Read Ebook: La faune des plateaux by Bernard Tristan
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 648 lines and 23979 words, and 13 pagesTout ce qu'il fait l?, ce n'est pas pour emb?ter le monde. Mais il a beaucoup de soucis et veut les faire partager ? son prochain. Et puis, vraiment, on est ? la veille d'un grand ?v?nement qui doit r?volutionner le globe, la premi?re de son oeuvre! Il ne peut supporter que l'on soit calme... Car s'il est doux de ne pas s'en faire quand tout s'agite autour de vous, il est r?voltant de voir des gens qui ne s'en font pas, autour de votre ?me agit?e... Le Ma?tre C'est un auteur c?l?bre. On l'appelle ma?tre et il m?rite magnifiquement ce titre, car il est d?sormais incapable de s'instruire. Depuis trente ans, ses qualit?s sont toujours les m?mes et de plus en plus perfectionn?es et pures... mais il n'a plus de d?fauts... Il ne commet, h?las! plus d'erreurs. Quand il commence une pi?ce, il sait o? il va. Presque tous les spectateurs le savent aussi. Maintenant le m?me po?te le regarderait comme un tramway somptueux qui accomplit implacablement son itin?raire sur des rails solides. Le ma?tre n'?crirait plus un ouvrage dont il ne serait pas enti?rement satisfait. Il est s?r de ce qu'il ?crit. L'?quilibre de son oeuvre lui donne une satisfaction int?rieure qui peut-?tre n'est pas fatalement partag?e par les personnes du dehors. Sur le plateau, il est entour? d'une admiration universelle, un peu goguenarde chez le petit personnel qui le regarde comme un personnage surnaturel, mais l?g?rement infirme et g?teux. Les jeunes femmes du th??tre le consid?rent avec respect. Il lui est difficile de frayer avec elles comme il en a sans doute le secret d?sir... Comment descendrait-il de son pavois? Il n'a pas, comme jadis Jupiter, la ressource de l'incognito et ne peut adopter, pour rassurer ses partenaires, le dandysme onduleux du cygne ou la franche simplicit? du taureau campagnard. Quand il a lu sa pi?ce aux artistes, ils l'ont ?cout?e en silence et des applaudissements r?solus ont salu? la fin de chaque acte; c'est qu'on est tranquille et que le jugement de chacun est ? l'abri; on est certain que la pi?ce est belle, ?tant sign?e de lui. Puis, les r?p?titions se prolongent. A force de vivre avec le chef-d'oeuvre monstrueux, on s'est familiaris? et la terreur admirative d?cro?t ? vue d'oeil. Le jour de la g?n?rale, il peut arriver que le public m?dus? acclame la pi?ce du bon ma?tre. Alors tout le personnel du th??tre retrouvera son admiration. Ou bien la salle sera constern?e. Alors on d?cidera que le ma?tre est en d?clin. Dans ce cas, il aura toujours la ressource de se dire que la g?n?rale rend des jugements de premi?re instance et que l'appel n'interviendra que des ann?es apr?s. Il pourrait se dire cela aussi, et peut-?tre plus justement, s'il obtient un triomphe, car l'acclamation, en pr?sence d'une oeuvre nouvelle, est encore plus sujette ? caution que le d?nigrement. Mais, dans ce cas, comment ne pas encaisser le jugement et ne pas l'estimer d?finitif? Le Criminel --Vous comprenez, monsieur l'inspecteur, si je vous ai demand? au commissariat, c'est que je ne veux pas ?tre expos?e ? des ennuis. Il y a deux ans, l'on m'a fait des reproches qui m'ont joliment tourment?e, la fois que je n'ai pas averti pour l'assassin de la rue Pigalle, qui ?tait venu ici dans la maison, comme on l'a su apr?s par l'enqu?te. Il avait des mani?res qui pouvaient donner la suspicion, je le veux bien, mais de l? ? se figurer ce qu'il ?tait!... Celui d'aujourd'hui est assur?ment bien plus bizarre... J'ai lu encore ce matin, sur le journal, un forfait de vol dans une bijouterie... ?a m'a saisie, quand la personne qu'est avec lui est sortie un instant de la chambre pour me raconter ce qu'elle avait ?t? ? m?me de remarquer... --C'est apr?s d?jeuner qu'il est venu? --Un peu avant trois heures. Il y a une heure de cela... Il a demand? une de ces dames sans trop choisir, et command? du champagne... Il para?t qu'il ne tient pas en place dans la chambre, parlant, parlant, sans finir ses phrases, posant des questions et n'?coutant pas les r?ponses. < L'inspecteur dit qu'il n'y avait pas de pr?somptions suffisantes pour arr?ter un homme, mais qu'on pouvait toujours le prendre en filature. Il avait d'ailleurs amen? un camarade, qui l'attendait en bas. Lui-m?me descendit aussi, et alla fl?ner sur le trottoir. On convint d'un signal de rideau ? une fen?tre, quand le type descendrait ? son tour. Vers cinq heures moins le quart, le type sortit. C'?tait un homme assez ?l?gant, entre deux ?ges, ni grand ni petit. Il ne donnait pas de signes d'agitation. Mais les hommes de police ne s'y tromp?rent pas: son allure ?tait saccad?e, et il serrait les dents. Il marcha pendant dix minutes, assez vite, puis, arriv? ? un coin de rue, il s'arr?ta, parut h?siter, s'engagea dans une petite ruelle, bord?e de vieilles et sordides maisons. Les inspecteurs ne le suivirent pas tout de suite, pour ne pas se faire rep?rer... Mais, ? trois maisons de l?, l'individu entra dans une all?e. --Mon vieux, tu n'as jamais rien fait d'aussi beau.