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Munafa ebook

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Read Ebook: La retraite ardente by Pr Vost Marcel

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Ebook has 1472 lines and 71370 words, and 30 pages

--Certaines de nos retraitantes, fit-elle, ont amen? ici une personne ? leur service... Nous ne savions pas si vous...

--Oh! je n'ai besoin d'aucun service particulier, interrompit la comtesse. Je suis venue seule. Et, pour mon service, je m'en tire bien toute seule. J'en ai fait l'exp?rience...

--Seule... vous ne le serez pas absolument, r?pliqua la soeur, ce n'est pas notre usage. Une de nos postulantes, s?rieuse et confirm?e, vous guidera, vous initiera...

--Me permettez-vous de vous demander, ma Soeur, ce que vous appelez une postulante?

--Les postulantes n'ont pas fait leur profession: elles ne jugent pas, ou leur directeur n'estime pas que leur vocation soit ?tablie... Suivant leur m?rite, elles sont affect?es ? diverses utilit?s, tout en suivant autant que possible les exercices des novices. Celle que nous vous affectons est tout ? fait digne du noviciat... Elle n'h?site que par humilit? ? faire sa profession.

Il y eut un bref silence. Soeur Incarnation reprit:

--Je vais vous conduire ? votre chambre.

De nouveau, ce fut le corridor avec son chapelet de lumi?res au plafond, puis un escalier bien cir?, garni d'un tapis de jute barr? de cuivre au pied des contre-marches.

En atteignant le premier ?tage, la comtesse se dit: <>

En effet, le corridor o? s'engag?rent les deux femmes filait tout droit entre des murs absolument nus, sauf le mot SILENCE trac? en capitales noires de place en place. Une simple bande de linol?um ?tait coll?e au parquet; les portes, ? intervalles ?gaux, portaient des num?ros ?galement peints en noir. Une de ces portes s'ouvrit avant que les deux femmes l'atteignissent, et il en sortit une jeune fille de moyenne taille, v?tue de noir ? la fa?on de la touri?re, coiff?e comme elle d'un simple bonnet blanc, sans ailes, assez semblable ? la coiffe des Berrichonnes.

--Tenez, dit soeur Incarnation, voici justement la postulante que notre M?re pense vous donner pour compagne... Madeleine!

La jeune fille s'approcha. Autant que put distinguer la comtesse dans cette demi-clart?, elle avait le teint d'une blonde , des yeux clairs, plut?t gris que bleus, des joues rondes et peu color?es, des traits sans beaut?, mais menus et r?guliers, d'o? la s?v?rit? de sa coiffure n'arrivait pas ? bannir une gr?ce de jeunesse.

La comtesse remarqua le naturel du salut qu'elle lui fit et la franchise du regard qu'elle fixa sur elle. Quelque curiosit? juv?nile n'?tait pas exclue du regard, mais quelle attention s?rieuse, quel int?r?t sinc?re il exprimait! Celle qui en ?tait l'objet ne s'y trompa point et, nerveuse comme elle ?tait en cet instant, en fut ?mue.

--Madeleine, dit soeur Incarnation, c'est Madame que nous attendions et que vous allez assister.

La jeune fille se contenta de sourire ? l'arrivante. Celle-ci, soucieuse de r?pudier les formules de l'amabilit? mondaine, dit simplement:

--Je vous remercie, ma Soeur.

Mais la jeune fille r?pliqua:

--Il ne faut pas m'appeler <>. Je ne suis m?me pas novice.

--Alors, reprit la comtesse, comment dois-je vous appeler?

--Madeleine, tout simplement, r?pondit-elle en riant.

--Conduisez Madame ? sa chambre, commanda soeur Incarnation. Elle ne veut pas d?ner: elle prendra seulement, avant de se reposer, un peu de th? avec des tartines... A demain, Madame, je vous d?sire un bon sommeil, sous la protection de votre sainte patronne. Puis-je vous en demander le nom?

--Je m'appelle St?phanie, dit la comtesse.

--C'est donc le glorieux saint ?tienne, le premier des martyrs chr?tiens, que je vais prier tout ? l'heure ? votre intention.

Elle s'inclina bri?vement et s'?loigna. La retraitante, sans s'expliquer pourquoi, sentit au coeur un petit malaise, comme un l?ger pincement interne. <>

On e?t dit que Madeleine, qui n'avait pas d?tach? d'elle son regard intense, devinait ce malaise et cette h?sitation. Elle osa poser discr?tement deux doigts sur le bras de la comtesse, ainsi qu'on ferait pour ?veiller un dormeur que le cauchemar agite. Et vraiment, la comtesse St?phanie sortit d'un songe.

