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Read Ebook: La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) by Reuss Rodolphe
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 466 lines and 112154 words, and 10 pages,,JOSEPH, prince de Hohenlo?-Bartenstein, Ce qui montre bien combien les foules sont cr?dules, c'est qu'au moment m?me o? des actes aussi explicites faisaient ?clater ? tous les yeux la disposition v?ritable du haut clerg? de notre province, des bruits circulaient en ville affirmant des vues et des sentiments tout contraires. On pr?tendait que le cardinal allait revenir ? Strasbourg, qu'il y avait m?me repris domicile, qu'il allait administrer son dioc?se en se conformant aux lois nouvelles; on racontait que deux eccl?siastiques marquants, Zaigu?lius et Brendel, venaient de pr?ter le serment civique ? l'installation du tribunal de district, etc. Les coeurs flottaient entre la col?re et la crainte, entre l'espoir d'une r?conciliation au moins passag?re et le d?sir d'en venir une bonne fois aux mains avec l'adversaire intraitable. Cet ?quilibre instable des esprits dans la population strasbourgeoise, ? ce moment pr?cis de notre histoire, se marque d'une fa?on curieuse dans les ?lections qui eurent lieu en novembre pour le renouvellement des officiers municipaux et des notables de la commune. Il ne fut possible ? aucun parti d'organiser des listes assur?es d'un succ?s imm?diat. Les scrutins se prolong?rent pendant plusieurs jours, et deux ou trois noms ? peine r?ussissaient ? sortir ? la fois, avec une majorit? suffisante, de l'urne ?lectorale. Mais en d?finitive les ?l?ments progressistes triomph?rent, non sans peine, ? Strasbourg. Mais l? n'est pas la question, qui, du moins ? notre avis, doit seule pr?occuper l'histoire impartiale. La Constitution civile du clerg? ne fut pas seulement une usurpation de pouvoir, si l'on se place au point de vue de l'Eglise, ce fut avant tout une faute impardonnable au point de vue politique. L'histoire universelle est l? pour nous prouver qu'on n'a jamais renvers? d'une fa?on durable que ce que l'on a su remplacer. Les r?volutions religieuses ne sont donc l?gitimes que lorsqu'elles sortent d'un grand mouvement d'opinion publique, d'un irr?sistible ?lan de la conscience religieuse, comme le christianisme au premier et la R?forme au seizi?me si?cle. Alors ces mouvements sont f?conds en cons?quences heureuses et leurs adversaires eux-m?mes en profitent ? la longue. Mais comment un mouvement pareil aurait-il pu se produire en France, ? la fin du dix-huiti?me si?cle, si corrompu dans ses moeurs et si blas? sur toute id?e religieuse? Ce qui restait alors de religion dans le pays se concentrait dans des ?mes g?n?ralement hostiles ? tout changement, m?me ext?rieur, et l'organisation nouvelle ne comptait parmi ses clients qu'une minorit? infime d'esprits vivant d'une v?ritable vie religieuse. L'acceptation de la Constitution civile du clerg? par l'Assembl?e Nationale conduisait donc forc?ment ? l'?tablissement d'un culte d?daign?, d?s l'abord par l'immense majorit? des ?mes pieuses, et soutenu, pour des motifs politiques seulement, par une minorit? qui n'en usait gu?re elle-m?me au fond. La nouvelle Eglise ?tait condamn?e ainsi d'avance ? p?rir, m?me si elle avait trouv? un plus grand nombre de d?fenseurs vraiment dignes de d?fendre une cause religieuse. On pouvait bien r?unir autour des urnes un certain nombre d'?lecteurs pour ?lire, d'apr?s la nouvelle loi, des cur?s, voire m?me des ?v?ques, mais ils se dispensaient ensuite d'assister au pr?ne et, le plus souvent, ne r?ussissaient pas ? y faire