Read Ebook: Les angoysses douloureuses qui procedent damours by Crenne H Lisenne De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 446 lines and 91114 words, and 9 pagesPar sainctz admonestemens femme d'amour picquee ne veult desister. Ainsi que mon esprit estoit occup? de telles varietez & pensees, j'apperceu ledict religieux, & incontinent que l'euz veu, avecq modeste alleure m'adressay vers luy, & depuis les salutations faictes, & que feusmes retirez en ung petit lieu secret & devotieux, il me feist asseoir, pource que il veoit que je estoye quelque peu debile. Et pour le principe & commencement de ces parolles, me deist ainsi. Madame, par ce que je peulx presupposer & conjecturer, en regardant vostre face tant palle & decoulouree, vous souffrez des passions si vehementes, que difficile chose vous semble de trouver quelque petite allegeance a vostre griefve douleur, mais si vous voulez vous retourner a Dieu, en luy faisant devotes supplications, Vous debvez avoir ferme credence, avecq une foy indubitable qui ne vous laissera, mais vous donnera ayde & confort: Il vous fault efforcer d'avoir contrition des offenses que vous avez perpetrez & commis: car aulcunesfoys par noz vilains & exorbitans pechez, nous sommes cause d'encourir l'yre & indignation divine, qui nous tourne a grande confusion, & ne pouons estre reintegrez en estat de grace, que premierement n'en ayons faict penitence condigne. J'ay est? adverty que ce jour d'huy avez cuid? tomber en tel inconvenient, comme de perdre corps & ame, en vous voulant precipiter vous mesmes, dont je m'esmerveille fort, quelle infortune ou adversit? vous peult estre survenue si grande qu'elle vous preste cause & matiere de desespoir, n'avez vous regard ne consideration que nous decedez de ce monde, & que nostre ame despouillee de ceste triste habitude corporelle, si par cupidit? ou maulvaistie elle se trouve foetide & maculee, a perpetuit? & a jamais triste demeure, luy sera deput?. Je croys si vous avez l'apprehension de telles choses, facilement vous pourrez reduyre, & affin que je vous y puisse ayder, je vous supplie de me declarer la cause dont vous procedent telles furieuses fantasies. Apres les salutiferes parolles, je vouluz commencer a parler: mais devant que prononcer la premiere parolle je commen?ay a trembler, & entra une si extreme froydeur dedans mes os, que pour la douleur que je souffroys, la parolle me fut fortclose, au moyen des regrectz qui anticipoient ma voix: & fuz long temps, que plus simulachre ou statue, que creature vive representois. Moy estant en ceste extremit? reduicte, ne pouoye trouver paix ne tranquilit? en mon cueur: mais souspirant jusques a effusion de larmes tenoys le chef baiss?, monstrant par mes gestes exterieures, que j'estoye oultrageusement angustiee & adoloree. Ce voyant le religieux avecq ses efficacissimes paroles mettoit peine de m'appaiser, & avoit grande compassion de mes griefves douleurs: mais ses bonnes parolles m'estoient de peu de fruict, ou de nulle valeur, pource que ma pensee estoit occupee de venimeuse amour, qui me tourmentoit jusques a la mort. Toutesfoys apres quelque espace me fut restitu? aulcune vigeur, qui me donna force & pouoir de parler. Et lors a voix cassee & interrompue a cause de l'oppression de mon cueur, je commen?ay a proferer telz motz. Helas monsieur, sy une congregation se faisoyt de tous ceulx en general qui ont langues disertes, si seroyt il difficile de narrer les insuportables passions, dont mon ame est continuellement agitee & persecutee, sans avoir jamais esperance qu'il soyt impos? fin a mes malheurs, jusques a ce que mort s'en ensuyve: parquoy ne prenez admiration aulcune de veoyr ma face palle & descoulouree, mais affin que ne ignor?s l'occasion de mes lacrimes, pleurs & gemissemens de mon infortune vous veulx rendre certain: combien que ne le relate sans douleurs, car le rememorer m'est chose anxieuse. Las les pensees & regretz infinis, dont je suis excessivement tourmentee & travaillee, ne sont pour la juste douleur que debvroye avoir de mes iniques pechez: mais me procedent a l'occasion des innumerables desirs, & amoureux aguillonemens, dont je suis oppressee, & m'est impossible d'y s?avoir resister: car je ayme si ardamment que je aymeroys trop mieulx estre privee de vie, que de la veue de mon amy, dont en ces considerations de mes peines insupportables, cela vous doibt facilement incliner a avoyr commiseration de celle qui par trop grande amour voyez en une langoureuse infirmit?, trop pire que une violente mort: vous me incitez & exhortez de me retourner a Dieu: en luy faisant devotes prieres & intercessions. Helas comme seroit il possible de luy faire requeste de me desister d'amours? Car soyez certain que je ne pourroye a ce contraindre mon cueur: combien j'ay euz peine & travaulx inestimables, il y a eu quelque doulceur, toutesfoys seulement de sa veue: mais ung seul regard de mon amy: si je suiz palle, il me peut colorer: si je suis triste, il me peult resjouir: si je suis debile, il me peult fortifier: si je suis mallade, il me peult rendre saine: & si j'estoye jusques a la mort, il a bien ceste puissance de me vivifier. A ces causes je ne s?auroye avoir vouloir de me retirer de son amour: mais quand ainsi seroit que je m'en vouldroye desister, je ne suis si presumptueuse, & n'estime tant ma pusillanime vertu, que je le peusse faire, veu & consider? que noz predecesseurs les plus experimentez en science, n'ont peu a tel embrasement resister, mais nonobstant la sublimit? de leurs entendemens, se sont rendus humiliez & captivez. David pour jouyr de Bersabee commit homicide. Le sage Salomon soubz espece d'amour fut ydolatre. Aristote de naturalit? le prince, pour la persone de s'amye Remya, adora amours. Le filz de Alcumena, qui fut dompteur des hommes & des monstres ne peult evader, qu'il ne fut vaincu D'amours, en sorte que pour complaire a sa Dame yolle, il usa de fard, & oultre plus feist oeuvre de pedissecque & chambriere. Si je vous vouloye reciter plusieurs aultres, ce ne seroit que consummation de temps, & pour eviter superfluit? de propos, je m'en deporte, vous suppliant que veuillez considerer, que puis que amours a eu si grande puissance sur noz predecesseurs, elle ne peult deffaillir a leurs successeurs. Doncque seroit ce a moy grand follye, si j'estimoye superer amours, a quoy les hommes n'ont peu faire resistence? Et pour ce toute timeur mise arriere, il m'est force d'avoir le desir de ma jeunesse, ou que miserablement je meure. Vous m'avez faict plusieurs remonstrances que je congnois estre vrayes: car je suis certaine que quand mon ame sera transmigree de mon corpz, que selon mes merites, ou demerites, du juste juge elle sera jugee, mais je croy qu'elle ne s?auroit estre en lieux si penibles que en mon miserable corps, car la plus grand peine infernale & la comprehension intellectuelle de la divine justice, cela leur est ung inestimable supplice. Et moy paoure malheureuse qui suis tormentee en corps & ame de la flamme d'amours, qui me brusle & consume, avecq les innumerables regretz, dont je suis agitee, sans avoir esperance de quelque refrigeration: par cela peult on juger leurs peines n'estre equiparables a la mienne, & pourtant je ne crains la mort: mais continuellement j'ay ferme propos de la cercher. En cela ne seray variable, car puis que mes amours sont venues a la notice de mon mary, je suis certaine qu'il me contraindra de me absenter, pour me priver de la veue de mon amy, pensant que par ce moyen je le deusse oublier. Helas donc comment pourrois je vivre? Car combien que mon corps se departe, mon amoureux cueur fera residence avecques mon amy, jusques a la separation du corps & de l'ame, qui prochainement se fera: car ce qui me conservoit & tenoit en vie, n'estoyt seulement que le singulier plaisir & suavit? que je recepvoye, en voyant celluy qui est le seigneur de ma vie. Cueur de femme obstin? en amours est impossible de reduyre. Quand j'euz achev? mon propoz en plourant amerement, & jectant souspirs en tresgrande abondance, Le devot religieux fut longue espace tenant silence, puis apres il commen?a a me regarder. Et avecque une doulceur & clemence me deist ainsy. Ma dame, je croy selon ma conception que vous me avez du tout exhib? le secret de vostre cueur, sans riens reserver, dont j'ay esperance que vostre douleur se pourra temperer en refrenant l'impetuosit? de l'ire qui vous domine: car il est possible que la grand destresse que vous souffrez croist & multiplie par la terre, & cacher ce qui est aux amans une peine incredible: j'ay bien distinctement pens?, & consider? l'inestimable douleur de vostre afflict cueur, qui me provocque a grand compassion: car par ce que me avez exprim?, je croy que jamais amoureux ne fut en telle extremit? comme je vous voy: mais toutesfoys combien que vous soyez tentee de commettre si grand crudelit? & ignominie en vous mesmes, comme de vous occire de voz propres mains, & n'estim?s les peines infernales equiparables aux vostres. Si vous fault il mettre peine de resister, veoir, & approuver s'il y a vertu en vous, combien que pour le present je croy veritablement n'estre en vostre puissance de la demonstrer, a cause des agitations dont vostre ame estoit occupee, & aussi par la grand fureur qui n'est encores refroidie. Raison ne treuve lieu de reception en vostre cueur: mais quand l'impetuosit? de l'ire commencera a dominer, vous cognoistrez vostre oultrage & furieuse fantasie, dont vous aurez horreur. Vous dictes n'avoir tant de presumption en vouz que pensez suppediter amours, veu & consider? que les hommes ne y ont sceu resister. Pour cela ne debvez perdre l'esperance, combien que vostre sexe soit plus fragile & moins constant, car les hommes liberallement se soubmettent a amour, pensant ne estre dignes de reprehension, car entre eulx cela n'est estim? pour vice: mais au contraire s'en vantent & glorifient, quand par leurs deceptions, faintises, & adulations ilz ont circonvenu vostre sexe trop croyable, & de escouter trop curieux: ce qui vous doibt estre exemple de n'estre si facile de adjouster foy a leur blandices: & vouz debv?s garder de frequenter familierement avecques eulx. Car la continuelle conversation est cause de augmentation d'amours. Et pourtant il fault necessairement que evitez la presence de celluy qui vous cause tant de peines & travaulx: car combien que vous dictes avoir singuliere delectation en son regard: mais vous ne consider?s l'amaritude qui est meslee avecques ceste doulceur, qui vous est pyre que ung venin mortifere. Et puis doncques que la peine est si vehemente, & qu'elle passe le plaisir, bien heureuse vous pourrez nommer, si vous pouvez moderer l'ardeur d'amours, & vous remettre a plus modestes termes: ce que facilement pourrez faire, au moyen de l'absence & eslongnement de sa veue, qui est la chose que plus vous craignez: & vous semble estre impossible de vivre sans luy, non congnoissant que luy seul vous afflige, tant que par ce moyen donne voye & ouverture a la mort: je s?ay bien que quand vous serez transmigree, du commencement souffrirez une peine tresgriefve pour la recente memoire des plaisirs passez: mais par prudence avec honnestes exercices, vous mitiguer?s & tempererez voz excessives douleurs, & par succession de temps la fureur se passera & consumera, parquoy pourrez recouvrer vostre libert?, dont presentement vous voy destituee, & pour vous induyre a ayder a chasser & anichiler amour, si vous n'avez piti? de vostre personne, debvez avoir regard a vostre honneur, qui facilement se pourra denigrer, & pensez que en grande observance se doibt conserver & garder la chose, que quand une foys est perdue recouvrer ne se peult. Je vous vueil rememorer, & vous inciter d'ensuyvre aulcunes dames qui plustost se sont exposees a la mort, que de corrumpre chastet?. Et entre aultres vous doibt souvenir de la continence de Penelope: laquelle pour sa sincere amour qu'elle portoit a son mary Ulysses ne voulut jamais acquiescer aux importunes requestes dont elle estoit persuadee. Apres vous fault considerer la merveilleuse constance de la nymphe Oenone: car nonobstant que sa partie luy eust monstr? toute rudesse par l'avoir repudiee, en adherant a la Grecque Heleine, doncq depuis miserablement il fina sa vie: mais la noble nymphe avoit retenue l'amour primitive en son cueur pur & chaste: parquoy voyant sa mort, fut oppressee de si extreme destresse, qu'en embrassant le corps de son feu mary, jecta le dernier souspir mortel, & se fendit son amoureux cueur dedanz son estomach. Apres ne doibt estre oubliee la pudicit? de Lucrece Romaine: laquelle ne voulut vivre apres le faulx atouchement, que par force & violence luy avoit est? faict. Je trouve grande contrariet? & difference de vostre vouloir, a celluy de ceste noble dame: laquelle estoit plus estimative de son honneur, que de sa vie: & vous comme plus voluntaire que sage, voulez suyvre vostre sensualit?, & plustost vous priver de vie, que de faillir a l'accomplissement de vostre voluptueux plaisir, & appetit desordonn?, sans avoir regard a l'offense que vous faictes a dieu, & a vostre mary, la crainte duquel debveroit estre suffisante pour retirer vostre cueur inveter?, & endurcy. Ne pensez vous en vostre imagination ou circonstance craignant le mal que futurement s'en pourroit ensuyvre, je n'avoye jamais veu monsieur vostre mary que ce jourd'huy: mais j'estime tant de son honnestet?, que son cueur ne pourroit digerer ne souffrir telles importunitez. Et puis que voz amours sont venues a sa cognoissance: il pourra prendre cruelle vengeance de vostre amy, & de vous, & si tel inconvenient advenoit, vostre