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Munafa ebook

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Read Ebook: Sido; suivi de Les vrilles de la vigne by Colette

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Ebook has 1069 lines and 54744 words, and 22 pages

--Moi, Madame Col?... ?... tte! r?pondait l'inconnaissable de l'Est, plaintif et f?minin.

--Prenez!

Le petit bouquet, nou? d'une feuille aqueuse de jonquille, volait en l'air, recueilli avec gratitude par l'Orient plaintif.

--Qu'elles sentent donc bon! Dire que je n'arrive pas ? ?lever les pare?l...e?...lles!

"Naturellement", pensais-je. Et j'?tais pr?s d'ajouter: "C'est une question de climats..."

Lev?e au jour, parfois devan?ant le jour, ma m?re accordait aux points cardinaux, ? leurs dons comme ? leurs m?faits, une importance singuli?re. C'est ? cause d'elle, par tendresse inv?t?r?e, que d?s le matin, et du fond du lit je demande: "D'o? vient le vent?" A quoi l'on me r?pond: "Il fait bien joli... C'est plein de passereaux dans le Palais-Royal... Il fait vilain... Un temps de saison." Il me faut maintenant chercher la r?ponse en moi-m?me, guetter la course du nuage, le ronflement marin de la chemin?e, r?jouir ma peau du souffle d'Ouest, humide, organique et lourd de significations comme la double haleine divergente d'un monstre amical. A moins que je ne me replie haineusement devant la bise d'Est, l'ennemi, le beau-froid-sec et son cousin du Nord. Ainsi faisait ma m?re, coiffant de cornets en papier toutes les petites cr?atures v?g?tales assaillies par la lune rousse: "Il va geler, la chatte danse", disait-elle.

Son ou?e, qu'elle garda fine, l'informait aussi, et elle captait des avertissements ?oliens.

--?coute sur Moutiers! me disait-elle.

Elle levait l'index, et se tenait debout entre les hortensias, la pompe et le massif de rosiers. L?, elle centralisait les enseignements d'Ouest, par-dessus la cl?ture la plus basse.

--Tu entends?... Rentre le fauteuil, ton livre, ton chapeau: il pleut sur Moutiers. Il pleuvra ici dans deux ou trois minutes seulement.

Je tendais mes oreilles "sur Moutiers"; de l'horizon venaient un bruit ?gal de perles vers?es dans l'eau et la plate odeur de l'?tang cribl? de pluie, vann?e sur ses vases verd?tres... Et j'attendais, quelques instants, que les douces gouttes d'une averse d'?t?, sur mes joues, sur mes l?vres, attestassent l'infaillibilit? de celle qu'un seul ?tre au monde--mon p?re--nommait "Sido".

Des pr?sages, d?color?s par sa mort, errent encore autour de moi. L'un tient au Zodiaque, l'autre est purement botanique: quelques signes jouent avec les vents, les lunaisons, les eaux souterraines. C'est ? cause d'eux que ma m?re trouvait Paris fastidieux, car ils n'?taient libres, efficaces, p?remptoires, qu'au plein air de notre province.

--Pour vivre ? Paris, me confiait-elle, il m'y faudrait un beau jardin. Et encore!... Ce n'est pas dans un jardin de Paris que je pourrais cueillir et coudre pour toi, sur un petit carton, les grands grains d'avoine barbue, qui sont de si sensibles barom?tres.

Je me gourmande d'avoir ?gar?, jusqu'au dernier, ces barom?tres rustiques, grains d'avoine dont les deux barbes, aussi longues que celles des crevettes-bouquet, viraient, crucifi?es sur un carton, ? gauche, ? droite, pr?disant le sec et le mouill?. "Sido" n'avait point sa pareille pour feuilleter, en les comptant, les pelures micac?es des oignons.

--Une... deux... trois robes! Trois robes sur l'oignon!

Elle laissait choir lunettes ou binocle sur ses genoux, ajoutait pensivement:

--C'est signe de grand hiver. Je ferai habiller de paille la pompe. D'ailleurs, la tortue s'est d?j? enterr?e. Et les ?cureuils, autour de la Guillemette, ont vol? les noix et les noisettes en quantit? pour leurs provisions. Les ?cureuils savent toujours tout.

