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Munafa ebook

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Read Ebook: Maïténa by Nabonne Bernard

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Ebook has 1142 lines and 37026 words, and 23 pages

Cette p?riode rendait sans valeur toute sa vie ant?rieure, et voil? la cons?quence habituelle du bonheur. Ensuite, le temps s'?coula avec une rapidit? qui passait son imagination. Elle restait stup?faite de ce que lui apprenait le vieux--qu'il y e?t dix ans.--Dix ans qu'un maquignon du village avait ramen? sur sa carriole le corps sale et exsangue de son mari.

L'avant-veille, Virgile Pr?bosc ?tait all? ? la foire d'Arudy pour remplacer ses boeufs de travail. Ses voisins l'avaient vu en acqu?rir une belle paire, et prendre avec elle la route du retour. Mais les b?tes firent leur entr?e dans le village sans leur nouveau ma?tre. Il ne reparaissait pas.

Tant de choses peuvent arriver ? un homme dont la ferme est prosp?re, dont la femme est enceinte, et qui vient d'acheter du b?tail! Tant de d?sirs combl?s produisent l'hypertrophie du d?sir. On ressent le besoin de faire partager son bonheur par des aubergistes frais et ventripotents, et par les femmes qu'on rencontre sur la route au bord des foss?s, les yeux attentifs, les bras accueillants, comme au bord d'un lit.

Les paysans, ? la mani?re des grands philosophes, acqui?rent de la psychologie en observant les animaux. Ils savent que les m?les les plus sages et les mieux dress?s ont leurs moments de fr?n?sie. Ma?t?na commen?a par pardonner. Elle expliqua comme elle put l'absence de son mari aux voisins curieux. Puis, elle se mit ? explorer elle-m?me la route et les auberges en s'enqu?rant discr?tement.

Le maquignon, du haut de sa charrette, avait aper?u Virgile, les pieds en l'air, au fond d'un foss?. Son cr?ne ?tait d?fonc?. Il n'y avait plus qu'? le conduire au cimeti?re.

Les gens plaignirent la veuve. Mais on ne songea pas ? retirer les pierres du foss? sur lesquelles le jeune homme devait s'?tre fracass? la t?te. Un mort n'est plus qu'un r?ve, un sujet de causerie dans les veill?es. Par ?gard pour la veuve, on ne fit pas d'enqu?te sur les causes de l'accident qui pouvaient ?tre d?plaisantes. N'avait-il pas trop bu?

La guerre arriva, passa. La disparition de Virgile n'?tait pas plus extraordinaire que le commencement et la fin des hostilit?s europ?ennes. On inscrivit son nom par m?garde sur le monument aux morts du village. Une glorieuse tranch?e se creusa devant son souvenir.

Et il fallait l'acuit? d'esprit d'Ourtic et la fid?lit? de Ma?t?na pour se rappeler encore.

Pr?s de son feu, la jeune femme paraissait accabl?e par la tranch?e, par les cinq ou six mois, par les dix ans, et par la carriole du maquignon. Cette faiblesse g?nait Ourtic. Et l'effort qu'il fit pour la tirer de sa prostration donna une raison d'?tre ? l'effort qu'il fit pour dire ce qu'il voulait dire.

Il m?chonna un pr?ambule qui ?tait plut?t une sorte de transition entre le silence et la parole.

--Ma fille et le Pascal ont port? leurs meubles aux Riaulets, ce matin. Ils y prennent la m?tairie vide. L'homme et la femme ?taient d'accord pour s'en aller.

Il ne savait pas s'il ?levait le ton parce que Ma?t?na levait la t?te ou si c'?tait l'inverse.

--Je ne sais pas pourquoi ils font ?a, car j'avais besoin d'eux! Je ne sais pas ce que je vais faire, maintenant! Et ils ont eu tort. Ambrosine ?tait bien un peu bavarde, mais son mari n'avait pas de d?fauts. Il est le meilleur ouvrier du pays, et le plus honn?te homme. Je dis bien: il a eu tort de me quitter, car je suis celui qui l'appr?cie le mieux.

Les paupi?res de Ma? ?taient ? pr?sent bien ouvertes. Il fallait qu'elles ne se refermassent que sur une bonne parole. Celle-ci tomba, m?l?e ? une voix cass?e et ? une phrase prudente.

--Le Pascal est un brave homme, bien charmant. Mais quel dommage que ce soit justement lui qui ait tu? ton mari!

C'est une fleur qui sort des mains de la nature.

REGNARD

Ourtic ne croyait pas qu'? cette heure-ci de la nuit il f?t indispensable que les souvenirs serrassent de tr?s pr?s l'histoire authentique.