renommee seroit a jamais denigree & souillee de perpetuelle infamie. Doncques pour eviter tel peril & danger: debvez penser que heureux sont ceulx, qui de tous leurs affaires la fin considerent. Quant il me eut impos? fin a son parler, je demeuray fort pensive, & ne luy sceuz que respondre, j'avoys si grand desir de me absenter, a l'occasion que ses propos m'estoient tristes & odieux, parce qu'il me persuadoit d'expulser amours de mon cueur: mais ce n'estoit que temps perdu de me remonstrer & admonnester de cela: car j'estoys si obstinee, que jamais pour fascheries, peines, & tourmens, que j'eusse souffert a l'occasion de mon amy, l'amour ne s'estoit diminuee: & avois ferme propos de tousjours perseverer, & a ceste cause me sembloit que le religieux me faisoit grand tort: de ce qu'il me reprenoit, veu que luy avoye declair? qu'il n'estoit en ma puissance de me desister d'amours & pour ce commen?ay a dire en moymesmes: O mauldict viellard, je pensoye bien premier que avoir parl? a toy, que telles parolles me seroient merveilleusement acerbes, & ne me feroient que irriter, & contrister: & pour ce je te soubhaicte estre submerg? en Scilla, ou Caribdis: & que mon mary fust en ton lieu avecq ton habit, & par ce moyen sans aulcune dubitation pourrions deviser de noz amours, qui nous seroit chose plus plaisante & solacieuse que je ne s?auroye penser ou imaginer: mais ce ne peult estre que ceste felicit? me peult advenir: car fortune qui m'est cruelle ennemye, ne me favorise en riens, mais continuellement m'appareille nouvelles occasions de desespoir. Et pour finale resolution je ne desire que la mort, en laquelle est reservee ma derniere peine, qui aultrement me seroit intolerable. Moy estant reduicte en si cruelle & furieuse fantasie, dont la continuelle mutation de ma couleur donnoit manifeste demonstrance au religieux: lequel voyant que j'estoye si dolente & hors de moymesmes, & qu'il ne estoit en ma facult? de pouoir respondre ung seul mot, il continuat tousjours de me dire plusieurs parolles de confort, dont l'operation en fut vaine: car plus me remonstroit, & moins avoys de vouloir de delaisser mes folies: & luy congnoissant que ces parolles estoient perdues & mises au vent, Le plus honnestement qu'il peult me licencia, me promectant de faire devotes prieres & intercessions pour moy: affin qu'il pleust a Dieu de remedier a mon miserable accident: mais incontinent que je fuz sortie du secret auditoire, me sembla estre allegee par estre sequestrez de la presence de celluy, dont j'estoye tant attediee & faschee. Je veis mon mary qui se pourmenoit, lequel apres me avoir apperceue s'approcha de moy, & par son humaine benignit? me demanda comment je me portoys, auquel je feiz response, que me trouvoye toute consolee, & que j'estoye en tresbonne disposition, dont il en fut moult fort joyeulx: mais helas c'estoit bien le contraire de la verit?: car contraincte m'estoit de tenir mes douleurs interieures occultes & secretes, affin qu'il pensast que mon vouloir feust de delaisser Amours, que si long temps j'avoys nourry dedans mon estomach, par continuer en vaines & inutiles pensees. Ainsi doncques me convint dissimuler mon angoysseuse douleur, soubz semblant de joyeuse face, parquoy j'estoye tant plus travaillee & tourmentee: mais quand feusmes retournez en nostre domicille, je me retiray en ma chambre, & me trouvant seulle commen?ay a me plaindre: & en voix lamentable formoys griefves & piteuses complainctes, en regretant mon amy: lequel je ne pouoys plus veoir, dont entre tous aultres accidentz me desplaisoit fort son absence: je continuay celle penible & doloureuse vie, qui me cause une maladie qui me accompaignera jusques a la mort, laquelle me conduict en telle extremit?, que le plus souvent contraincte m'estoit de me tenir solitairement en ma chambre, sans s?avoir aller, a cause de la debilitation de mes membres, avec les tremblementz d'iceulx. Mon mary voyant cela, me vouloit faire user plusieurs sortes de medecines, dont je ne tenoye compte, congnoissant qu'il n'y avoit que une seulle medecine qui me peult guarir, que j'estimoys impossible de recouvrer, parce que mon mary avoit si grand regard sur moy, que inseparablement vouloit que feussions ensemble. Et par ce moyen je fuz long temps sans veoir mon amy: je pensoys & imaginois incessamment nouvelles subtilitez pour faire absenter mon mary. Aulcunesfoys je luy disoys, que c'estoit chose tresurgente qu'il se trouvat en plusieurs lieux de ses terres & seigneuries, luy donnant a entendre que par negligence de les visiter: les lieux en pourroient estre moins vallables: & nous pourroient tourner en grand prejudice: mais jamais pour persuasions que luy peusse faire, ne le peulz faire condescendre selon mon vouloir: parquoy je demeuroys tousjours confuse, jusque a ce que tresinstamment luy priay, que pour eviter melencolie, qu'il me fut permis de aller quelque foys au playdoyer, & aussi pour luy ayder a donner ordre en noz affairez: ce qui me fut conced?, & a cause de mes prieres & continuelles stimulations: mais toutesfoys me mena en sa compaignie, qui me fut chose fort fascheuse: mais considerant que qui ne peult faire ce que l'on veult il fault faire ce que l'on peult: je n'en feis aulcun semblant, & passay ce jour en moins de peines que les aultres. Moyen de femme pour veoir son amy. Le lendemain incontinent quand je veis le jour me levay: & m'habillay de riches & triumphantz habillementz, esperant de veoir celluy pour auquel complaire je n'eusse pardonn? a quelque peril tant grand fut il. Et ainsi que me delectoye & prenoye singulier plaisir en mes amoureuses pensees, la delectation entra si tresvehemente dedans mon cueur, que je perdoye toute contenance: & ce voyant mon mary s'esmerveilloit, ignorant la cause dont procedoit si soubdaine mutation: mais nonobstant sans s'enquerir de riens: incontinent que je fuz habillee me demanda si je vouloys aller au lieu ou l'on faict droit & accord aux discordantz: auquel sans dilation je respondis, que ouy, & que doresnavant estoys deliberee d'entreprendre la solicitude de noz affaires qui me seroit chose plus utile que demeurer tousjours ocieuse, & en soubzriant il me respondit. Certes m'amye, vous dictes verit?, & je vous asseure que je le veulx bien. En tenant telz ou semblables propos partasmes de nostre logis, & nous parvenus au lieu playdoyable, je commen?ay a regarder entour moy, & en regardant veis moult grande multitude d'hommes, & aulcunes damoyselles, dont plusieurs vindrent a circuyr autour de moy, & me commencerent a louer & extoller, en disant diversitez de propos: les ungz disoient avoir est? en plusieurs pays, & avoir veu plusieurs dames & damoyselles: mais ilz affermoient que j'estoye la plus accomplie en formosit? de corps que ilz eussent jamais veue. Je faignoys de regarder aultre part: mais je les escoutoys & eusse prins singulier plaisir a telles legieres varietez, & n'eust est? que mon esprit estoit tout transport?, a l'occasion de l'intolerable vehemence D'amours, qui avec si grand force dominoit en moy, qu'elle dissipoit & adnichilloit toutes mes puissances: Je feuz long temps a regarder si je pourroye veoir mon amy: mais voyant qu'il n'y estoit point, comme frustree de mon espoir m'en vouluz retourner, pour la douleur que ne pouvois plus souffrir, laquelle estoyt cachee dedans mon triste cueur, dont je ne osoye dire l'occasion. Et quand je fuz en ma chambre commen?ay a me plaindre & lamenter, comme j'avoys accoustum? de faire, & durant mes calamiteuses passions je continuay plusieurs foys d'aller audict lieu plaidoyable premier que peusse veoyr mon amy, dont je estoye en continuelle destresse & si grande amaritude, que impossible m'eust est? la soustenir, si je n'eusse est? secourue de quelque petite esperance, en quoy je prenoye aulcun confort. Mais entre les aultres choses me desplaisoit grandement de ce que mon mary avoyt suspicion sur moy, cela estoyt cause de me exagiter, de rompre & fascher, en sorte que j'estoye si impatiente, que je retournoye tousjours en mes furieuses fantasies. Ainsi que je estois comme hors d'esperance, & presupposoye que de mon amy le posseder m'estoyt impossible, je deliberay de me tenir solitairement en ma chambre pour plus occultement continuer mes pleurs: mais mon mary ne le voulut souffrir, pensant que maladie corporelle fut cause de mes tristesses & melencolies. Las il ignoroit que mon mal procedast des passions de l'ame: & que l'excessif amour en fust cause, car il pensoit que j'eusse delaiss? la folle amour qui me possedoyt & seigneurioyt, parquoy ung jour me voulut mener audict lieu plaidoyable, disant que le continuer de demeurer anxieuse me pouoyt accroystre & augmenter mon mal, & que plus propre & duysible me seroit pour me revalider & guarir de m'exciter a soliciter noz affaires. Quand j'euz ouy ses parolles, je ne osay differer: mais fuz contraincte de me rendre obeyssante: parquoy incontinent nous transportasmes au lieu judiciaire, & moy estant retiree en quelque lieu cuidant me reposer, qui m'estoit difficile: car mal se repose qui n'a contentement: & alors je commen?ay a dresser ma veue, en regardant de toutes pars, je vey grand nombre de jeunez gens, entre lesquelz je vey mon amy: lequel me jecta ung regard qui me transper?a jusques au cueur, & fut de si grand vertu, qu'en cest instant de moy mesmes je demouray privee, & perdis toute contenance: mais incontinent survint mon mary, lequel m'avoit ung peu eslongn? en solicitant ses affaires, & pour la grande multitude de peuple il n'avoit apperceu mon amy, parquoy avecq ung doux accueil & face joyeuse me vint dire qu'il estoit temps de nous retirer: & lors pour la timeur que j'euz je commen?ay a trembler & muer couleur: mais pensant que ce feust ma maladie accoustumee, me vint ung peu consoler en me donnant esperance de briefve guarison, me disant qu'il m'estoit necessaire de contraindre mon cueur a prendre revocation: parce que c'est ung grand commencement de guarison que de vouloyr estre guarie. A ces motz je cogneuz par ses benignes parolles qu'il n'avoit apperceu mon amy. Parquoy je reprins ung petit de vigueur. Et pour ne voloir user d'ingratitude, commen?ay a remercier Amours, & disoye en moymesmes. O seigneur Amours: si quelque foys j'ay mespris en me plaignant de toy, parce qu'il ne m'estoit imparty quelque bien a ton service, a ceste heure je m'en repens: car je me sens debile a referer les graces deues, & a telle participation de plaisir convenables. Quelle felicit? ou beatitude a la mienne esgualer se pourroit? O heureux regard qui a tant de puissance, que quand je suis a l'extremit?, me peult rendre vive & me fortifier: parquoy j'estime petite ou nulle la fatigue ou respect de la retribution. Las j'emmaine le corps: mais mon cueur demeure en telz pensemens. Nous parvinsmes a la maison, & pour ce jour ne vouluz user de ma coustume, qui estoit de plourer & lamenter: mais au contraire avoye secrete deliberation de vivre en plusgrand plaisir & joyeuset? pour dilater & ouvrir mon cueur estraint & oppress?: affin que par ce moyen me fust restituee ma beault? perdue a l'occasion de mes griefves & angoisseuses douleurs, afin que je ne fusse layde & desplaisante a mon amy: mais fortune qui m'estoit tousjours contraire ne me donna le loysir, parce que mon mary qui estoit cler voyant incessamment prenoit garde a mes gestes & contenances. Parquoy en regardant que continuellement je jectoye mes artificielz regardz, il apperceut mon amy, & adoncq il me commen?a a dire, en me le monstrant, & faingnant de ne m'avoir veu le regarder. M'amye, voyez ce meschant qui est cause de faire pulluler continuelles dissentions entre nous, & encores selon que puis concepvoir il ne se veult desister ne imposer fin a son oultrageuse follye: mais pourtant ne vous veulx prohiber ne deffendre de vous venir solacier en ce lieu ou on plaide les causes, au moins si vous voulez entreprendre sur votre honneur de ne vous absenter des lieux ou je vous laisseray quand je seray contrainct de soliciter mes affaires. Et aussi je veulx & vous commande que ne usez des regardz accoustumez, & si ainsi ne le faictes vous me courroucerez si fort, que l'impetuosit? de l'ire me pourra faire exceder les metes de raison. Apres avoyr ce dit, je demeuray seulement accompaignee de dolentz & profundz souspirs, qui de mon martyre faisoient foy indubitable. Dont plusieurs me voyant en telle precipiteuse calamit? avoyent compassion de mon mal. Moy estant en telle misere & passionnee fascherie: ne desiroye que me trouver seulle, pour recommencer mes pleurs, que pour aulcun temps j'avois delaiss?: mais timeur & crainte me detenoit, qui me faisoit observer le commandement de mon mary, & n'osoye eslongner du lieu ou j'estoye. Mon amy se pourmenoyt tousjours, & passoit pres de moy: mais pour eviter ses regardz, & pour ne esmouvoyr l'ire & indignation de mon mary, contraincte me estoyt de me tenir appuiee a quelque banc, sans oser retourner ma face, dont j'estoys tant angustiee, que paix, ne repos ne retournoit en mon triste cueur. Helas je me sentoys privee de tous mes plaisirs ou consolation, sans espoir de jamais parvenir a mon affectueux desir: & plus m'en sentoye loingtaine, & plus souffroye d'ardeurs & embrasemens. Je feuz long temps en telle griefve langueur tousjours continuant de hanter le lieu judiciaire ou mon amy ne deffailloit de se trouver & continuer son amoureuse poursuytte, & par plusieurs foys quand il ne veoyt mon mary, il estoit en variation de venir parler a moy: mais il differoit craignant de estre surpris. Et ung jour entre aultres apres qu'il eut regard? en plusieurs & divers lieux sans ce qu'il