Annon?ait-on, dans un journal, le d?gel? Ma m?re haussait l'?paule, riait de m?pris:

--Le d?gel? Les m?t?orologues de Paris ne m'en apprendront pas! Regarde les pattes de la chatte!

Frileuse, la chatte en effet pliait sous elle des pattes invisibles, et serrait fortement les paupi?res.

--Pour un petit froid passager, continuait "Sido", la chatte se roule en turban, le nez contre la naissance de la queue. Pour un grand froid, elle gare la plante de ses pattes de devant et les roule en manchon.

Sur des gradins de bois peints en vert, elle entretenait toute l'ann?e des reposoirs de plantes en pots, g?raniums rares, rosiers nains, reines-des-pr?s aux panaches de brume blanche et rose, quelques "plantes grasses" poilues et trapues comme des crabes, des cactus meurtriers... Un angle de murs chauds gardait des vents s?v?res son mus?e d'essais, des godets d'argile rouge o? je ne voyais que terre meuble et dormante.

--Ne touche pas!

--Mais rien ne pousse!

--Et qu'en sais-tu? Est-ce toi qui en d?cides? Lis, sur les fiches de bois qui sont plant?es dans les pots! Ici, graines de lupin bleu; l?, un bulbe de narcisse qui vient de Hollande; l?, graines de physalis; l?, une bouture d'hibiscus--mais non, ce n'est pas une branche morte!--et l?, des semences de pois de senteur dont les fleurs ont des oreilles comme des petits li?vres. Et l?... Et l?...

--Et l??...

Ma m?re rejetait son chapeau en arri?re, mordillait la cha?ne de son lorgnon, m'interrogeait avec ing?nuit?:

--Je suis bien ennuy?e... je ne sais plus si c'est une famille de bulbes de crocus, que j'ai enterr?s, ou bien une chrysalide de paon-de-nuit...

--Il n'y a qu'? gratter, pour voir...

Une main preste arr?tait la mienne--que n'a-t-on moul?, peint, cisel? cette main de "Sido", brunie, t?t grav?e de rides par les travaux m?nagers, le jardinage, l'eau froide et le soleil, ses doigts longs bien fa?onn?s en pointe, ses beaux ongles ovales et bomb?s...

--A aucun prix! Si c'est la chrysalide, elle mourra au contact de l'air; si c'est le crocus, la lumi?re fl?trira son petit rejet blanc,--et tout sera ? recommencer! Tu m'entends bien? Tu n'y toucheras pas?

--Non, maman...

A ce moment, son visage, enflamm? de foi, de curiosit? universelle, disparaissait sous un autre visage plus ?g?, r?sign? et doux. Elle savait que je ne r?sisterais pas, moi non plus, au d?sir de savoir, et qu'? son exemple je fouillerais, jusqu'? son secret, la terre du pot ? fleurs. Elle savait que j'?tais sa fille, moi qui ne pensais pas ? notre ressemblance, et que d?j? je cherchais, enfant, ce choc, ce battement acc?l?r? du coeur, cet arr?t du souffle: la solitaire ivresse du chercheur de tr?sor. Un tr?sor, ce n'est pas seulement ce que couvent la terre, le roc ou la vague. La chim?re de l'or et de la gemme n'est qu'un informe mirage: il importe seulement que je d?nude et hisse au jour ce que l'oeil humain n'a pas, avant le mien, touch?...

J'allais donc, grattant ? la d?rob?e le jardin d'essai, surprendre la griffe ascendante du cotyl?don, le viril surgeon que le printemps chassait de sa gaine. Je contrariais l'aveugle dessein que poursuit la chrysalide d'un noir brun bilieux et la pr?cipitais d'une mort passag?re au n?ant d?finitif.

--Tu ne comprends pas... Tu ne peux pas comprendre. Tu n'es qu'une petite meurtri?re de huit ans... de dix ans... Tu ne comprends rien encore ? ce qui veut vivre...

Je ne recevais pas, en paiement de mes m?faits, d'autre punition. Celle-l? m'?tait d'ailleurs assez dure.