aller leurs familles. Tandis que, jusqu'? ce moment, les membres du bas clerg?, sortis du peuple, avaient ?t?, du moins en majeure partie, d?vou?s ? la cause populaire, ils se voyaient maintenant plac?s entre la loi et leur conscience, qui, fa?onn?e par l'?ducation de l'Eglise, devait naturellement leur d?fendre toute d?sob?issance aux ?v?ques et au Saint-P?re sur le terrain religieux. Les d?fenseurs de la Constitution civile du clerg? avaient beau jurer qu'ils ne touchaient en rien aux questions dogmatiques, que la foi de l'Eglise restait enti?re. A strictement parler, ils disaient vrai; beaucoup de bons catholiques l'admettent aujourd'hui, et des croyants sinc?res le reconnurent m?me alors. Mais il n'en restait pas moins vrai que la loi nouvelle proclamait le schisme, en s?parant l'Eglise de France du chef de la chr?tient? catholique, en brisant la puissante hi?rarchie sur laquelle elle s'appuyait jusque-l?. A moins d'?tre volontairement aveugle, on ne pouvait se dissimuler le formidable conflit qui ?claterait, de Bayonne ? Landau, dans chaque paroisse du royaume, du moment qu'on passerait de la th?orie pure dans le domaine des faits. C'est cet aveuglement, volontaire ou non, qui constitue l'un des griefs les plus s?rieux contre les orateurs et les philosophes de la Constituante. L'ignorance ou la l?g?ret? sont ?galement coupables chez ceux qui d?cident des destin?es d'un grand peuple, et l'on ne peut ?pargner l'une au moins de ces ?pith?tes aux repr?sentants de la France quand on les voit jeter un pareil ferment de discorde nouvelle dans les masses d?j? surexcit?es par la crise politique. Ce ne fut pas l'oeuvre particuli?re de l'Assembl?e Nationale seulement qui fut d?truite dans les convulsions de cette seconde r?volution, greff?e sur la premi?re, c'est l'ensemble m?me des id?es lib?rales de 1789 qui faillit y p?rir tout entier. Quand le vote d?cisif eut eu lieu, quand la Constituante eut d?clar? d?missionnaires tous les ?v?ques et cur?s qui ne pr?teraient pas le nouveau serment impos? par la loi, elle eut elle-m?me comme une vision fugitive des difficult?s du lendemain. Longtemps apr?s avoir re?u la sanction royale, le d?cret du 12 juillet resta lettre morte. Ceux d'entre les eccl?siastiques qui si?geaient comme d?put?s et refusaient le serment ne song?rent pas ? quitter l'Assembl?e Nationale, et continu?rent ? occuper leurs si?ges ?piscopaux, leurs cures de ville ou de campagne, exer?ant leur minist?re au milieu de l'approbation de leurs ouailles. Cette p?riode d'h?sitation ne pouvait durer pourtant. Ayant d?cr?t? la r?volution th?orique dans l'Eglise, il ?tait dans la logique des faits que l'Assembl?e Nationale d?cr?t?t ?galement sa mise en pratique. C'est ce qu'elle fit enfin dans sa s?ance du 27 novembre, et c'est ? ce moment aussi que la question de la Constitution civile du clerg?, qui n'avait encore gu?re pr?occup? les esprits dans notre province, devint subitement aigu? pour l'Alsace. Le cardinal de Rohan ordonnait en m?me temps que ce mandement serait lu au pr?ne du dimanche suivant par tous les cur?s, vicaires et pr?dicateurs de son dioc?se. C'?tait une d?claration de guerre au pouvoir civil qui allait ?tre promulgu?e de la sorte dans toutes les paroisses catholiques d'Alsace. Le manifeste ?piscopal se terminait bien par des paroles onctueuses sur la douceur de ,,vivre dans la paix" et par l'invocation du ,,Dieu d'amour et de paix", mais cette phras?ologie de convention ne pouvait faire illusion sur la v?ritable port?e du document. Il faut bien avouer, d'autre part, qu'on se figure difficilement, ? cette date, un prince de l'Eglise