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Munafa ebook

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Read Ebook: Feuilles tombées by Boylesve Ren Du Bos Charles Editor

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Ebook has 321 lines and 40559 words, and 7 pages

?CRITS INTIMES

REN? BOYLESVE

?DITIONS DE LA PL?IADE J. SCHIFFRIN, PARIS

LE PR?SENT TIRAGE CONSTITUE L'?DITION ORIGINALE.

?CRITS INTIMES

COLLECTION PUBLI?E SOUS LA DIRECTION DE CH. DU BOS

REN? BOYLESVE

INTRODUCTION DE CHARLES DU BOS

?DITIONS DE LA PL?IADE J. SCHIFFRIN, 2, RUE HUYGHENS, PARIS

INTRODUCTION

REN? BOYLESVE.

<<... ne discernais-je pas d?j? ces grandes voix, organes myst?rieux, ?chos d'instruments inconnus, dont le timbre n'a pas d'?quivalent parmi ceux de ce monde, dont la musique c?l?brait la dignit? de mon origine, la saintet? de ma destin?e, et entre ces deux relais, l'humble beaut? de la vie que nous ne pouvons pas changer.

IDEM.

<> Non point avec h?sitation, mais--par del? toute m?lancolie--avec fi?re et sereine assurance, Boylesve articulait sans doute ces mots. Il ?tait ?minemment de ceux qui savent l'existence des deux registres, et qu'ici-bas de notre vivant le plus radical de nous-m?mes ne saurait s'exprimer. D'abord en vertu de cette repr?sentation d'un lecteur possible ? laquelle presque personne, peut-?tre ne semble enti?rement soustrait, et qui imprime, sinon toujours ? la chose que l'on dit, en tout cas ? la mani?re dont on la dit une d?formation in?vitable. Ensuite, m?me en admettant que l'on parv?nt ? s'exprimer sans r?serves, resterait intacte la question de savoir si on en a le droit, non seulement vis-?-vis des autres envisag?s t?te par t?te, non seulement vis-?-vis de <>, cr?ation fran?aise s'il en fut, dont Boylesve comprenait, admirait, go?tait si fort la noble et complexe port?e, dont la disparition lui fut un amer et toujours renaissant tourment, mais vis-?-vis de ce minimum d'ordre, de hi?rarchie, de sens des valeurs, faute de quoi nulle civilisation n'est en ?tat de subsister.

Hauteur de vue, ai-je dit, mais avant tout dans la sph?re o? les convictions intellectuelles ?taient en jeu; pour tout le reste, dans l'entretien intime, de l'hospitalit? la plus lib?rale, et de celle qui accro?t celui qui en b?n?ficie sans entamer en rien celui qui la dispense.

Pages qui--par la lenteur de la mont?e, la puissance cumulative, je ne sais quelle majest? intime en vertu de laquelle c'est de l'?l?ment concret que tout naturellement semble se d?gager l'?l?ment supra-individuel--n'ont d'?gales que chez Proust ou dans les <> de Henry James; mais entendons la contre-partie:

CHARLES DU BOS.

D?cembre 1926.

Tandis que l'heure, h?las! marque d'un fruit qui tombe Son invisible fuite et son muet retour... HENRI DE R?GNIER.

Pourquoi suis-je hant? par le souvenir d'une fin de journ?e ? Longueville, dans le petit salon de M?? du H...? Il y a vingt ans que ce soir-l? est pass?, et il n'a rien eu de remarquable. Certaines heures qui s'?coul?rent presque inaper?ues, dorment en nous, longtemps, pareilles ? la Belle au Bois, et s'?veillent, un matin, toujours jeunes, ? l'appel de quelque prince Charmant.

C'?tait un soir d'ao?t: la fen?tre ?tait ouverte sur les Quinconces o? s'?tait tenu le bruyant march? aux l?gumes; l'ombre des ormes faisait une nuit pr?matur?e, tandis qu'en bordure de la place les rues pav?es semblaient blanches. Par un accord secret des paysannes et de la lumi?re, leurs voix baissaient avec le jour, et, leur nombre diminuant aussi peu ? peu, les derni?res proposaient leurs denr?es en chuchotant. On distinguait de sombres silhouettes qui se penchaient pour humer le parfum d'un melon, et les mains s?ches des m?nag?res pauvres palpant les fruits au rabais. Puis, tout disparaissait avec un bruit de sabots sur les pav?s, laissant au sol des d?tritus invisibles, une odeur de vergers saccag?s, et je ne sais quel agr?ment de silence.