"Sido" r?pugnait ? toute h?catombe de fleurs. Elle qui ne savait que donner, je l'ai pourtant vue refuser les fleurs qu'on venait parfois qu?ter pour parer un corbillard ou une tombe. Elle se faisait dure, fron?ait les sourcils et r?pondait "non" d'un air vindicatif.

--Mais c'est pour le pauvre M. Enfert, qui est mort hier ? la nuit! La pauvre Mme Enfert fait peine, elle dit qu'elle voudrait voir partir son mari sous les fleurs, que ce serait sa consolation! Vous qui avez de si belles roses-mousse, madame Colette...

--Mes roses-mousse! Quelle horreur! Sur un mort!

Apr?s ce cri, elle se reprenait et r?p?tait:

--Non. Personne n'a condamn? mes roses ? mourir en m?me temps que M. Enfert.

Mais elle sacrifiait volontiers une tr?s belle fleur ? un enfant tr?s petit, un enfant encore sans parole, comme le petit qu'une mitoyenne de l'Est lui apporta par orgueil, un jour, dans notre jardin. Ma m?re bl?ma le maillot trop serr? du nourrisson, d?noua le bonnet ? trois pi?ces, l'inutile fichu de laine, et contempla ? l'aise les cheveux en anneaux de bronze, les joues, les yeux noirs s?v?res et vastes d'un gar?on de dix mois, plus beau vraiment que tous les autres gar?ons de dix mois. Elle lui donna une rose cuisse-de-nymphe-?mue qu'il accepta avec emportement, qu'il porta ? sa bouche et su?a, puis il p?trit la fleur dans ses puissantes petites mains, lui arracha des p?tales, rebord?s et sanguins ? l'image de ses propres l?vres...

--Attends, vilain! dit sa jeune m?re.

Mais la mienne applaudissait, des yeux et de la voix, au massacre de la rose, et je me taisais, jalouse...

Elle refusait r?guli?rement aussi de pr?ter g?raniums doubles, p?largoniums, lob?lias, rosiers nains et reines-des-pr?s aux reposoirs de la F?te-Dieu, car elle s'?cartait,--baptis?e, mari?e ? l'?glise--des pu?rilit?s et des fastes catholiques. J'obtins d'elle la permission de suivre le cat?chisme entre onze et douze ans, et les cantiques du "Salut".

Le premier mai, comme mes camarades de cat?chisme, je couchai le lilas, la camomille et la rose devant l'autel de la Vierge, et je revins fi?re de montrer un "bouquet b?ni". Ma m?re rit de son rire irr?v?rencieux, regarda ma gerbe qui attirait les hannetons au salon jusque sous la lampe:

--Crois-tu qu'il ne l'?tait pas d?j?, avant?

Je ne sais d'o? lui venait son ?loignement de tout culte. J'aurais d? m'en enqu?rir. Mes biographes, que je renseigne peu, la peignent tant?t sous les traits d'une rustique fermi?re, tant?t la traitent de "boh?me fantaisiste". L'un d'eux, ? ma stupeur, va jusqu'? l'accuser d'avoir ?crit des oeuvrettes litt?raires destin?es ? la jeunesse!

Au vrai, cette Fran?aise v?cut son enfance dans l'Yonne, son adolescence parmi des peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, o? s'?taient fix?s ses deux fr?res a?n?s, puis elle revint dans l'Yonne et s'y maria, deux fois. D'o?, de qui lui furent remis sa rurale sensibilit?, son go?t fin de la province? Je ne saurais le dire. Je la chante, de mon mieux. Je c?l?bre la clart? originelle qui, en elle, refoulait, ?teignait souvent les petites lumi?res p?niblement allum?es au contact de ce qu'elle nommait "le commun des mortels". Je l'ai vue suspendre, dans un cerisier, un ?pouvantail ? effrayer les merles, car l'Ouest, notre voisin, enrhum? et doux, secou? d'?ternuements en s?rie, ne manquait pas de d?guiser ses cerisiers en vieux chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours apr?s, je trouvais ma m?re sous l'arbre, passionn?ment immobile, la t?te ? la rencontre du ciel d'o? elle bannissait les religions humaines...

--Chut!... Regarde...

Un merle noir, oxyd? de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, d?chiquetait la chair ros?e...

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