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Munafa ebook

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Read Ebook: Caillou et Tili by Mille Pierre

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Ebook has 668 lines and 43317 words, and 14 pages

--Caillou, lui dis-je un jour, il me semble que tu n'es pas gentil avec Lucile. Et pourtant c'est ton a?n?e, et elle est si bonne pour toi.

Mais il secoua la t?te.

--Elle est emb?tante, dit-il; les femmes sont emb?tantes.

Je fus tent? de lui r?pondre que plus tard il changerait d'avis. Mais c'e?t ?t? immoral. Je me tus. Caillou d'ailleurs r?fl?chissait. Il tenait ? donner ses raisons, et c'est tr?s difficile de donner des raisons quand on ne pense que par impressions et par images.

--Je vais te dire, fit-il. Quand je suis seul avec elle, ?a m'ennuie parce qu'elle joue ? ?tre ma maman... ou je ne sais pas quoi: elle colle.

Je compris que l'un l'ennuyait et que l'autre chose, il ne la comprenait pas.

--Et quand Lucile est avec d'aut' filles, continua-t-il, elle m'emb?te, elle me fait tourner, elle triche.

--Mais, demandai-je, quand vous ?tes plusieurs petits gar?ons avec une seule petite fille, vous lui rendez ?a?

--Non, fit-il, ?tonn?. Nous ne trichons pas.

C'est de la sorte qu'il me fut r?v?l? que les femmes, d?s l'enfance, une fois qu'elles sont assembl?es, consid?rent les hommes comme des ennemis et prennent sur eux, quand elles le peuvent, des esp?ces de revanches sournoises.

Caillou ajouta, toujours grave:

--Aussi, elles ne sentent pas la m?me chose. C'est pas la m?me odeur.

--Tu m'aimes, n'est-ce pas?

--Mais oui, mon petit, mais oui!

--Alors, dis-moi des secrets!

Il a donc senti qu'il doit y avoir, en amour, une chose qui s'appelle la confidence. Tout son appareil sentimental est pr?t. Seulement il n'aime pas les petites filles.

Son opinion, qu'il m'avait auparavant exprim?e, si vous voulez bien vous en souvenir, c'est que sa soeur Lucile, qui a deux ans de plus que lui, non seulement le pers?cutait, mais encore s'associait avec les autres petites filles pour le pers?cuter, sans raison ni bonne foi. Ainsi son premier sentiment sur les sexes, c'est qu'ils sont ennemis.

--Par exemple, explique-t-il, on joue ? chat perch?: elles ont invent? que, quand elles sont assises, elles sont perch?es! ?a ne fait encore rien; mais quand je vais en prendre une, l'autre l'attire tout de suite et l'assied sur ses genoux. Alors c'est moi que j'y suis toujours.

Il explique ?a tr?s longuement, en s'y reprenant, ?tant inhabile ? tout ce qui est construction raisonn?e, et aussi pudique, si j'ose dire, sur tout ce qui est pour lui un chagrin pass?; il a peut-?tre peur du mal que ?a lui a fait, ou bien qu'on se moque.

J'ai alors regard? les petites filles et j'ai ?t? oblig? de constater qu'il avait raison: quand elles se trouvent, en nombre, devant un seul petit gar?on, ce sont de petites rosses. Mais Caillou ne s'aper?oit pas qu'elles ne font peut-?tre que se venger, car il est, lui Caillou, compl?tement idiot quand il se trouve seul avec une seule d'entre elles, ou deux tout au plus. Elles lui font la cour, et il ne s'en aper?oit pas. Il est poli, mais il s'emb?te.

?a doit tenir ? deux choses. La premi?re, c'est qu'elles sont beaucoup plus intelligentes que lui pour leur ?ge, et moins actives. Caillou est pour les jeux o? l'on remue. Il a besoin d'?pancher une surabondance de force, et s'il parle en jouant c'est pour raconter des choses absurdes et d?mesur?es. N'oubliez pas que c'est lui qui voulait m'?craser avec une charrette de vingt-neuf sous. Il est instinctivement ?norme, c'est-?-dire romantique, et la r?alit? l'ennuie. Les petites filles ont au contraire le sens des charmes de cette r?alit?, elles la voient d'une fa?on beaucoup plus aigu? et pr?cise. La seconde diff?rence entre elles et Caillou, c'est qu'elles ont l'instinct inn? de la coquetterie et qu'il en est d?pourvu. Caillou existe pour les petites filles, tandis que les petites filles n'existent point pour Caillou: ce point de dissidence est grave. Et plus elles sont petites, plus il les m?prise. Il n'aime que ce qui est grand.

