Read Ebook: Le baptême de Pauline Ardel by Baumann Emile
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1143 lines and 57466 words, and 23 pagesPauline l'abandonna en chemin; mais elle pensa aux f?licit?s na?ves des hommes qui avaient assez cru ? de telles fables pour les peindre avec tant de ferveur et de patience. En continuant le tour de l'abside, M. Ardel s'attarda derri?re le fastueux baldaquin du ma?tre-autel soutenu par quatre colonnes de marbre opulentes, jadis taill?es pour figurer sur la place des Victoires, autour de la statue du grand Roi. Pauline l'avait devanc? jusqu'au bas de la fen?tre grill?e d'o? les archev?ques, sans sortir de leur palais, assistaient aux offices. L?, pend ? la muraille nue un Christ en bois, d'un jaune bruni, coiff? de sa couronne lamentable. Des cheveux confus se collent le long de ses joues et sur sa poitrine; chacune de ses c?tes para?t dire: Comptez-moi; ses bras d?charn?s sont raidis; les rotules de ses genoux et les os de ses jambes incurv?s comme des baguettes distendent sa peau. Tout ce que peut souffrir la chair de l'homme s'est abr?g? dans ce cadavre et dans sa t?te encline, indiciblement meurtrie. Pauline fut affect?e d'une piti? vague, mais plus encore d'une r?pulsion: --Est-ce possible, se dit-elle, que d'un affreux supplici? on ait fait un dieu! L'horloge de la tour sonna trois heures moins un quart avec la lenteur dolente des vieilles horloges qui ne semblent plus croire au temps; le second coup des v?pres se prolongea. La cath?drale commen?ait ? s'animer: deux chanoines envelopp?s d'amples manteaux, l'un, ob?se et court, l'autre, sec, long et p?le, enfil?rent le couloir sombre de la sacristie au m?me instant qu'en sortait un petit abb? rond dans son surplis, rubicond, vif et trotte-menu, montrant sur sa mine la jovialit? spirituelle d'un bourguignon content de vivre. M. Ardel avait rejoint Pauline devant un escalier dont il loua les gracieuses arcades; il aborda le vicaire au passage pour s'enqu?rir si le Tr?sor ?tait visible. --Pas maintenant, monsieur; apr?s les v?pres, r?pondit l'abb?, s'arr?tant ? peine; et, preste comme un moineau qui s'envole, il s'?lan?a vers le choeur. Le professeur fron?a les sourcils et grommela: --Sont-ils malotrus, ces cur?s! Pauline et lui gagn?rent le milieu du transept; pendant qu'il s'assimilait d'un regard synth?tique l'harmonie de la cath?drale, la structure de l'ensemble, robuste et froide, sa fille admirait, au-dessus du portail d'Abraham, la rosace du Paradis enfermant dans les torsions ardentes de ses nervures un azur vierge o? des anges qui tiennent des violes ?ploient leurs ailes, d'une blancheur translucide; au centre, dans l'?pais brasier d'un soleil couchant, s'encl?t une Face triomphale; ?tait-ce le m?me Christ qu'elle venait de voir si douloureux? Elle aurait eu peine ? concilier toute l'humiliation avec toute la gloire; elle ne l'essaya point; car sa pens?e ressemblait ? ces eaux des lacs qui ne savent rien du ciel dont elles absorbent la splendeur. De telles images y d?posaient pourtant l'id?e incertaine d'une vie supra-sensible que jusqu'alors elle n'avait pas con?ue. Les v?pres allaient commencer; les chanoines et les clercs ?taient mont?s ? leurs stalles. M. Ardel constata, non sans ironie, le nombre d?risoire des fid?les: peu ou point d'hommes, des femmes ?g?es, des petites filles, quelques religieuses ? longue coiffe. Le suisse, plein de majest?, se cambrait devant les chaises vides comme s'il avait eu des foules ? contenir. Il n'appuya pas sur sa remarque, trouvant superflu d'affirmer que le catholicisme, au dedans de lui-m?me, ne rendait plus aucun son. --J'aime cette cour, dit Pauline, qu'un instinct juv?nile poussait ? contredire l'aridit? de l'incroyance paternelle. Elle indiquait, au bout des grilles pompeuses d?ploy?es ? droite et ? gauche, sur une porte vo?t?e, un pavillon en briques rehauss? de moulures d?licates, avec des crois?es ?troites ? meneaux, telles qu'on en voit aux ch?teaux fran?ais de la Renaissance; et, derri?re eux, la rose magnifique qui, m?me en l'absence du