Ourtic vieillissait. Voil? pas mal de temps qu'il se demandait si r?ellement le Pascal avait tu? le Virgile. Ce doute l'inqui?tait pour sa sant? morale. Il n'admettait pas qu'il n'e?t l'esprit robuste jusqu'? la fin de sa vie. Il venait de faire la seule exp?rience qui lui f?t permise. Il faisait contr?ler son cerveau. L'imagination et la m?moire d?pendent, ? peu pr?s au m?me titre, de l'intelligence; et Ourtic ?tait trop subtil pour ne pas traiter de haut les distinctions subtiles.

Apr?s avoir parl?, il se sentait tout ragaillardi. Il s'?merveillait de son ?quilibre car sa conscience ne vacillait point. Elle ?tait bien accroch?e quelque part dans l'espace, au-dessus de lui; et, tant qu'elle ne tombait pas sur ses ?paules, comme pour l'?craser, elle se d?montrait une bonne conscience.

Il pouvait juger de la qualit? de ce qu'il venait de dire par l'effet qu'il produisait. Il ?tait compl?tement satisfait sur ce point. Ma?t?na, effroyablement saisie, le croyait de fa?on ?vidente. Elle le regardait avec cette frayeur que le vieillard avait toujours consid?r?e comme de l'admiration exacerb?e. Toute la jeune personnalit? de Ma? ?tait suspendue ? ses vieilles l?vres. Il vivait une minute divine.

Il avait bien ? se venger de Pascal qui, abandonnant sa ferme ? l'entr?e du printemps alors que les travaux commen?aient, lui faisait une injure cruelle ? la face du pays et un tort consid?rable. Mais la vengeance est un soin tout ? fait mesquin lorsqu'elle n'est pas soutenue par un souci d'ordre sentimental.

Ourtic ne se serait pas content? d'une cause vulgaire ? sa r?v?lation, qui avait d?j?, par surcro?t, une cause c?r?brale.

Il d?sirait jouer un r?le dans l'existence de Ma?.

Il avait une ?me d?licate qui recherchait les sentiments de choix. Il ne pouvait aimer ses deux filles: l'une s'amusait ? Paris; l'autre ?tait lourde d'esprit. Il appr?ciait son gendre, mais voil? que celui-ci le quittait. Enfin, il en voulait ? son entourage et en g?n?ral ? tous ceux du d?partement de perdre le vieil esprit b?arnais. Il en voulait aux jeunes gens d'?tre all?s ? la guerre, d'avoir abandonn? le pays et les cultures pendant si longtemps. Quand on quitte le B?arn, c'est pour y revenir riche.

Aussi, s'?tait-il d?cid? ? s'attacher fortement ? sa voisine. Elle ne le choquait en aucune chose. Elle parlait peu; elle n'avait pas d'amant; et rien ne l'emp?chait de croire qu'elle e?t de l'affection pour lui.

Si elle ne t?moignait pas de beaucoup d'esprit, il lui ?tait reconnaissant de ce qu'il en t?moign?t par sa tendresse pour elle. Il avait choisi Ma?t?na parce qu'elle ?tait basque et qu'il est extraordinaire de trouver une basque en B?arn.

Son affection ?tait, d'ailleurs, tr?s pure.

Cependant, quatre immenses jambons vinrent se placer dans son champ visuel. Ses paupi?res durent remonter enti?rement pour les englober tous les quatre ? la fois. Ce mouvement des paupi?res lui fit mal, car, depuis vingt-cinq ans, il n'avait d? les ouvrir aussi compl?tement, depuis le jour o? sa femme avait mis au monde deux filles jumelles. Mais il ne s'aper?ut pas de sa l?g?re souffrance. Les jambons ?taient ?normes.

Ensach?s de toile blanche, ils ?taient bien plus ?blouissants que le soleil; ils ?voquaient une constellation qui e?t ?t? tout enti?re suspendue au plafond de la cuisine. Jamais Ourtic n'en avait vu d'aussi gros. Ils ne lui donnaient pas une id?e de nourriture mais d'opulence. Et le cochon dont ils avaient ?t? distraits se reconstituait dans son esprit, pi?ce par pi?ce, avec le luxe de sa croupe et la richesse de sa hure.

Vraiment, la femme capable de produire un pareil chef-d'oeuvre valait toutes les imp?ratrices, toutes les avocates et toutes les femmes galantes de la terre. Et Ourtic avait envie de se mettre ? genoux devant elle, comme on se mettait autrefois ? genoux devant le taureau qui ?tait dieu parce qu'il cr?ait de la viande.