le peust appercevoir, pensant estre acerten? de son absence, se approcha de moy, & apres les amoureuses salutations nous fusmes quelque espace sans que en nostre facult? fust de pouoyr parler a l'occasion de l'excessive joye par nous conceue. Puis apres comme homme qui justice craint, & misericorde demande, comme par la mutation de sa couleur l'on peult juger, a son parler donna commencement & dist ainsi. Devises des amans pour faire les approches. Ma dame, si l'exprimer des peines & travaulx que je soustiens n'estoit si difficile, j'estimeroie que telle felicit? me seroit concedee, que de veoir mon service tenir pour agreable, esperant tant de vostre doulceur & benignit? qu'elle ne vouldroyt user d'ingratitude: mais promptement seroye retribu? & premi? de guerdon suffisant, sans me laisser continuellement en si grand langueur & infirmit?. Las ma Dame si en ma puissance n'est de vous narrer les agitations & afflictions dont mon ame est occupee, les grandes sollicitudes qui incessamment se accumulent en mes tristes ymaginations pour acquerir vostre benevolence. Ma face?taincte de palle couleur, les continuelz souspirs indubitableme?t vous en doybvent rendre certaine. Las le mal qu'il fault que j'endure sans y pouvoyr ne vouloir resister est violent & insuperable, c'est une playe que nulle medecine ne peu?t soulder, c'est ung feu par nulle puissance d'eaue inextinguible, c'est une ardeur que nulle glace ne pourroit refrigerer. Si vous estes si cruelle: ce que je ne pense, que ne voulez entendre. O meritez secours la misere & destresse langueur & martyre ou je suis reduict, a mort immaturee me conduyra, & si le cas advenoit, il vous seroit attribu? a vice de cruault?, pour n'avoir preserv? de mort celluy, qui pour vous complaire a quelconque peril ne pardonneroit. Helas ce qui plus me tourmente, & me cause ung desespoir de jamais ne parvenir a mon affection, c'est la continuelle presence de monsieur vostre mary: lequel journellement me menace non seulement de me frapper, ou molester: mais par mort violente a la nature me faire renoncer. Et pourtant considerez avecq quelle puissance amour domine en moy. Il n'y a menace qui me retarde, il n'y a peril que je craingne, ny instance qui m'en oste. Par ces signes evidentz & demonstratifz me debvez estimer pour vostre serviteur perpetuel. Ce pendant que j'escoutoye ses parolles, subitement je feuz par excessif amour & ardant desir si aguillonnee, que mon amoureux cueur battoit plus tost que les legieres aeles de l'arondelle quand elle volle: d'aultre part la crainte de la survenue de mon mary me tourmentoit & exagitoit, en sorte que selon ma coustume tous mes membres commencerent a trembler, toutesfoys me voyant en la presence de celluy que plus j'aymoye, apres aulcune espace, commen?ay a penser quelle responce je luy feroye: mais en considerant ses gestes exterieurs, je comprenoye qu'il estoit fort espris & attainct de mon amour, qui fut cause que pour ceste fois ne luy vouluz declairer le secret de mon cueur, non pour le bannir ne chasser: mais pour plus ardentement l'enflamber. Alors je luy dis, Apres que j'ay bien distinctement pens? & consider? les gestes & contenances par lesquelles je peuz conjecturer que vostre pensee est occupee de tresgriefves & durissimes cogitations: car amour est une passion en l'ame qui le plus souvent nous reduyt en anxietez & tristesses pour ne pouvoir jouyr de la chose aymee, & quand aux amans telle fortune intervient, il demeurent submergez au profond des extremes destresses & miseres quand ilz preferent amour lascif a vray amour, lequel consiste en vertu. Vous debviez considerer que quand par voz persuasions je seroye pressee, & stimulee de condescendre a vostre vouloir, ce ne se pourroit faire ny accomplir sans deteriorer ma bonne condition, & doncques pour ne estre signe d'homme prudent de avecq l'infamie d'aultruy cercher ses plaisirs: je vous prie de laisser ceste affection immoderee, vous monstrant homme vertueux, en sorte que raison domine, & soit superieure de l'appetit sensuel. Je ne vous veulx increper ny attribuer a vice, si promptement vous ne pouez separer amours de vostre cueur: mais par prudence & honnestes exercices le fault moderer, & applicquer vostre florissante jeunesse a plus honnestes coustumes de vivre, que de vouloir seduyre & deccepvoir les dames ou damoyselles. Et par especial ne debvez continuer de poursuyvre celles qui de pudicit? ont tousjours est? conversantes: desquelles je pense estre du nombre. Et si bien estiez inform? de ma vie, vous trouveriez que jamais maulvaise opinion ne me fut imputee, combien que par plusieurs fois j'ay est? tentee & priee de princes & grans seigneurs: mais ce nonobstant leurs altissimes sublimitez n'ont eu tant de puissances, de me faire acquiescer a leurs importunes requestes. Mais si ainsi estoit que je fusse nee en si maulvaise constellation, que contraincte me fust de me rendre serve & subjecte a amours, il n'est homme au monde qui finast plus tost de ma benevolence que vostre doulceur, vous affermant que seriez praefer? a tous aultres. Parquoy je vous supplie vous vouloir contenter, en imposant fin a l'amoureuse poursuyte par eviter la presence de l'object, car la continuelle conversation vous cause les ardeurs & enflambemens qui vous pourroient faire tumber en desespoir, au moins si vous estes tant afflig?, que par voz gestes & parolles le demonstrez. Continuation des colloques amoureux. Ainsi que je luy disois telles ou semblables parolles, quelques fois il interrompoit mon propos, & disoit qu'il estoit en merveilleuse crainte de mon mary. A quoy je luy fis responce, & luy dis. Je vous prie de vous desister de telle timeur, que je vous certifie estre sans occasion: car il n'a doubte ne suspition de moy. Et si je pensoye que sa pensee fust occupee a telles fantasies, je suis celle qui ne pourroit esperer de vivre, parce que je suis certaine & le s?ay par longue experience, qu'il me ayme plus que jamais homme aymast femme. Parquoy vous debvez croire que j'auroye bien cause de me contrister: car qui ardentement s?ait aymer, cruellement s?ayt ha?r. Je m'esmerveille grandement dont vous procede une telle crainte, vous estes contraire a tous aultres amoreulx: lesquelz par artificielle subtilit? trouvent moyen d'avoir familiarit? aux maritz de leurs amyes: cognoissant que par cela ilz peuvent avoir souvent seure occasion de parler & deviser a elles privement & en publicque. Apres que j'euz dit telles paroles, sans differer il me feist telles responses, & dist ainsi. Ma dame je suis certain, & je voy manifestement que monsieur vostre mary est attainct d'une grande & passionee fascherie, pour avoir suspition de la chose ou je pretends. Ainsi comme il disoit ces parolles, il apperceut mon mary, & me le monstra dont je feuz si perturbee, que je ne s?avoye quelle contenance tenir. Et lors tout ainsi que les ondes de la mer agitees d'ung vent, je recommen?ay a mouvoir & a trembler de toutes pars, & fus long temps sans parler jusques a ce que la crainte de perdre mon amy vint en ma memoire, qui me feist oublier toutes aultres choses, & eut ceste puissance de revocquer les forces en mon corps angoisseux & debile qui toutes dehors estoient dispersees: & en le regardant je congnoissoye que de semblable passion il estoit attainct, & pour le rasseurer luy disoye qu'il ne se souciast de riens, & qu'il n'y avoit danger ne peril pour n'estre chose estrange de parler & deviser, luy affermant que j'estoys certaine qu'il ne se vouldroit enquerir des propos que nous avions eu ensemble, parce qu'il m'estimoit estre chaste & pudicque non seulement aux effectz, mais en parolles & en devis. Mais combien que je luy sceuz dire & affermer, je ne le peuz persuader de le croire. Et en sa tendre & jeune vertu n'eust tant de vigueur qu'il peust prononcer aulcuns motz, mais en jectant souspirs en grand affluence se departit, & je demeuray merveilleusement irritee craignant que par pusillanimit? mon amy ne imposast fin a sa poursuyte. Ceste pensee m'estoit si tresgriefve, que j'estoye immemorative de la peine que pourroye souffrir, a l'occasion que mon mary m'avoit apperceue: lequel s'estoit party ne pouant souffrir l'impetueuse rage qui le detenoit. Et ce voyant une de mes damoyselles m'en advertit. Parquoy je comprins que de grand travail il estoit oppress?: dont pour la souvenance ma douleur commen?a a augmenter, en sorte que en moindre crainte me departy pour retourner a la maison, pensant souffrir comme la fille du roy Priam quand de son corps sur le sepulchre De achilles fut faict sacrifice. Sans grande & laborieuse peine ne parvins au lieu ou je ne attendois souffrir moins de douleur que souffrirent les quarante neuf enfans de Egistus de leurs femmes & cousines. Et quand je pensay entrer dedans ma chambre, je rencontray mon mary, lequel commen?a a me menasser cruellement: ce que voyant deux damoyselles que je avoye avecques moy, me penserent retirer en une aultre chambre: mais en grand promptitude il me suyvit, en prenant le premier baston que il peut trouver, qui fut une torche: & me donna si grand coup, que violentement me feist cheoir a terre. Et pour cela ne se peult contenter ne refrener son ire: mais me donna de rechief deux ou trois coups si oultrageux, que en plusieurs lieux de mon corps la chair blanche, tendre & delicate devint noire, toutesfoys n'y eut aulcunes vulnerations. Ainsi qu'il me molestoit & oultrageoit, mes damoyseles & serviteurs domesticques mettoient peine de l'appaiser, & ce pendant sa furieuse rage commen?a a diminuer, parquoy se departit, & me laissa merveilleusement dolente & esploree, & par impatience je commen?ay a dire. O miserable & infelice plus que nulle vivante, telle te doibs tu nommer: car tu n'espere jamais estre liber? de la presente misere & calamit?, sinon par le moyen de la cruelle Atropos: laquelle est le unicque refuge des desolez. Celle seulle peult imposer fin a tes larmes & souspirs, a telz douleurs & angoisses, & furieux desirs. En pronon?ant telles parolles je faisoye plusieurs crys, et de mon triste estomach jectoye vociferations si treshaultes et piteuses, en continuant tousjours mes miserables regretz: chascune de mes damoyselles mettoit bonne diligence de me conforter et appaiser mes griefves et insupportables douleurs, qui m'estoient reservees a la mort. Moy estant ainsi tormentee & travaillee, j'entenditz la voix de mon mary: lequel par longue usance de tristesse, estoit plus temper? a souffrir douleurs qu'il n'avoit accoustum?: parquoy il delibera de moderer son yre, considerant qu'il luy estoit necessaire d'endurer & souffrir jusques a ce que plus manifestement ma detestable vie feust divulguee & vulgarisee, a ce qu'en me repudiant, il ne fut reprim? ne blasm? de mes parentz. Et pour ceste cause sans faire quelque semblant se contenoit, en sorte que par aulcune evidence, je ne pouoye comprendre quelle estoit sa volunt?. Ce jour se passa en continuant tousjours mes douloureuses complainctes: mais la nuict venue, trop pire que le jour a toutes douleurs, d'autant que les nocturnes tenebres sont plus conformes aux miseres que la lumiere. Je estant au lict seulement accompaignee de ma familiere damoyselle, ne me faignoye de crier & amerement plorer, & passay ceste nuict en tel anxieux & doloureux exercice. Le rutilant filz de Iperion regissant les Dorez frains, jadis follement desirez par le presumptueux Phaeton desja rendoit a toutes choses leurs propres couleurs noircies par la princesse de tenebres: quand mon mary m'envoya demander si je vouloye aller avecques luy au lieu ou l'on faict droict a chascun, dont je fuz moult esmerveillee: car parce qu'il m'avoit veu parler a mon amy, je n'esperoys plus qu'il me feust permiz d'y aller. Las je ignorois la cause pourquoy il le faisoit, ce que j'ay sceu depuis a mon deshonneur & prejudice: Toutesfoys aulcunement reconfortee me levay, & en grand promptitude me habillay, combien que ce ne fut sans grande peine: parce que je sentoye tresgriefve douleur a l'occasion des blesseures que le jour precedent avoys souffert: mais la memoire de mon amy estoit si enracinee en moy, & si tresfort inseree & vive en mon cueur, qu'elle me donna force a soustenir toutes peines & travaulx, parquoy ne laissay d'aller au lieu preallegu?, comme j'avoys de coustume, & ce jour mesme au soir sachant que mon mary estoit fort empesch? a ses affaires, par subtil moyen je trouvay maniere de inciter mon amy a parler a moy. Et apres avoir donn? & receu les amoureux salutz, & ung petit song? & en silence demeur?, me dist. Complainctes d'amoureux. Depuis hier que parlay a vous, j'ay continuellement consomm? le temps en merveilleuse sollicitude, craignant que monsieur vostre mary ne vous eust molestee, ou mal traictee, sans ce que eussiez sceu evader son impetueuse ferocit?, que je comprendz estre grande, parce qu'il m'a veu parler a vous. Las si je pensoye que a l'occasion de moy eussiez souffert quelques precipitations ou peines, ce me seroit douleur pis que la mort, parquoy je vous exore & prie de m'en vouloir advertir, a celle fin que futurement je modere mon vouloir & affection, en dissimulant l'excessive amour que je vous porte. Et entre toutes les aultres choses je prendz admiration, & ne puis conjecturer pour quelle cause je fuz ung jour menass? d'ung qui se disoit vostre serviteur domestique: lequel en parlant occultement me deist aulcunes parolles non intelligibles, & pour ce je ne s?avoye que presupposer, & craignoye fort que ne luy eussiez declar? de noz amours: mais parce que nous estions en la rue, ne m'en vouluz enquerir, craignant vous offencer. Apres que je l'euz escout?, & bien