usant d'un langage diff?rent de celui que nous venons d'entendre. La g?n?ration d'alors allait se trouver en pr?sence d'une de ces antinomies, insolubles en th?orie, et qui provoquent des conflits grandioses, comme l'histoire en a d?j? tant vu entre l'Eglise et l'Etat, conflits de principes ?galement exclusifs et qui se terminent d'ordinaire au moyen de quelque coup de force brutale, sauf ? rena?tre plus tard avec une nouvelle violence. Quand un souffle puissant d'ind?pendance et de foi libre agite les esprits, c'est l'Eglise qui recule et plie; quand au contraire ce souffle fait d?faut, l'Etat autocratique ou r?volutionnaire, les politiques souples et d?li?s, ou terrifiants, finissent d'ordinaire par avoir le dessous, parce que du c?t? de l'Eglise on invoque un principe qui, m?me ?gar?, m?me all?gu? sans raison, reste toujours auguste et sacr?, celui de la libert? des consciences. Il n'en est point d'autre qui permette de juger avec quelque justice les partis ennemis dans une lutte religieuse pareille. C'est ? sa lumi?re que nous t?cherons d'appr?cier les ?v?nements qui vont se d?rouler en Alsace et tout particuli?rement ? Strasbourg. Nous honorerons la libert? de conscience chez le pr?tre r?fractaire, qui sacrifie sa position mondaine, et bient?t la s?curit? de son existence, aux exigences de sa foi religieuse. Nous la respecterons aussi chez le pr?tre asserment? sinc?re, qui ne croit pas impossible d'unir les vertus eccl?siastiques ? la pratique des devoirs du citoyen, et quand nous verrons bient?t les partis se d?chirer avec rage et se couvrir d'injures, nous t?cherons de rendre ? chacun d'eux la justice qu'ils se refusent l'un l'autre, sans voiler les fautes et les exc?s que l'histoire est oblig?e de leur reprocher ? tous. Cependant le clerg? n'avait point os? suivre jusqu'au bout, du moins ? Strasbourg, les instructions du prince de Rohan et donner lecture de son mandement aux fid?les. Quelque bien dispos?e que f?t la majorit? du Directoire du d?partement, elle avait craint pourtant d'exciter le m?contentement public en connivant ? pareille transgression de la loi. Saisi d'ailleurs par une d?nonciation formelle des administrateurs du district, le pr?sident du Directoire, l'ex-ammeister Poirot, avait pris un arr?t? d?fendant toute communication officielle du factum ?piscopal. Cette soumission apparente du clerg? strasbourgeois fit m?me na?tre chez certains observateurs superficiels des esp?rances tout ? fait illusoires quant aux sentiments intimes et ? l'attitude future de l'immense majorit? des eccl?siastiques d'Alsace. Trop semblable en son optimisme ? la majorit? de l'Assembl?e Nationale, la bourgeoisie lib?rale de Strasbourg ne se rendait que fort imparfaitement compte de la v?ritable disposition d'esprit des masses catholiques. Elle s'exag?rait volontiers des faits sans importance majeure, comme la r?ception, ? la Soci?t? populaire, d'un recollet d?froqu?, dont les effusions patriotiques ?taient vivement acclam?es. Elle applaudissait aux attaques virulentes contre la ladrerie de l'?v?que fugitif, quand, dans la m?me s?ance o? le P. David avait pris la parole, un jeune peintre, nomm? Guibert, d?non?ait Rohan comme refusant d'acquitter une vieille dette de cinq cents livres, et faisait le r?cit de son p?lerinage ? Ettenheim pour obtenir au moins un ?