fort bien fam? & renomm?. Il avoit est? adverty par le serviteur que j'estoye en telle perturbation, que jusques a l'extremit? m'avoit conduicte. Moy estant en ce temple sans avoir aulcune devotion, commen?ay a premediter quel propos je tiendroys audict religieux, & disoye en moy mesmes. O mon Dieu, que c'est chose fatigieuse & penible de faindre & simuler les choses. Je le ditz parce que ne ay aulcun vouloir ny affection de communiquer le secret de mes amours en confession, car je n'en ay contrition ne repentance, mais suis ferme & stable a l'amour de mon amy, car plustost me exposeroys a mille espece de mort, que de m'en desister, parquoy ne me semble que folie de le divulguer a ce viellard, qui est du tout refroidy, impotent & inutile aux effectz de nature, il me reprimera & blasmera, ce que aultresfoys luy a est? plaisant, en me pressant & stimulant de chasser Amours, sans en avoir jouyssance, & si je le croyoie, je n'auroye que la peine & le tourment, sans ce qu'il me fut imparty quelque plaisir de delectation. Toutesfoys fault il que je luy responde, & luy die a quelle occasion j'ay voulu user de crudelit? en moymesmes: car je s?ay veritablement qu'il est inform? de mon miserable vouloir, mais quand j'ay le tout consider?, je luy peulx bien le tout reciter, Car parce que je luy diray en confession, il ne l'oseroit jamais reveler. Il ne me peut contraindre d'user de son conseil, & si prendray plaisir a parler de celluy que j'ayme plus ardemment, que jamais amoureux ne fut aym? de sa dame. Par sainctz admonestemens femme d'amour picquee ne veult desister. Add to tbrJar First Page Next Page |
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