soleil, flamboyait. La cour n'en concentrait pas moins une m?lancolie de cimeti?re abandonn?. Sous des thuyas et des sureaux moisissaient, dans l'herbe jaunie, des feuilles mortes. D'un c?t?, les ardoises de l'archev?ch?, ses fen?tres toujours closes depuis que les archev?ques ont ?t? chass?s de leur demeure; de l'autre, les tuiles verniss?es du palais synodal, le flanc de la tour des cloches et le toit des nefs l'enfermaient s?v?rement. Des corneilles, parmi les gargouilles, s'envolaient de leurs ailes pesantes; elles se jetaient un cri aigre-doux, analogue ? celui d'une girouette us?e. De l'int?rieur, les ronflements de l'orgue et la psalmodie des pr?tres ne s'?pandaient qu'att?nu?s, lointains. Pauline se plut quelques instants ? les entendre; cette musique sourde la captivait comme l'illusoire ?cho d'un monde fini. L'?ducation rigide, hautaine, qu'elle avait re?ue aupr?s d'un p?re despote et studieux la pr?disposait ? comprendre la solitude d'un lieu v?n?rable; de ces ?difices, o? six si?cles s'?taient continu?s, ?manait une paix accueillante. C'?tait une influence dont M. Ardel non plus ne cherchait pas ? se d?fendre, tant il croyait d?funtes toutes ces choses, et il se taisait, induit ? un attendrissement qu'il ne voulait point laisser voir. Mais, soudain, il secoua les ?paules, frappa le pav? de ses pieds impatients. --On g?le ici, dit-il; marchons. Ils descendirent d'un pas all?gre le long et noir boyau de la grande rue; et, arriv?s au quai de l'Yonne, ils franchirent le vieux pont trapu que dominait une croix de fer. Devant l'?glise Saint-Maurice, un passant coiff? d'un gibus, portant une rosette ? la boutonni?re de son pardessus, les honora d'un salut c?r?monieux. M. Ardel reconnut un de ses coll?gues, M. Lemerle, lequel, depuis vingt-neuf ans, professait au lyc?e la rh?torique. M. Lemerle, outre son invariable gibus, se signalait par des lunettes bleues, une barbe gris?tre et courte, des fa?ons de pasteur protestant; sur sa figure probe, mais rogue, s'?tait durci un masque de s?v?rit? qu'il semblait devoir conserver jusqu'? sa mort et au del?. --Tu as vu cet homme, exposa M. Ardel ? sa fille; il est un des derniers survivants d'une race qui va s'?teindre en France, comme s'est ?teinte celle des bons domestiques. C'est le professeur-n?, le cuistre ? lunettes! Il ne peut concevoir une existence ayant d'autre but que d'expliquer du Bossuet et de corriger des versions. Il fait sa classe ? la mani?re dont Dandin jugeait. Et quel fonctionnaire! Il ne vous parle que d'inspections, de dossiers, d'avancement. A propos d'une copie o? un ?l?ve avait risqu? cette phrase: < Pauline, ? ce trait, fit un ?clat de rire. Son p?re n'appartenait certes pas ? la race des Lemerle, et elle en ?tait fi?re, bien qu'ayant p?ti elle-m?me de son humeur intraitable. Envoy? fort jeune ? Bordeaux, Victorien Ardel donnait toutes les promesses d'un sujet, selon la formule, < La souche des Ardel ?tait lyonnaise depuis pr?s d'un si?cle. Le bisa?eul, Fabricio Ardello, natif de Turin, avait fond?, en 1812, sur la place Bellecour, une maison d'armurerie. Son fils a?n?, Octave, le p?re de Victorien, tint boutique jusqu'aux derni?res ann?es du second Empire; une sotte affaire o? l'ensorcela un aigrefin, la construction, aux Brotteaux, d'un Alcazar fastueux, culbuta son patrimoine et sa maison. Des trois fils d'Octave, le premier, Adolphe, lieutenant de chasseurs alpins, avait p?ri, pr?cipit? dans un trou par une avalanche; le troisi?me, Jacques, avait pris la soutane au grand s?minaire de Saint-Just. Quant ? Victorien, brillant ?colier, il s'?tait d?cid? pour l'enseignement; car il apercevait l? une position prompte et la certitude de loisirs copieux. Dans sa t?che un seul attrait l'excita, la part de vie pensante qu'il savait maintenir au-dessus des rab?chages quotidiens. Un livre sur le Duc de Saint-Simon lui avait acquis un renom d'originalit?. Au rebours des historiens r?volutionnaires, il y justifiait l'aristocrate en lutte avec les gens de robe. Le contact d'?tres asservis n'avait pu qu'irriter son besoin