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Munafa ebook

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Read Ebook: La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) by Reuss Rodolphe

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Ebook has 466 lines and 112154 words, and 10 pages

LA CATH?DRALE DE STRASBOURG PENDANT LA R?VOLUTION

?tudes sur l'histoire politique et religieuse de l'Alsace

PAR

RODOLPHE REUSS

PR?FACE.

La plupart de nos lecteurs connaissent, au moins dans ses traits g?n?raux, l'histoire des ?difices religieux de Strasbourg pendant la crise r?volutionnaire. Chang?s en magasins de fourrages, en ateliers militaires, voire m?me en ?tables, apr?s la suppression du culte, ils furent tous plus ou moins maltrait?s par l'administration terroriste et ses adh?rents, de 1793 ? 1794. Ornements ext?rieurs, vitraux, pierres tombales, inscriptions fun?raires, mobilier d'?glise, furent enlev?s ou d?truits, l? o? ne se trouva point quelque citoyen habile et courageux, pour emp?cher, du moins partiellement, ces actes de violence et de profanation. La cath?drale devait ?tre tout naturellement expos?e, plus que toute autre ?glise, ? des attentats de ce genre. Le sort de cet ?difice pendant la dur?e de la R?volution n'est pas inconnu, sans doute, le r?cit des sc?nes tour-?-tour ?mouvantes et tumultueuses, dont il fut alors le th??tre, a ?t? sommairement retrac? dans la plupart des descriptions arch?ologiques consacr?es ? ce monument de l'art, depuis un demi-si?cle et plus. Mais notre cath?drale est si ch?re ? tout enfant de Strasbourg, quelles que soient du reste ses opinions politiques et religieuses, elle tient une si grande place dans ses impressions artistiques et ses souvenirs d'enfance, qu'on ne verra pas sans quelque int?r?t, je l'esp?re, un tableau plus ?tendu des ?v?nements qui se rapportent, de pr?s ou de loin, ? son histoire d'alors.

Un mot encore, avant de terminer cette courte pr?face. Nous ne saurions nous flatter de contenter tout le monde, en entrant dans le vif de notre sujet et en traitant avec certains d?tails des questions aussi d?licates que celles que nous rencontrerons sur notre chemin. La R?volution est trop pr?s de nous, ou plut?t, tous, tant que nous sommes, que nous le voulions ou non, nous sommes encore trop plong?s dans le grand courant historique, n? de 1789, pour que les id?es et les impressions si contradictoires d'alors ne soient pas toujours vivantes parmi nous. Toutes les ?motions, douces ou violentes, par lesquelles ont pass? nos grands-p?res, tous les sentiments d'enthousiasme, de haine ou d'effroi qu'ils ont ressentis au spectacle des sc?nes que nous allons voir ensemble, vibrent encore dans nos ?mes, et les malheurs communs eux-m?mes n'ont pu faire dispara?tre encore chez tous cet antagonisme bient?t s?culaire. Je dois donc forc?ment me r?signer ? choquer une partie de mes lecteurs, soit en jugeant autrement certains hommes et leurs actions, soit en n'appr?ciant pas comme eux certains ?v?nements historiques. Peut-?tre m?me aurai-je le malheur de m?contenter ? la fois les partisans de l'ancien r?gime et ceux des id?es nouvelles, les adh?rents de l'unit? catholique et ceux de la libre pens?e, en m'effor?ant de rester ?quitable pour les uns et pour les autres. Je t?cherai du moins de ne froisser, de parti pris, aucune conviction sinc?re, et de ne jamais oublier qu'il y a sans doute parmi mes lecteurs plus d'un descendant des personnages qui figureront dans mon r?cit. Mais je revendique en m?me temps pour moi le droit le plus ?vident de l'historien, celui de signaler avec franchise les erreurs et les fautes du pass?, d'autant que c'est le seul moyen parfois d'en emp?cher le retour. On voudra donc bien m'accorder ? l'occasion le b?n?fice de cette parole bien connue d'un orateur c?l?bre: ,,L'histoire doit des ?gards aux vivants; elle ne doit aux morts que la v?rit?!"

NOTES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA Cath?drale de Strasbourg pendant la R?volution.

Au moment o? s'ouvrait l'ann?e 1789, la Cath?drale de Strasbourg, autour de laquelle allaient s'engager tant de comp?titions, puis des luttes si violentes, semblait devoir jouir en toute tranquillit? des hommages que les touristes de l'Europe enti?re venaient payer ? ses splendeurs. Jamais ses visiteurs n'avaient ?t? plus nombreux, ainsi que l'attestent encore tant de noms, obscurs ou connus, grav?s avec plus ou moins d'art sur les pierres m?mes du vieil ?difice. Il avait ?t? d?barrass? depuis peu des mis?rables ?choppes et boutiques, group?es autour de sa base et que nous repr?sentent les gravures du dix-huiti?me si?cle. L'architecte de la Cath?drale, Jean-Georges Goetz, les avait remplac?es par ces arcades n?o-gothiques, d'un go?t remarquablement pur pour l'?poque, qui lui forment encore aujourd'hui comme une ceinture. On l'avait enlaidie, par contre, il faut bien l'avouer, en dressant sur la plate-forme cette lourde et massive demeure des gardiens, que cent ans d'existence n'ont pas rendue plus attrayante ? nos yeux. Fi?re de ses richesses artistiques, elle l'?tait plus encore de ses richesses mat?rielles et du nombreux et brillant ?tat-major eccl?siastique group? dans son choeur et tout autour de ses autels.

Dans cette France de l'ancien r?gime, o? foisonnaient les grands noms nobiliaires, il n'y avait point de chapitre qui p?t rivaliser, m?me de loin, avec celui de l'Eglise Cath?drale de Strasbourg. Son chef ?tait ? la fois prince de la tr?s sainte Eglise romaine et prince du Saint-Empire romain-germanique. Il avait ?t? grand-aum?nier de France, ambassadeur ? Vienne, et, malgr? les r?v?lations f?cheuses du proc?s du Collier, le dernier des Rohan qui ait port? la m?tre strasbourgeoise, continuait ? tenir le premier rang dans la province. Autour de lui venaient se ranger vingt-quatre pr?lats, chanoines capitulaires ou domiciliaires, presque tous princes, soit en France, soit en Allemagne, ou du moins comtes du Saint-Empire. Trois Rohan, quatre Hohenlohe, un Croy, un La Tr?moille s'y rencontraient avec deux Truchsess, six Koenigsegg et quatre princes ou comtes de Salm. Les autres stalles capitulaires ?taient vacantes en 1789 et ne devaient plus ?tre occup?es.

