Read Ebook: Nos frères farouches by Renard Jules
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1900 lines and 30512 words, and 38 pages--Ma foi non, dit-elle, apr?s avoir un peu h?sit? parce que Philippe est l?. --Quand je pense, dit tout de m?me Ragotte, que je pouvais choisir entre cinq gar?ons, et que j'ai choisi le plus laid! --Quand je pense, dit Philippe, que je connaissais trois filles et que j'ai pris la plus vieille! --Et ce n'?tait pas malin de ta part, r?pond Ragotte; si j'avais ?t? un homme, je n'aurais jamais voulu d'une femme plus ?g?e que moi! --Regardez-le, dit-elle, il ne voit plus clair! C'est qu'en effet il plisse et ferme presque les yeux ? force de rire. Elle s'est mari?e en sabots; elle avait achet? des souliers neufs, mais par crainte de les salir, elle ne voulait les mettre que pour faire son entr?e ? l'?glise. Arriv?e sous le porche, elle voit que sa m?re, qui devait les porter ? la main, ne les a pas. --Et mes souliers, maman? --Ha, ma fille, je les ai oubli?s; ils sont sous l'armoire, mon enfant! Il fallut bien aller jusqu'au choeur avec les sabots qui tapaient le moins possible sur les dalles. --Tout s'est pass? comme il faut la premi?re nuit? --Oh! oui, dit Ragotte, Philippe avait une chemise bien propre. Elle ?tait encore si jeune de caract?re qu'elle n'a pas pu, tout de suite, s'emp?cher de faire la partie avec les filles du village. Elle ne s'arr?tait que lorsqu'une voisine de ses amies lui criait: --Attention! voil? ton homme! Nouvelle mari?e, elle habitait la m?me maison, c'est-?-dire la m?me pi?ce que son beau-p?re. Cela ne devenait g?nant que lorsqu'elle accouchait; mais le beau-p?re sortait par discr?tion. Et puis Ragotte n'?tait pas longue. Personne ne mettait moins de temps qu'elle. --Mon beau-p?re ne m'adressait pas la parole. Philippe croyait qu'il boudait par ma faute et m'en voulait. Il aimait beaucoup son p?re. Moi aussi, je l'aimais, le pauvre vieux, seulement, je n'?tais pas bicheuse, et je ne savais pas le mignoter ? sa suffisance. Elle aime Philippe, mais comment oser dire qu'elle l'aime d'amour? Quel nom faut-il que je donne au sentiment qui les tient li?s? Elle l'aime: cela signifie qu'elle le pr?f?re ? tous. Elle a perdu sa m?re, Philippe lui restait. Elle perd son petit Joseph, Philippe reste. Ses autres enfants peuvent mourir, Philippe vivant, elle ne sera pas inconsolable. Elle dit: < Elle se passerait de tout, sauf de Philippe, et, pour cette raison, elle l'appelle, sans se creuser la t?te: < Philippe l'appelle bonnement: la vieille demoiselle! --Aujourd'hui, dit-elle, il aime mieux se faire l?cher par son chien que par moi; mais qu'il ne vienne pas ensuite mettre sa figure contre la mienne, je n'ai pas besoin qu'il me rende les bicheries du chien! --A cause de son nez, je le reconna?trais entre cent cochons. Philippe a le nez un peu d?form?. --Moi aussi, madame Gloriette, j'?tais ambitieuse! J'ai voulu longtemps mettre des chaussettes ? mes petits. Ils poss?daient tous trois chacun leur paire. Je la lavais le soir, pour la faire s?cher la nuit, et j'en coiffais les chenets. Un matin, j'ai retrouv? les chaussettes mang?es par les grillons. Je me suis rendu compte, ce jour-l?, que mes petits marcheraient aussi bien pieds nus. --Quand un petit commence ? pouvoir rester assis sur ses fesses, madame, ?a prouve qu'il n'a pas le cul trop rond. Philippe ne lui donne jamais un sou. Il fait sa vie de son c?t?, elle fait la sienne du sien. Loin de se plaindre, elle bl?me certaines femmes: --Il y en a, dit-elle, qui gardent le porte-monnaie et qui ne remettent de l'argent ? leur homme que vingt sous par vingt sous. Moi, je ne pourrais pas. Toutefois, elle pense qu'? la rigueur la femme peut vivre sur son homme, et m?me le mari sur sa femme: c'est compagne et compagnon! Mais un p?re et une m?re ne doivent pas rester ? la charge de leurs enfants. D?s qu'elle ne pourra plus, aid?e de son principal ou seule, faire sa vie, elle voudra mourir. --Dans un m?nage, dit-elle, quand il pleut sur l'un, il fait mou sur l'autre. Ce qui veut dire que, si l'un gagne des sous, l'autre en profite. Elle ne d?pense pas dix francs par an ? son entretien, et dans les vieilles culottes qu'on passe ? Philippe et qu'il use, elle trouve encore de bonnes pi?ces pour se faire des chaussons tout neufs. Elle n'a pas adopt? le pantalon des femmes; on ne marche ? l'aise que si les cuisses se touchent. Toujours propre, d?cente et modeste dans sa tenue, il faut qu'il fasse bien chaud pour qu'elle d?noue et rel?ve sur le cou les brides de son bonnet blanc. C'est presque du libertinage. Ce qui l'a flatt?e, un jour qu'elle s'achetait un petit manteau pour une noce, c'est que Tapin, le marchand de nouveaut?s, ait dit, en lui mettant sur le dos la premi?re jaquette venue: --Vous ?tes bien plaisante ? habiller! Comme Tapin faisait miroiter un caraco de satinette: --Oh! non! non! dit-elle, c'est trop victorieux pour moi! --Un homme peut rester au lit quand il est malade, une femme pas. Une femme n'a jamais le temps de s'?couter. --Une femme doit manger moins qu'un homme. Jadis, on m?lait des pommes de terre ? la farine du pain. Ragotte a mang? de ce pain-l?, et elle fait la grimace au souvenir du morceau de pomme de terre froide qu'on sentait tout ? coup sous la dent. Elle a ?t? longue ? s'habituer au pain de monsieur, qui est le pain blanc. Elle aime toujours le pain de m?nage, et parfois elle fait avec sa cousine, qui cuit encore elle-m?me, des ?changes au go?t et au profit de chacune. Elle est all?e, ce matin, au march? de la ville, et elle dit: --Autrefois, il y avait un boucher; aujourd'hui, il y en a cinq! Le monde devient carnassier. --Autrefois, il fallait courir jusqu'? la ville acheter deux sous de sel. On prenait ses pr?cautions le dimanche. Aujourd'hui, pour notre argent, ils nous apportent tout ? la maison. --Manger! Est-ce dr?le que tout le monde s'enferme dans les maisons, ? la m?me heure, pour faire la m?me chose! Ils mangent, Philippe, Ragotte, le Paul, ? une petite table o? ne peut tenir que la grande ?cuelle commune. --Vous ?tes bien l?, dit Gloriette, serr?s coude ? coude. --Oui, madame, r?pond Ragotte, on se donne app?tit les uns aux autres. --En veux-tu, toi, du pain? lui demande Philippe. 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