Read Ebook: Le baptême de Pauline Ardel by Baumann Emile
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1143 lines and 57466 words, and 23 pagesRelease date: August 23, 2023 Original publication: Paris: Bernard Grasset, 1913 ?MILE BAUMANN LE BAPT?ME DE PAULINE ARDEL --ROMAN-- PARIS BERNARD GRASSET, ?DITEUR 61, RUE DES SAINTS-P?RES, 61 DU M?ME AUTEUR Les Grandes Formes de la musique: l'oeuvre de Camille Saint-Sa?ns . L'Immol?, roman, ouvrage couronn? par l'Acad?mie fran?aise . La Fosse aux lions, roman . Trois villes saintes: Ars-en-Dombes, Saint-Jacques de Compostelle, le Mont Saint-Michel . Pour para?tre: Le Fer sur l'enclume, roman. Il a ?t? tir? de cet ouvrage: cinq exemplaires sur Japon des Manufactures Imp?riales de Tokio num?rot?s de 1 ? 5 et vingt exemplaires sur Hollande Van Gelder num?rot?s de 6 ? 25. Une ?dition hors commerce, r?impos?e in-8? raisin, a ?t? tir?e pour la soci?t? < ce roman qu'elle ne lira jamais. E. B. BAPT?ME DE PAULINE ARDEL La cath?drale avait l'air triste sous la brume. Ses deux tours aust?res fixaient l'Occident o? le soleil de d?cembre se coucherait sans avoir lui. Soumises depuis sept cents ans aux hivers enfum?s et aux nu?es pleurantes, elles se r?signaient, jusqu'? ce que, pour leur d?livrance, le clairon de l'archange m?t debout le Christ de gloire assis entre elles au-dessus du porche et du vitrail. En bas, sur le parvis, bien que ce f?t un dimanche et que l'heure des v?pres approch?t, les passants ?taient rares, et ils traversaient vivement comme des provinciaux casaniers qu'attend une maison chaude. La place se trouvait d?serte, lorsque M. Victorien Ardel, accompagn? de sa fille Pauline, d?boucha de la rue des Quatre-Vents. Tous deux s'avanc?rent du c?t? de la halle, puis, s'arr?tant, se retourn?rent vers la fa?ade de l'?glise, ? la fa?on d'?trangers qui, pour la premi?re fois, l'examinaient. M. Ardel, agr?g? d'histoire, venait d'?tre, un mois auparavant, nomm? professeur ? Sens. Il n'avait pas encore pris le loisir d'?tudier la cath?drale; ce monument le touchait peu; car, ?tant un esprit fort, il s'?vitait ainsi qu'? sa fille la rencontre d'images mystiques qu'il ?liminait de leur commune vie. N?anmoins, par une curiosit? d'historien et d'esth?te, il s'?tait d?cid?, ce dimanche, ? ne plus diff?rer une visite au reste inoffensive pour son indiff?rence ?prouv?e. Il consid?ra donc, d'un oeil critique, d'abord la tour des cloches, depuis l'?troite et courte ogive de la porte jusqu'au campanile octogonal que la Renaissance a viss? tout au sommet. Pauline la regardait en m?me temps; mais quelque chose, dans cette masse hautaine, lui d?plaisait: ?tait-ce le relief rude et perpendiculaire des contreforts, la noirceur des abat-son, l'orgueil des pinacles qui surplombent solitairement l'autre tour d?coiff?e et tronqu?e? Le visage de ces pierres la rebutait comme celui d'un justicier r?barbatif. Son attention, une seconde, s'accrocha aux cinq statues blanches log?es ? mi-hauteur sous des niches pointues; mais ces ?v?ques, avec leur crosse, ne lui exprimaient rien. Ses yeux s'infl?chirent ? gauche vers le Saint ?tienne du porche, en robe de clerc, mince et long comme une colonnette, doux et m?ditatif, pr?sentant entre ses mains le Livre myst?rieux. Puis elle se d?tourna, le nez au vague, et, d'un air de discr?te impatience, fit deux ou trois pas en avant. --Il n'y a pas ? dire, remarqua, la canne lev?e vers la fa?ade, son p?re qui la rejoignit, le moyen ?ge eut la tradition de la