Au-dessous de ces grands seigneurs, richement dot?s et splendidement log?s pour la plupart, se trouvaient les vingt pr?bendiers b?n?ficiaires du Grand-Choeur, le personnel de la ma?trise, le clerg? s?culier, attach? ? la paroisse de Saint-Laurent et toute une s?rie de fonctionnaires eccl?siastiques accessoires. Privil?gi?s de l'ordre des choses existant, ils devaient perdre forc?ment ? tout changement politique ou social. Aussi ne pouvaient-ils ?tre qu'hostiles aux id?es nouvelles qui allaient enfin bouleverser l'Etat, apr?s avoir, depuis longtemps d?j?, travaill? les esprits. D?s l'aurore de la R?volution, c'est ? l'ombre de la Cath?drale que viennent se grouper les ?l?ments de r?sistance et ce que nous appellerions aujourd'hui le parti r?actionnaire.

Presque au m?me moment s'op?rait une scission analogue eu sens oppos?. Parmi les grands propri?taires terriens, les princes ?trangers possessionn?s en Alsace, qui venaient protester l'un apr?s l'autre contre une interpr?tation trop large des d?crets du 4 ao?t, il y avait un groupe tout particuli?rement menac?, le clerg?, dont les biens avaient en Alsace une ?tendue si consid?rable. Pour les seigneurs eccl?siastiques la n?gation de leurs droits seigneuriaux n'?tait pas seulement une perte grave, mais la ruine ? peu pr?s compl?te. Quand on regarde sur une carte d'Alsace de ce temps l'?tendue des territoires du prince-?v?que de Strasbourg et du prince-?v?que de Spire, du Grand-Chapitre, des abbayes de Marmoutier et de Neubourg, des chapitres de Murbach et de Neuwiller, sans compter des seigneuries de moindre importance; on comprend l'anxi?t? profonde qui travaillait le haut clerg? de la province. Il ?tait ?vident, alors d?j?, que la Constituante finirait par prendre une d?cision radicale pour parer ? la banqueroute, et que les biens du clerg? seraient employ?s ? combler le gouffre b?ant, sauf ? d?dommager, le plus modestement possible, les usufruitiers de ces immenses richesses. Cette perspective, si tourmentante pour tout le clerg? fran?ais, devait particuli?rement ?mouvoir le monde eccl?siastique d'Alsace.

Il a pu sembler ? quelques-uns de nos lecteurs que cet expos? g?n?ral de la situation des esprits ? Strasbourg, nous entra?nait bien loin de la Cath?drale et de notre sujet plus restreint. Mais ils comprendront bient?t, j'esp?re, que cet aper?u, r?sum? dans les limites du possible, ?tait n?cessaire pour les orienter sur ce qui va suivre. Si l'on ne parvenait ? se rendre nettement compte des dispositions morales de la population strasbourgeoise, d?s le d?but de la crise, tout le cours subs?quent de la R?volution dans nos murs risquerait fort de rester une ?nigme ou de donner naissance ? d'?tranges malentendus.

Le prince Louis de Rohan, l'un des plus menac?s, il est vrai, puisqu'il avait sept cent mille livres de rente ? perdre, fut aussi l'un des premiers ? se rendre compte de la gravit? du danger. On se rappelle qu'il avait refus? d'abord de si?ger ? la Constituante. Quand il vit que l'Assembl?e Nationale entamait s?rieusement la discussion sur les moyens de combler le d?ficit, il profita de la mort de l'abb? Louis, l'un des d?put?s du clerg? alsacien, pour se faire envoyer ? sa place ? Versailles. Il y parut dans la s?ance du 12 septembre, s'excusant sur sa mauvaise sant? d'avoir tant tard? ? para?tre ? son poste et faisant l'?loge du patriotisme de ses coll?gues; il pr?ta m?me avec une bonne gr?ce parfaite le serment civique, exig? des d?put?s. Mais il ne lui servit ? rien d'avoir ,,?nonc? son hommage et son respect", comme Schwendt l'?crivait le lendemain au Magistrat de Strasbourg, et ce n'est pas de pareilles d?monstrations qui pouvaient d?tourner la majorit? de l'Assembl?e du vote final du 2 novembre, qui mettait les biens du clerg? ? la disposition de la Nation. A partir de ce moment le cardinal se retourne franchement vers la droite et devient bient?t l'un des plus fougueux, comme l'un des plus directement int?ress?s parmi les protestataires, qui font entendre ? Versailles leurs dol?ances contre cette mesure radicale. Pour un temps les r?criminations bruyantes du prince-?v?que s'y m?l?rent aux plaintes plus discr?tes de la ville de Strasbourg. Car, en novembre encore, nous voyons M. Schwendt, l'un de nos d?put?s, se d?battre contre les d?cisions du Comit? f?odal de l'Assembl?e et t?cher de persuader ? ses coll?gues qu'il fallait laisser au moins certains de leurs droits exceptionnels ? ses commettants. Il s'appuyait, nous dit-il, dans cette discussion, bient?t oiseuse, ,,sur les motifs ?nonc?s ?galement par M. le cardinal de Rohan, fortifi?s encore par notre capitulation particuli?re."

Mais il ?tait trop tard pour qu'on p?t s'arr?ter ? des consid?rations de ce genre. Surtout apr?s les tristes journ?es du 5 et 6 octobre, apr?s la translation forc?e de la famille royale dans la capitale, o? les d?put?s de la nation s'install?rent ? sa suite, il n'y avait rien ? esp?rer d?sormais pour le maintien des droits historiques qui choquaient l'esprit g?om?trique de la Constituante. On y ?tait r?solu ? ,,ne pas se rel?cher sur la rigueur des principes", comme l'?crivait M. Schwendt, et son coll?gue, M. de T?rckheim, l'avait si bien compris, qu'il donna sa d?mission, sous pr?texte de maladie, mais en r?alit? pour ne pas assister, le coeur bris?, ? la chute d?finitive du vieux r?gime strasbourgeois qui l'avait vu na?tre et dont il fut l'un des derniers et plus honorables repr?sentants. Il avait raison; au point o? en ?tait la R?volution fran?aise, c'?tait une illusion de croire que quelques articles du trait? de Munster ou de la capitulation de 1681 emp?cheraient les cons?quences logiques des postulats de la raison pure, auxquels l'Assembl?e constituante dut ses plus beaux ?lans civiques, mais aussi ses fautes politiques les plus d?plorables.