... Mais Caillou, une fois qu'il est dans la nursery, ne fait pas plus attention ? Jeanne qu'? Vivette. Il sent qu'elles n'ont pas de mauvaises intentions ? son ?gard, ce qui lui suffit; il ne se soucie pas du tout de savoir qu'elles veulent lui plaire. Il les traite donc de la m?me mani?re. Ceci ne veut pas dire qu'il leur accorde impartialement ses faveurs; il reste lui-m?me, tout simplement. Il s'amuse pour son compte et les deux petites filles le suivent, en essayant de se faire remarquer. Parfois l'une met sa joue sur la joue de Caillou, et Caillou l'embrasse. Alors l'autre fait de m?me, et Caillou l'embrasse ?galement, sans y trouver beaucoup de plaisir. Mais il ne s'ennuie pas, il est ? son aise.

Cependant on vient le chercher, pour dire bonjour ? la maman de Vivette. Il y va ing?nument, sans grands regrets ni satisfaction ?vidente. Je ne sais pas ce qu'on lui dit, je ne sais pas ce qu'il r?pond, et ceci n'importe pas ? l'histoire. Mais tout ? coup on entend, dans la nursery, des pleurs et des cris qui font retentir les murailles, et les m?res se pr?cipitent.

Un sentiment obscur et puissant, quelque chose comme un d?sespoir passionn?, venait de s'emparer de Vivette et de Jeanne, laiss?es ? elles-m?mes. Ni l'une ni l'autre n'a r?ussi ? vraiment attirer l'attention de Caillou, et durant toute une heure leur amertume en a grandi; elles s'en rendent, sans m?me s'en douter, r?ciproquement responsables. Voil? pourquoi, l'objet de leur rivalit? ayant disparu, la querelle a ?clat?, sans qu'elles sachent pourquoi. Car elles ne savent rien, sinon qu'elles se d?testent. Et Jeanne a arrach? le chapeau de Vivette, Vivette a tir? sur la robe de Jeanne. Ainsi elles tentent toutes deux de d?truire ce qu'elles ont remarqu? et ha? le plus profond?ment dans leurs personnes. C'est comme dans les vieilles batailles navales, o? on ne tirait que sur la voilure.

Caillou ne dit rien. Il r?fl?chit. Plus tard, ayant entendu qu'on racontait l'?v?nement devant moi, il m'a r?v?l? sur quoi il avait r?fl?chi: c'est que c'est pas comme ?a qu'on se bat!

... Alors je me suis dit: <> Mais l'autre jour je suis all? chercher ses parents pour les conduire en soir?e. Le p?re de Caillou ?tait en habit noir, grand, vigoureux, resplendissant; je l'enviais. Mais Caillou n'avait d'yeux que pour les ?paules et la beaut? de sa m?re, il ?tait comme ?merveill?.

--Que tu es belle, maman! disait-il.

Elle l'embrassa.

--Il faut encore, insista-t-il presque mis?rablement, il faut que tu reviennes m'embrasser quand tu rentreras.

... Si, Caillou distingue les sexes; mais il les remarque seulement l? o? ils existent, chez les grandes personnes, et seulement celles qui l'aiment bien. Et dans sa m?re il aime sa maman, mais aussi une femme, je vous assure.

Un peu plus tard, je le vis traverser en quelques heures toutes les joies et toutes les souffrances de l'amour. Ce spectacle me surprit. Je ne pensais pas que cette passion p?t appara?tre dans une ?me si fra?che et un corps qui ne sait rien de la sensualit?. Mais les signes qui se manifest?rent chez lui furent tels qu'il n'y avait pas ? s'y tromper.

C'est au bord de la mer que j'avais retrouv? Caillou. Cent ans de litt?rature romantique nous ont fait l'esprit assez faux. J'?tais donc, assez sottement, curieux de savoir si Caillou comprendrait la grandeur de l'Oc?an; ma premi?re impression fut qu'il ne la concevait d'aucune mani?re. J'en fus d'abord un peu f?ch?, comme s'il e?t manqu? de dire bonjour ? une dame, ou d'embrasser les personnes avant de s'aller coucher. Je lui dis:

--Tu ne vois donc pas comme c'est grand, Caillou?

Il ne me donna aucun d?menti, parce qu'il a du respect pour ceux qui ne lui mentent pas et ne se moquent jamais de lui. Si je lui affirme que la mer est grande, il est dispos? ? le croire. Mais on voyait bien que personnellement il n'avait pas d'opinion. Il r?fl?chit un petit instant et pronon?a:

--Il n'y a qu'un bord!

Ce fut ? mon tour d'?tre ?tonn?, car je ne m'?tais point avis? jusqu'ici d'une observation si ?vidente: la mer n'a qu'un bord, du moins pour les yeux, et c'est pourquoi elle donne l'impression de l'infini. Mais l'infini est un mot abstrait, que Caillou ne pouvait poss?der dans son vocabulaire. Il exprimait donc, ? sa mani?re, que la mer ?tant une ?tendue d'eau inappr?ciable, il ne savait point si elle ?tait grande ou petite. De plus, elle est telle, par nature, qu'il ne pouvait se l'approprier, en faire un jouet. Il la consid?ra donc comme pratiquement en dehors de son univers. C'est d'ailleurs ainsi que la plupart des hommes font pour le firmament, o? sont les astres. Sachant qu'il existe, mais qu'il est inaccessible, ils ne s'en inqui?tent plus.

