Read Ebook: L'affaire Larcier by Bernard Tristan
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 471 lines and 27835 words, and 10 pagesJ'allai le conduire ? la gare vers trois heures; le matin il y avait eu une revue, et il n'avait pas pu quitter le quartier. Il arriverait ? Toul pour d?ner. En somme, avec la complaisance de l'adjudant de semaine, il pouvait tr?s bien ne rentrer que le lendemain matin, vers onze heures, pour le dressage des chevaux. D'ici l?, certainement personne ne demanderait apr?s lui. Si l'officier de semaine le cherchait pour le pansage du soir ou pour celui du lendemain matin, on en serait quitte pour inventer quelque histoire; qu'il avait ?t? souffrant et qu'il ?tait mont? dans sa chambre... Quand un sous-officier invoque une excuse de ce genre, on ne lui fait pas l'injure de ne pas le croire et l'on n'exige pas qu'il aille ? la visite du m?decin. Il ?tait donc facile de cacher jusqu'au lendemain l'absence de Larcier. Pourtant je n'?tais pas tranquille en le conduisant ? la gare... Lui ne pensait qu'? l'explication f?cheuse qu'il aurait avec son parent. --L'oncle Bonnel--je l'appelle oncle bien qu'il ne soit que mon cousin--l'oncle Bonnel est un vieil original, tr?s ferme et tr?s autoritaire. Jamais je n'oserai lui dire tout de suite que j'ai perdu de l'argent au jeu. Soi-disant, je viendrai lui r?clamer mon compte de tutelle, qui devrait ?tre r?gl? depuis plusieurs mois... J'ai pr?s de vingt-deux ans, tu sais, je suis entr? au service ? dix-neuf ans. --Mais comment se fait-il qu'il n'ait pas encore r?gl? les comptes en question? --Oh! parce qu'il est persuad? que l'argent est en meilleures mains chez lui que chez moi... Il a toujours l'air de ne pas me prendre au s?rieux. Il a peur que nous dissipions notre petite fortune, que je fasse de mauvais placements... Il l'a dit maintes fois ? maman, qui semble tout ? fait de son avis. Non qu'elle se m?fie de moi! Pauvre maman! Si elle savait que je joue, elle serait stup?faite et bien attrist?e!... Non, elle me croit un gar?on tr?s rang?, mais elle me trouve tout de m?me un peu jeune, et elle a une grande confiance dans l'oncle Bonnel. A ce moment, le train entrait en gare. Je serrai la main de Larcier... Je le vois encore au moment o? il montait en wagon; il ?tait grand et mince, la taille bien prise dans sa tunique ajust?e. Je regardai le train s'?loigner. Larcier, ? la porti?re, hochait la t?te en signe d'adieu. Il ?tait pr?occup?, mais il s'effor?ait de me sourire. En m'en allant, je me disais que j'avais bien tort de me < A ce moment, je n'avais pas trop d'inqui?tude, mais surtout du remords de lui avoir fait perdre une somme aussi importante. Je me disais que c'?tait moi qui l'avais mis en relation avec ces r?servistes. Je revins au quartier pour le pansage du soir. Dans la cour, des sous-officiers m'appel?rent. Ils savaient d?j? que Larcier avait pris une culotte. Pourtant, il avait ?t? convenu entre les joueurs qu'on n'en parlerait ? personne, ? cause de l'importance des diff?rences. Or, c'est justement pour cette raison qu'on en parla. Ces jeunes gens racont?rent complaisamment qu'ils avaient jou? tr?s cher, et plaignirent le malheureux Larcier. --Je lui ai pris, pour ma part, deux mille francs, et ?a ne me fait aucun plaisir, disait un brigadier de r?serve, un employ? du Cr?dit Foncier, qui pensait sournoisement que cette somme ferait un bon appoint pour l'achat projet? d'une voiturette. Le chef Raoul, du troisi?me escadron, ?non?ait, sans s'adresser ? moi, des petites r?flexions qui m'?taient ?videmment destin?es. C'?tait un petit blond, ? binocle, qui parlait d'une voix douce, en desserrant ? peine les l?vres. Un engag? l'avait surnomm? < --Moi, je m'explique qu'on fasse des folies au jeu quand on a les moyens. Larcier ne m'int?resse pas. Il a jou? parce qu'il ?tait persuad? qu'il gagnerait. Il a vu devant lui des jeunes gens de Paris qui avaient du pognon, il a voulu en profiter... --Je ne crois pas que cela soit