Plus tard, alors qu'on eut quelque peu perdu l'espoir d'intimider l'Assembl?e Nationale, on essaya de la gagner. Le 30 novembre, un grand nombre de dignitaires du clerg? dioc?sain se r?unissaient ? Strasbourg pour signer, d'accord avec son chef, une d?claration portant abandon au tr?sor royal de la moiti? des revenus d'une ann?e enti?re au nom de l'Eglise d'Alsace, ? condition que la Constituante confirmerait ses droits et privil?ges. Cette d?marche, appuy?e par des centaines de signatures, eut naturellement aussi peu de succ?s que la premi?re .

Mais avant d'entrer dans le r?cit de ces conflits d?plorables qui devaient si profond?ment affecter le sort des ?difices religieux catholiques de notre ville et tout particuli?rement celui de la Cath?drale, il nous reste encore quelques instants de calme et de paix publique, o? nous pourrons rencontrer le vieux sanctuaire du moyen ?ge sous un autre aspect que celui d'une citadelle prise d'assaut et occup?e par une garnison ?trang?re. La municipalit? nouvelle, sortie du scrutin de f?vrier, avait d?cid? de c?l?brer son entr?e en fonctions par des c?r?monies civiles et religieuses, et d'appeler sur sa gestion future les b?n?dictions divines, par la bouche des pr?dicateurs de tous les cultes. Aussi la voyons-nous, ? la date du 18 mars, se rendre en cort?ge ? l'H?tel-de-Ville, pour y recevoir les pouvoirs des mains du Magistrat int?rimaire, rest? jusqu'? ce jour en fonctions. De l? le cort?ge officiel se dirige vers la place d'Armes, o? l'on avait ?rig? une immense estrade et que couvrait une foule compacte. C'est devant cette masse d'auditeurs que M. de Dietrich, apr?s avoir pr?t? le serment civique, ainsi que ses coll?gues, fit un appel chaleureux ? la concorde de tous les bons citoyens. ,,Sacrifions, leur dit-il, tout esprit de parti; r?unissons-nous pour toujours! Que la France apprenne que les Strasbourgeois ne forment qu'une seule famille de citoyens; embrassons-nous comme des fr?res. Je vais le premier vous en donner l'exemple. On verra que nous n'avons plus qu'un m?me coeur, que nous sommes indissolublement li?s par les liens sacr?s de la libert? et du patriotisme." Et le proc?s-verbal officiel de la f?te continue en ces termes: ,,Le respectable maire s'est alors livr? ? la douce effusion de son coeur; ? l'instant m?me, chacun ?prouvant le m?me sentiment, on a vu le spectacle touchant des citoyens de tout ?ge, de toute qualit?, de tout culte, confondus dans les bras les uns des autres, les coeurs aussi vivement affect?s. Ce ne fut qu'au milieu des sanglots que les citoyens purent s'?crier: Vive la Nation, Vive le Roi, Vive la Constitution, notre Maire et la Municipalit?!"

C'est au milieu de l'enthousiasme trop passager de cette sc?ne fraternelle que le cort?ge, suivi par des milliers de citoyens, se remit en marche pour se rendre ? la Cath?drale, au son de toutes les cloches de la ville, au bruit de l'artillerie de la place, ? travers les rangs de la garde nationale qui formait la haie le long des rues et pr?sentait les armes, en battant aux champs. Le suisse et le bedeau de la Cath?drale vinrent recevoir les autorit?s ? la grande porte de la nef et les men?rent aux bancs pr?par?s devant la chaire, o? les officiers municipaux et les notables prirent place, tandis que les d?tachements de la garde nationale se rangeaient sur les bas-c?t?s et qu'entre eux se groupaient les orphelins, les enfants trouv?s, les pensionnaires de la maison des pauvres des diff?rents cultes. ,,Un peuple immense" remplissait le reste de l'?glise. M. l'abb? de Kentzinger, pr?tre du dioc?se de Strasbourg et secr?taire de la l?gation de France ? la cour ?lectorale de Tr?ves, monte alors en chaire et prononce un discours sur ce verset du cent quarante-troisi?me psaume: ,,Bienheureux est le peuple dont Dieu est le Seigneur!" Ce qui caract?rise cette hom?lie ? la fois religieuse et politique, ce qui fait que l'on doit s'y arr?ter un instant, c'est le souffle patriotique qui l'anime, c'est l'affirmation r?p?t?e de la n?cessit? de l'accord entre la religion et la loi civile, c'est l'assurance donn?e au maire que ,,tous les citoyens de la croyance de l'orateur" sauront reconna?tre son z?le, et appr?cier ses talents ,,avec autant d'empressement que si vous ?tiez n? dans notre Eglise". ,,Il existera parmi nous, j'aime ? le croire, un ?change mutuel de franchise, de loyaut?, de confiance, et quand il s'agira du salut de la patrie, nous penserons tous de m?me." L'orateur terminait en insistant sur le respect d? ? la religion, m?re de toutes les vertus. ,,Nous lui conserverons, s'?criait-il, la majest? et le respect que les peuples les plus ?clair?s se sont fait une gloire de lui accorder; en un mot, nous serons chr?tiens, fr?res, amis. Fran?ais, nous crierons tous: Vive la Nation, vive la Loi, vive le Roi!" On ne pouvait parler en termes plus convenables et m?me plus chaleureux, dans une ?glise catholique, en une pareille occurence, et rien ne nous autorise ? douter de la sinc?rit? de l'orateur au moment o? il faisait entendre ces appels ? la concorde et au respect des choses les plus respectables. Nous apprenons cependant, par une note du proc?s-verbal officiel, qu'? ce moment d?j?, des fid?les, ,,en tr?s petit nombre, ? la v?rit? et d'une conscience plus que timor?e" avaient d?sapprouv? le cri final du pr?dicateur, estimant ,,que la maison du Seigneur devait retentir uniquement de ses louanges". Aussi celui-ci dut-il ajouter une note apolog?tique au bas de son discours pour expliquer ? ces m?contents que ,,la majest? de notre Seigneur J?sus-Christ ne pouvait ?tre bless?e par l'expression des voeux que forme en sa pr?sence, pour la prosp?rit? publique, tout un peuple assembl?. ,,N'est-ce pas ? lui, dit l'orateur, que ces voeux sont adress?s? N'est-ce point ? lui encore que j'ai demand? ces b?n?dictions? Oui, ces sentiments ?taient dans mon coeur et je croirai toujours rendre un hommage agr?able ? la divinit? quand je publierai hautement et en tous lieux mon amour pour la Nation fran?aise, mon ob?issance ? la Loi, mon profond respect pour le Roi et mon d?sir ardent de le voir heureux; c'est l'Evangile surtout qui m'a rendu bon citoyen".