Mais le lendemain Caillou avait un bateau, et dans une flaque il le faisait voguer. En remuant de ses pieds nus, avec vivacit?, l'eau de cette flaque, il lui infligeait des temp?tes. Des cailloux dispos?s par lui-m?me formaient un port, des quais, des bassins; au large, il avait m?nag? des r?cifs. En rapetissant les choses il s'?tait efforc? d'en obtenir une image nette. C'est le proc?d? naturel de l'esprit humain.

Je comptais toutefois qu'? la longue il s'apprivoiserait avec les objets nouveaux qui l'entourent, et qu'il me ferait part de ses d?couvertes. Je fus d??u; il devint muet. A table, en promenade, m?me le matin au r?veil, ? cette heure charmante o? les petits enfants sont comme les oiseaux, si d?bordants de joie qu'ils p?pient sans fin, Caillou ne pronon?ait plus une parole.

--C'est parce qu'il pense trop ? son jeu, me dit sa m?re.

Cette pens?e me parut profonde. Quand les enfants s'amusent parfaitement, ils vivent dans leur jeu, ils en r?vent, ils sont hors du monde ext?rieur. Mais ? quoi jouait Caillou? Je l'?piai et d?couvris qu'il passait toute la journ?e avec Kiki.

Kiki est un chien, qui doit, autant qu'il est possible d'en juger, appartenir ? la race des griffons, m?l?e peut-?tre au sang des ?pagneuls et des islandais. Il est n? dans la maison d'un p?cheur, et n'a pas encore deux mois: un peu de chair rose appara?t sous son poil d?j? long, tachet? de blanc et de noir, et tout le jour des sentiments violents, joie, douleur, app?tit, gourmandise, et le froid, et le chaud, agitent son petit corps tumultueux. Les paysans et les p?cheurs ne sont ni bons ni mauvais avec les chiens: ils les laissent vivre. Et Kiki avait un incroyable besoin de jeu et d'affection. Il suivait sans choix et sans r?gle tous ceux qui faisaient attention ? lui, mais les enfants surtout. C'est un ph?nom?ne ?trange que la rapidit? avec laquelle les petits des b?tes s'attachent aux petits des hommes. Ils deviennent plus qu'amis, presque complices. Chez Kiki, le charme de la coquetterie s'ajoutait ? ceux de la jeunesse. Il ?tait le seul petit chien et il y avait autour de lui beaucoup de petits gar?ons et de petites filles. Il se laissait choyer, il se laissait aimer. Il ?tait infid?le, ingrat, capricieux, naturellement.

Le coeur tendre de Caillou connut toutes les d?lices de la passion inqui?te. Plaire ? Kiki, s'en faire suivre, inventer ce qu'il fallait pour l'attirer, ?tait devenu sa seule pr?occupation. Voil? pourquoi il ne parlait plus: il y avait comme de la pudeur dans son silence. Mais un jour il vit arriver sur la plage ce m?me Kiki avec un ruban autour du cou. Et le ruban ?tait tenu par une petite fille qui s'appelle Aline, et qui cria triomphalement:

--Nous partons demain et nous emmenons Kiki. Papa l'a achet?. Cinq francs, il l'a achet?.

Il y a des gens qui ne prennent pas au s?rieux les douleurs d'enfant, sous pr?texte qu'elles s'apaisent vite. Je les m?prise. Ces douleurs sont aussi vraies et plus fortes que les n?tres, elles saisissent toute l'?me des petits, elles la secouent d'une telle violence que c'est pour cela m?me qu'elles s'usent: et c'est bien heureux! Si elles duraient, il y aurait de quoi faire mourir. Caillou tomba sur le sable comme si on lui avait fauch? les jambes, et il se mit ? pleurer, ? pleurer comme il n'avait jamais encore fait de sa vie. Aline disait seulement:

--Puisqu'il ne veut pas de chien, ton papa ? toi, il vaut mieux que Kiki soit chez nous. Tu viendras le voir.

Caillou est trop bon pour conna?tre la haine; mais il pleura plus fort, p?n?tr? de plus d'horreur ? cet essai hypocrite de consolation.

--Il sera ? vous, ? vous! dit-il. Avant, il n'?tait ? personne.

Je le pris dans mes bras. Avez-vous jamais tenu entre vos doigts pitoyables un oiseau qu'on vient de d?tacher du pi?ge! Il n'est plus qu'un frisson affreux. Le coeur de Caillou battait de cette fa?on-l?. J'en aurais pleur? moi-m?me: c'est une contagion nerveuse, on ne peut pas s'en emp?cher. Je prof?rais des sottises pour retrouver mon calme.

--Voyons, Caillou, disais-je, tu reviendras l'ann?e prochaine. Et la maman de Kiki aura fait d'autres petits Kikis. On t'en donnera un.

Caillou me jeta un regard indign?, navrant, navr?, qui me fit honte, et s'enfuit en disant:

--Mais ce ne sera pas celui-l?! C'est celui-l? que j'aime.

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