juste, r?pondis-je en me contenant. Larcier n'avait besoin de rien; il ne tenait pas ? gagner. Il a jou? d'abord pour s'amuser, il a perdu, puis il a couru apr?s son argent. Le chef r?pondit par un simple signe de doute, poli et l?g?rement insolent. Il se mit ? parler attentivement ? un autre sous-officier, masquant ? peine son intention de ne pas continuer la conversation avec moi. Je m'en allai, tr?s agac?, aux ?curies, o? les hommes de mon peloton avaient commenc? le pansage. Je me promenais dans les trav?es. Au fur et ? mesure que je passais devant eux, les cavaliers nonchalants se remettaient ? frotter leur b?te, mais je faisais bien peu attention ? eux. Soudain, je me trouvai face ? face avec l'officier de semaine, le lieutenant Richin de Roisin, qui m'interpella: --Eh bien, Ferrat, qu'est-ce qu'on me raconte sur Larcier? Il para?t qu'il lui est arriv? quelque chose de d?sagr?able?... --Mon lieutenant, vous savez? --Oui, Raynaud me l'a dit. Le mar?chal des logis Raynaud ?tait assez li? avec le lieutenant de Roisin. Ils ?taient < Je vis bien ce qui s'?tait pass?. Les sous-officiers n'auraient jamais os? ouvertement rapporter l'histoire aux officiers, mais ils savaient bien que Raynaud la dirait en copain, ? l'officier, et que, par ce dernier, elle serait colport?e en haut lieu. Le lieutenant de Roisin me fit d'abord un cours de morale sur les dangers du jeu, puis il me demanda des d?tails sur la partie, et se mit ? me raconter lui-m?me des histoires de baccara avec tant de passion qu'il en oublia d'envoyer les chevaux ? l'abreuvoir. On sonna la soupe. Tous les chevaux des autres pelotons ?taient d?j? rentr?s manger leur avoine... Et nos hommes de la trav?e, ?tonn?s d'une s?ance si prolong?e, continuaient ? ?triller leur monture. Les plus proches ?taient exc?d?s par le travail que leur imposait le fatigant voisinage du lieutenant. Ce soir-l?, j'?vitai d'aller d?ner ? la cantine. Je m'en allai ? un petit restaurant o? je savais me trouver seul. Mais, ? neuf heures, il me fallut rentrer au quartier pour rendre l'appel de mon peloton, d'autant plus qu'en l'absence de Larcier, je voulais rendre ?galement l'appel au peloton d'? c?t?. Apr?s neuf heures, les sous-officiers qui ne sortaient pas en ville--et, comme ce soir-l? ce n'?tait pas jour de th??tre, ils ?taient assez nombreux--les chefs, les fourriers, les mar?chaux des logis se rendirent ? la cantine, o? ils rest?rent ? deviser, aupr?s du comptoir, jusqu'? l'extinction des feux. L'un d'eux, probablement d?l?gu? par le groupe, m'invita ? venir aupr?s d'eux. Ils tenaient < m'avoir>>. Par une esp?ce de bravade, j'acceptai leur invitation, et je passai une heure en leur compagnie. Ils me parlaient de Larcier avec une compassion feinte. Mais je les sentais tous ligu?s contre lui et contre moi. Peut-?tre, si j'avais pass? la soir?e avec un seul d'entre eux, euss?-je ?veill? en lui un peu de vraie sympathie et vaincu son parti pris de rancune et de haine. Mais je sentais bien que je n'entamerais pas un tel faisceau de malveillances. Ils d?testaient franchement Larcier. Cette histoire qui arrivait les vengeait. C'?tait une aubaine que leur envoyait le destin; ils n'auraient jamais eu la g?n?rosit? d'y renoncer. Dans ma chambre, j'?tais plus tranquille. Je couchais dans une chambre ? trois lits, qu'habitaient aussi Larcier et un sous-officier qui travaillait au bureau du major. C'?tait un gros gar?on distrait, qui frayait peu avec les autres mar?chaux des logis. Il passait pour un b?ta, parce qu'il avait des divertissements ? lui. Il s'occupait constamment de statistiques, ?tait tr?s emball? sur la g?ographie et dressait constamment sur des feuilles de situation des listes de villes. On n'a jamais pu savoir si ?a servait ? quelque chose. En tout cas, il s'y donnait coeur et ?me. Nous n'?tions pas mal ensemble, mais c'est ? peine si nous nous disions bonjour et bonsoir, un signe de t?te en entrant, un petit grognement en sortant. L?onard ?tait en somme le compagnon