Dans la s?ance du 30 mars M. Schwendt d?posa cette adresse sur le bureau de l'Assembl?e Nationale, qui ,,applaudit ? l'expression des sentiments et au patriotisme du maire, officiers municipaux et habitants de la ville de Strasbourg et par mention faite ? son proc?s-verbal, en a t?moign? sa satisfaction." Qui donc aurait pu se douter que l'accord entre eux n'?tait point parfait? Qui donc aurait os? soutenir alors que beaucoup d'entre les citoyens de Strasbourg deviendraient bient?t infid?les ? leur serment de respect aux lois d?cr?t?es par l'Assembl?e Nationale, et que cette derni?re aurait sous peu des r?solutions bien diff?rentes ? prendre au sujet de la ,,patriotique" cit?? Mais la Constituante n'avait point encore rendu le d?cret malencontreux qui devait ?branler, plus que tout autre, la royaut? constitutionnelle et saper par la base la partie politique de son oeuvre; et d'ailleurs, nul, parmi les plus sagaces observateurs des ?v?nements du jour, ne pouvait se douter alors des cons?quences incalculables qu'aurait pour la France et la monarchie la Constitution civile du clerg?.

La sagesse des nations a proclam? depuis des si?cles ,,qu'? chaque jour suffit sa t?che", et ce pr?cepte s'applique aux peuples tout autant qu'aux individus. Malheur aux pouvoirs souverains, qu'ils s'appellent monarques absolus ou Conventions r?publicaines, s'ils pr?tendent doubler les ?tapes et devancer le d?veloppement naturel des masses, en les entra?nant de force vers un but peut-?tre d?sirable, mais qu'ils sont encore seuls ? d?sirer atteindre! Les intentions les plus pures ne les pr?serveront ni des d?sordres ni m?me de la r?volte des foules qu'ils violentent, et dont la r?sistance provoquera chez eux-m?mes de nouvelles violences. Ce fut l? cependant la faute grave que commit l'Assembl?e Nationale. Dans sa h?te ? proclamer partout des principes abstraits et surtout ? les mettre en pratique, elle ne se rendit pas un compte suffisant des dangers qu'elle se cr?ait elle-m?me, des ferments de discorde qu'elle semait ? pleines mains, et qui rendirent impossible en France l'organisation d'un r?gime plus stable, librement accept? par la majorit? des citoyens du pays.

Un m?morable et tout r?cent exemple aurait d? cependant ouvrir les yeux aux l?gislateurs de la Constituante. L'empereur Joseph II, le plus novateur et le plus humain des princes de son temps, venait de mourir, le coeur bris?, poursuivi jusqu'? son heure derni?re par les accusations mensong?res et les cris de haine de ses sujets, qu'il avait t?ch? pourtant de rendre heureux. Et c'?taient les privil?gi?s de l'Eglise et de la noblesse qui avaient r?ussi ? soulever les masses aveugles contre leur bienfaiteur. La t?che de mettre ? ex?cution les d?crets du 4 ao?t et du 2 novembre 1789 ?tait d?j? bien d?licate, en dehors de toute complication nouvelle. Priver une aristocratie puissante de ses privil?ges s?culaires, saisir aux mains du clerg? de France ces millions de biens-fonds qu'il poss?dait alors, c'?tait une de ces entreprises politiques qui absorbent, ? elles seules, toute l'?nergie et toute l'habilet? des premiers hommes d'Etat d'un royaume. Elle ?tait r?alisable pourtant, parce que les ordres privil?gi?s ?taient d?test?s ou craints par la majorit? du pays, et parce que tout le monde, au sein de cette majorit?, pouvait se rendre compte que c'?tait la l?sion de ses int?r?ts mat?riels surtout qui soulevait les clameurs de la minorit? d?pouill?e par la l?gislation nouvelle. Encore aurait-il fallu s'appliquer, pour r?ussir, ? bien expliquer aux masses rurales, rest?es tr?s accessibles ? l'influence du clerg?, que la religion n'?tait pas en jeu dans la mise en circulation des vastes domaines, si longtemps immobilis?s par la main-morte. Les paysans l'auraient compris ? la longue, et l'immense majorit? du clerg? lui-m?me, rest?e tr?s pauvre, au milieu du luxe de ses chefs, n'avait aucun motif pour protester ind?finiment contre la s?cularisation des biens eccl?siastiques.

Mais loin d'agir de la sorte, l'Assembl?e Nationale, tout imbue d'id?es philosophiques, indiff?rente aux questions religieuses ou n'en soup?onnant point l'importance, sembla vouloir, comme ? plaisir, ?veiller les pires soup?ons, et l?gitimer d'avance les accusations les plus violentes. Elle manifesta de bonne heure l'intention de ne pas se borner ? la saisie des propri?t?s eccl?siastiques ou ? la r?glementation des ?moluments du clerg?, mais de retoucher l'organisation m?me de l'Eglise de France. Longtemps avant la date ? laquelle parut le d?cret sur la Constitution civile du clerg?, il avait pu servir d'?pouvantail aux sacristies, pour agiter les masses et pour leur inspirer des sentiments profond?ment hostiles aux l?gislateurs et aux lois nouvelles.