recueilly ses parolles, je luy ditz. O Guenelic, soyez certain que je suis fort marrie de vous veoir en ces fascheux & ennuyeux termes. Il semble par voz parolles que je soye quelque femme lascive. Ne considerez vous pas en vous mesmes ce que je vous ay predict, & encores le vous veulx reiterer. C'est que mon mary m'a tousjours veu user de telle honnestet? & modestie, que par ce moyen il n'a aulcune dubitation sur moy: & bien me peulx glorifier que jusques a present, tellement ma vie a est? instituee, que n'ay est? digne de reprehension: & je vous supplie que vous desistez de telle timeur, qui est sans occasion: & quand a ce que me avez dict d'ung mien serviteur: lequel vous a monstr? quelque menasse, je ne puis ymaginer dont procede la cause: & ne debvez craindre que de mon sens je soye si alienee que je luy aye exhib? ce qui est digne d'estre conferm? soubz profonde silence. Apres avoir ce dict, nous feusmes quelque espace de temps sans parler: car entre nous les continuelz souspirs pulluloyent, en jectant doux & amoureux regardz, en sorte qu'il nous sembloit que nature de soy mesme s'esmerveillast, puis apres Guenelic reprint le propoz, & deist ainsi. Madame, je vous supplye que ne vous irritez aulcunement, & ne me vueillez imputer a malignit?, ce que je vous ay familierement declar?: car la timeur du grand enflambement qui naistre en pourroyt m'a contrainct de prononcer telles & semblables parolles: & si en partie aulcune, vous estimez de moy offensee je suis celluy qui a tout dernier supplice, me efforceroye pour la faulte reparer ou amender, car en vostre vouloyr consiste toute ma presente & future beatitude & felicit?, ou ma perpetuelle calamit?, & si a vostre bonne grace je suis accept?, ma vie en sera doulce & tranquille, & si aultrement vous disposez, soubdainement au vivre feray cession: mais je suis aulcunement corrobor? & reconfort?, parce que certain suis estre en la puissance de celle qui ne pourroyt, sinon avecq clemence & doulce mansuetude juger, & pource que c'est chose humaine avoyr compassion, Je vous supplie de mollifier vostre cueur, & vueillez retribuer ou remunerer ung vostre serviteur entier & cordial de tant de fatigues par luy soustenus. Et pendant que nous avons le temps commode & propice: ne vous soit ennuy de me certiorer de vostre ultime & finale volunt?. Apres les doulces & suaves parolles je luy commen?ay a dire. Mon amy, je comprendz voz parolles & profonde eloquence tant efficacissime: qu'elle pourroit pervertir la pensee de la chaste Penelope, & attraire le courage invincible de la belle Lucresse: mais peult estre que voz doulces & attractives parolles sont fainctes & simulees: car le plus souvent vous aultres Jouvenceaulx us?s de telles faintises & adulations pour circonvenir la simple credulit? foeminine, aulcunesfoys peu constante & trop liberalle: et ne tendez a aultre fin, sinon que a priver d'honneur celles que vous dictes tant aymer: mais si je pensoye que en vostre amour feussiez ferme & stable, & que vostre vouloyr ne feust aulcunement muable ne transitif, affin de ne estre ingrate de si grande amour, si la facult? me estoyt concedee, je desirerois vous premier & guerdonner de voz services: mais comme je vous ay par plusieurs foys dit. Comment se pourrois accomplir vostre vouloyr, sans denigrer & adnichiler en moy la chose, qui en plus grande observance que la propre vie se doibt conserver? Consider?s que toute chose perdue restituer se peult, sinon en chastet? corrumpue: parquoy si je use de piti? en vous, je useray de crudelit? en moy mesmes, par estre peu estimative de mon honneur, et pourroye succumber aux dangiers des langues pestiferes, dont en grand peine en bien vivant se peult on garder. A ces motz ne differa point la responce: mais avecque une eleguante & doulce prononciation me deist. Ma dame unicque, se pourra il faire que soyez si cruelle que par trop grande acerbit? a mort me conduys?s? Voz parolles par lesquelles je ne puis gueres esperer, ne me sont de moindre douleur que fut la chemise de Dianira a Hercules. Las ma Dame si tant de felicit? me estoit concedee, que je puisse parvenir a mon desir & affection: Auriez vous si maulvaise estime de moy, que par ung vouloir pervers & inique je voulusse divulguer le secret de noz amours? plustost me exposeroys a mille especes de mort: mais vouldrois estre secrete & curieuse, autant de l'honneur que de l'amour: & si vous pensez que mes parolles soient proferees par simulation ou faintise, grandement seriez alienee de la verit?: car ce n'est ma coustume de user de parolles aornees ny adulatoires, entendu que de nulle vivante: je ne quis oncques la familiarit? que de vous, & pourtant ne debvez differer de exaulcer ma requeste, en chassant toute rigeur de vostre noble cueur, & me vueill?s liberer de si grande anxiet? & douleur, sans me laisser continuellement languir. Finies les doulces & melliflues parolles, je fuz en si excessive joye reduycte, que nulle chose je respondoye, mais en jectant grand affluence de doulx souspirs, luy signifioye la doulceur intrinseque, que par ses parolles j'avoye receue: mais subitement revint en ma memoyre la crainte de mon mary, qui me causa une extreme destresse, pour la timeur que j'avoye d'estre trouvee parlant a mon amy: en prenant ung doulx & amoureulx cong?, luy ditz. Viv?s en esperance: car soy?s certain que je auray de vous memoire. Et luy continuant ses humbles, doulces & depriantes parolles de moy se partit, & encores ne estoye gueres eslongnee, que mon mary survint & luy circonvenu, incontinent nous retirasmes en nostre domicille. Depuis les amoureuses devises, je continuay tousjours de frequenter le lieu, qui est dedi? pour a chascun faire droict & accord: mais je feuz long temps sans que j'eusse l'opportunit? de nous assembler en devises. Je ne s?ay si mon amy differoit par crainte, ou s'il le faisoit par cautelle, affin que l'amour peust accroistre en moy, parce que aulcunesfoys par continuelle conversation on se fastidie & ennuye, Car la chose moins visitee & congneue, engendre plus de admiration. Je pensoys & ymaginoys incessamment, quelle pouoit estre l'occasion de si grande observance & silence, & venois souvent a reduyre en ma memoire les propos que nous avions tenus ensemble, & y prenois une singuliere delectation: aulcunesfoys en telles varietez de pensees je disoye en moymesmes, c'est la crainte de mon mary qui le garde de parler a moy: car par ce que par conception puis comprendre, ou par fantasie ymaginer, il ne adjouste aulcune foy en mon dire: car il ygnore l'excessive amour que je luy porte, a l'occasion que je le persuade de croire le contraire de cela, dont il a manifeste demonstrance. Mais ce qui me garde de luy declairer, c'est la crainte que j'ay de le perdre. Plusieurs jours passois & consumois en pensant & meditant diverses & nouvellles fantasies, tellement que par continuer je tombay en une insidieuse fiebvre, qui me debilitoit & dissipoit le corps, avecq si grand vehemence, que impossible m'eust est? me soustenir: parquoy contre mon vouloir je delaissay le plaisant & solacieux exercice du lieu plaidoyable. Mon mary continuoyt d'y aller selon sa coustume, & quelque foys me disant avoyr veu mon amy, pour experimenter quelle seroyt ma contenance, & une foys entre les aultres me deist. J'ay veu ce meschant homme remply de iniquit?, seminateur de tous maulx, remply de libidinosit? & infamie. Je dictz le traystre ton amy: lequel m'a tousjours suivy, je ne s?ay se il pense que je ne congnoysse ses manifestes follyes, dont je ne ose monstrer aulcun semblant pour la timeur que je ay de t'engendrer scandale: parquoy il peut seurement aller par tout: car pour la conservation de ton honneur je ne le vouldroye aulcunement molester: mais je soubhayte le tenir dedans mes boys, a l'heure je userois de cruelle vindication, en luy faisant tresgriefz & innumerables tourmens: puis apres que mon appetit seroit rassasi? de le travailler, je te feroye present de son corps tout desrompu & lasser?: & a l'heure t'enfermeroys en une tour, ou par force & contraincte je te feroye coucher avecq luy, puis apres luy ferois user sa detestable & miserable vie, par la plus cruelle & ignominieuse mort qui seroit possible de me adviser. Ainsi qu'il se delectoyt a dire telles ou semblables parolles, je l'escoutoye merveilleusement courroucee, & en basse voix je commen?ay a dire en me adressant a Dieu. O Eternel, exalt? et sublime Dieu: si quelque fois vous plaist ouyr les miserables pecheurs, prestez vostre ouye a ma priere et supplication, et ne regardez en mes pechez & iniquitez. Mais par vostre infinie bont?, doulceur & clemence vueillez accepter & exaulcer ma requeste, qui est telle, que vueillez preserver et garder le mien amy de la cruelle ferocit? de mon mary. O paoure desolee que je suis, je congnois et s?ay vous avoir griefvement offens? par infinis desirs que j'ay eu d'accomplir mon appetit desordonn?, & encores ne me puis repentir, parce que suis du tout privee & destituee de ma libert?. O souverain Dieu, je suis certaine que s?avez le secret de mon cueur: car la divine praescience s?ait & congnoist tout, sans riens reserver, et voyez que continuellement je suis tentee de me vouloir tuer et occire sans avoir regard a la perdition de ma paoure ame: et pourtant vous exore et prie que m'octroyez la mort, qui est la derniere fin de toute chose, pour eviter que par excessive douleur, je ne soye contraincte de perpetrer chose si enorme et abominable, a quoy je ne s?auroye resister, si le cas advenoit que mon mary commist homicide en la personne de celluy que j'ayme avecq telle fermet?, que plustost pourroye souffrir mille foys la mort par mille manieres de tourmentz & griefves douleurs, que me s?avoir distraire de son amour. Et doncq pour eviter le plus grand mal, plaise a ta doulceur & benignit? de maintenir en vie le mien amy, et si de telle grace ne suis digne, et que ma voix ne puisse toucher vostre altitude Dieu eternel, je supplie les sainct glorifiez, qu'ilz vueillent estre intercesseurs pour moy, affin que par ce moyen mon humble requeste soit exaulcee. Apres avoir faicte telle priere & supplication me semblois estre aulcunement allegee, toutesfoys je fuz assez longue espace sans me pouoir revalider: mais la singuliere affection que j'avoye de parler a mon amy, me contraignit de me lever & aller au lieu judiciaire, premier que feusse guerie: auquel parvenue, je trouvay mon amy, qui de sa premiere coustume estoit fort alien?. Car de la premiere veue, & plusieurs foys depuis accoustumee salutation laissa l'office: mais en passant souvent pres de moy par faintive dissimulation se devisoit de proc?s, & sembloit que sa pensee feust occupee de merveilleuse sollicitude, Et moy espouventee: ne s?avoye la cause dont procedoit telle observance de silence. Je me doubtoye de quelque nouvelle amour, & disoye, ma longue absence aura peu aliener mon amy de moy: car luy qui est dispos? a aymer, & si est digne d'estre ayme, peult avoir trouv? quelque une aussi disposee a aymer. Parquoy des peines de tant de temps en petite heure seray privee. O peult estre que contre moy est irrit? de quelque chose, dont je ne s?ay l'occasion, Et se ainsi estoit, y pourvoir ne me seroit possible, pource que a medecin ignorant impossible est le medeciner. Telles variables ymaginations m'estoient tresgriefves, & quasi insupportables, pour les vaines opinions qui me tenoient en suspect, & me causoient une fiebvre si tresfroide que je m'esvanouyssoye: mais apres mes innumerables considerations, deliberay souffrir plus patiemment mes calamitez, en me occupant a penser & a ymaginer par quelles manieres je pourroys estre certioree de la cause de si estrange mutation. De diverses pensees, cures & solicitudes fuz par plusieurs jours travaillee & penetree, voyant mon amy perseverer en telle orguilleuse superbit?, & s'il n'eust est? accompaign? je n'eusse est? si lente de parler a luy, pour s?avoir la cause: mais nonobstant, quelque fois je fuz tellement contraincte de furieuse rage D'amour, dont j'estoye enflambee, si que je ne pouvoye plus souffrir l'extreme douleur interieure qui estoit en moy, parquoy sans avoir honte ne vergogne, voyant mon amy se pourmener, je le suyvis, & sans premediter ce que je debvoye dire, fuz si hardie que le tiray par la manche de sa robbe, & doncq il me regarda comme fort esmerveill?, & se arresta, & a l'heure je baissay la veue: & pensay ung petit. Puis apres pour ne s?avoyr trouver commencement de propos plus honneste, luy demanday s'il n'avoit point veu mon mary, luy disant que je le cerchoye pour luy exhiber quelques letres qui me estoient survenues. Et lors il me respondit que non, & se departit sans aultre chose dire. Mais peu de jours apres avecq une grande audace & superbe oultrecuydance vint parler a moy, & me dist. Reproches de l'amy a sa dame pour trop languir. Ma dame je cognois ores & le voy evidemment que voz pensees sont merveilleusement discordantes a la prononciation. Au moins si je suis bien memoratif des dernieres parolles que vous me dites, qui furent telles: vivez en esperance, & je auray de vous memoire. Mais vous ne debv?s estimer que je soye si exocul? ny aveugl?, que ignore les propos, mocqueries & derisions que journellement faictes de moy, & pareillement monsieur vostre mary, ce que ne s?auriez nyer: car qui a escout? voz devises m'en a faict le rapport, dont je fuz merveilleusement irrit?, considerant que de vous je n'euz oncques que fatigues, tristesses, & vie tresdolente: mais si deliberee estiez de me licencier, si debvriez vous user de moyens plus conveniens & honnestes, & m'enucleer & declairer vostre couraige. Car