le plus agr?able que nous puissions avoir, puisqu'il nous en fallait un. D'ailleurs nous ?tions tr?s peu ? la chambre; nous y rentrions pour nous coucher, d'ordinaire assez tard; nous en sortions le matin de bonne heure et n'y rentrions que pour nous habiller. L?onard travaillait quelquefois la nuit ? ses statistiques, en laissant sa lampe allum?e; c'?tait une petite lampe ? abat-jour, qui ne g?nait pas notre sommeil. Notre compagnon nous ?tait reconnaissant de cette tol?rance. Nous sentions sa gratitude plut?t que nous l'?prouvions, car elle ne se manifestait pas. Je me couchai ce soir-l? tr?s fatigu? et je fus long ? m'endormir. L?onard travailla assez tard et, quand il ?teignit sa lampe, je restai longtemps dans l'obscurit?, les yeux grands ouverts; mais je finis par m'endormir et la nuit, d?s lors, passa si vite, que j'entendis, presque tout de suite apr?s, la sonnerie du r?veil. Elle me parut plus d?chirante encore que d'habitude. Le jour ?tait gris, j'?tais accabl? de sommeil et je me rendormis malgr? moi pendant quelques instants. A la rigueur, j'aurais pu descendre plus tard encore, car ma pr?sence aux ?curies, au moment de la corv?e des liti?res, n'?tait pas absolument n?cessaire; il suffisait que le sous-officier de semaine f?t l?. Mais, apr?s tout, le lieutenant de semaine, mauvais coucheur, pouvait s'?tonner de mon absence, ou, ce qui ?tait plus grave, de l'absence de Larcier. Or, personne n'?tait l? pour en donner une raison. Je me violentai et me levai, la t?te lourde, le coeur barbouill?. Je descendis aux ?curies, mais il n'y avait pas de danger, l'officier n'?tait pas l?. Quand les hommes eurent donn? les bottes de foin et qu'ils furent remont?s dans leur chambre, j'entrai ? la cantine o? les bols de caf? noir et les miches de pain ?taient dispos?s le long des tables. Je me sentais mal fichu; j'avais envie de remonter me coucher, mais je me dis que, si je me couchais, je n'aurais peut-?tre pas la force de me lever pour le pansage de neuf heures, et il fallait encore ?tre l?, ? cause de Larcier. Le pansage fini, la soupe sonn?e, je commen?ai ? me sentir un peu ?nerv?. C'?tait vers dix heures et demie que Larcier devait rentrer au quartier: le train de Toul arrivait ? dix heures vingt. Je compris que je n'aurais pas la patience d'attendre cette demi-heure au quartier; je me fis donner un h?tif coup de brosse par un gar?on d'?curie et je filai vers la gare. Le train de Toul ?tait en retard de quinze minutes. Mon impatience semblait l'attirer. Gagnerait-il sur son retard? N'allait-il pas appara?tre au tournant, dans la perc?e des rochers? Je voyais d'avance la machine noire d?boucher de l?-bas, comme pouss?e par sa suite de wagons, puis toute la file s'arr?ter le long du quai, les porti?res s'ouvrir et battre, et le visage de Larcier dans la foule. J'entendais d'avance ma question anxieuse: < Cependant le train n'arrivait pas, et, loin de regagner son retard, il semblait qu'il l'e?t encore accru... Cela commen?ait ? devenir inqui?tant, car, s'il arrivait ? onze heures moins vingt, nous n'aurions que le temps, Larcier et moi, de courir au quartier nous mettre en pantalon de cheval et d'arriver au man?ge o? nous < Dix heures trente-sept... dix heures trente-huit... dix heures trente-neuf... Une esp?ce de cloche geignarde et chantante annonce le train de Toul. Quelques instants apr?s, un gros rugissement... Le train para?t dans la perc?e. Et voil? qu'il stoppe d'abord, on ne sait pourquoi, sans entrer en gare... C'est que la voie n'est pas libre: un train de marchandises se gare en aval de la station. Dans le train de Toul, les gens se montrent aux porti?res, mais je n'aper?ois pas le k?pi de Larcier. C'est d'un mauvais augure!... Il sait que le train est en retard, il doit s'impatienter et craindre de ne pas ?tre ? l'heure au dressage. Comment se fait-il qu'il ne montre pas ? la porti?re une t?te inqui?te? J'?tais de plus en plus ?nerv?. Enfin, la locomotive reprit sa marche, le train entra en gare. J'?tais mont? sur un banc pour mieux voir dans la foule l'uniforme de Larcier, mais il ne descendit que des gens en noir ou en gris... L?