Nulle part cette disposition si contradictoire des esprits, chez les l?gislateurs parisiens et chez les populations rurales, ne se montra plus accentu?e que dans les contr?es catholiques de l'Alsace. Chez nous, le d?cret du 2 novembre 1789 suffit, ? lui seul, ? mettre le feu aux poudres. Il y avait ? cela plusieurs raisons; d'abord la richesse exceptionnelle des domaines eccl?siastiques menac?s, puis la proximit? de la fronti?re ?trang?re, assurant l'impunit? par la fuite aux meneurs hostiles, la qualit? de prince du Saint-Empire que poss?dait toujours l'?v?que de Strasbourg, la pr?sence en Alsace d'autres territoires princiers sur lesquels la souverainet? de l'Assembl?e Nationale pouvait sembler ne pas devoir s'?tendre. La plus importante pourtant des causes qui amen?rent les mouvements dont nous allons avoir ? nous entretenir, ce fut la docilit? confiante et na?ve des populations rurales catholiques de la Haute-et de la Basse-Alsace, vis-?-vis de leurs conducteurs spirituels, non seulement dans le domaine religieux, mais sur le terrain ?conomique et politique lui-m?me. Et le jour o? les agents officiels ou secrets du cardinal et des princes purent par surcro?t lancer dans la foule l'accusation terrible qu'on en voulait ? la foi de l'Eglise, le courant contre-r?volutionnaire se dessina dans toute la province avec une violence qui permettait de pr?voir les plus redoutables conflits.

Dans la s?ance du 14 avril 1790, l'abb? d'Eymar, grand-vicaire de l'?v?ch? et l'un des d?put?s du clerg? de la Basse-Alsace, avait prononc? un long discours, assez habilement tourn? d'ailleurs, pour demander ? l'Assembl?e que les biens eccl?siastiques de la province fussent, provisoirement au moins, distraits de ceux qui devraient ?tre mis en vente au profit de la nation. Il n'avait rien obtenu cependant, si ce n'est un d?cret qui renvoyait la discussion de sa motion ? une date ind?termin?e et refusait par cons?quent de prot?ger les domaines d'Alsace contre la mesure g?n?rale vot?e par la Constituante.

L'Assembl?e Nationale, facilement convaincue de la v?rit? de ces assertions, difficiles d'ailleurs ? nier, d?cr?te aussit?t que son pr?sident ,,se retirera aupr?s du Roi pour le supplier de donner incessamment tous les ordres n?cessaires pour maintenir le calme et la tranquillit? dans les d?partements du Haut-et Bas-Rhin". Elle d?clare en outre qu'elle ,,improuve la conduite tenue tant par le sieur Ditterich, notable de la commune de Strasbourg, que par le sieur B?nard, bailli de Bouxwiller", accus? d'avoir organis? des r?unions ill?gales.

Dans la plaine des Bouchers, devant l'autel de la Patrie, tous les gardes civiques avaient solennellement jur? d'?tre fid?les ? la nation, d'ob?ir ? la loi, et ,,de faire ex?cuter, toutes les fois qu'ils en seraient requis l?galement, les d?crets de l'Assembl?e Nationale, accept?s ou sanctionn?s par le Roi, comme ?tant l'expression de la volont? g?n?rale du Peuple fran?ais." L'un des chanoines de Saint-Pierre-le-Vieux, M. de Weitersheim, fr?re du commandant en chef de la garde nationale de Strasbourg, avait b?ni les drapeaux de ,,l'arm?e citoyenne" ? l'autel de la plaine des Bouchers et s'?tait ?cri? vers la fin de son discours: ,,Camp?s autour de l'arche d'union, comme jadis les Isra?lites, nous consommerons le pacte solennel avec Dieu, la Nation, la Loi et le Roi... Venez, amis de Dieu, venez, z?l?s d?fenseurs de la patrie... vous an?antirez les complots des d?tracteurs de la Constitution, vous serez les soutiens de l'Etat, les d?fenseurs de la libert? et la gloire de la Nation. Apr?s avoir combattu avec courage et fermet? les ennemis int?rieurs et ext?rieurs, vous entrerez triomphants au s?jour c?leste des h?ros de l'?ternit?!"

Ces paroles semblaient assur?ment ?carter toute id?e de lutte et de conflit s?rieux. Mais ? ce moment la vente des biens eccl?siastiques n'avait point encore commenc? en Alsace; le d?cret de l'Assembl?e Nationale y restait toujours lettre morte, et c'?tait pour proroger peut-?tre cette tr?ve derni?re avant la lutte, que le haut clerg? protestait aussi haut de son attachement ? la Constitution de l'Etat. Bient?t un fait nouveau devait se produire. Le cardinal de Rohan donnait sa d?mission de d?put? ? la Constituante et, pour diriger plus ? l'aise la r?sistance du clerg? d'Alsace et de ses ouailles, ?lisait domicile dans son ch?teau d'Ettenheim, en terre d'Empire, sur la rive droite du Rhin. C'?tait le commencement de la contre-r?volution.

C'?tait le 13 juin 1790 que le prince-?v?que de Strasbourg arrivait ? sa r?sidence d'Ettenheimm?nster, accompagn? d'une suite de soixante personnes. Il n'y trouva sans doute pas tout le confort auquel il ?tait habitu? dans son palais somptueux de Saverne, car, d?s les premiers jours de juillet, il s'adressait ? la municipalit? de Strasbourg pour la pr?venir de son intention de passer ,,quelque temps" ? Ettenheim, terre d'Empire, et d'y faire transporter des meubles par eau et par voiture. M. de Dietrich lui fit r?pondre verbalement qu'il ne connaissait aucune d?fense s'opposant ? la sortie des meubles, autres que l'argenterie, et qu'on lui fournirait un laisser-passer d?s que le jour de ces envois serait fix?. Apr?s m?re r?flexion cependant, le d?part et le d?m?nagement du pr?lat parurent suspects au maire et, pour mettre sa responsabilit? ? couvert, il saisit de la question, ? la date du 11 juillet, les administrateurs du district, plus sp?cialement charg?s par la loi de la surveillance des biens eccl?siastiques. Les membres du district, r?unis quatre jours plus tard, arr?taient d'?crire ? la municipalit? ,,que les meubles qui appartiennent ? l'Ev?ch? de Strasbourg, ?tant d?volus ? la Nation, leur transport en terre ?trang?re ne peut ?tre tol?r?, mais que la libre disposition de ceux qui appartiennent au cardinal de Rohan ne peut lui ?tre contest?e." Le Directoire du district chargeait par cons?quent les officiers municipaux de s'opposer provisoirement ,,? l'extraction et transport de tous les meubles, tant du palais ?piscopal que des maisons de plaisance dont jouissaient les ?v?ques de Strasbourg," puis de proc?der sans d?lai ,,? l'inventaire du mobilier, comme aussi des titres et papiers d?pendants de tous les b?n?fices, corps, maisons et communaut?s situ?s dans l'?tendue de la banlieue."