--Je vais vous conduire ? votre chambre, lui dit Madeleine.

Cette chambre parut ? la voyageuse plus confortable qu'elle ne l'avait pr?vu: en somme une chambre d'h?tel comme on en trouve dans les stations d'altitude, pourvue du mobilier essentiel en pitchpin, et d'un lavabo ? deux eaux courantes. Elle ne put s'emp?cher d'en faire la remarque.

--C'est en effet, dit Madeleine, tout en s'occupant d'ouvrir les valises avec la dext?rit? d'une femme de chambre experte, ce que le couvent peut offrir de mieux ? nos dames retraitantes. Nous n'en avons que quatre pareilles. L'agr?ment de celle-ci est qu'elle donne sur le parc.

St?phanie s'?tait assise sur un fauteuil cann? plac? devant la table; une soudaine lassitude avait, d?s le seuil pass?, comme rompu tous ses membres, et, retomb?e par la fatigue dans le cours ordinaire de ses habitudes, elle laissait la jeune fille se d?penser pour elle, comme elle aurait fait d'une femme de chambre... Avec des gestes pr?cis et d?licats, Madeleine vidait les valises, dont elle d?posait le contenu, partie sur la toilette, partie sur le lit. La comtesse avait cru emporter le minimum d'effets et d'objets. En voyant ? quel point ce minimum encombrait la chambre, elle ?prouva de la confusion.

--Je vous en prie, laissez, Madeleine, laissez cela. Je pensais m'arr?ter en route chez des parents et m'y d?barrasser du superflu, et puis j'ai d?...

Madeleine cessa de ranger, se retourna vers St?phanie et dit doucement, en la regardant bien en face:

--Mais non!... Seulement vous ne vous rendiez pas compte... Vous avez emport? tout cela parce que vous ?tiez dans l'esprit du monde... Ici, c'est autre chose. Vous verrez... Dans trois ans, vous porterez encore cette robe que vous avez l?... arrang?e autrement.

Elle se replongea de nouveau dans les valises. La retraitante resta silencieuse. Cette r?ponse si simple lui avait port? un double coup. D'abord en d?non?ant son mensonge l?ger; puis par cette vision de l'avenir d?clar?e avec tant d'assurance. <> songea-t-elle. Et de nouveau elle sentit au coeur le m?me pincement furtif.

L'ordre mis dans la chambre, les effets rang?s dans l'armoire, la jeune fille revint ? St?phanie, qui n'avait pas quitt? son fauteuil, toujours accabl?e de lassitude.

--Voil?... dit-elle. Maintenant je vais ? l'office pr?parer le th?, et dans quelques minutes je vous l'apporterai.

St?phanie allait dire: <> mais cela lui parut soudain une formule vaine et, par cons?quent, ha?ssable. Elle dit seulement:

--Merci.

D?j? la petite coiffe blanche avait disparu, et St?phanie ?tait seule dans la chambre.

<> pensa-t-elle.

Sa propre pens?e la fuyait comme l'eau d'un vase f?l?. Elle voyait sur le fond obscur de ses paupi?res abaiss?es la silhouette de Madeleine, fagot?e de laine noire, et pourtant gracieuse, continuer de se mouvoir bien qu'absente: seulement, au lieu d'?tre noire avec l'unique tache blanche du bonnet, la silhouette ?tait toute claire et la coiffe lumineuse. Puis elle perdit enti?rement le sentiment de ce qui s'?tait pass? ou se passait autour d'elle. Le m?me attouchement discret qui l'avait effleur?e et r?veill?e dans le corridor la rappela au sentiment. Cette fois, il la touchait ? c?t? du bracelet de platine. Madeleine ?tait devant elle et disait:

--Voici votre th?!... Il va refroidir.

Et comme en disant ceci elle laissait glisser ses doigts sur le poignet et la main de la comtesse, celle-ci ne sentit point, comme il lui advenait souvent apr?s de courtes somnolences, son coeur battre en d?sordre.

