Read Ebook: Le signe sur les mains by Baumann Emile
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 657 lines and 33767 words, and 14 pagesRelease date: January 19, 2024 Original publication: Paris: Bernard Grasset, 1926 Credits: Laurent Vogel ) ?MILE BAUMANN LE SIGNE SUR LES MAINS ROMAN PARIS BERNARD GRASSET 61, RUE DES SAINTS-P?RES DU M?ME AUTEUR ?dition de luxe: HEURES D'?T? AU MONT SAINT-MICHEL, avec des gravures sur bois de Ren? Pottier. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation r?serv?s pour tous pays. Copyright by Bernard Grasset 1926. Mademoiselle GENEVI?VE DUHAMELET apr?s avoir relu ses Po?mes; Agn?s les e?t aim?s. AUX JEUNES AMIS CONNUS ET INCONNUS qui retrouveront en J?r?me quelque chose d'eux-m?mes. Au moment o? J?r?me entra, rue de Vaugirard, dans la chapelle des Carmes, l'office du Samedi Saint ?tait commenc?. Comme tous les ans, la veille de P?ques, on y faisait l'ordination des clercs. Devant le tabernacle se tenait agenouill?, en chape violette, avec ses assistants, un majestueux ?v?que dont un acolyte portait la crosse. Les surplis des pr?tres emplissaient le choeur; des t?tes chauves brillaient sous le soleil qui p?n?trait, ? droite, par le vitrail du transept. Les yeux de J?r?me ne se tendirent qu'une minute vers l'autel. Au milieu de la nef, la double rang?e des ordinands formait en demi-cercle une couronne d'aubes et de cierges, le long d'un tapis o?, solennellement, s'avanc?rent ceux qui allaient ?tre ordonn?s, les uns sous-diacres, les autres diacres, quelques-uns, pr?tres. Ils se mirent ? genoux, puis, les mains crois?es sous leur front, ils s'allong?rent, demeur?rent immobiles. Le clerg? avait entonn? les litanies des Saints; l'?glise triomphante s'entendait appeler ? soutenir de sa puissance l'infirmit? des m?diateurs terrestres. Eux, avant de se lier par les rites irr?vocables, ils signifiaient leur volont? de mourir ? tout ce qui n'?tait pas Dieu; ils restaient couch?s l?, pareils ? des cadavres, comme de grands lys foudroy?s. J?r?me, leste et mince, pour mieux voir, s'insinua entre les chaises press?es des fid?les, jusqu'au centre de la nef. Il consid?ra ces corps de jeunes hommes, prostr?s en ligne, sur deux rangs. Les diacres, par-dessus leur aube, ?taient ceints d'une ?tole, comme des soldats d'un baudrier. La couleur rouge ?tal?e dans l'or du tapis lui repr?senta des flaques sinueuses de sang, le sang frais de combattants abattus, la face dans la poussi?re, parmi des bl?s qui m?rissent. Il songea: --Si Montcalm ?tait ici... Montcalm, son a?n? de deux ans, un camarade tu? ? la guerre, cinq mois avant la fin; une de ces amiti?s que le silence de la mort approfondit! Montcalm avait-il besoin d'?crire? Quand ?tait-il absent? Depuis l'heure o? il partit en patrouille et ne reparut jamais, J?r?me gardait comme grav? au couteau dans sa m?moire son regard d'adieu; m?me le son de ses derni?res paroles vibrait en lui. A Moulin-sous-Touvent, le soir du 3 juin, au cr?puscule, ils marchaient l'un derri?re l'autre, le long d'un boyau fangeux. Montcalm s'avan?ait le premier, penchant la t?te, massif et grave. Un brusque pressentiment le saisit; il s'arr?ta, se retourna, dit ? J?r?me: --Tu sais o? je dois aller apr?s cette guerre, si j'en reviens . Si je meurs, tu prendras ma place. Est-ce promis? --Alors, tu n'en veux pas revenir? --Est-ce promis? insista Montcalm qui posa une main sur