d'ind?pendance. Les hommes < Pauline et lui se dirigeaient vers les coteaux dont l'Yonne r?fl?chit, ? l'ouest, les murs crayeux. Un sentier qui s'?l?ve entre des buissons les attira; ils allaient sans causer, Pauline ?tant faite aux habitudes silencieuses du professeur toujours absorb? dans ses ?lucubrations. Elle marchait plus vite que lui, et s'animait ? gravir cette colline malingre pour la seule joie de monter, d'atteindre de l'?tendue. Mais, devant elle, sur la croupe du tertre, une ?glise rustique terminait l'horizon; la jeune fille avait l'air de s'y rendre en p?lerinage. Si sa vue s'abaissait, elle d?couvrait, dans les champs, pr?s de la rivi?re, la chapelle et l'enclos d'une abbaye. Si elle se tournait du c?t? de Sens, la cath?drale commandait la plaine; sa tour des cloches, accrue du campanile, semblait une formidable tour de guetteur; les toits bruns et les arbres nus se brouillaient au-dessous d'elle dans des vapeurs pareilles ? de la suie d?lay?e; la ville n'existait qu'autour du donjon massif et par lui. Pauline distingua cependant un autre clocher, Saint-Pierre-le-Rond, voisin de la rue qu'elle habitait. < --D?cid?ment, r?pondit Pauline d'un ton c?lin qui att?nuait ses paroles, tu ne seras jamais content, nulle part; tu souhaitais la proximit? de Paris, tu l'as, et, d?j?, tu voudrais ?tre ailleurs. Si je voyais les choses comme toi, il ne nous resterait qu'? nous pendre. --Oh! ma foi... Le reproche inattendu de sa fille atteignait M. Ardel au vif de ses tristesses latentes. C'?tait trop vrai: l'inqui?tude, avec le non-espoir, faisait son ?me st?rile; et, devant tout spectacle, l'esprit critique en lui tuait la jouissance. --Ce que tu dis l?, pauvre p?re, r?pliqua Pauline, tu ne le penses pas; autrement, ce serait ? croire que je ne suis rien pour toi. Et je me demande, continua-t-elle plus s?rieuse, si je suis beaucoup pour toi; ton talent, tes travaux, voil? ce qui compte dans ta vie; mais ta fille... --Tais-toi donc, fit-il en haussant les ?paules, tu sais bien que tu es mon tout! Deux larmes mouill?rent ses prunelles qu'exalta soudain une tendresse d?sesp?r?e, et, attirant Pauline ? lui, il l'embrassa. Ils arrivaient au sommet du tertre et passaient contre l'?glise de Saint-Martin dont les fen?tres closes par des planches avouaient le d?labrement, lorsqu'au tournant d'un chemin, ? droite du cimeti?re, parut une famille de promeneurs. En t?te montaient un jeune homme et une adolescente; plus bas, s'avan?ait le p?re, homme d'un aspect majestueux qu'il devait non seulement ? sa grande barbe presque blanche, aux larges bords de son feutre, ? l'ampleur de son ulster, mais ? son allure de bonhomie patriarcale. Une petite fille lui donnait la main. D?s qu'il aper?ut M. Ardel, il h?ta le pas dans l'intention manifeste de l'aborder. M. Rude, professeur de dessin, ?tait l'un des rares coll?gues de M. Ardel avec qui une liaison lui par?t possible. Il en recevait l'impression d'une nature d'artiste, gaillarde et forte, que son m?tier de p?dagogue ne parvenait pas ? d?primer. De son c?t?, M. Rude estimait chez M. Ardel une s?duisante intelligence des anciens peintres; il l'avait entendu d?finir, mieux que lui-m?me ne l'aurait su faire, le Ma?tre de Moulins. S'il le connaissait libre-penseur, il sentait pourtant qu'une formation croyante avait d? empreindre dans sa personne des touches ind?l?biles; ? des mots brusques de Victorien, il entrevoyait quelqu'un de fier, d'?pre, de douloureux, ayant comme lui l'horreur des bassesses. Aussi, en se rencontrant ? l'improviste sur la colline, eurent-ils l'un et l'autre un mouvement de plaisir. Les enfants de M. Rude conquirent tout de suite Pauline par leur simplicit? d'accueil. Julien Rude entrait dans sa vingti?me ann?e: haut et flexible, il laissait sa t?te se pencher en avant; une d?marche un peu tra?nante, la n?gligence d'un col de veste d?passant celui du pardessus, son chapeau rabattu sur son nez aquilin lui donnaient un air indolent, bizarre. Mais quand il se trouva en pr?sence de Pauline, elle fut saisie de ses mani?res et de son visage. Il ne lui