force! M. Ardel n'articula point le mot: force! sans une certaine emphase. Il laissait voir en sa d?marche ce je ne sais quoi d'autoritaire et de gourm? o? se ressemblent un p?dagogue et un magistrat. Sa fa?on de balancer les bras et de porter sa t?te accusaient le contentement acquis d'une sup?riorit?. C'?tait d'ailleurs un homme d'une figure encore belle, quoique fatigu?e par d'excessifs travaux. Si des bajoues alourdissaient le contour de son menton, sa bouche restait fine et mordante sous une moustache drue; son nez aurait pu servir de mod?le ? un sculpteur romain; l'arc ?trangement noir des sourcils se dessinait sur des yeux d'une mobilit? sombre dont on avait peine ? soutenir le choc. Dans les traits de sa fille, comme dans les siens, une rectitude latine ?tait inscrite: l'ovale des joues de Pauline se d?tachait noblement d'un cou ferme et d?licat; ? l'oeil bien fendu r?pondaient une bouche et des oreilles un peu grandes, mais r?guli?res; une moue d'orgueil renflait sa l?vre inf?rieure, mais son regard s'en allait imbib? de tendresse. Une voilette noire et la froidure excitaient sous sa peau l'?clat d'un sang radieux. Sans d?passer de beaucoup son p?re qui ?tait de stature moyenne, elle semblait d'une venue vigoureuse en ses dix-huit ans; son port et ses mouvements offraient une harmonie naturelle plut?t grave que vive. Le s?rieux de sa mise exprimait, soit l'insouciance de para?tre, soit la discipline d'?conomie qu'elle tenait de sa m?re, morte il y avait six ans. Ils se rapproch?rent des portails et, devant les saints sculpt?s contre le soubassement ou le long des voussures, tous sans t?te, et qui vivent, gesticulent pourtant, comme des martyrs impossibles ? tuer: --Les pauvres gens! dit Pauline. Quels mis?rables se sont amus?s ? ce jeu de massacre? M. Ardel se dispensa de lui r?pondre; du haut de la tour le premier coup des v?pres tinta; ils l'?cout?rent. La cloche ?mettait le son d'un glas; chacun de ses battements descendait ? larges intervalles et les vibrations s'amplifiaient sur la ville engourdie, pareilles aux cercles ondulatoires que forme une goutte d'eau tombant du plafond d'une grotte dans un lac t?n?breux. Pauline, ? cet appel, n'?prouva qu'une oppression confuse. --Entrons-nous? demanda-t-elle, comme si elle avait eu le d?sir de ne pas entrer. --Mais oui, r?pondit froidement son p?re. Et il p?n?tra la premier ? l'int?rieur de la cath?drale dont le vide ?tonna Pauline et la mit ? l'aise. M. Ardel s'arr?ta au bas des nefs, pr?s de l'un des ma?tres piliers, formidable en son ?paisseur, et cependant all?g? par l'?lan des sveltes colonnes comme un buffet d'orgue par ses tuyaux. Il fut saisi d'admiration; d'autant plus sensible ? la vigueur na?ve de cet art qu'il ?tait satur? de culture livresque. Mais, tout de suite, en face de la grande nef, reparurent ses habitudes de s?che analyse: --Vo?te sexpartite, observa-t-il, un peu basse. Alternance de grosses colonnes g?min?es et de piliers... Il continua, prenant le bras de Pauline: --Tu vois ces deux arcs plus aigus que les autres; le pan avait d? s'effondrer, on les a refaits au quinzi?me si?cle. Et, dans les bas-c?t?s, ces alv?oles romanes, elles datent de Viollet-Leduc. On s'imagine visiter un ?difice du moyen ?ge, et c'est du Louis-Philippe que nous touchons. De l'ancienne ?glise il reste ? peine la carcasse. Si Pauline avait eu des vell?it?s d'enthousiasme, des r?flexions pareilles visaient ? les annihiler. Nourrie dans le d?dain de toutes les