celer les choses qui sont manifestes, est plustost acte de curiosit? que de prudence: de laquelle je vous pensoye vraye dame & manifeste, & estimoye tant de vostre vertu, que toutes choses vitieuses vous feussent detestables, & croyoye que non seulement les eussiez evitees, mais avecq une discretion eussiez remonstr? aux aultres qui en seroient entachez pour estre moyen de les extirper & abolir: mais si bien considerez, ce n'est acte vertueux de user de telles mocqueries, dont je seroye fort mal content, n'estoit une chose qui me conforte, c'est que je ne suis seul abus? de ce variable sexe femenin, & le unicque refuge des miserables, est de veoir les aultres de semblables passions oppresser. Apres qu'il eut ce dict je sentis mon cueur d'une certaine liesse si profuz, que l'exprimer seroit difficile, esperant que luy feroye croire le contraire de ce que le faulx relateur luy avoit dict & recit?, auquel il ne debvoit aulcune foy prester, car il pouoit veoir par signes evidentz que je l'amoye oultre l'humain croire, & si quelques fois faignant de rire & me sollacier, j'avoye tenu aulcun propos de luy, s'estoit pour complaire a mon mary, en dissimulant ingenieusement l'amour que je luy portoye, affin qu'il me feust imparty plus de libert? que paravant. Ainsi que je pensoye & ymaginoye quelle excuse je diroye a mon amy, qui peut avoir lieu de reception, il me pressoit & stimuloit de respondre, & par impatience disoit: Je suis marry que vous estes si lente & tardive de parler: parquoy vous donnez occasion aux detracteurs de penser & de dire plus de mal encores qu'il n'y en a, & a l'heure je luy respondy. Je suis grandement esmerveillee & non sans occasion des fascheux propos par vous proferez, & ne puis conjecturer ne presupposer, qui vous meult de me attribuer telle facult? de derision & mocquerie, a quoy je ne pensay jamais: & si quelque faulx rapporteur vous a persuad? de le croire, la coulpe a vostre inconstance se doibt ascripre: car peult estre que quelque cler voyant s'est apperceu de voz continuelles poursuytes: lequel pour interrompre ou alterer nostre amour auroit est? annunciateur d'une artificielle mensonge, & pourtant ne debvez en vostre conception imprimer semblables habitudes: car le facile croire, le consentir ou mensonge, sont signes manifestes de personne aveuglee. Il me desplaist fort de ce que vous estes si peu estimatif de mon honneur. Je congnois apertement que ne differez de dire en publicque ce qui se debvroit conserver en silence, jusques a ce que nous fussions en lieu plus commode. L'on doibt estre sage, discret & secret es choses qui tousjours les vies & honneurs concernent: pour ce je vous prie & supplie que vueillez estre plus considerant, ou si ainsi ne le faictes, ce me sera evidente demonstration d'une grande scelerit? & maulvaistie. Quoy voyant je succumberay en si grosse molestie de cueur: qu'elle sera occasion de me faire finer la vie. Ainsi que je disoye telles parolles, je me retiroye aux lieux qui me sembloyent plus secretz & taciturnes. Et ce voyant mon amy, s'effor?oit de parler plus haultement, & me disoit: Ma dame, diserte & accommode est vostre narration, & de telle efficace, que je me persuade de le croire. Mais affin que ne consumons le temps en superfluit? de propos, je vous prie de me dire si je parviendray a mon intention. Je vous prononce briefvement mon intention: mais la crainte que j'ay me doibt servir d'excuse raisonnable. Ouye sa proposition me retiray ung petit arriere des gens qui en grand multitude affluoient: & en basse voix luy deiz, que la journee sequente il se trouvast au temple la ou nous pourions avoir l'opportunit? de deviser plus a loisir. A ces motz en grande promptitude il me respondit. Ma dame quand aux devises je me contente, & vous en quitte: car si bien considerez la consummation de temps, a la longue servitude merite premiation: & si vous estes ingrate de si grand amour, vous pervertirez l'ordre de vostre gentille nature, laquelle pour aymer semble estre nee. Ayez memoire & recordation de Cydipe, laquelle pour estre a son amant ingrate, de la deesse Diane griefvement fut punie. Ainsi comme il m'instiguoit pour me incliner a respondre j'estoys par mouvemens toute commue. Amour & timeur me tourmentoit, & disoye a moymesme. Ce jeune homme icy a converty amour en desdaing: parce qu'il luy semble que je suis trop lente & tardive de satisfaire a son ardent desir, & par impatience & indiscretion veult que promptement je luy responde: parquoy je puis conjecturer qu'il est inveter? & deliber? de m'engendrer une perpetuelle infamie, car si presentement j'acquiescoye a sa requeste: ce ne pouroit estre sans estre ouye de quelc'un, qui seroit cause de ma totale ruyne & extenuation. Estant occupee en ces considerations, je luy dis que je craignoye fort la survenue de mon mary: parquoy m'estoit chose urgente & necessaire de m'en retourner, & que quelque foys si j'avoys le temps oportun & lieu commode, de ma volunt? le rendroye certain. Et en ce disant en grand tristesse & amaritude de cueur de luy prins cong?. Et luy comme non content, en murmurant de moy se partit: mais quand je fuz retiree, & que je commen?ay a considerer l'iniquit? de mon amy, cela me causa une extreme & angoisseuse douleur, & ne cessay tout ce jour de plorer & lamenter: mais le soir venu contraincte me fut de cesser mes douleurs, pleurs, & gemissemens, pour ne donner a congnoistre a mon mary que je persistoye en mon amoureuse follie. Depuis telles rigoureuses parolles tenues par mon amy, il continua tousjours de me appareiller nouvelles occasions de fascherie par toutes les sortes & manieres dont il se pouoit adviser: & en tous lieux ou je assistoye il se trouvoit accompaign? de plusieurs ses compaignons: & juroit & affermoit que j'estoie s'amye. Et moy voiant telle oultrageuse crudelit?, qui n'estoit encores que le principe de ses detractions cerchoie les moyens de parler a luy pour luy remonstrer & luy exprimer les anxietez & douleurs que par ses importunitez je souffroye: & pensant parvenir a mon intention me transmigray au temple accoustum?, ou j'esperoye de le trouver: pource que ce jour la estoit le jour d'une feste solennelle, & y avoit grand multitude de peuple tant hommes que femmes faisans divers actes: les ungs faisoient devotes prieres & oraisons, les aultres se pourmenoyent prenant plaisir a speculer & regarder les plus belles dames: mais apres que j'eu regard? en plusieurs & divers lieux pensant veoir mon amy, je me retiray en lieu secret & taciturne pour plus solitairement continuer mes fantasieuses pensees: mais peu apres en jectant les regardz de mes yeulx en circonference, je le veiz avec deux de ses compaignons, en regardant selon sa coustume, & en se effor?ant plus que jamais par plusieurs signes et mines pour m'induyre aussi a luy monstrer semblant: affin que plus apertement par mes gestes qui sembloient estre pleines de lascivit? feminine, je feisse indice de l'excessive amour que je luy portoye. Et encores pour plus grande experience & certitude de noz amours, fut inventeur d'une artificielle subtilit?, affin que ses compaignons indubitablement portassent foy a son dire: car apres qu'il fut fastidi? et ennuy? d'aller, il vint passer pres de moy et dist assez hault qu'il s'en vouloit retourner, puis apres en basse voix dist a ses compaignons. Allons nous cacher derriere quelque pillier, et je suis certain que sans dilation elle se absentera: car le long sejour qu'elle faict icy, n'est que a l'intention de parler a moy. Je ouy ces parolles, qui fut occasion que je demouray. Et luy voyant cela, il se commen?a a pourmener: mais incontinent je m'en party merveilleusement dolente, me voyant frustree de mon intention, qui estoit de parler a luy pour luy faire aulcunnes remonstrances. Mais quand je fuz retournee en ma chambre, par une incredible doleance de mes yeulx vers & irradians, je faisoye distiller les abondantes larmes: & par ung amoureux desir assailly de desespoir, De mon vray sentement demeuray privee: car quand je consideroye l'inconstance de mon amy, ce m'estoit ung inestimable supplice. Mais toutesfoys combien que je le congneuz scelere & maulvais, ne estoyt en ma facult? de diminuer l'amour: car elle estoyt si fort imprimee dedans mon cueur, que continuellement & jour & nuict en ma triste memoire se representoit son simulachre: dont advint que la nuyct sequente, moy estant couchee aupres de mon mary fort attediee & lassee, mes yeulx qui de tresfort dormir estoient tentez, je tenoye vigilantz pour mediter & penser: mais a la fin je fuz de si grand sommeil oppressee, que je demeuray vaincue, & m'endormy: & certes le dormir me fut plus gracieux que le veiller, parce qu'il me sembloit estre avecq mon amy en ung beau jardin plaisant & delectable, & sans aulcune timeur le tenoie par la main, & luy prioie qu'il fut prudent & discret: luy remonstrant la grande doleance qu'il me causoit au moyen de ses importunitez. Il m'estoit advis qu'il me respondoit, que la faulte se debvoit ascripre a Amour: qui par impatience le contraindoit a exceder les metes de raison: mais que doresnavant il tempereroit son appetit sensuel, en sorte que il ne me donneroit occasion de me irriter. Et je oyant ses doulces & melliflues parolles, me sembloit que interrompoie sa voix, par souvent le baiser & accoller: mais las que je fuz dolente, car pour donner ordre a quelque affaire de grande importance mon mary me esveilla dont je demeuray fort melencoliee. La roside Aurora se separoit du deaur? lict de l'anticque Titon son mary, quand je commen?ay a dire. O faschee femme du viel Titon, qui te meust d'estre si prompte de exciter le bel Apollo a illuminer la terre? Certes tu te fastidie & ennuye de reposer entre les bras de ton mary, comme celle qui les baisers de Cephalus au prejudice de Pocris plus desire. O fascheuse que te nuysoit le singulier plaisir que le gracieux dormir me prestoit, qui me faisoit croyre estre vray, ce que par le veiller m'est exhib? contraire. Que ne permettois tu ceste felice nuict de aussi longue duree, que celle qui a Juppiter fut octroyee, lors que il estoyt entre les bras delicaz de la belle Alcumena: mere du preux Hercules, quand de trois jours & troys nuyctz les nocturnes tenebres ne furent dechassees: certes je croy que lors faisoys residence entre les bras de iceluy Cephalus, duquel tu ne te vouloys separer. Et disant ces propos je veoye de plus en plus esclarcir: parquoy contraincte me fut de me lever, mais je desiroys fort que la nuyct retournat, affin que en dormant me fust imparty le plaisir dont par le veiller j'estoys privee: mais jamais depuis ne peux avoir telle delectation: mais au contraire par plusieurs fois me sembloit veoir le mien amy en forme horrible & espouentable, tant palle & descolor?, que je avoye horreur de le veoyr en telle sorte: que par plusieurs foys m'escrioye haultement, en sorte que mon mary se esveilloit, & me demandoyt dont me procedoient telles frayeurs & espouvantemens: & je estant rasseuree cognoyssant que ce ne estoit que songe & choses vaines, soubdainement par diligent conseil foeminin trouvoye quelque artificielle mensonge: puis quand il se rendormoyt je commen?oye a penser & ymaginer merveilleusement perplexe & doubteuse, a l'occasion de telz songes, qu'il me estoit certain presaige & demonstrance de succumber futurement en plus grand infortune, encores que je ne estoye, & parce que me congnoissoye melencolicque & frigide, cela me causoit plus de anxietez, sachant que en telles personnes la vertu a si grande domination que autant ilz comprengnent en dormant, que les aultres font en veillant. Estant en telles fatigues, me levoye puis me enqueroye a tous augures, aruspices, ariolles & conjecturateurs: affin qu'ilz peussent interpreter mes songes pour en avoir certitude. En telle sorte passay plusieurs jours, jusques ad ce que fortune me permist l'opportunit? de parler a mon amy sans aulcune crainte, parce que ce jour mon mary estoit empesch? pour la survenue d'ung gentil homme son parent, et pource que n'eust est? chose licite ny honneste de le laisser, il me fust conced? d'aller au lieu ou on plaidoyt les causes, seullement accompaignee de ma familiere damoyselle, mais incontinent que j'y fuz, je vey mon amy accompaign? d'ung jeune gentil homme, lequel ne differa de venir parler a moy, mais apres plusieurs joyeuses devises, le plus subtilement & ingenieusement que je peux luy donnay a congnoistre que j'avoye aulcune chose secrete a luy communicquer: puis faignant d'avoir quelque affaire me sequestray & prins cong? d'eulx, & laissay mon amy, duquel la pensee demeura vagante en plusieurs choses, & fust stimulee d'ung affectueux desir de s?avoir quelle chose de nouveau estoit intervenue: & a ceste occasion il me suivit, & par continuelles persuasions me pressa fort de luy declairer, ce que a l'heure je luy deniay, luy promectant de luy exhiber le soyr. Et adoncque luy creut le desir de le s?avoir pour estre la privation cause de l'appetit, parquoy par prieres instantes continua tousjours me priant de ne luy vouloir celer, ce pendant que nous avions l'oportunit?, me disant que mon mary y pouroyt estre au soir, qui seroit occasion de le frustrer de son desir. Je voyant qu'il perseveroit ses instigations je m'enclinay & condescendis a son vouloir: & luy dis que pour eviter de m'engendrer scandale, que nous allissions en ung petit temple: duquel n'avoit point grand distance jusques au lieu ou on plaidoyt les causes. Je n'euz pas plus tost prononc? ces motz, que luy qui estoit assis aupres de moy ne se levast. En grand promptitude nous transportasmes au lieu design?: auquel parvenuz, je