L'enthousiasme d'Ourtic ?tait invisible. Il avait l'habitude de ne pas montrer ses sentiments profonds. Il gardait ainsi sa sensibilit? intacte. Les impressions qu'on pr?sente ? tout venant se fanent vite. L'admiration pour les jambons n'occupait pas enti?rement son esprit. Elle ?tait combattue par son admiration pour la fourn?e de la semaine, en pains de cinq kilos, ronds, chapeaut?s et bien assis sur leur planche. L'un d'eux, en coupe, laissait voir son ?me, une mie mousseuse et vaporeuse. Et puis, il y avait aussi des urnes, lisses comme les flancs de leur ma?tresse, qui celaient dans leur coeur des provisions d?licates: du confit d'oie et des foies gras entiers sertis de graisse.

Tout cela avait d'autant plus de valeur pour le vieillard qu'il perdait aujourd'hui sa m?nag?re. Aussi, oubliant sa r?v?lation de tout ? l'heure, il demanda respectueusement:

--Ne conna?trais-tu pas une femme dans ton genre qui voudrait se louer, Ma?t?na?

Elle le regarda avec surprise.

--Mais, moi, je ne savais pas, cria-t-elle, que le Virgile avait ?t? tu? par le Pascal! Il faut que vous m'expliquiez. Je le veux! Et pourquoi ?tes-vous rest? si longtemps?

--Les jeunesses sont impatientes, dit Ourtic avec philosophie. Pour raconter une chose de cette importance il faut r?fl?chir car on pourrait se tromper et prononcer un mot plus haut que l'autre! Et puis il fallait que je sache si le Pascal, si toi, et si moi, nous m?ritions que je parle. Il fallait que nous le m?ritions en m?me temps. Ce soir, il y a une ?clipse de lune.

--H?! parlez!

Ourtic n'?tait pas ?tonn? que la cr?atrice de tout ce qu'il voyait autour de soi lui intim?t des ordres en son nom personnel et au nom de ses provisions. La nourriture ambiante lui donnait de l'estomac pour raconter ou ses souvenirs ou son r?ve. D'ailleurs, depuis longtemps il avait r?fl?chi aux moindres d?tails de ce qu'il devait dire. Il le d?bita religieusement tandis qu'il r?tissait ? la flamme ses mains v?n?rables.

--On ne pouvait pas se tuer en tombant dans le foss? o? l'on a trouv? ton mari. Je puis te l'affirmer, moi, puisque j'?tais tomb? au m?me endroit, un instant avant, sans me faire le moindre mal.

Il faut te dire qu'il y a dix ans j'?tais encore un homme solide. Je ne ressemblais pas aux mauviettes qu'on vous b?tit aujourd'hui et dont les femmes sont oblig?es de se satisfaire. J'ai conserv? jusqu'? plus de soixante ans toutes mes facult?s. J'entends par l? qu'?puiser une belle fille ou un pichet de trois litres ne me faisait pas peur, ? quelle heure que ce f?t.

J'?tais parti pour la foire d'Arudy en m?me temps que le pauvre Virgile. Mais, il n'avait malheureusement pas de d?fauts. Il ?tait arriv? avant que je ne fusse ? moiti? chemin. Tu le sais, les auberges ombragent toute cette route, et, devant chaque auberge, par un hasard extraordinaire, se trouvait un de mes amis ? qui je ne pouvais refuser une politesse.

Aussi, vers cinq heures, je couchais au fond de ce foss? qu'on a tant calomni?, et o?, ma foi, on n'?tait pas si mal que ?a.

Je dormais pendant que les voitures de retour d'Arudy m?chaient les graviers de la route. Et puis le silence arriva, et ?a ne me r?veilla pas non plus. Quand il me chut quelque chose de tr?s lourd sur le corps.

Tu ne vas peut-?tre pas me croire; je t'assure, pourtant, que je reconnus tout de suite ton mari et que ?a me d?grisa. Je le voyais ? l'envers, dans ses habits de dimanche pleins de poussi?re. Et j'?tais tellement ?mu par nos situations ? tous les deux que je me demandai, un moment, si ce n'?tait pas moi qui l'avais tu?.

Sans bouger, je l'interrogeai:

--Qu'est-ce qui t'arrive l?, mon pauvre Virgile?

Je n'eus pas plus t?t demand? ?a que j'entendis sur la route quelqu'un qui s'?chappait au galop.

Comment je suis sorti du foss?, je l'ai oubli?. Ce qu'il y a de s?r, c'est que l'homme n'?tait pas bien loin quand j'en fus hors. Je le reconnaissais facilement. Il portait une ceinture bleue; et Pascal Jouanou est le seul du village ? ne pas en porter une rouge, comme tu sais.

Je le laissai aller. Je savais o? le retrouver. Seulement, je ramassai la hache qui se trouvait par terre et dont il venait de se servir pour tuer le d?funt. Elle avait bien sur sa partie plate du sang et de la cervelle, mais elle ?tait neuve, et, mon dieu, je l'ai emport?e chez moi.

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