-bas, peut-?tre... non, ce n'?tait qu'un soldat de la ligne qui, pesamment, sortait d'un wagon... Larcier n'?tait pas l?. Pourquoi? Mais je ne pouvais perdre mon temps ? me le demander. Je courus vers le quartier, la t?te confuse. Je ne savais pas ce que j'allais raconter l?-bas pour excuser l'absence de mon ami... Enfin, j'aurais toujours la ressource de dire qu'il ?tait malade. Je me mis en tenue en toute h?te et descendis au man?ge. L'officier, comme je le pensais, attendait avec impatience, en se promenant devant le front des chevaux. Les mar?chaux des logis et les brigadiers qui montaient au dressage ?taient d?j? tous ? leur poste; il ne manquait que Larcier et moi. J'allai droit ? l'officier et lui dis que mon camarade ?tait souffrant. Il leva les ?paules: --Il a mal aux cheveux... Il faudra soigner ?a!... Puis on ramena ? l'?curie la b?te de Larcier. Nous mont?mes ? cheval et entr?mes dans le man?ge. J'?tais en t?te de la reprise, chevauchant < Je pensais ? ce que je ferais apr?s d?jeuner, dans l'apr?s-midi. Je partirais ?videmment pour Toul... Aussit?t descendu de cheval, je pr?vins le chef que je ne serais pas l? pour le pansage, et je pris le train de trois heures, apr?s avoir tra?n? quelque temps dans la ville et attendu sans espoir ? la gare un train omnibus qui arrivait ? une heure quarante-cinq, venant aussi de Toul et qui avait quelque chance de ramener mon ami. Je savais o? demeurait le tuteur de Larcier. Un dimanche, nous ?tions all?s ? Toul pour nous promener et j'avais accompagn? Larcier chez son parent. J'?tais rest? ? la porte, devant la grille du petit jardin et j'avais vu le vieillard reconduire mon ami; mais, comme j'?tais ? quinze ou vingt pas de la grille au moment o? Larcier sortait du jardin, je n'avais pas ?t? pr?sent? ? M. Bonnel. La propri?t? ?tait situ?e dans les environs de Toul, ? quinze cents pas de la gare, dans un petit groupe de maisons entour?es de jardinets. Je suivis la route qui conduisait ? cette sorte de hameau; c'?tait un chemin bord? d'arbres; de temps en temps on passait devant une usine ou devant un chantier de bois; tout autour, c'?taient des champs. La maison Bonnel ne se voyait pas de loin; elle ?tait plac?e ? une centaine de pas d'un coude de la route. J'?tais impatient d'y parvenir, et moi qui suis d'ordinaire un peu g?n? d'aller chez des gens que je ne connais pas, je n'?prouvais ce jour-l? aucune esp?ce d'embarras, tant j'?tais pouss? par ma h?te amicale de savoir ce qu'il ?tait advenu de Larcier. Comme j'allais arriver au coude de la route, je croisai deux ouvriers qui parlaient, et j'entendis cette phrase: --?a s'est pass? vers les deux heures du matin... Il doit ?tre en Belgique depuis longtemps ou en Allemagne. Allez, ils ne l'attraperont pas de sit?t... Pris par une soudaine inqui?tude, je m'arr?tai brusquement avant de tourner le coude du chemin, comme si j'avais peur de ce que j'allais voir, sur cette partie encore cach?e de la route. Je me remis en route avec effort, les jambes fatigu?es, et, comme je d?passais l'angle, j'aper?us une cinquantaine de personnes en arr?t devant la maison Bonnel. C'est ? peine si j'eus la force de marcher jusque-l?. J'avais si peur de voir confirmer ce que je devinais! Je n'avan?ais plus que pour suivre le mouvement commenc?, et je me m?lai ? la foule qui se promenait devant la grille. Quelques-uns des curieux qui ?taient l? me d?visag?rent, et l'un d'eux remarqua le num?ro que je portais ? mon col. S'adressant ? un vieux monsieur qui se trouvait ? la porte, il lui dit: --Monsieur le commissaire, voil? justement un sous-officier du m?me r?giment. Le commissaire avait le visage enfoui dans une barbe grise, et portait au-dessus des yeux deux ?pis mena?ants. Il me demanda: Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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