commen?ay a proferer telz motz. O mon dieu, n'eusse jamais conjectur? premierement quand je vous veiz que vous eussiez est? si cruel & impiteux que je vous congnois presentement Las les os m'en tremblent, la bouche se clot, la langue est mute a narrer telle crudelit?. Toutesfoys pour satisfaire a vostre aspirant desir, en brief parler je vous reciteray: c'est que vous ne cessez de detracter & mal parler de moy, dont je prens grand admiration, veu & consider? que jamais en chose aulcune ne vous ay offens?. Cela me donne certaine evidence que l'amour que monstriez avoir en moy, n'estoit que faintise faulse & simulee. O trop ignare nature foeminine, O dommageuse piti?, comme nous sommes par parolles adulatoires: par souspirs, & continuelles sollicitudes, & par faulx juremens deceues & circonvenues: mais ce nonobstant que je congnoisse toutes ces choses, mon acerbe fortune m'a si fort lyee, qu'il n'est en mon pouoir ne facult?, de me s?avoir en aulcune maniere delier. Increpation du faulx rapport. Incontinent que je euz ce dictz, subitement il me fist telle responce. Ma dame il n'est possible que la vie humaine se puisse passer sans le vituperable mors des langues pestiferes: mais pour vous liberer de toutes suspitions: si ainsi est que je ay profer? aulcunes parolles qui soyent a vostre deshonneur ou prejudice, je prie au createur du ciel, & general arbitrateur: que son yre me confonde: ou que les furies infernales jamais ne me descompaignent, ou que les troys seurs le fil vital immaturement me couppent, ou que les deesses furieuses vengeresses de tous maulx humains entrent en mon ame: & par mouvemens impetueux perpetuellement me tormentent. Mais ma dame je ne suis coulpable de ce dont je suis accus?, pourquoy a tort me travaillez vous? Et sy vostre deliberation secrete est de me expulser de vostre amour & de ceste naturelle ingratitude foeminine me guerdonner, avecq moyens plus honnestes le debvriez declairer & ne debvez estre si prompte de prester foy aux detracteurs: veu & consider? que vous mesmes vous reprenez ceulx qui sont faciles de croire les faulses relations. Et si bien consider?s les gestes & contenances du faulx traditeur, vous trouverez qu'il a comment? ceste invention, pour dissiper nostre amour: affin de parvenir a vostre benevolence, & me priver de mon esperee premiation: car ceste mordante envie, ceste vulpine subtilit?, avecq maligne nature, tousjours dispose a detracter, suscite infinies frauldes, pour decepvoir ceulx qui adjoustent foy a leurs mensonges. Et pourtant c'est chose tresurgente ne croire non plus que a esperit prudent & licite appartient. Je suis aulcunement reconfort? de ce que vostre benignit? s'est inclinee a me declairer la faulte a moy imposee: car par le non s?avoir eusse peu tumber en vostre male grace, pour ne s?avoir mon innocence purger ne demonstrer. Il n'eust pas plus tost impos? fin a son parler que je luy dis: O Guenelic, les passions excessives le plus souvent superent la vertu. Je fuz si irritee & marrie oyant affermer les choses que par moy avez distinctement entendues, que impossible me fut refrener mon ire. Et pour ce vous supplie ne vouloir ascripre les parolles par moy proferees a nulle malignit?: mais du tout soit la faulte & inveteree malice attribuee a celluy dont elle procede. J'entends aux faulx relateurs. Premier que j'eusse achev? mon propos, il me dist. Ma dame si de tant de grace me faisiez digne que me nommer celuy qui vous a faict ce faulx rapport, je vous seroye en sempiternelle grace oblig?, & me seroit ung perpetuel contentement pour estre signe demonstratif de vostre bon vouloir envers moy, & aussi me seroit occasion d'eviter la compaignie de celluy: car de converser avecques gens vitieux, ce n'est moindre infamie que dommage. Dictes ces parolles, il pensa ung petit: puis me nomma ung personnage dont il se doubtoit qu'il me l'eust dict: & certes son opinion n'estoit vaine, mais veritable: car ceste foys & plusieurs aultres depuis ce personnage a persever? de me relater encores plus amplement ces detractions, dont pour le present je me tais, jusques a ce que il vienne a propos de le dire & reciter: toutesfoys moy considerant que si le luy disoye, il ne le tiendroit secret, je deliberay de ne luy dire point: car en telles choses ou il y a tant de peril & diminution d'honneurs, le taire est beaulcoup plus decent & convenable que le parler: & aussi ne luy voluz nyer, craignant le mal contenter: mais je luy disoye & remonstroye que il suffisoit assez, puis que indubitablement je prestoye foy a son dire: & doresnavant je deliberoye estre plus constante en sorte que l'ire ne occuperoit le lieu des raisonnables considerations. Ainsi devisant nous partasmes dudict lieu solitaire, & allasmes ensemble jusques a ce que par honnestet?, & pour eviter occasion de parler aulx langues malignes, contraincte nouz fut nous separer, & lors avecq convenante commendation l'ung a l'aultre dismes le dernier a dieu: car jamais depuis je ne parlay a luy. Quand je feuz retournee en mon logis, je me retiray en ma chambre, ou je me trouvay merveilleusement allegee: pource que avoys descharg? mon cueur, & fut mon esprit reduict en une inestimable consolation en secretes joyeusetez: en quoy je ne demouray gueres, a l'occasion d'une insidieuse fiebvre, qui en si grand extremit? me detenoit, que je n'avoye esperance aulcune de mon salut: mais combien que par l'operation d'icelle je fuz griefvement tourmentee, plus impatiente estoye d'estre privee de la veue de mon amy, que de la peine que je soustenoye: parquoy je mauldissoye & detestoye mon acerbe fortune, qui continuellement m'appareilloit infinies anxietez & douleurs. Et alors mon mary me voyant en ceste infortune, feist bonne diligence de mander medecins & phisiciens: lesquelz quand ilz furent venus, m'appresterent plusieurs medecines aptes a me secourir: qui gueres ne me servoyent, parce que j'estoye autant travaillee des passions de l'ame, que de maladie corporelle. Mon mary voyant cela, estoit reduyct en une extreme tristesse: Car combien que j'eusse grandement failly, l'amour primitive estoit si inseree & vive en son cueur: qu'il n'estoit en sa facult? de le s?avoir distraire. Parquoy pour incliner la bont? divine a la facilit? de mon salut, il ne demouroit lieu ne place que de luy ne fut visit?, & de sacrifice accumul?. Et une foys entre les aultres, comme il en revenoit, me deist avoir rencontr? ung gentil homme, qui estoit assez familier de luy: lequel estoit accompaign? de mon amy, & me deist que le gentil homme s'estoit separ? de luy pour le venir saluer: mais ung petit apres mon amy n'avoit differ? de s'approcher, & commen?a a deviser avecques eulx. Quand il m'en eut faict le recit, j'en fuz fort esmerveillee, veu que sa coustume estoit d'estre ainsi timide. Je pensoys & ymaginois a quelle intention se pouoit estre, & me fut occasion de nouveau soucy: en sorte que la vehemente sollicitude, les interposees nuyctz, avecq les aspres douleurs a telles extremitez me conduyrent, que souspirs & larmes estoient ma viande & pasture. Apres plusieurs jours avoir ma vie est? si fastigieuse & penible, je consideray, que plus utile me seroit de mettre peine de recouvrer ma sant?: de laquelle estant ainsi destituee, je pouoye veoir mon amy: qui m'estoit chose plus griefve que tous les aultres accidentz. Ceste mienne consideration fut cause que je reprins les forces de mon esprit, parquoy en peu de jours ma face qui s'estoit changee en couleur ynde, palle & flestrie retourna en sa vive couleur, & fuz en mon premier estat reformee: mais mon ingrate fortune permist que celluy qui de coustume me recitoit les detractions de Guenelic, me vint visiter: lequel de mon mary & de moy fut gratieusement receu. Et apres plusieurs devises luy vint en propos de parler de Guenelic, & voyant que mon mary estoit present, en basse voix me deist. Ma dame, je suys moult fort esbahy de ce meschant detracteur: lequel ne sera jamais rassasi? de mal dire: je ne pense point qu'il y ait soubz le ciel si publique & vilaine femme, qui se trouvast digne de si grande vituperation & execration: car publicquement il se vante & glorifie d'avoir vostre pudicque honnestet? violee, dont je le tiens pour homme ygnorant & sans raison: parce qu'il s'efforce de maculer & denigrer la bonne renommee d'une telle dame. Et lors quand il eust ce dict, ma face fut de diverses couleurs revestue, & d'ennuy mon douloureux cueur transsy: comme a Oenone, estant sus les montaignes, voyant la Grecque dame estant avec son amy Paris venir dedans la nave Troyenne. Toutesfoys je me preparoye a faire quelque response quant a mon mary: lequel avoit bien apperceu la mutation de ma couleur, & me demanda, si je sentoye quelque mal: auquel je respondiz: Certes mon amy ouy, je crains merveilleusement de renchoir en mon mal accoustum?: & a l'heure je me levay de mon lieu pour solitairement en ma chambre me retirer: la face palle, l'oeil offusqu?, le hastif cheminer me faisoient comme une servante de Bacchus vaguer. Exclamation piteuse de Helisenne contre son amy. A la fin en ma chambre conduicte, commen?ay a plourer, & furieusement crier. O inicque & meschant jouvenceau: O ennemy de toute piti?: O miserable face simulee, parolle en fraude & dol composee, sentine de trahysons, sacrifice de Proserpine, holocauste de Cerberus, scaturie de iniquit?, qui incessamment pullule: regarde comme presentement ta pestifere langue dissipante de tous biens, consumatrice du monde, sans occasion se efforce de denigrer & adnichiler ma bonne renommee: bien seroit temps de fermer ta vergongneuse bouche, & refrener ton impudicque & vitieuse langue. O que je doibz bien mauldire le jour que jamais je te veis, l'heure, le poinct, & le moment que jamais en toy je prins plaisir. Certes, je croys fermement que quelque furie infernale me avoit a l'heure persuadee pour me priver de toute felicit?: car de tous les hommes du monde, je congnois avoir esleu le plus cruel, lequel je pensoye estre le plus loyal & fidel. O malheureuse, combien te eust il est? plus utile de observer le vivre pudicque, que d'ensuyvre les trebuschantz appetitz: la fin desquelz est tousjours infelice. O combien sont perilleuses tristes & inconsiderees voluptez, parquoy bien heureulx sont ceulx qui par prudence apprenent a les superer. Helas le commencement me sembloit si doulx: mais la fin m'est aigre & amere. O saincte deesse, qui par trop ardemment m'as enflammee: O cruel enfant qui le cueur me vulnera: Si navreure de voz dardz oncques je receupz par ceste peine, je vous supplie que de moy miserable prenez piti?. Desliez les laqz, estaignez l'ardeur, & me restituez en ma premiere libert?. En telles parolles me dejectant & tournant par mouvementz desordonnez & impetueulx: comme si je feusse tourmentee & passionnee par colere ou illiacque passion, en sorte que consumoye l'esperit, dissipoye le corps par telles insupportables molestations: & fuz plusieurs jours en telle peine & calamit?, mais apres que l'impetuosit? de l'yre commen?a a diminuer, je consideray & pensay diverses fantasies: & entre les aultres choses je me repentoye d'avoir si oultrageusement increp? mon amy, & ainsi commen?ay a dire en moy mesmes. O folle femme, qui te trouble sans avoir certaine occasion: Ne s?ay tu pas que la terre & l'air sont pleins de faulx relateurs & detracteurs? Quelle personne prudente vouldroit juger premier que proceder? Bien peult on doubter, mais non determiner, sans avoir aultre indice ou presumptions manifestes. Peult estre que jamais il ne pensa de prononcer telles detractions: & si ainsi estoit qu'il s'en peult justifier, tu auroys grandement failly: car de griefve castigation est digne celluy qui a tort se lamente. Apres que j'avoys dict telles parolles, retournoys en ma pensee plusieurs aultres fantasies: qui me faisoit proferer telles parolles toutes dissemblables aux aultres, & disoys ainsi. Ha si est il a presupposer que tu l'ayes dict, parce que si audacieusement ung jour tu vins parler a moy, qui me faict estimer qu'il n'y avoit point d'amour, mais seulement se delectoit a me cuyder decepvoir pour t'en vanter & glorifier, comme l'on dict que tu faitz, dont je m'esmerveille grandement. Qui te meult d'estre inventeur de telles mensonges? Ne pense tu si tes detractions viennent a la notice de mon mary, que tu mes en peril ma douloureuse vie: laquelle je te supplye que toy mesmes y vueilles imposer fin: car la mort me sembleroit doulce & felice, si de mon sang cordial tes mains estoient maculees & souillees. Mais si ainsi est que la facult? a toy imposee te soit attribuee a tort, je te prie que tu te vienne justifier pour me liberer de tant grandes anxietez, qui jusques a l'extremit? m'ont conduicte, pour conserver en vie ceste creature: de laquelle plus que moymesmes tu es seigneur & maistre. Et s'il te semble que ta longue servitude meritoit long temps a t'estre premye, & que par impatience tu te vueille d'amour sequestrer: considere que ce n'est premiation petite, pour peu souffrir estre l'amant, & faict capable de mille doulx regardz. Selon l'opinion d'aulcuns, Amours n'est aultre chose, qu'une contemplation de la chose aymee: de laquelle plus de delit se prend avec la pensee, qu'avecq l'effect corporel: mais de ce je n'en veulx determiner. Non pourtant, ou deffault l'effect, la veue feroit supplier: & avecq une esperance, L'amant doibt continuer de poursuyvre: & se bien deffailloient les forces de pouoir poursuyvre ce qui se veult, Jamais la volunt? ne se doibt estaindre: considerant que toute chose preclaire & haulte, est difficile: & si la Dame est tardive a guerdonner, l'amour sera plus parfaicte. Car le fruict