religions, elle croyait pouvoir explorer une cath?drale avec le m?me d?tachement qu'une pagode hindoue. Ses a?eux, sa m?re et son p?re en leur enfance n'en avaient pas moins ador? dans des temples semblables ? celui-l?. Des persistances obscures, un sourd ?moi, ? son insu, la troublaient. Mais elle n'avait pass? le seuil des ?glises qu'? l'occasion de mariages et surtout d'enterrements. De sinistres id?es mortuaires se liaient pour elle ? l'office chr?tien. Le cr?puscule o? ce jour d'hiver d?clinant enfon?ait le vaste vaisseau aggravait cette impression. L'ombre filait ses toiles d'araign?e contre les murailles; des tentures noires se d?pliaient entre les vitraux. Dans le choeur, un sacristain vo?t?, ? demi perclus, allumait pr?s de chaque stalle une bougie. Sur les dalles o? il tra?nait ses pantoufles des lueurs froides coulaient. Deux vieilles femmes, ramass?es sous leurs manteaux, entr?rent et se sign?rent; la porte du tambour claqua lourdement sur leur dos. Elle suivit d'un pas d?lib?r? le professeur aupr?s du retable de Salazar, vis-?-vis la chaire; ils y firent une courte halte. Sous le dais en fuseau d'une niche amenuis?e, ouvrag?e ? la fa?on d'une broderie, entre deux Saints une Vierge au visage finement rustique et grave soutient sur son bras l'Enfant qui l?ve le doigt. Elle ne songeait qu'? la v?rit? des figures et des attitudes; mais le sens de sa parole d?passait ce qu'elle avait cru dire. Plus loin, M. Ardel s'int?ressa aux cintres et aux chapiteaux d'une primitive chapelle vo?t?e en cul-de-four. Pauline voulut savoir ce qu'on faisait d'un b?nitier oblong drap? d'un voile, qu'elle toucha d'une main curieuse. --Les fonts baptismaux, r?pondit-il n?gligemment. Ils s'?taient engag?s derri?re l'orgue du choeur, dans le profond d?ambulatoire, et ils longeaient une suite de vitraux anciens dont Pauline, plus que son p?re, fut ?merveill?e. Elle se souciait peu d'abord des sc?nes qu'ils racontaient, n'y voyant qu'une imagerie d'?pinal ?blouissante et enfantine. Mais les m?daillons sertis dans des armatures noires sollicitaient son ?me par un myst?re semblable ? l'intimit? d'une musique pleine de nostalgies. Le bleu qui les trempe, c?rul?en, presque violet, lui offrait un cr?puscule tel que jamais, dans les plus beaux soirs, elle n'en avait contempl?. Sur ce fond, l'?mail vert d'une robe, la t?te d'un palefroi, capara?onn?e d'or, le profil d'un moine br?laient d'une flamme inextinguible; une sorte de chaleur joyeuse en descendait, ils semblaient s'aviver de toutes les t?n?bres qui s'?paississaient alentour. L'un de ces vitraux, d?coup? en losanges et en arcs de cercle, ?tait si net de dessin qu'? le fixer une minute elle apprit, sans le vouloir, la l?gende de saint Eustache. Trois ou quatre ?pisodes du moins, au premier coup d'oeil, s'?lucid?rent. Dans une clairi?re bleue comme les songes elle voyait entre les cornes d'un cerf brun une croix de feu; un chasseur s'agenouillait devant elle, tandis que son cheval argent?, paisible, p?turait. Plus haut, le m?me personnage reparaissait, amaigri, ? genoux dans une cuve baptismale, et un ?v?que infondait de l'eau sur son front cern? d'un nimbe rouge. Ailleurs, elle le retrouvait s'embarquant sur une mer ensoleill?e... Pauline l'abandonna en chemin; mais elle pensa aux f?licit?s na?ves des hommes qui avaient assez cru ? de telles fables pour les peindre avec tant de ferveur et de patience. Add to tbrJar First Page Next Page |
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