Read Ebook: Nos frères farouches by Renard Jules
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1900 lines and 30512 words, and 38 pagesRelease date: January 13, 2024 Original publication: Paris: Gallimard, 1921 JULES RENARD NOS FR?RES FAROUCHES nrf 5e ?dition GALLIMARD Copyright by Librairie Gallimard, Paris Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation r?serv?s pour tous pays. RAGOTTE MOEURS DE RAGOTTE Elle est si naturelle que, d'abord, elle a l'air un peu simple. Il faut longtemps la regarder pour la voir. Elle est all?e ? l'?cole huit mois, chez ce vieil ours de Varneau. On payait trente sous par mois et, en hiver, chaque ?l?ve apportait le matin sa b?che. Il y avait deux partis en classe: les ?criveux et ceux qui n'?crivaient pas. Ses soeurs ont eu le temps d'apprendre. Comme elle ?tait l'a?n?e, elle a d? tout de suite se mettre au m?nage avec sa m?re, et elle n'a rien appris. Elle conna?t la lettre P, la lettre J et la lettre L, parce que ces lettres lui ont servi ? marquer le linge de ses petits, qui s'appellent Paul, Joseph et Lucienne. Elle reconna?t aussi le chiffre 5, on ne sait pas pourquoi. Elle ne peut rendre la monnaie que sur dix sous. Par exemple, si on lui ach?te un sou de lait, elle redoit neuf sous. A partir de dix sous, elle s'embrouille, et elle aime mieux dire: --Vous me paierez une autre fois! Elle se passe bien d'?crire, mais elle regrette encore de ne pas savoir lire. On a beau lui faire lentement la lecture d'une lettre, elle se m?fie. Si elle savait, elle pourrait lire la lettre ? son aise, la relire toute seule, en cachette, souvent. --J'ai soixante ans, madame, dit-elle ? Gloriette, c'est trop tard; si j'en avais vingt de moins, je vous ferais une pri?re, je vous prierais de m'apprendre ? lire! Elle observe Mademoiselle pench?e sur sa table de travail. --Je viens voir, dit-elle, si vous ne vous trompez pas dans vos ?critures! Et elle ajoute, fine, haussant les ?paules pour se moquer d'elle-m?me: --C'est bien ? moi!... --Qu'est-ce qu'il trouve donc de si curieux l?-dessus? Si elle re?oit une lettre ? son nom, ce qui ne lui arrive presque jamais, elle l'apporte ? Philippe. --Ah! mon Dieu! fait-elle, troubl?e, d?p?che-toi! --Tu as le temps, peut-?tre! r?pond Philippe. --?coute, dit Ragotte, tu vas me la lire d'abord une premi?re fois, vite, pour que je sache si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Ensuite, tu me la liras une deuxi?me fois, sans te presser, pour que je comprenne, comme il faut, ce qu'ils me veulent. Elle ne sait pas encore que le timbre des lettres est ? deux sous. Elle explique ainsi ce que fait un employ? de bureau: --Toute la journ?e, dit-elle, il ?crit dans une chambre. A douze ans, elle ?tait d?j? en ma?tre, c'est-?-dire au service des autres, chez une vieille dame ayant les moyens, mais si avare qu'elle ne pouvait pas garder une servante. A l'arriv?e de Ragotte, les voisines se dirent: --Elle est fra?che, cette petite-l?! Elle n'aura pas longtemps sa bonne mine! La vieille dame taillait elle-m?me la soupe pour qu'elle f?t claire de pain. --Quand on ne travaille pas beaucoup, disait-elle, on n'a pas besoin de beaucoup manger. Jamais on ne veillait. Hiver comme ?t?, il fallait se coucher ? la nuit tombante et ne pas user de chandelle. D?s que la vieille dormait, Ragotte allait prendre le pain dans l'arche et se coupait une tranche mince sur toute la longueur de la miche. Elle mangeait sous ses draps, sans bruit, au risque de s'?touffer, et sans plaisir, parce que, demain, la vieille s'apercevrait s?rement de quelque chose. La vieille ne s'aper?ut de rien, et Ragotte, contente de gagner quelques sous, qu'elle devait donner ? sa m?re, ne se plaignait pas. Au bout de trois mois, sa m?re, la voyant maigrir, la retira ? cause des voisines, par fiert?. Elle dit ? propos de tout ce qui a pr?c?d? sa naissance: --En ce temps-l?, je n'?tais pas faite! --Quand mon p?re se f?chait, il me disait: < --Qu'est-ce qu'il voulait dire? --Par la porte! --De mon temps, les jeunes filles rentraient toutes ? la tomb?e de la nuit. --Ce n'?tait pas pour ma beaut?, dit Ragotte, ce n'?tait pas non plus pour ma fortune, mais ? l'?ge de me marier, j'en avais cinq autour de moi! Le premier m'a fait la cour trois ans. Las de m'attendre, il s'est mari? avec une autre; puis, une fois veuf, il m'a redemand?e. Je ne voulais pas. Quand il ?tait trop pr?s de moi, j'avais de l'ennui. Il me disait: < J'ai mieux aim? Philippe. --Vous ne regrettez rien? --Ma foi non, dit-elle, apr?s avoir un peu h?sit? parce que Philippe est l?. Add to tbrJar First Page Next Page |
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