au meurir plus difficile, tant plus est de soymesme conservatif, pour mieulx avoir l'humeur compassee: & toute chose a la creation facile, est beaucoup plus a la corruption subjecte: & trop plus se doibt estimer une bien consideree amyti?, que une extemporanee & subitement demonstree. Et pour ce doncques sachant ta partie estre a toy favorable, ne soys du nombre de ces pusillanimes qui la puissance D'amours laissent imparfaicte, destituee & desolee: car si toy estant espris de l'amoureuse flamme, te monstre timide & craintif, l'on ne pourra jamais esperer, que quelque foys tu soys magnanime. Quand j'avoys ainsi long temps parl?, comme s'il eust entendu mes parolles, je me sentoys aulcunement allegee, & ne me restoit aultre chose sinon que je pensoye parler a luy, pour affermer mon opinion de cela, de quoy j'estoys en doubte. O mes nobles dames, considerant l'extremit? ou je suis reduicte, pour ne vouloir ressembler aux miserables desquelz est le souverain reffuge veoir les aultres de semblables passions oppressez, mais au contraire, je me letifie a rediger par escript mon infortune: affin qu'il passe en manifeste exemple a toutes dames & damoyselles, en considerant que de noble & renommee dame, je suis devenue pediseque & subjecte. Car combien que celluy qui est possesseur de mon cueur ne soyt egal en moy en noblesse, ny en opulence de biens & richesses, il m'est sublime, & je suis basse & infime. Las qu'il est heureux qui par l'exemplaire d'aultruy evite cest amour sensuel, qui de coustume rend ses servans infelices & malheureux. Amour n'est aultre chose, qu'une oblivion de raison, qui a personne prudente convient, par ce qui trouble le conseil, & rompt les haulx & generaulx esperitz: il enerve toute la puissance: il faict la personne lamentable, ireuse, prodigue, temeraire, superbe, noysive, immemorable de Dieu, du monde, & de soymesmes. Et finablement les entretient en misere, destresse, langueur, & martyre, & inhumaine affliction: & le plus souvent les conduist a cruelle mort par ung damnable desespoir. Helas je n'en parle comme ygnorante, mais comme celle qui a le tout experiment?, si ne reste plus que la mort: mais ce nonobstant que je congnoysse toutes telles peines & tourmens, je ne m'en s?auroye desister, tant ma pensee: mon sens & liberal arbitre sont surpris, submis & asservis, parce que du principe me suis laissee aller: & facile est le vaincre, qui ne resiste. En telle calamit? & continuelle peine ma fortune laissay, sans avoir pis ne mieulx pour quelque temps, jusques a ce que par une de mes servantes je fuz trahye, parce que nul n'est tant cler voyant soit il, qui de traystre domesticque garder se puisse. Et le plus souvent en cueur de personne servile, aulcune chose integre ne se retrouve. Et a ceste perfide & inicque generation, ne se peult ne doybt commettre aulcun secret. Ceste servante dont je ne prenoye garde, & en sa presence ne differoye de jecter mes contumelies, souspirs, & former mes doloreuses complaintes pource qu'elle avoit est? presente a toutes mes infortunes & adversitez: mais la perverse & inicque conspira contre moy telle trahyson, que de toutes mes gestes & contenances & mesmes des parolles qu'elle avoit bien notees & retenues, elle fut a mon mary annunciatrice, & peult estre de quelque avarice prevenue attendant en prouffiter: & pour donner plus evidente preuve de ma vie luy dist que par mes escriptures en pourroit estre certior?: Ouyes par mon mary telles ennuyeuses parolles, il n'arresta, mais dolent comme fut le filz de Laomedon quand il sentit l'enfantement du simul? cheval, lequel a sa vie & a la terre donnerent extermination, & a l'heure, ire & desdaing si fort le commeut, qu'il ne se peut contenir que promptement n'experimentast si de l'accusation j'estoye coulpable: & pour en avoir manifeste science, sachant que a l'heure j'estoye seule en ma chambre sans doubte ne suspition, par grand ire meslee d'impetuosit?, il s'en vint & s'esvertua de toutes ses forces de donner si grand coup du pied contre l'huys, qu'il le rompit, & lors je fuz fort espouentee: & la tremeur & crainte non aultrement mon cueur esmeurent, que faict zephire, quand dedans l'onde aspire: qui le commeult, & les arides & silvestres herbes. Je veiz mon mary espris de courroux, ayant les yeulx estincellans par furieuse chaleur. Malheur & infelice influxion du ciel permist que pour sa venue subite je fuz grandement perturbee: que je n'euz la consideration de cacher mes escriptures par lesquelles estoyent exhibees & bien amplement declairees toutes les fortunes benevoles & malevoles qui m'estoyent advenues depuis que Cupido avoit sur moy domination & seigneurie: & cela fut cause de ma totale ruyne: car apres qu'il les eut leues, & le tout distinctement entendu: en face indignee se retourna vers moy, & me dist. O meschante & detestable, a ceste heure suis bien inform? par les escriptures de ta main escriptes, de ton effrenee lascivet?. O miserable je te voy submergee et noyee en ceste damnable volupt?, tu es de luxure si prevenue, que tu ne desire que l'execution libidineuse: qui seroit cause a toy & a moy de perpetuelle infamie: mais affin d'eviter que par toy ne soyt commise chose si scandaleuse, je suis deliber? de te priver de vie: & en ce je penseray meriter: car ce sera ung vray sacrifice a Dieu & au monde pour purger la terre d'une creature si abominable, toute vermoulue d'iniquit?: & en ce disant, tenant son espee en sa main, venant vers moy, avec ferme propos de executer son vouloir, quand par ses serviteurs domesticques a force fut retenu, lesquelz estoyent survenus sans ce qu'il s'en donnast garde, parce qu'il estoit oultrageusement troubl?: & a l'heure par mes servantes je fuz portee en ma chambre contre mon vouloir, car je ne desiroye que la mort, parquoy je commen?ay a dire. O meschantes servantes, femmes de servile condition, qui vous a faict si audacieuses de prendre ainsi violentement vostre dame? Long temps y a que par singuliere affection je ne desire que la mort: laquelle vous m'avez deniee. Helas j'eusse est? delivree de ceste peine inhumaine, & insupportable tribulation, qui incessamment me tourmente. En pronon?ant telles parolles je crioye & ploroye, & me frappant de mes poingz comme si je combatoye par guerre violente, puis en telle fureur recommen?ay a dire, O paoure Dame infelice & malheureuse, quelle chose contre si grand malheur te pourroit prester secours, quel art magicque de Zoroaste & Beroze, quel mystere D'orpheus, quel Aristotelicque engin, quel Pithagoricque secret: quelle Socraticque sanctimonie, quelle Platonicque majest?, en telle desolation se pourroyt consoler? O infelice estoylle de ma nayssance. Je croy qu'en ma journee natale tous les dieux contre moy conspirerent: car toutes les peines qui sont particulierement & divisement es miserables, sont en moy. O mon corps tant delicat & dely, comment peulx tu souffrir tant de maulx inhumains? Acteon fut de ses familiers lacer?. Thiaceus fut des chiens devor?. Portia fyna sa vie par avaller des charbons ardens. Pernisse se precipita & jecta en bas de la haulte tour de Crete. Les Sagontes ou Abidiens craignans Hannibal de Carthaige, & Philippe Roy de Macedoine, bruslerent & ardirent leurs biens & maisons & eulx mesmes, mais eulx tous ensemblement n'ont eu tant de peine que toy, car leur mort a est? subite, & moy miserable de continuelle cruault? je suis angustiee. O que j'eusse est? heureuse si le laict maternel m'eust est? venin. Ou que du berceau m'eust est? faict sepulture, ou Lachesis & ses seurs deesses fatales: pourquoy conservez vous tant le fil de ma miserable vie? O charon, pourquoy se deporte ta barque de me lever de ceste rive pour me porter en la tienne, qui me seroit plus doulce habitation, car je n'estime que au lieu tresformidable ou reside Minos, & Rhadamanthus, il y ait peine si griefve que la mienne: car de ma vie suis ignorante, & de mon travail trescertaine. Quand j'euz tant parl? & cri?, que j'estoys tant lassee que je ne pouoye plus parler, je demeuray comme demye morte. Mes damoyselles estoyent entour moy, car on ne m'eust os? laisser seule, craignant que de mes mains je me fusse occise. Je consumay ce jour & la nuict sans plus proferer aulcunes parolles. Mais quand l'aurigateur du celeste char ses chevaulx baygnez en l'ocean commen?oit a haulcer, je fuz mandee pour aller parler a mon mary: lequel avoit mitigu? sa grand fureur en concluant de me faire absenter: & quand je fuz en sa presence, il me dist. Puis que je voy & congnoys que vous estes inveteree en voz iniquitez, c'est chose tresurgente que je y remedie par vous faire absenter: car il seroit impossible qu'on se peust garder de ceste vulpine subtilit? feminine. Je voy que vous estes a ceste heure disposee a aymer, & je suis certain que de plusieurs estes requise: parquoy considerant que difficile est la chose a garder qui de plusieurs est desiree, il vous fault obtemperer a ma voulent?: car peult estre que quelque jour par voz gestes & contenances tant lascives, je seroye contrainct de prendre la vengeance de vous, sans ce qu'il fust en ma facult? de s?avoir refrener ma fureur: & pour ce, regardez de vous preparer, & je m'en vois donner ordre a vostre partement: & en ce disant il se partit, & me laissa. Pour les parolles ouyes, je fuz remplie de plus grande fureur qu'encores n'avoye est?, car si le travail de la journee precedente fut grief, encores fut cestuy plus excessif, et par raige furieuse commen?ay a dire. O paoure Helisenne, miserable plus que nulle vivante, voyant le comble de telz malheurs: A juste cause doybs tu mauldire l'heure detestable que tu nasquis: prodigieuse fut l'incarnation, tresmalheureuse la nativit?, horrible la vie, & execrable sera la fin. O Lyons orgueilleux, O cruelz tigres, O loups ravissans, O bestes feroces & tous cruelz animaux, lacerez & devorez ce triste corps, au ciel, a la terre, au corps superieurs. O vagues esperitz, O ames interposees, conspirez ma mort, imposez fin a ma miserable vie. O Alecto, Thesiphone & Megera filles D'acheron, l'horrible fleuve, a tous voz cheveulx colubrins presentez vous a moy, apres que le vilain Charon m'aura pass? oultre le fleuve appell? stix: & me transmigrez pour perpetuelle habitation en la profondit? des abismes appellees chaos, qui est l'eternelle confusion: car je me repute indigne a l'occasion de mes tant multipliees faultes, & exhorbitans pechez: que Mercure recepteur & conducteur des ames, messager des dieux, me conduyse aux champs Helisiens, ou est le sejour des bienheureulx: ou il ne croist fruictz que ambrosieux, & si retrouvent toutes liqueurs nectarees. Ainsi que j'estoys tant travaillee que ne pouois plus, voyant qu'impossible m'estoit de parvenir a mon cruel desir de la mort, parce que j'avois tousjours seure garde, dont pour ceste cause en regardant mes belles mains blanches & deliees, par furieuse rage je commen?ay a dire: O mains inicques qui m'avez aornee, & m'avez servy selon mon curieux desir pour complaire a celluy que j'ayme si ardemment: pour lequel suis reduicte jusques a l'extremit?, vous avez est? cause en partie de mon mal: a quoy vous imposerez fin en transperceant ce cueur variable, qui s'est laisse surprendre, & vaincre d'amour: mais la facult? vous en est ostee, parce que tous serremens vous sont ostez, & pour ce fault que j'attende que j'aye laqz ou cordes mortelles, herbes ou cousteaulx, & a l'heure ferez vostre piteux office, & userez de crudelit? en mon corps, & du sang qui en grande effusion en sortira serez maculee & souillee: toutesfoys n'a pas long temps que je ne vous pensoye nee pour si villes choses exercer: mais Fortune cruelle ennemye de felicit?, & subtile inventrice de toutes miseres par son instable nature m'a a tel desespoir conduicte. O Fortune plus inhumaine que l'hydre, plus violente que loustre, plus acerbe qu'aspicz, plus incertaine que l'onde, A ceste heure congnois telz dolz & telles frauldes, puis que a nul aultre tu n'es si adverse & rigoureuse: car mes maulx & inconveniens se sont intersuyviz en telle sorte & maniere, que les premiers ont est? messagers des subsequens, denoncians & declarans aultres maulx & tourmens infiniz: qui incessamment m'ont angustiee & lassee: & pour l'extreme & trescruel travail que cruellement j'ay souffert & seuffre continuellement sans avoir aulcune relasche, je suis si debile & faillie, qu'il n'est possible de plus. Et en disant & proferant ces parolles, la voix du tout me deffaillit, ensemble le cueur, & demeuray pasmee pour l'angoisseuse peine & douleur que je sentoys, & fuz longue espace en telles sincopies. Puis apres les forces restituees, a mes yeulx retourna la lumiere perdue, & veis mes damoyselles plorantes & larmoyantes entour moy: Lesquelles avecq aulcuns arrousementz a ce convenables, avoient pourveu en mon miserable accident. Depart de Helisenne du lieu ou elle aymoit. Peu de temps apres mon mary feist retour au logis: lequel avoit donn? ordre a ses affaires, affin que je peusse partir le lendemain, dont je fuz incontinent advertie, & voyant qu'il persistoit en telle deliberation en grande anxiet? & douleur je continuay mes pleurs, accompaignez de dolentz souspirs, & pour le travail que je souffroye ne pouoye parler ne rendre voix: mais seulement avec la veue aux assistentz signifioye l'extreme douleur que mon triste cueur sentoit. En telles destresse & amaritude, passay le jour & la nuyct. Le portier de Phebus de sa venue indice faisoit, quand par mes damoyselles je fuz advertie & solicitee: affin de me preparer a la douloureuse departie, a quoy je ne vouloye aulcunement entendre: mais voyant que mon mary me perfor?oit de ce faire, Apres