D?s le 17 juillet, le corps municipal mettait ? ex?cution la premi?re partie de ce mandat. Quant aux mesures d'inventaire, le Conseil g?n?ral de la Commune montra d'abord quelque h?sitation. Dans sa s?ance du 21 juillet, on d?cida d'interroger tout d'abord les comit?s de l'Assembl?e Nationale, afin de prier cette derni?re d'interpr?ter elle-m?me ses d?crets des 14 et 20 avril dernier, les biens du Grand-Chapitre et ceux de l'Ev?ch? de Strasbourg ,,ne pouvant ?tre regard?s comme purement nationaux, les sujets de l'?v?ch? de l'autre c?t? du Rhin ayant contribu?, ainsi que ceux d'Alsace, ? la b?tisse du palais ?piscopal et ? l'acquisition de ses meubles, et l'Assembl?e Nationale elle-m?me ayant consid?r? les ?v?ques en Alsace, pour raison de possession, sous la double qualit? d'?v?ques et de princes du Saint-Empire." Evidemment la municipalit? de Strasbourg ne tenait pas ? prendre l'initiative du s?questre des biens nationaux et pr?f?rait agir seulement en vertu d'un ordre sup?rieur.

Le Directoire du district, auquel revint l'affaire, s'empressa en effet de saisir de la question le Comit? eccl?siastique, formulant ainsi sa demande: ,,Le cardinal de Rohan doit-il ?tre consid?r? comme b?n?ficier fran?ais, poss?dant des biens dans l'?tranger, ou doit-il l'?tre comme prince ?tranger, poss?dant des biens en France?" La r?ponse ne pouvait ?tre douteuse, puisqu'il s'agissait d'un membre de la repr?sentation nationale elle-m?me. L'Assembl?e n'?tait pas d'ailleurs favorablement dispos?e pour l'?v?que ?migr?. D?j? dans la s?ance du 27 juillet, au soir, le ministre des affaires ?trang?res, M. de Montmorin, avait averti les comit?s que le cardinal, fix? ? demeure sur la rive droite du Rhin, se coalisait avec ceux des princes allemands qui refusaient d'accepter de la France une indemnit? p?cuniaire pour leurs territoires annex?s. Aussi dans la s?ance du 30 juillet, fut-il r?solu, ? une forte majorit?, sur le rapport de M. Chasset, que le relev? des meubles, effets, titres et papiers de l'Ev?ch? et du Grand-Chapitre serait fait incessamment, ? la diligence de la municipalit? de Strasbourg, et qu'aucun enl?vement de meubles ne serait permis avant la cl?ture de l'inventaire. Au cours de son discours, le rapporteur avait exprim? tout son ?tonnement de ce que l'?tat de sant? du cardinal, qui l'emp?chait d'assister aux s?ances de l'Assembl?e, lui permettait de si?ger ? la Di?te de Ratisbonne. Aussi le d?cret de la Constituante portait-il en outre ,,que M. le cardinal de Rohan viendra, dans le d?lai de quinzaine, prendre sa place dans l'Assembl?e Nationale et y rendre compte de sa conduite, s'il y a lieu".

On a pu voir, par ce qui pr?c?de, qu'aucune mesure n'avait encore ?t? prise en juillet 1790, pour mettre ? ex?cution dans notre province le d?cret du 2 novembre 1789, bien qu'il e?t ?t? confirm? depuis par celui du 18 mars 1790. Les administrateurs locaux, choisis par le suffrage des ?lecteurs, m?me les plus d?vou?s au nouvel ordre de choses, ne se souciaient pas de brusquer les ?v?nements, en pr?sence des dispositions de la majeure partie de la population catholique d'Alsace. Mille petits incidents, insignifiants en eux-m?mes, permettaient de pr?sager une vive r?sistance, le jour o? la lutte s'engagerait, et se produisaient jusque dans Strasbourg m?me. C'est ainsi que dans les premiers jours de juillet les ?l?ves du Coll?ge royal avaient assailli la boutique d'un marchand d'estampes venu de Paris, qui avait garni sa devanture de gravures satiriques contre la noblesse et le clerg?, comme il s'en produisait alors en grand nombre. Ils les avaient mis en pi?ces, la garde nationale avait d? intervenir, et le tribunal de police, d?sireux de calmer tout le monde, avait condamn? les jeunes d?linquants ? payer le d?g?t et frapp? le marchand d'une amende pour exhibition d'images non autoris?es par la police.

La bonne harmonie n'?tait pourtant pas encore troubl?e partout, et dans maints districts ruraux l'accord entre les protestants et les catholiques ?tait parfait, la question des biens eccl?siastiques n'ayant point encore ?t? pos?e au fond de nos campagnes. C'est ainsi que lors de la f?te de la F?d?ration, c?l?br?e le 14 juillet ? Plobsheim, les paysans protestants de la localit? avaient invit? le cur?, qui ?tait en m?me temps le maire ?lu du village, ? venir assister ? leur culte, puis s'?taient joints ? leurs concitoyens catholiques pour la c?l?bration de la messe. A la fin de cette double c?r?monie, les eccl?siastiques des deux cultes s'?taient fraternellement embrass?s au milieu des acclamations joyeuses de leurs ouailles. Le m?me accord touchant se manifestait encore dans une f?te patriotique, c?l?br?e ? Barr, le 25 ao?t, et vers la m?me date les cur?s de Northeim, Schnersheim, Kuttolsheim s'entendaient avec les pasteurs de H?rtigheim, Ittenheim, Quatzenheim, etc... pour proc?der en commun ? la b?n?diction des drapeaux des villages protestants et catholiques du Kochersberg. A Strasbourg aussi, dans la journ?e du 9 septembre, toutes les autorit?s constitu?es, sans distinction de culte, assistaient ? la messe fun?bre dite ? la Cath?drale en m?moire des victimes du massacre de Nancy et en l'honneur du jeune Desilles, tomb? ce jour-l?, comme h?ros du devoir, dans les rues ensanglant?es de la capitale lorraine.