--Quelle conception et quelle ex?cution!--C'est la plus belle g?n?rale depuis la guerre! ?a se jouera deux ans!--Mais qu'est-ce que tu fichais pendant les entr'actes? On t'a cherch? partout... Le Secr?taire G?n?ral Le secr?taire g?n?ral appara?t sur le plateau pendant la r?p?tition, pour dire un mot au directeur. Si celui-ci est occup? ? r?gler une sc?ne, il attend que le patron ait fini et semble suivre pendant quelques instants le travail... C'est encore un sujet de d?ception pour l'auteur, car il est rare que cet auditeur lui dise: < Au fond, bien que le secr?taire g?n?ral soit un homme de lettres, les pi?ces jou?es sur ce th??tre ne l'int?ressent pas. Il dit bien ? l'auteur: < Quelques jours avant le grand jour, il a d?clar? qu'il ?tait accabl? de demandes de places et que le th??tre ?tait trop petit de moiti?. < Le secr?taire a remis ? l'auteur un paquet consid?rable pour son service de premi?re et de g?n?rale... L'auteur dit ? peine merci, car il sait ce que contient cet ?norme pli: quelques rares fauteuils d'orchestre, des balcons de troisi?me rang de c?t?, pour des personnes presbytes qui n'ont pas peur du torticolis, et des places de foyer et de troisi?me galerie pour ceux des amis d'enfance, fournisseurs et petits cr?anciers qui ne sont pas sujets au vertige. L'auteur aborde le secr?taire dans son bureau et, selon son temp?rament, hurle ou g?mit... Le secr?taire, pour toute r?ponse, lui montre la feuille de g?n?rale toute noircie de noms. Il ?num?re les servitudes du th??tre, les bailleurs de fonds, la vieille propri?taire de quatre-vingt-onze ans, la longue cha?ne des sous-locataires, les avocats, avou?s, marchands d'autos de la maison... Le secr?taire r?p?te une fois de plus que son m?tier est infernal... Pourquoi n'en change-t-il pas? L'attrait du pouvoir compenserait-il ce dur martyre? L'auteur reverra le secr?taire g?n?ral quelques semaines plus tard, le jour o?, les recettes flanchant, on a mis une autre pi?ce en lecture. L'auteur voudrait que personne ne se dout?t de ce cataclysme qui le d?shonore... Mais, fatalement, dans la semaine, les journaux ins?rent une petite note, louant la pr?voyance de ce directeur, qui, malgr? les formidables recettes de la pi?ce en cours, pense ? monter un autre ouvrage... pour un avenir tr?s ?loign?... L'auteur est arriv? au th??tre, ?cumant ou lamentable, toujours selon son temp?rament... Mais personne ne sait qui a fait passer cette note. Tous ceux que le malheureux interroge r?pondent avec de d?licieux visages de fillettes innocentes. Si l'auteur est navr? et humili?, c'est ? cause de ses amis qui croyaient, s'imagine-t-il, que son oeuvre ?tait partie pour une longue carri?re. Il a tort de s'en faire sur ce point. Depuis la g?n?rale, les amis ont une id?e bien arr?t?e, et leur seule surprise est que la pi?ce ait pu aller jusque-l?. ?douard Audoir, r?dacteur ? l'"Espoir" LE DIRECTEUR.--Omer, allons! pas de nervosit?... OMER.--On s'?nerverait ? moins. Voil? trois semaines que nous r?p?tons la sc?ne dans un sentiment qu'on n'a pas chang?. La veille de la r?p?tition, il faut tout chambarder. L'AUTEUR.--Il ne s'agit pas de tout chambarder; c'est une nuance que j'indique. C'est trois fois rien... LE DIRECTEUR.--Alors si ce n'est rien, laissez-le tranquille. L'AUTEUR.--Excusez-moi, je suis en pleine r?p?tition. ?DOUARD AUDOIR.--J'attendrai, ma?tre, j'attendrai. OMER.--Ah! maintenant, je ne la sens plus du tout. C'est vrai qu'on a besoin de tout son sang-froid. C'est tout de m?me nous qui paraissons en sc?ne et qui payons de notre personne. On devrait bien ne pas nous troubler quelques heures avant la g?n?rale. L'AUTEUR.--Il faut pourtant revoir cette sc?ne qui n'est pas sue. LE DIRECTEUR.--J'ai dit qu'on ne r?p?tait plus. L'AUTEUR.--Je vous en prie, apr?s la r?p?tition. ?DOUARD AUDOIR.--C'est que la copie du courrier doit ?tre donn?e avant sept heures ? l'imprimerie... LE DIRECTEUR.--C'est ?a le mot de sortie? L'AUTEUR.--Eh bien! il est suffisant. Et je crois que ce sera un effet. LE DIRECTEUR.--Bon, bon, si vous le croyez c'est d?j? quelque chose. Et d'ailleurs nous n'avons plus le temps d'en trouver un autre pour demain. Encha?nons pour la sortie et dites votre mot. L'AUTEUR.--C'est vous qui avez demand? un mot de sortie? LE DIRECTEUR.--Je n'ai pas demand? celui-l?. Mes enfants, r?p?tons, r?p?tons. La sc?ne des deux hommes... Est-ce qu'on a fait des coupures? L'AUTEUR.--J'ai pens?, je crois qu'il serait dangereux de faire des coupures franches. L'AUTEUR.--Il vaut mieux qu'il y ait une petite longueur et ne pas risquer d'?tre obscur. LE DIRECTEUR.--Voulez-vous ?tre bien gentil, laissez-nous donc travailler. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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