plusieurs regretz, en grande & labourieuse peine commen?ay a m'appareiller: & n'estois moins dolente que ceulx qui au dernier supplice sont condemnez. Toutesfoys pour ne pouoir plus differer, accompaignie de desespoir, me vins presenter devant mon mary: lequel je trouvay prest, parquoy sans dilation nous partasmes: & quand je fuz aux champs, je commen?ay a regarder le lieu dont j'estoye partie, & alors toute fondue en larmes avecq aulcuns souspirs en basse voix commen?ay a dire. Regretz de Helisenne pour estre transportee en lieu a soy non aggreable. O Noble cit? si je me contriste de t'eslongner ce n'est grand merveille: car en toy je laisse mon cueur, mon ame, ma vie, mon esprit & entiere puissance: & en ce disant levay mes yeulx au ciel haultain, & deiz, O cielz stelliferes: O souverain recteur des olimpicques manoirs: si ton irrevocable deliberation a est? pour sociale compaignie de l'espece humaine me produyre en cestuy hemisphere: Pourquoy ne me alienas tu du grand pouoir de ce fier Cupido. La puissance duquel cruellement se sent, & point ne se voit. O que bien heureux sont ceulx, qui de la flambe D'amours sont sequestrez: mais infelice est, qui sans refrigere & repos tousjours peine, ard & se consume: comme moy paoure & miserable, qui de sanglotz & gemissementz incessamment me repaitz, & suis si agitee & persecutee de cest embrasement, que non seulement les veines: mais les joinctures, nerfz, & os si cruellement sont tourmentez, que ma dolente ame lassee d'estre en ce triste corps ne desire que la separation: sachant qu'elle ne s?auroit souffrir peine plus griefve qu'elle sent d'une telle departie: car jamais Porcia pour Brutus, ne Cornelia pour Pompee, ne Laodomye pour Prothesilaus, ne la magnanime royne Carthagienne pour Aeneas, toutes ensemble tant de dueil ne souffrirent que moy paoure defortunee je sentz. En continuant telle douloureuse complaincte, j'eslongnoys le lieu ou estoit mon desir, & ignoroys celluy ou mon mary me vouloit conduyre: mais par sa diligence en peu de jours y parvins. Parvenuz au lieu qui pour perpetuelle habitation m'estoit deput?, je veis que c'estoit le lieu qui aultresfoys m'avoit est? plus plaisant & delectable: parce que c'est ung petit chasteau situ? & assis en ung fort beau lieu, & a tout a l'entour & circuyt dudict chasteau de petites tournelles, dont entre les aultres y en a une qui est assez grande & spacieuse, & est nomm? ledict chasteau Cabasus, qui porte le nom principal du pays et terre de Cabaze. Ceulx qui ont frequent? ledict pays, en peuent bien avoir ouy parler. Incontinent que je fuz arrivee, dedans la plus grosse tour je fuz mise & enfermee, accompaignee seulement de deux damoyselles: dont l'une estoit fort anticque: laquelle avoit est? mandee par mon mary, parce qu'elle m'avoit servy du commencement que je fuz mariee, & en son service l'avoye trouvee moult fidelle, & a ceste cause elle fut persuadee de me tenir compaignie, en luy promettant de la remunerer suffisamment. Helisenne fut enclose en une tour & eut en sa compaignie seullement deux damoyselles. Depuis que je fuz enclose en ceste tour, qui me sembloit triste & caligineuse habitation, combien que aultresfoys m'eust est? plaisant & delectable, Je continuay mes plainctes & exclamations entremeslees de plusieurs sanglotz, & aulcunesfoys sans considerer la presence de mes damoyselles par angoysseuse raige & extreme douleur, me vouloys escrier mes regrectz & souspirs, & m'agressoye en telle sorte que ma doulce voix ne pouoyt avoir yssue de mon dolent estomach: mais quand je pouoye parler, je recitoye toutes mes amours depuis le commencement jusques a la fin, & toutes les parolles que nous avions eu ensemble. Ce voyant l'ancienne damoyselle, laquelle estoit tresconstante & moderee, avoit manifeste demonstrance par signes evidentz, de l'anxiet? & douleur, dont j'estoye oppressee, elle estoit commeue de compassion, & pour cuyder mitiguer la passion qu'elle comprenoit estre si puissante me disoit telles parolles. Les advertissemens de l'ancienne damoyselle reconfortant Helisenne. Ma dame, par ce que je puis comprendre par voz gestes & parolles, lesquelles j'ay bien notees & distinctement considerees, vous estes oultrageusement angustiee & travaillee, a l'occasion que Amours a vulner? vostre cueur tant tendre & delicieux. Je suis certaine qu'il est bien difficile de resister a la fureur du filz de Venus, si se n'est du commencement: car qui par longue espace nourrist Amour lascif en son cueur, a bien grand peine le peult on expulser, ne refuser les delectables jeux, a quoy voluntairement on se submect: mais comme j'ay entendu par voz parolles, Amours n'a encores riens entreprins sur vostre honneur. Vous debvez entendre qu'il y a cinq poinctz ou cinq degrez especiaulx en Amours, C'est assavoir le regard: le baiser, le parler, l'atouchement & le dernier est le plus desir?, auquel tous les aultres tendent. Pour finalle resolution, c'est celluy qui par honnestet? est appelle le don de mercy, J'entendz bien qu'il n'a tenu a vous, que ne soyez parvenue a ce dernier, mais la continuelle presence de monsieur vostre mary vous a empeschee, en sorte que n'avez eu seulement que le regard & le parler, encores s'estoit en merveilleuse timeur & crainte, Parquoy vous estes agitee de regrectz indicibles, a cause que n'esperez jamais parvenir a voz ferventz & ardentz desirs: parquoy vous consumez le temps en pleurs & gemissementz, vous increpez vostre constellation, detestez fortune, & cerchez la mort, laquelle l'on ne peult souffrir qu'une foys, & soubz l'imagination de ce que pensez qu'elle est fin de tous maulx tresaffectueusement la desirez. Et parce que la fureur domine la raison, ne considerez que telle violente mort est commencement d'horrible & insupportable peine, qui perpetuellement dure, & voz passions amoureuses se peuent terminer & prendre fin, & pour ce si seulement considerez ce qui sera perpetuel d'avecq le temporel, vous feriez aultre jugement, & metteriez peine d'extirper de vostre cueur le venimeux Amour qui si long temps y a faict residence, lequel vous a obtenebr? les yeulx, en sorte que vous estes eslongnee de la vraye lumiere de raison: a laquelle il seroit bien temps de retourner, pour vous liberer des douloureuses anxietez, qui sont accumulees en vostre triste cueur. Vous me pourriez respondre, qu'il est bien ais? a dire, & mal ais? a le mettre en effect, & que l'amour est si fort inseree & vive en vostre cueur, que pour nulle espece de tourmentz ne le s?auriez distraire: mais au moins s'il vous est impossible de vous en desister, souffrez plus temperement, & ne continuez telles lachrimes & pleurs: car combien que nature pour piti? nous ait conced? les larmes, ce n'est pourtant pour en icelles nous consumer: & pour ce delaissez ces larmes non prouffitables, qui d'aultre chose ne servent que d'effacer la couleur de vostre plaisante face, & ne remplissez le ciel & la terre de clameurs vaines, & ne derompez vostre blanche poictrine d'enormes coups: mais reservez vostre vie a meilleur usage, & vivez en esperance, pensant que non plus que l'on ne peult avoir certitude d'aulcune chose mondaine advenir, Aussi ne se doibt on desesperer de perdre esperance d'ung bien advenir. Car en ce mortel monde nous survient diverses fortunes bonnes & adverses. Confortez vous doncques par bon advis, esperant que quelque foys dame fortune vous sera favorable: & s'il vous est force d'obeyr a Amours, duquel la puissance vous semble invincible, plus facilement parviendrez a vostre affectueux desir, en endurant patiemment qu'en usant de telles inconsultees & inconsiderees importunitez: & pour ce vous est chose tresurgente de temperer la ferocit?, considerant qu'il vault mieulx ployer que rompre, & fleschir par obeyssance, qu'estre desracinee par obstination. Se vous vous monstrez vertueuse, il est assez croyable & concessible, que monsieur vostre mary prendra piti? de vous: parquoy ne serez long temps detenue en ceste tour: & se vous estes libere de telle calamit?, ce ne sera chose impossible d'accomplir vostre desir: car en amours se trouvent plusieurs actes secretz & tours ingenieulx, qui les Amantz conduysent a leur fin desiree. Et encores que ne feussiez delivree, si ne vous debvriez vous tant contrister que de vous vouloir priver de vie: mais par le plus subtil moyen que l'on s?auroit penser & excogiter, vous seroit necessaire de certiorer vostre amy de vostre malheureuse infortune: Lequel voyant que pour perseverer en son amour soustenez vie douloureuse, triste & angoysseuse. S'il a aupres de luy quelque estincelle de l'amoureuse flamme retenue, il ne pardonnera a aulcun peril pour vous delivrer: mais avecq mille tourmentz & insidiations, encores luy contrariant le ciel, poursuyvra sa haulte entreprinse, comme estant certain de parvenir a la fruition du desir? plaisir par luy pretendu. Peult estre qu'il vous semble difficile, parce que comprenez ceste tour forte & inaccessible: mais croyez que combien que la chose soit fatigieuse, si est il possible d'accomplir ce qui se veult, & que ainsi soit les hystoires nous en font manifestes demonstrances. N'avez vous veu de Juppiter, lequel par subtile invention trouva moyen d'avoir jouyssance de s'amye la belle Danes, combien qu'elle fut enfermee en une tour merveilleusement forte. Aussi debvez avoir recordation de Leander, lequel ne craignoit exposer son corps en dangereux peril de la mer, pour parvenir au celeste plaisir de recueillir l'amoureux fruict du jeu D'amour, & pour ce congnoissant qu'amour par le moyen de sa grande puissance a extirp? toute timeur & crainte juvenile du cueur des dessus nommez, Vous vous debvez persuader de croire que vostre amy ne sera pusillanime non plus que les aultres noz predecesseurs: car je n'estime que l'espece humaine en son principe soit si divisee, que ce qui est concede a ung, a ung aultre ne se puisse accommoder, & pourtant je ne voys occasion parquoy vous deussiez succumber en tel desespoir que vous demonstrez estre par voz gestes & parolles. La deliberation de Helisenne apres avoir entendu les remonstrances de l'ancienne damoyselle. Apres que j'eu bien escout? telles ou semblables remonstrances, desquelles je prins aulcun confort, Ma pensee fut trop plus agitee que jamais ne fut nef, voille ou timon de nocher, entre les procelleurs & horribles ventz habandonnez. En pensant & meditant par quelle sorte & maniere, je pourroye certiorer mon amy de ma doloreuse infortune: mais apres plusieurs & diverses ymaginations je ne trouvay moyen plus convenable, que de reduire en ma memoire la piteuse complainte, que paravant j'avoye de ma main escripte: laquelle mon mary avoit bruslee par l'impetuosit? de son yre, & me sembla si elle pouoyt estre consignee entre les mains de mon amy, que cela pourroit estre cause de mettre fin a mes peines, & donner principe au vivre joyeulx. Moy estant en telle deliberation, subitement je donnay commencement a l'oeuvre praesente, estimant que ce me sera tresheureux labeur: & si ceste felicit? m'est concedee qu'elle tumbe entre les mains de mon amy: je luy prie qu'il ne me vueille frustrer de mon esperee & attendue suavit?, & luy supplie qu'il vueille considerer que de toutes choses qui sont soubz le ciel il est copiosit?, voire abondance grande, sinon de loyaulx amys. Et pource qu'il luy seroit impossible de recouvrer amy ou amye qu'il aymast aussi fidelement que moy, il me semble qu'il seroyt bien cruel, si de mon malheur par luy advenu, il ne prenoit piti? & commiseration, sachant mon ame estre en continuelle servitude, ma pensee liee, le corps vaincu, les membres debiles: lesquelz nul sinon luy secourir ne me peult, las toutesfoys que je suis plus tourmentee entre toutes aultres parolles qu'il me dist jamais, souvent je rememoyre aulcuns motz, qu'une foys briefvement me pronon?a, qui furent telz: Ma Dame, selon ma conception, & par ce que je puis juger par le changement de la couleur de vostre face: vous estes destituee de vostre sant?: mais si vous me vouliez croyre, en brief temps vous seroit restituee: car je ne sache medecin ne Phisicien qui eussent medecines plus aptes a vous guerir que moy. Ces parolles me dist il en soubzriant doulcement: dont il me souviendra toute ma vie: car combien qu'elles fussent proferees par maniere de recreation: si estoyent elles veritables: car c'est celluy qui au meillieu de la grand mer Occeane me seroyt pays ferme: dedans les perilz, indubitable asseurance, dedans le feu tressuave refrigeration: en la paouret? extreme, richesse: & en maladie profonde, sant?: car si je l'avoye, ce me seroit eternel contentement pour ne s?avoir oultre luy aulcune chose desirer. Et si ceste beatitude m'estoit concedee: alors en consolee lyesse luy racompteroye toutes mes peines & travaulx: & ce qui m'a est? triste & ennuyeulx a souffrir, a luy reciter me seroit felice. Las si j'avois l'ingenieux art de Dedalus, ou les enchantemens de Medee, en grand promptitude avec aelles legieres seroye transmigree ou lieu ou je le penseroye trouver. Mais quand je considere qu'il est impossible que jamais je le voye, ne luy moy, s'il ne s'esvertue par ung magnanime courage de me jecter de ceste captivit?, & pour ultime recours, j'exore & prie le seigneur Cupido, qu'avecq toutes ses forces vueille esmouvoir son cueur pour ne souffrir le nombre de ses adorans diminuer: & soubz ceste esperance de l'exaudition de ma priere, je imposeray fin a ma doloreuse complainte, vous priant mes dames que vueillez considerer quel est ou peult estre mon mal, moy estant prisonniere en la fleur de ma jeunesse. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2024 All Rights reserved.