Read Ebook: Sous le soleil de Satan by Bernanos Georges
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1670 lines and 92194 words, and 34 pagesHISTOIRE DE MOUCHETTE Voici l'heure du soir qu'aima P. J. Toulet. Voici l'horizon qui se d?fait--un grand nuage d'ivoire au couchant et, du z?nith au sol, le ciel cr?pusculaire, la solitude immense, d?j? glac?e,--plein d'un silence liquide... Voici l'heure du po?te qui distillait la vie dans son coeur, pour en extraire l'essence secr?te, embaum?e, empoisonn?e. D?j? la troupe humaine remue dans l'ombre, aux mille bras, aux mille bouches; d?j? le boulevard d?ferle et resplendit... Et lui, accoud? ? la table de marbre, regardait monter la nuit, comme un lis. Voici l'heure o? commence l'histoire de Germaine Malorthy, du bourg de Terninques, en Artois. Son p?re ?tait un de ces Malorthy du Boulonnais qui sont une dynastie de meuniers et de minotiers, tous gens de m?me farine, ? faire d'un sac de bl? bonne mesure, mais larges en affaires, et bien vivants. Malorthy le p?re vint le premier s'?tablir ? Campagne, s'y maria et, laissant le bl? pour l'orge, fit de la politique et de la bi?re, l'une et l'autre assez mauvaises. Les minotiers de Doeuvres et de Marquise le tinrent d?s lors pour un fou dangereux, qui finirait sur la paille, apr?s avoir d?shonor? des commer?ants qui n'avaient jamais rien demand? ? personne qu'un honn?te profit. < Le village de Campagne a deux seigneurs. L'officier de sant? Gallet, nourri du br?viaire Raspail, d?put? de l'arrondissement. Des hauteurs o? son destin l'a plac?, il contemple encore avec m?lancolie le paradis perdu de la vie bourgeoise, sa petite ville obscure, et le salon familial de reps vert o? son n?ant s'est enfl?. Il croit honn?tement mettre en p?ril l'ordre social et la propri?t?, il le d?plore et, se taisant ou s'abstenant toujours, il esp?re ainsi prolonger leur ch?re agonie. < Malorthy le p?re eut de sa femme une fille, qu'il voulut d'abord appeler Lucr?ce, par d?votion r?publicaine. Le ma?tre d'?cole, tenant de bonne foi la vertueuse dame pour la m?re des Gracches, fit l?-dessus un petit discours, et rappela que Victor Hugo avait c?l?br? avant lui cette grande m?moire. Les registres de l'?tat civil s'orn?rent donc pour une fois de ce nom glorieux. Malheureusement le cur?, pris de scrupule, parla d'attendre un avis de l'archev?que, et, bon gr? mal gr?, le fougueux brasseur dut souffrir que sa fille f?t baptis?e sous le nom de Germaine. --Je n'aurais pas c?d? pour un gar?on, dit-il, mais une demoiselle... La demoiselle atteignit seize ans. Un soir, Germaine entra dans la salle, ? l'heure du souper, portant un seau plein de lait frais... A deux pas du seuil, elle s'arr?ta net, fl?chit sur ses jambes et p?lit. --Mon Dieu! s'?cria Malorthy, la petite tombe faible! La pauvrette appuya ses deux mains sur son ventre, et fondit en larmes. Le regard aigu de la m?re Malorthy rencontra celui de sa fille. --Laisse-nous un moment, papa, dit-elle. Comme il arrive, apr?s mille soup?ons confus, ? peine avou?s, l'?vidence ?clatait tout ? coup, faisait explosion. Pri?res, menaces, et les coups m?me, ne purent tirer de la fille obstin?e autre chose que des larmes d'enfant. La plus born?e manifeste en de telles crises un sang-froid lucide, qui n'est sans doute que le sublime de l'instinct. O? l'homme s'embarrasse, elle se tait. En surexcitant la curiosit?, elle sait bien qu'elle d?sarme la col?re. Huit jours plus tard, cependant, Malorthy dit ? sa femme, entre deux bouff?es de sa bonne pipe: --J'irai demain chez le marquis. J'ai mon id?e. Je me doute de tout. --Chez le marquis! fit-elle... Antoine, l'orgueil te perdra, tu ne sais rien de s?r; tu vas te faire moquer. --On verra, r?pondit le bonhomme. Il est dix heures; couche-toi. Mais, quand il fut assis, le lendemain, au fond d'un grand fauteuil de cuir, et dans l'antichambre de son redoutable adversaire, il mesura d'un coup son imprudence. La col?re tomb?e: < Car il s'?tait cru capable de traiter cette affaire, comme beaucoup d'autres, en paysan finaud, sans amour-propre. Pour la premi?re fois, la passion parlait plus haut, et dans une langue inconnue. Jacques de Cadignan avait alors atteint son neuvi?me lustre. De taille m?diocre, et d?j? ?paissie par l'?ge, il portait en toute saison un habit de velours brun qui l'alourdissait encore. Tel quel, il charmait cependant, par une esp?ce de bonne gr?ce et de politesse rustique dont il usait avec un s?r g?nie. Comme beaucoup de ceux qui vivent dans l'obsession du plaisir, et dans la pr?sence r?elle ou imaginaire du compagnon f?minin, quelque soin qu'il pr?t de para?tre brusque, volontaire et m?me un peu rude, il se trahissait en parlant; sa voix ?tait la plus riche et nuanc?e, avec des ?clats d'enfant g?t?, pressante et tendre, secr?te. Et