Des volets s'ouvraient ? une maison situ?e ? l'autre bout des Quinconces. On disait:

Hier, en passant par les all?es de l'Observatoire, j'ai vu un jeune homme assis sur un banc ? double face, et derri?re lui ?tait une femme, un coude pos? sur le dossier commun. Un doux air de printemps soufflait et le feuillage tout neuf des marronniers est d'un vert qui donne la fringale. Je les ai regard?s, mais c'est moi que je voyais, par une m?me saison et un m?me parfum de l'air nouveau, sous les tilleuls d'un beau jardin d'o? l'on d?couvrait la Loire: derri?re moi, une amie dont le bras pendait pr?s de mon ?paule, me dit en repoussant d'une chiquenaude le bord de mon chapeau de paille:

--Ah mais, mon cher, c'est que vous avez des clairi?res!...

Et pendant que je t?chais d'en rire, il me semblait tout ? coup que ce paysage, cette saison, ce beau bras qui pendait, et encore quelque chose d'?l?gant et d'exquis, fait du mouvement de jeunes femmes, sous ces tilleuls, s'enfuyaient ? mille lieues de moi en me d?laissant ? jamais.

Et, ? distance, le souvenir de cette alarme, qui fut une premi?re peur de vieillir, me fait mal au coeur.

C'est la nostalgie de ma jeunesse que j'ai. Voyons, raisonnons-nous!

Raisonnons-nous? Comme un fat qui ne voit pas son visage! Comme un viveur qui croit que le plaisir s'ach?te! Comme un philosophe sto?cien! Raisonnons-nous! Mais, en v?rit?, ma plainte est plus belle. Le loyal aveu de l'amour, et le cri d?sol? de l'homme qui dit adieu aux gr?ces de la terre sont un plus noble hommage ? l'amour m?me et ? la charmante jeunesse, que l'aigre et muet d?pit avec quoi l'on se p?trit le masque qui convient au chemin du retour.

Voici l'endroit o? j'ai go?t?, dans le plus pur recueillement, l'heure qui passe. C'est au jardin du Luxembourg, sur la terrasse des Reines de France, entre un vase contenant des g?raniums grimpants et un arbre d'aub?pine, contre la balustrade circulaire d'o? l'on a la vue si belle sur le parterre fleuri, sur le grand bassin, sur ces panaches, au loin, de marronniers, ? la Watteau, et sur ces magnifiques platanes en lamelles d'or qui augmentent la gloire du soleil couchant, l'?t?, pr?s des deux tours de Saint-Sulpice.

Tous mes espoirs et toute ma d?ception, toutes mes chim?res, toutes mes douleurs, le peu d'intime bonheur aussi que j'ai eu, c'est l? que je suis venu, chaque soir, en r?p?ter, grain ? grain comme un rosaire, l'expression ardente et d?sesp?r?e. Car m?me mon plus vif plaisir est tourn? aussit?t en tristesse. Et j'aime mieux la forme des choses qu'un visage: elle sait me plaire et elle ne me juge point;--surtout elle ne m'a jamais dit: <>.

Oh, comme il faut que je me sache seul pour bien sentir, c'est-?-dire pour sentir si fort que la traduction rigoureuse en para?trait insens?e!

Les soirs que j'ai vu tomber l?, ? l'arri?re-automne, ne restera-t-il d'eux rien du tout que mon souvenir muet et cet ?trange plaisir que j'?prouve en pensant ? ces soirs finis, et qui se confond avec une douleur? Mais si demain je ne suis plus, ce souvenir m?me sera ?vapor?... Je ne me r?volte pas contre la mort possible; mais l'extinction de cette flamme sensible que j'ai toujours vue briller ? c?t? de moi me terrifie comme la perte d'un de ces ?tres tels qu'il y en a et qui nous sont plus chers que nous-m?mes.

Le noble ennui, le bel ennui que l'on a quand on est seul!

L'ennui chagrin et laid qui nous vient de la compagnie!

J'aime mes jours pass?s comme si j'allais perdre le go?t de la vie ou de la lumi?re, et les instants qui ont retenti si beaux dans mon ?me depuis que j'ai l'?ge de sentir, remontent ? mon coeur tout seul et m'?touffent.