rappelait pas un seul des ?tudiants qu'elle avait pu voir chez son p?re. Il mit dans son salut une aisance grave, r?serv?e, et ?changea avec la jeune fille un regard limpide dont elle se ressouvint plus tard, comme si, en cet instant-l?, un autre < La figure de Julien, longue, plut?t fine que robuste, ?tait domin?e par un front d'une ampleur ?clatante. Une force de r?flexion tranquille s'accumulait en ses yeux, des yeux d'un brun clair, devant qui tout semblait doux et fraternel. Sa moustache n'emp?chait pas de voir au coin de sa l?vre une fossette pleine de gr?ce. Il avait le teint vermeil, la main effil?e, les signes d'une ?l?gance native qu'un fond sanguin de vigueur pond?rait. Pauline cependant tourna aussit?t son attention vers Edm?e Rude; ravie de d?lier sa langue avec elle, car, depuis sa venue ? Sens, elle vivait sans aucune compagne. Edm?e, rose et fluette, le menton enfonc? dans une ?tole de fourrure, pr?sentait une vivacit? de minois toute bourguignonne. Pauline se pencha pour baiser les joues de Marthe, la cadette; celle-ci, avec un battement de cils, la d?visageait de son oeil hardi, profond. --La gentille petite soeur que vous avez, dit Pauline bonnement. --Oui, gentille, m?me trop, repartit Edm?e tandis qu'elle caressait les cheveux d?li?s et blonds de Marthe. Elle a de ces id?es parfois qui nous font peur. Hier soir, elle regardait, derri?re la vitre, les ?toiles: On ne peut pas les attraper avec des ?chelles? nous a-t-elle demand?. Le bon J?sus saura bien me mener l?-haut. Est-ce qu'il m'y m?nera bient?t? Tu viendras m'y trouver, Edm?e, et Julien aussi. J'aurai des ailes, n'est-ce pas, maman? Une surprise alt?ra le sourire de Pauline; elle ne pouvait comprendre cette curiosit? du Paradis; aux premi?res paroles d'Edm?e, l'obstacle chr?tien se posait entre elles. Edm?e ne savait pas encore Pauline irr?ligieuse; mais elle devina qu'une chose inconnue les s?parait; et, sans s'attarder sur des intimit?s vaines pour une ?trang?re, elle lui parla du paysage qu'elles surplombaient, < --C'est au printemps qu'il faudra le voir et ? l'automne. D'ici, vers la mi-octobre, la plaine est d?licieuse. Je ne sais si vous ?tes comme moi; j'aime tant l'automne, l'odeur des feuilles tomb?es, les peupliers l?gers, tout en feu comme des tabernacles! --Moi, r?pondit Pauline, toute saison me va; mais j'adore l'?t?. Quand le soleil chante, que les oiseaux chantent, je me sens plus de coeur ? chanter. --Vous devez ?tre musicienne... --J'ai de la voix, r?pondit simplement Pauline, d?daignant de se faire valoir; et vous? Edm?e lui d?clara qu'elle se passerait de pain plus volontiers que de son piano; son p?re jouait du violon, son fr?re, du violoncelle; chaque dimanche, apr?s leur promenade, et le soir, de temps ? autre, ils ex?cutaient des trios. Cette d?couverte d'une affinit? pr?cieuse charma Pauline davantage qu'Edm?e, parce que sa solitude lui rendait une amie plus d?sirable. Tout en causant, elles se dirigeaient vers une butte d'o?, jadis, suivant la tradition, les sentinelles romaines observaient au loin la vall?e. --Si nous grimpions l?-haut, insinua Marthe ? sa soeur. --Allons-y, fit Pauline. Elle entra?na Marthe par une main, Edm?e s'empara de l'autre, et toutes trois prirent leur ?lan jusqu'au fa?te du glacis; puis, riant et courant, elles redescendirent. --Vous ?tes, mademoiselle, plus leste que les ch?vres, dit ? Pauline M. Rude qui survint avec son fils et M. Ardel. --J'ai eu des a?eux montagnards, r?pliqua-t-elle en mani?re de badinage, je suis faite pour les cimes! Julien, au son de ces derniers mots, la fixa, se tut une seconde, et reprit la conversation qu'il avait entam?e sur le livre de M. Ardel. L'auteur jouissait de s'entendre commenter par ce jeune homme avec une ferveur ing?nue. --Vous allez me trouver sentimental, poursuivit Julien; mais un des traits que j'admire en Saint-Simon, c'est d'avoir ordonn?, dans son testament, qu'on li?t apr?s sa mort son cercueil ? celui de sa < Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
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