il avait aussi d'une m?re irlandaise des yeux bleu p?le, d'une limpidit? sans profondeur, pleins d'une lumi?re glac?e. --Bonsoir, Malorthy, dit-il, asseyez-vous. Malorthy s'?tait lev? en effet. Il avait pr?par? son petit discours et s'?tonnait de n'en plus retrouver un mot. D'abord il parla comme en r?ve, attendant que la col?re le d?livr?t. --Monsieur le marquis, fit-il, il s'agit de notre fille. --Ah!... dit l'autre. --Je viens vous parler d'homme ? homme. Depuis cinq jours qu'on s'est aper?u de la chose, j'ai r?fl?chi, j'ai pes? le pour et le contre; il n'est que de parler pour s'entendre, et j'aime mieux vous voir avant d'aller plus loin. On n'est pas des sauvages, apr?s tout! --Aller o??... demanda le marquis. Puis il ajouta tranquillement, du m?me ton: --Je ne me moque pas de vous, Malorthy, mais, nom d'une pipe, vous me proposez une charade! Nous sommes, vous et moi, trop grands gar?ons pour ruser et tourner autour du pot. Voulez-vous que je parle ? votre place? H? bien! la petite est enceinte, et vous cherchez au petit-fils un papa... Ai-je bien dit? --L'enfant est de vous! s'?cria le brasseur, sans plus tarder. Le calme du gros homme lui faisait froid dans le dos. Des arguments qu'il avait repass?s un par un, irr?futables, il n'en trouvait pas qu'il e?t os? seulement proposer. Dans sa cervelle, l'?vidence se dissipait comme une fum?e. < --Alors?... fit Malorthy, attendant toujours un oui ou un non. --Alors, je vous pardonne de vous ?tre laiss?, comme on dit, monter le coup. Vous, votre satan? d?put?, enfin tous les mauvais gars du pays m'ont fait une r?putation de Barbe-bleue. Le marquis par-ci, le marquis par-l?, le servage, les droits f?odaux--des b?tises. Tout marquis que je suis, j'ai droit ? la justice, je pense? Voulez-vous ?tre juste, Malorthy, et loyal? Dites-moi franchement quel est l'imb?cile qui vous a conseill? de venir ici, chez moi, pour me raconter une histoire d?sagr?able, et m'accuser par-dessus le march??... Il y a une femme l?-dessous, hein? Ah! les garces! Il riait maintenant d'un bon rire large, d'un rire de cabaret. Pour un peu, le brasseur e?t ri ? son tour, comme apr?s un march? longtemps d?battu, et dit: Tope l?! Monsieur le marquis, allons boire!... Car le Fran?ais na?t cordial. --Voyons, monsieur de Cadignan, soupira-t-il, quand je n'aurais pas d'autre preuve, tout le pays sait que vous faisiez la cour ? la petite, et depuis longtemps. Tenez! il y a un mois encore, passant le chemin de Wail, je vous ai vus tous les deux, au coin de la p?ture Leclercq, l?, assis au bord du foss?, c?te ? c?te. Je me disais: c'est un peu de coquetterie, ?a passera. Et puis elle s'?tait promise au gars Ravault; elle a tant d'amour-propre! Enfin le mal est fait. Un homme riche comme vous, un noble, ?a ne badine pas sur la question de l'honneur... Bien entendu, je ne vous demande pas de l'?pouser; je ne suis pas si b?te. Mais il ne faut pas non plus nous traiter comme des gens de rien, prendre votre plaisir, et nous planter l?, pour faire rire de nous. En pronon?ant ces derniers mots, il avait repris, sans y penser, le ton habituel au paysan qui transige, et parlait avec une insinuante bonhomie, un peu geignarde. < Le silence se prolongea une minute ou deux, pendant lesquelles on n'entendit plus qu'un tintement d'enclume, au loin... C'?tait un bel apr?s-midi d'ao?t, qui siffle et bourdonne. --H? bien? dit enfin le marquis. Pendant ce court r?pit, le brasseur avait rassembl? ses forces. Il r?pondit: --A vous de proposer, monsieur. Mais l'autre suivait son id?e; il demanda: --Ce Ravault, l'a-t-elle revu depuis longtemps? --Est-ce que je sais! --On peut trouver l? un indice, r?pondit paisiblement le marquis, c'est un renseignement int?ressant... Mais les papas sont si b?tes! En deux heures, je vous aurais livr? le coupable, moi, pieds et poings li?s! --Par exemple! s'?cria Malorthy, foudroy?. Il ne connaissait pas grand'chose ? cette forme sup?rieure de l'aplomb que les beaux esprits nomment cynisme. --Mon cher Malorthy, continuait l'autre sur le m?me ton, je n'ai pas de conseil ? vous donner: d'ailleurs, dans un mauvais cas, un homme tel que vous n'en re?oit point. Je vous dis simplement ceci: revenez dans huit jours; d'ici l?, calmez-vous, r?fl?chissez, n'?bruitez rien, n'accusez personne; vous pourriez trouver moins patient que moi. Vous n'?tes plus un enfant, que diable! Vous n'avez ni t?moins, ni lettres, rien. Huit jours, c'est assez pour entendre parler les gens et faire d'une petite chose un grand profit; on voit venir... M'avez-vous compris, Malorthy? conclut-il d'un ton jovial. --Peut-?tre bien, r?pondit le brasseur. A ce moment, le tentateur h?sita; une seconde sa voix avait fl?chi. < Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2024 All Rights reserved.