,,Monsieur le pr?sident,

,,Les affaires les plus graves, les int?r?ts les plus pr?cieux m'ont forc? ? me rendre dans mon dioc?se. Il s'agissait de calmer des troubles n?s dans la partie situ?e de l'autre c?t? du Rhin. Ma sant? affaiblie depuis longtemps m'a forc? d'avertir le clerg? de mon dioc?se que je ne pourrais plus le repr?senter... J'ai appris avec douleur que ma conduite a ?t? travestie aux yeux de l'Assembl?e Nationale et qu'elle a d?sir? ma pr?sence pour me justifier. Je voudrais que ma sant? me perm?t de partir sur-le-champ, mais il m'est impossible de supporter la voiture. J'envoie en attendant un pr?cis justificatif... Je n'ai pu me refuser, m?me pendant mon s?jour ? Versailles et ? Paris, ? former les m?mes demandes que la noblesse et le clerg? d'Alsace. Ma qualit? de prince de l'Empire m'a oblig? de joindre mes r?clamations ? celles des autres princes de l'Allemagne... Il n'y a rien que de l?gal dans ma conduite." Le cardinal ajoutait qu'un autre motif pour lequel il ne se rendrait point ? Paris, c'?tait la crainte de compromettre sa dignit? de d?put? en s'exposant aux plaintes et ? la mauvaise humeur de ses nombreux cr?anciers, n'?tant pas en ?tat de les satisfaire depuis la perte des revenus qu'il leur avait abandonn?s. Il exprimait, en terminant, l'espoir que l'Assembl?e ,,trouverait dans sa sagesse les moyens d'acquitter des dettes aussi l?gitimes."

L'effet ne fut pas absolument celui qu'avait esp?r? peut-?tre le cardinal en appelant les b?n?dictions divines sur les travaux de ses coll?gues. L'Assembl?e Nationale refusa en effet la d?mission qu'offrait Rohan, et renvoya finalement sa lettre au Comit? des rapports, ,,apr?s que diff?rents autres comit?s, m?me celui de mendicit?, eurent ?t? propos?s."

Pendant que le cardinal de Rohan refusait ainsi de revenir de l'?tranger, les membres du Grand-Choeur de la Cath?drale de Strasbourg, enhardis sans doute par la longanimit? du gouvernement et de l'administration d?partementale, poussaient l'audace jusqu'? faire tenir ? leurs fermiers une circulaire, dat?e du 18 septembre, qui portait ,,que le d?cret du 2 novembre et tous ceux qui en sont la suite, ne peuvent concerner les biens eccl?siastiques des ?glises catholiques et luth?riennes d'Alsace." Aussi l'on ,,conseillait s?rieusement" aux paysans, non seulement de ne pas acheter des biens appartenant au Grand-Choeur, mais "de continuer ? livrer aux vrais propri?taires desdits biens... les canons et redevances ordinaires... Ce ne sera que par ruse et finesse, par force et par violence, y disait-on, que les biens que vous tenez ? ferme vous seront ?t?s."

Le moment o? vous reconna?trez son importance, o? vous vous f?liciterez d'y avoir d?f?r?, n'est pas ?loign?. Ceux que cet avertissement aura garanti du pi?ge, raconteront ? leurs enfants quelles s?ductions, quels mensonges on avait mis en usage pour compromettre leur fortune; le spectacle de leur bonheur sera le prix des soins que je me serai donn? pour les sauver......"

Suit un tableau des plus idylliques, d?peignant le bonheur, vrai ou suppos?, des paysans qui, depuis des si?cles, ont cultiv? les terres de l'Ev?ch?, sans voir augmenter la modique redevance qu'ils payaient ? l'Eglise. ,,Ce qui mettait le comble au bonheur de vos p?res, c'?tait l'assurance que rien ne pourrait l'interrompre. Votre sort semble attach? ? celui de la Cath?drale... Les trait?s solennels qui garantissent les droits, les privil?ges du Prince-Ev?que et du Grand-Chapitre, ceux du Clerg?..., ces trait?s, mes chers compatriotes, subsistent dans toute leur force; ils sont la base sur laquelle repose votre bonheur: rien ne peut l'?branler. L'Empire et son auguste Chef, ainsi que toutes les Couronnes garantes ne le permettront pas. On se garde bien de vous le dire. On ne vous dit pas non plus, qu'en dehors de cette redoutable sauvegarde, les biens de l'Eglise sont inali?nables, que personne au monde n'a le droit de les envahir ou d'en disposer.... De l? cet anath?me du Concile de Trente prononc? contre tous ceux qui oseraient vendre ou acheter ces biens, ou m?me seulement pr?ter leur minist?re ? ce commerce sacril?ge.

,,D'apr?s ces v?rit?s, jugez, mes chers compatriotes, ce que vous devez penser des gens qui font tant d'efforts pour vous engager ? acqu?rir des biens eccl?siastiques. J'apprends avec joie que tous les bons laboureurs, ?coutant la voix de leur conscience, de l'honneur, de leur v?ritable int?r?t, se sont refus?s ? ces perfides sollicitations. C'est donc ? ceux qui pourraient se laisser tromper que j'adresse cet ?crit. Je les avertis solennellement que ces biens, pour lesquels on excite leur cupidit?, ne peuvent ?tre vendus, que l'Assembl?e, qui se dit Nationale, n'a pas le droit d'en disposer; que ceux qui auront l'imprudence d'en acqu?rir quelques parties, perdront le prix qu'ils en auront donn?; qu'ils le perdront sans ressource, sans recours. La grande publicit? de cet avertissement ne leur laissera m?me pas le faible pr?texte de dire: Je l'ignorais."