Elle mangea avec app?tit deux r?ties de pain tr?s bien grill?es avec du beurre excellent, en buvant un th? un peu pharmaceutique. Madeleine ne cessait gu?re de lui parler, mais ce n'?tait nullement un bavardage de nonne... Elle parlait pos?ment, et St?phanie comprenait qu'elle parlait parce qu'elle croyait avoir pour mission de parler. Sa fa?on de parler ?tait d'ailleurs singuli?re: des phrases assez courtes, s?par?es par des silences o? m?rissait la pens?e; peu de variation dans le ton, mais une extr?me mobilit? du visage, lequel, peut-?tre plus que la voix, accompagnait et soulignait la pens?e. Nulle emphase, d'ailleurs, aucun ornement de politesse: une certaine autorit? discr?te, qui n'avait rien de choquant, car la voix semblait exprimer, non pas une opinion ou une volont? personnelles, mais des injonctions sup?rieures dont elle n'?tait que le truchement.

La voix se tut, la silhouette noire au chef blanc se mut un instant sans bruit dans la chambre, la porte s'ouvrit et se referma. St?phanie d'Armatt fut seule: elle n'avait pas boug?, pas prononc? une parole, comme immobilis?e dans le silence par cette voix presque enfantine qui disait avec tant d'assurance--et pourtant sans emphase--des choses ?galement simples et formelles, mais dont l'?cho se prolongeait jusqu'au fond du coeur.

Au moment o?, sa toilette de nuit h?tivement faite, St?phanie se glissait dans les draps du lit conventuel, bien odorants de saine lessive, elle pensa:

<>

Mais quoi?... La source de chaleur humaine s'est subitement tarie aux c?t?s de l'amante... Ballott?e entre le r?ve et le sommeil, elle t?te de ses mains moites la froideur du lit conventuel. Elle voudrait se r?veiller tout ? fait, car le pressentiment du cauchemar l'angoisse. Vainement elle s'efforce: le mauvais sommeil ne l?che point sa proie. Il resserre son ?treinte, au contraire, il immobilise la dormeuse comme une patiente sur un lit d'h?pital... Et voici qu'une odeur ?trange flotte alentour. Elle la reconna?t... Ses l?vres, coll?es ? la froideur du jade, aspirent une fum?e. Aupr?s d'elle, a reparu le Ma?tre de son destin, mais il n'est plus tout contre elle, la r?chauffant de sa chaleur. Il est sur un autre lit... non, sur un autre divan ? m?me le sol, pr?s de celui o? elle-m?me est ?tendue... En vain elle essaye de se rapprocher de lui, d'allonger les bras pour le toucher; ses membres n'ob?issent plus, ses muscles peu ? peu se d?tendent; on dirait m?me qu'ils fondent, comme les membres d'une statue de neige sous un rayon de soleil. Oui... plus de membres... plus de corps... Rien ne p?se plus sur l'esprit lib?r?, mais demeur? pourtant capable de ressentir la joie, de percevoir, de comprendre, d'exister... Flottement a?rien d'une sensibilit? affranchie des organes et qui cependant reste active... Ce n'est pas le monde mat?riel qui s'est an?anti, c'est ce qu'il opposait de limites, d'entraves ? la pens?e, au r?ve, ? la sensation. Maintenant la mati?re elle-m?me est subtilis?e, absorb?e, poss?d?e par l'esprit qui plane, qui conna?t tout, qui voit tout... Comme tout est p?n?trable et facile! Quel soulagement! A-t-on pu vivre autrement que dans cet ?ther fluide et frais? O? donc est celui qu'on aime?... Il n'est ni absent, ni pr?sent, il n'est plus distinct de soi. On n'a plus ? lui ob?ir ou ? lui r?sister: il est en vous et vous ?tes en lui, pour toujours...

Pour toujours?

Non. Pas pour toujours.

Un malaise bizarre commence ? ?gratigner par moments l'insensibilit? d?licieuse. On dirait que la substance mat?rielle du monde est en train de se reformer, de s'agr?ger de nouveau autour de soi, et que cette substance hostile s'amoncelle, mena?ante, obs?dante... Ce n'est d'abord qu'un vague malaise, une oppression diffuse sur tout l'?tre. Puis la g?ne s'accro?t; quelque chose de lourd p?se sur la poitrine: les bras, les jambes, l'estomac sont entrav?s. Par des gestes maladroits, d?biles, on essaye de se d?fendre contre des fr?lements. L'id?e qu'on est la proie de larves ou de reptiles grouillants devient intol?rable: on fait effort pour se d?sencha?ner; les membres recouvrent leur usage. La sensibilit? rena?t et ses perceptions se pr?cisent...

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