son ?paule et le regarda comme s'il lui passait le fardeau d'une mission sacr?e. Il tendait vers son ami son visage honn?te et rubicond, sa forte m?choire de rural vend?en. Un sourire mystique commentait son adjuration. J?r?me ne se raidit point sous l'impr?vu de cette violence: Ils s'?treignirent sans rien ajouter. Montcalm, dans la nuit tombante, reprenant sa marche, semblait en route d?j? pour les pays d'outre-tombe... Deux semaines plus tard, J?r?me eut le bras droit cass? par une balle. La fracture ?tait s?rieuse; la maladresse d'un major en compromit la gu?rison. Une faiblesse lui resta dans les muscles qui le rendit pour longtemps inapte ? tenir un fusil. L'armistice le lib?ra; il rentra chez sa m?re, alors install?e aux environs de Saint-Cloud, sur la hauteur de Garches. Il ne lui parla point de la promesse faite ? Montcalm. La mort de Montcalm ?tait-elle bien s?re? Suffisait-elle ? certifier l'appel divin? Ai-je la vocation? s'interrogeait-il. Et il interrogea Dom Estienne, son confesseur, un vieux b?n?dictin prudent. Celui-ci conseilla simplement: < J?r?me attendait plus qu'il ne priait. La grandeur du sacerdoce, parfois, l'attirait, m?me l'enivrait. Mais, avec la fougue de ses vingt et un ans, il s'?lan?ait aux joies palpables, comme un affam? ouvre ses narines ? l'odeur d'un pain chaud. Il pr?parait un examen tout profane: l'?cole d'agriculture de Beauvais, o? il se proposait d'?tre admis, l'armerait de m?thodes neuves pour l'exploitation de ses terres, en Vend?e. L'histoire ?tant une de ses passions, il suivait aussi des cours ? l'Institut catholique. C'est pourquoi il avait dirig? ses pas vers la chapelle des Carmes; au spectacle de l'ordination il voulait s'?prouver, s'imaginer lui-m?me en soutane et en aube, pareil ? quelqu'un de ces prostr?s sur qui le choeur chantait les litanies des Saints. Elles retentissaient, plus triomphales que fun?bres, au-dessus des victimes dont allait se consommer l'oblation. Les fortes voix du clerg?, celles, plus flottantes, de la foule, d?roulaient impersonnellement la continuit? na?ve des versets et des r?ponses. L'?glise d?nombrait les colonnes de l'invisible basilique ?difi?e et enrichie par les si?cles. Elle conviait ? d?filer autour des ordinands, ? leur tendre la main, l'arm?e des anges et des archanges, tous les Ordres des Esprits bienheureux, les Patriarches et les Proph?tes, les Ap?tres et les ?vang?listes, les Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, les Veuves, les Ermites, les P?nitents; et le Christ lui-m?me, avec son ?tendard, semblait descendre, comme dans les limbes, au-devant de ces ensevelis pour les initier a sa gloire. J?r?me s'unissait aux r?ponses; leur gaillardise populaire all?geait de sa tristesse la longue prostration. Il se disait en m?me temps: Moi, je suis loin de leur ob?issance. Je n'ai, comme dirait Dom Estienne, ni l'attrait surnaturel, ni l'intention droite. Je ne m?rite pas le choix d'en Haut. J'ai le go?t de rester libre. Oh! la soutane, un suaire noir. Moi, J?r?me Cormier, en soutane!... Non, ?a ne m'irait point. Et pourtant... Il s'arr?tait au bord de cet aveu: Les ordinands s'?taient relev?s; le demi-cercle des aubes et des cierges se reforma. J?r?me admirait les visages purs et tranquilles des clercs debout en face de lui. Son enthousiasme les jugeait < Ce fut entre ses murs, qu'en 1792, les septembriseurs entass?rent et jug?rent, avant