O ne plus voir que des visages que le go?t de la Beaut? a baptis?s!... Beethoven, ta t?te douloureuse! Flaubert, ta sainte col?re! Vigny, la noblesse de ton amertume! O bien-aim? Watteau, ta m?lancolie!...

J'aime ces figures d'hommes que l'?motion a ravag?es. Un bel artiste, vers la quaranti?me ann?e, a pris le masque de son art m?me, et ses yeux sont profonds et pleins de choses dor?es et de lumi?res, comme ces enfilades innombrables de pi?ces que l'on voit dans la glace d'un salon o? une autre glace se mire.

Pendant vingt ans, avec quel soin joyeux et quel ?merveillement intime j'ai cueilli l'heure ou le moment fugitif qui passaient en p?n?trant ma chair et mon coeur jeunes!--c'?tait quand ils engendraient en moi un app?tit et un espoir ind?fini d'amour. Le soleil qui me comble d'une joie d'enfant, le soir qui fait semblant de d?poser en moi quelque chose de Dieu, la pluie sur les feuillages, le tournant d'un chemin o? je suis soudain enivr? sans savoir pourquoi,--tout cela par soi-m?me n'est probablement rien, tout cela me leurre, me laisse croire que j'ai devin?, comme un bon sourcier, la veine sacr?e qui arrose de po?sie l'univers, mais tout cela ne fut jamais bon qu'? f?conder des d?sirs d'amour. Quand j'ai verdi tout ? coup, ? Saint-Cloud, un jour o? l'automne, trop beau, tombait avec les feuilles d'or des platanes dans une contre-all?e, sur les degr?s de la fontaine, c'est parce que je pensais: <> Quand j'ai pleur?, un soir de mon enfance, tout seul, au fond d'un potager de province, alors qu'une voix de femme, de l'autre c?t? du mur, criait au loin ces mots quelconques: <>, c'est qu'une pr?coce r?v?lation m'affirmait que j'aimerais un jour.

La sublime v?rit? qui est au coeur du monde, la beaut?, ne doit ?tre sans doute qu'un court instant soup?onn?e ou entrevue par la cr?ature: aussi, ? mesure que le tremblement du beau nous agite--magnifique et ruineuse temp?te--il s?me en nous la graine vivace du d?sir d'embrasser un ?tre qui nous endorme ou nous stup?fie.

En arrivant dans un lieu o? je suis appel? ? faire un s?jour, j'escompte le plaisir que j'aurai, plus tard, lorsqu'il ne me restera de ce lieu que le souvenir. C'est une fa?on de courir tout de suite au plus beau, ? l'exquis, le pr?sent n'?tant jamais pur.

Il y a ici une terrasse ? balustrade d'o? la vue s'?tend sur la baie des Anges. Le parasol d'un pin, des pointes de cypr?s, des f?ts de colonnes ? chapiteaux corinthiens, plant?s dans les jardins qui descendent vers la mer, forment la base de ce tableau, italien, classique, qui contient Nice, son port, ses montagnes, et la courbe heureuse d'une c?te allant mourir au Cap d'Antibes. La colline du Ch?teau, son granit ?corch? du c?t? de la mer, son dos velu de feuillages obscurs, semble un gros monstre bless?, assoupi entre la ville aux toits roses et le long m?le qui retient dans le port une eau savonneuse. Le ciel n'est pas d'un bleu cru, que l'on peint, mais il est doux, pommel? de flocons blancs et mauves, et il se d?grade jusqu'au gris perle tr?s clair, pour toucher les sommets neigeux des montagnes. Tout cuit au soleil. De petites barques, se mouvant ? l'aviron, ont d'ici l'aspect d'araign?es d'eau sur un ?tang, il n'y a qu'une seule voile blanche au milieu de ce grand golfe tout nu. Les bruits du port, lointains, mais ramass?s, montent par instants, puis s'?cartent, au gr? du vent, comme la rumeur d'une conque marine appliqu?e plus ou moins pr?s de l'oreille.

Le soleil est amoureux de cette baie; c'est lui, dirait-on, qui l'a couch?e l?, et il la tient; depuis plusieurs semaines, il n'en est pas repu; elle est vautr?e devant lui, soumise et lascive; elle s'?tire; je crois voir l?-bas, en ce rivage courb?, couleur de chair, son long bras paresseux, languissant ou p?m?.