Quelle que puisse ?tre l'opinion du lecteur sur le fond m?me de la question, il avouera qu'il est difficile d'imaginer une attaque plus directe contre une loi vot?e par la repr?sentation nationale et sanctionn?e par le roi. L'immense publicit? donn?e aux deux pi?ces que nous venons d'analyser, ne pouvait donc manquer d'exciter une fermentation g?n?rale dans les d?partements du Rhin. M. de Dietrich, d?s qu'il eut connaissance de la notification du Grand-Chapitre, colport?e ? travers la ville par le bedeau de Saint-Pierre-le-Jeune, se h?ta de l'exp?dier ? Paris, o? l'on en donna lecture dans la s?ance du 15 octobre suivant. Elle provoqua, comme on le pense bien, un vif mouvement d'indignation dans la majorit?, qui la renvoya d'urgence au Comit? des biens nationaux. Celui-ci pr?senta son rapport dans la s?ance de l'Assembl?e Nationale du 17 octobre; on vota des remerc?ments ? la municipalit? de Strasbourg, et le pr?sident en fonctions fut charg? de se retirer aupr?s du roi, pour le prier d'envoyer sur-le-champ les ordres n?cessaires en Alsace, afin d'en faire ex?cuter enfin les d?crets du 2 novembre. En vain l'abb? d'Eymar, le d?fenseur habituel des privil?gi?s d'Alsace ? la Constituante, qui n'avait point assist? ? la s?ance, adressait-il de Strasbourg un m?moire justificatif, fort habilement r?dig?, au pr?sident de l'Assembl?e Nationale. S'il r?ussissait ? se disculper de l'accusation de faux lanc?e contre lui par quelques-uns des orateurs de la gauche, il devait ?chouer forc?ment dans sa tentative de repr?senter les dispositions de ses coll?gues du clerg? comme ?minemment pacifiques et conciliantes. ,,Je supplie, disait-il, l'Assembl?e Nationale d'?tre en garde contre ceux qui, faisant parade d'un faux z?le, excitent ? chaque instant ses inqui?tudes, provoquent ses rigueurs contre de pr?tendus ennemis de ses d?crets et lui peignent les eccl?siastiques de cette province sans cesse occup?s ? soulever le peuple. Ce qui serait le plus propre ? le soulever, monsieur le pr?sident, c'est s'il voyait de telles calomnies accueillies, car il sait bien qu'elles sont sans fondement..." Il fallait une assurance rare pour parler ce langage ? la repr?sentation nationale au moment o? l'on faisait distribuer dans tous les villages du Haut-et du Bas-Rhin les objurgations politiques et les anath?mes eccl?siastiques que nous avons fait passer tout ? l'heure sous les yeux du lecteur. Aussi la lettre de M. d'Eymar ne produisit-elle aucun effet sur ses coll?gues, et lui-m?me en infirmait singuli?rement la valeur en donnant sa d?mission de d?put? d?s le mois de novembre et en allant rejoindre ? l'?tranger le pr?lat ?migr?, dont il ?tait le vicaire-g?n?ral.

Cependant les ordres, sollicit?s par la Constituante, ?taient arriv?s en Alsace et le 5 novembre, le Directoire du district de Strasbourg, le plus d?vou? de tous aux id?es nouvelles, r?pondait indirectement aux manifestes de l'?v?que et du Grand-Chapitre en faisant afficher la mise en vente des premiers biens nationaux dans le d?partement du Bas-Rhin. Mais, m?me dans notre ville, personne n'osa s'exposer aux revendications futures du clerg? et pendant plusieurs semaines aucun acqu?reur ne se pr?senta. Cette d?marche provoqua seulement des protestations nouvelles de la part de l'?v?que de Spire, dont le dioc?se s'?tendait sur la partie septentrionale de notre d?partement, puis de celle du Grand-Chapitre de la Cath?drale, qui d?posait ses dol?ances au pied du tr?ne dans le langage suivant:

,,Sire,

,,C'est avec la plus profonde douleur que le Grand-Chapitre de la Cath?drale de Strasbourg se voit contraint de porter ? Votre Majest? des plaintes de l'oppression inou?e qu'il ?prouve. Certes, il est affreux d'ajouter une peine, une inqui?tude ? toutes celles dont le coeur paternel de Votre Majest? est assi?g?. Tant qu'il a ?t? possible d'esp?rer que l'Assembl?e Nationale, mieux inform?e, aurait ?gard aux r?clamations de l'Eglise de Strasbourg, que le temps et la r?flexion l'?claireraient sur leur justice et leur importance, et sur les cons?quences de la violation ?clatante de tant de trait?s, nous avons souffert, avec une r?signation digne de notre amour pour Votre Majest?, les proc?d?s les plus r?voltants.

,,Depuis que nous avons uni nos justes r?clamations des droits les plus sacr?s ? celles que les autres princes et Etats de l'Empire ont port?es ? la di?te de Ratisbonne, on a mis le comble ? cette ?tonnante spoliation. Les effets de la Cath?drale inventori?s, le scell? appos? aux archives, les maisons estim?es et mises en vente, ne nous laissent plus de doute sur le projet de notre destruction. La nouvelle organisation du clerg? y met le sceau; elle troublera les consciences, elle portera un coup mortel ? la religion elle-m?me dans ces provinces.

,,Le devoir le plus saint et le plus imp?rieux nous oblige donc de protester solennellement au pied du tr?ne contre ces exc?s et nous force d'invoquer la m?diation et la protection de l'Empire et des couronnes garantes des trait?s qui assurent notre existence.

,,Nous admirons, Sire, nous invoquons vos vertus, et la confiance qu'elles nous inspirent nous fait esp?rer que Votre Majest? daignera prendre sous sa sauvegarde la r?serve de tous nos droits."

Le 13 novembre 1790 le m?me corps eccl?siastique faisait parvenir ?galement au Directoire du d?partement du Bas-Rhin la protestation suivante:

,,Lorsqu'au m?pris des trait?s garantis par les premi?res puissances de l'Europe, sans ?gard aux r?clamations du Grand-Chapitre de la Cath?drale de Strasbourg, il se voit d?pouill? de ses possessions, de ses droits, de ses privil?ges, et qu'il est au moment de se voir chass? de son ?glise; lorsque l'?trange organisation qu'on pr?tend donner au clerg? de la Basse-Alsace, apr?s l'avoir d?pouill? de ses biens, malgr? ces m?mes trait?s, pr?pare la ruine de la religion dans cette province, l'honneur et les int?r?ts les plus saints nous commandent de protester ? la face de l'Europe contre les d?crets spoliateurs et destructeurs de l'Assembl?e Nationale.

,,Nous venons de porter au pied du tr?ne nos plaintes respectueuses. Nous avons suppli? Sa Majest? de prendre sous sa sauvegarde la r?serve de nos droits. Nous invoquons la protection de Sa Majest? imp?riale et royale, celle de tout l'Empire et des hautes puissances garantes. Nous d?clarons solennellement par les pr?sentes au Directoire s?ant ? Strasbourg que nous protestons contre tout ce qui s'est fait et tout ce qu'on pourrait encore entreprendre contre le prince-?v?que et le Grand-Chapitre de la Cath?drale de Strasbourg, et nous ajoutons ? cette d?claration solennelle celle de notre amour, de notre d?vouement et de notre profond respect pour la personne sacr?e de Sa Majest?.

,,Sign? de la part et au nom du Grand-Chapitre de la Cath?drale de Strasbourg,

,,JOSEPH, prince de Hohenlo?-Bartenstein,

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