la tuerie m?thodique, les pr?tres qu'ils n'avaient pas massacr?s dans le jardin. Sur le marbre de la table o? l'on communie, les bourreaux venaient aiguiser leurs sabres. Puis, les condamn?s ?taient pouss?s, par la galerie, vers le palier du jardin. A mesure qu'ils se montraient, on les pr?cipitait sur les piques, on les sabrait, on les fusillait. Cependant il suivait avec attention les rites. Le Pontife, assis ou debout, d?posant ou reprenant sa mitre, lisait d'une voix claire les augustes oraisons. Les ordinands montaient s'agenouiller, se relevaient: tonsur?s, portiers, lecteurs, exorcistes, acolytes, sous-diacres portant pli?e sur le bras gauche la dalmatique, < < Sur la t?te des nouveaux diacres, le Pontife ?tendait la main droite; il mettait ? leur cou l'?tole blanche, symbole de candeur, de bienheureuse immortalit? et leur faisait toucher le livre des ?vangiles. Mais ? l'ordination des pr?tres ?tait r?serv?e la plus ample liturgie. J?r?me observa la petite nappe qu'ils tenaient pour lier et laver leurs mains. Le cons?crateur lut l'admonition latine o? l'on rappelle qu'autrefois le peuple ?tait consult?. Il associait ? l'?glise future, incarn?e dans les nouveaux pr?tres, toute celle des temps pass?s, depuis les Ap?tres, depuis Mo?se et les soixante-dix hommes choisis dans Isra?l... Puis il se leva, et, sans discours ni chant ni aucune parole, il imposa les deux mains ? chacun des diacres agenouill?s. Les pr?tres qui l'entouraient pass?rent devant eux, faisant de m?me. Enfin, tous ensemble, le Pontife et les pr?tres ?tendirent leur main droite sur les t?tes inclin?es. < Le Pontife, sur la poitrine des ordinands, avait dispos?, en forme de croix, l'?tole qui figure le joug du Seigneur, suave et l?ger. Il avait abaiss? le long de leur corps la chasuble, embl?me de la charit? parfaite. --Agn?s et Antoinette auraient d? venir; elles seraient ?mues... Antoinette et Agn?s Duprat ?taient les deux soeurs. Leur m?re, veuve d'un magistrat nantais, venait de mourir d'une lente maladie de coeur, aux Clouzeaux, bourg vend?en, o? sa maison avoisinait la Bruni?re, le domaine de Mme Cormier. Celle-ci, qui l'aimait, et plus encore aimait ses filles, les avait recueillies, pour quelques mois, ? Garches. J?r?me s'?tait fait d'elles, malgr? leur tristesse, deux amies d?licieuses. Presque ? son insu elles captivaient sa vie d'un na?f enchantement. Chacune l'occupait par une amiti? diff?rente: fraternelle avec l'a?n?e, Antoinette, jeune personne vive et raisonnable, qui se proposait, quand elle aurait mari? sa soeur, de prendre, au couvent de la rue du Bac, l'habit des Filles de la Charit?; plus inqui?te, plus tendre aussi avec la singuli?re Agn?s. Pour lui plaire, Agn?s avait mieux que la fra?cheur de ses dix-huit ans: une intelligence aigu?, des saillies originales, des alternances de r?verie et d'enthousiasme; il surprenait chez elle, sous des ?lans mystiques, une aspiration r?prim?e ? tous les bonheurs pressentis, mais un je ne sais quoi de violent, de faible, de douloureux qui le troublait. Au milieu d'une c?r?monie dont tous les rites pr?chaient le renoncement, le souvenir d'Agn?s s'interposa comme pour protester contre d'aust?res desseins. L'id?e de sa pr?sence lui survint telle qu'au premier instant o?, apr?s des ann?es, ils s'?taient revus. Add to tbrJar First Page Next Page |
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