J'ai escalad? quelques roches et j'ai trouv? un sentier qui se faufile en montant toujours, sous un bois de pins plein de parfum et de paix. En m'y asseyant, ? l'ombre, j'ai regrett? de n'avoir pas la simplicit? de ceux qui, pour un instant de f?licit? comme pour un malheur, prennent Dieu ? t?moin de leur cas particulier et le remercient ou l'insultent par des chants bien rythm?s. Qu'il doit ?tre agr?able de prolonger et d'?largir son ?motion jusqu'? la folie de croire en faire part ? l'?l?ment divin du Monde! Quelle libert?, quelle abondance et quelle audace une telle illusion donne ? la pens?e, ? la sensibilit? et au langage! Qu'ils vont para?tre pauvres, les po?tes qui se heurteront sans cesse ? la dure paroi de marbre de la vraisemblance et de la justesse d'expression! Par quelle intensit? remplacer la fr?n?sie? Et l'amour, par exemple, sans na?vet?, comment le peindre?

Les pommes de pin de l'an pass? ?taient froiss?es les unes contre les autres par un vent presque imperceptible, et, dans le silence et l'immobilit? de toutes choses, j'ai lev? la t?te en cherchant l'animal qui avait boug?. D?licat moment! presque inappr?ciable charme!

Je me suis relev?, et, dix pas plus loin, le sentier ayant inclin? vers Nice, le grand murmure de la ville m'a atteint tout ? coup. C'?taient des milliards de bruits divers ramass?s en un chuchotement doux ? l'oreille, ils provenaient d'un trou immense, profond et invisible. Mais, en montant sur un roc, j'ai aper?u, entre les aiguilles de pin, un fond rose: la mer des toitures. Retourn? en arri?re, c'?tait de nouveau la for?t, le silence. J'ai jou?, comme un enfant, ? ces alternatives qu'un clair symbole embellissait pour moi; j'enjambais, tant?t en un sens, tant?t en un autre, la fronti?re qui s?pare la solitude m?ditative et le troublant bavardage de la vie en commun.

Oh, comme je sens que j'aime trop cet endroit, cette tentation et ce refuge, cet appel fascinateur des villes et ce tronc de sapin o? je me cramponne!

Voil? le soir qui vient. Le soleil commence ? nous envoyer les reflets de sa lumi?re sur la mer stri?e. Et cela forme un long triangle de feux ?lectriques ? ?clats brusques, dont le sommet est ? cinq kilom?tres, et la base sous les balustres de la terrasse.

A mes pieds, il y a une corbeille de pens?es, la pelouse de gazon inclin?e, une plate-bande d'oeillets ?pais comme des pivoines, la balustrade portant, ? chaque pilastre, un vase de g?raniums rouge sombre; puis viennent, en contre-bas, les sommets des cypr?s, le parasol d'un pin, et la baie o? s'?tale une mer de lait bleu. C'est sur la droite que le soleil joue ? mille feux, le reste de l'?tendue est d'un calme absolument pur, et, au beau milieu, vogue, solitaire, une petite barque de promenade de la valeur, pour nos yeux, d'une coque de noisette, et o? je discerne pourtant une ombrelle.

Et je souris ? cette image: au centre d'un tableau grandiose, si noble par ses lignes tranquilles, si pur par l'absence de tout mouvement humain, une ombrelle disproportionn?e se balance; elle attire et concentre la lumi?re sur sa claire soie tendue; elle n'est qu'un point; le paysage est immense; elle me force ? ne regarder qu'elle. L'?clat multiple du grand triangle lumineux s'att?nue, va s'?teindre; l'ombrelle, d'abord incolore, se pr?cise, jaunit, semble absorber toutes les clart?s d'alentour. Quelqu'un a travers? le jardin, sans regarder le paysage, mais a dit: <> Je t?che de ne plus voir ce petit coin encombrant; ? l'embouchure du Var une admirable fum?e ?l?ve dans l'air immobile ses houppes perpendiculaires; et les dos nuanc?s d'une dizaine de cha?nettes montagneuses qui se couchent et s'abaissent ? l?cher l?-bas le rivage de la mer, ? la pointe d'Antibes, sont plus superbes que ne fut jamais aucune femme... Splendeur, grandeur, s?r?nit?, beaut?! une ombrelle se mesure ? vous!

Le g?nie du christianisme, c'est, notamment, d'avoir d?couvert qu'un ?lan du coeur a plus de force que la plus grande pens?e.

C'est ce que Pascal appelle <>.

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