-compte, p?lerinage dont il ?tait revenu sans le sol. Ce n'?tait pas cependant par des ?pigrammes, par des attaques personnelles de ce genre, quelque justifi?es qu'elles pussent ?tre, qu'on pouvait esp?rer vider la question religieuse. Le cardinal, tout cribl? de dettes peu honorables, n'en restait pas moins le chef ob?i du parti catholique en Alsace, et ceux qui en doutaient encore allaient ?tre forc?s d'en convenir tout ? l'heure eux-m?mes. A la campagne, en effet, les dol?ances de l'?v?que ?taient prises fort au s?rieux; le bas clerg? r?pandait ? pleines mains les protestations de ses sup?rieurs; les colporteurs juifs ?taient charg?s de la propagande des ?crits s?ditieux et l'indignation contre les pers?cutions inflig?es ? la religion ?tait g?n?rale. C'?tait un cas bien exceptionnel quand on pouvait annoncer au club strasbourgeois le triomphe des principes constitutionnels, comme son correspondant de B?rckenwald pr?s Wasselonne, qui se vantait d'avoir facilement d?truit l'effet du pr?ne chez ses concitoyens par quelques observations calmes et sens?es. Comment d'ailleurs cela aurait-il ?t? possible autrement chez des populations assez arri?r?es et na?ves pour qu'on p?t leur exp?dier, sous le cachet de l'Assembl?e Nationale, des ballots entiers de pamphlets incendiaires, imprim?s dans les officines d'outre-Rhin! Les maires eux-m?mes, auxquels parvenaient ces envois, les distribuaient avec empressement ? leurs administr?s comme documents officiels et n'y mettaient peut-?tre aucune malice. On ameutait surtout les paysans contre les acqu?reurs de biens eccl?siastiques; dans certains villages les officiers municipaux annon?aient de confiance que ces ventes ?taient d?fendues par le gouvernement, et cela encore ne paraissait pas extraordinaire ? ces pauvres cervelles troubl?es et mises ? l'envers par le prodigieux bouleversement des deux derni?res ann?es. Mais la lutte allait ?clater, plus violente encore, sur un terrain moins accessible ? des consid?rations d'ordre mat?riel et plus favorable par suite ? l'attitude intransigeante du clerg?! Nous avons vu que l'Assembl?e Nationale avait prescrit, depuis de longs mois, d'inventorier les biens des chapitres et coll?giales et de r?unir leurs archives ? celles des districts. En vertu de cette loi, le transfert des dossiers et parchemins du chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune avait ?t? fix? par les autorit?s comp?tentes au 3 janvier 1791. A peine cette mesure avait-elle ?t? d?cid?e, qu'on vit se r?pandre en ville des bruits de nature ? exciter les alarmes de la population catholique du quartier. Des fauteurs de troubles y couraient les rues et les maisons, annon?ant la suppression du culte, affirmant que les administrateurs du district avaient donn? l'ordre d'enlever tous les vases sacr?s et de proc?der ? la fermeture de l'?glise. De pareilles excitations devaient porter leurs fruits. Une foule de curieux, entrem?l?s de fanatiques, parmi lesquels les femmes du peuple se distinguaient par leurs intemp?rances de langage, accoururent vers quatre heures et demie du soir, se ru?rent dans le sanctuaire et quelques forcen?s se mirent ? sonner le tocsin. L'?moi fut grand par toute la ville; M. de Dietrich r?unit ? la h?te le corps municipal, fit prendre les armes ? la garde nationale et la dirigea, renforc?e par plusieurs pelotons de la garnison, vers le lieu du tumulte. Mais la pr?sence des troupes ne fit qu'irriter encore la col?re toute gratuite des ?meutiers en jupon; elles se mirent ? jeter du gravier et des pierres ? la t?te des soldats et l'on eut beaucoup de peine ? dissiper l'attroupement ? la tomb?e de la nuit et sans effusion de sang. Le transfert des archives ne put ?tre op?r? que le jour suivant, et se fit alors sans encombre. L'opinion publique avait ?t? vivement frapp?e par cette prise d'armes, par ce ,,tumulte ourdi par les bonzes, avec le concours de la pire canaille", comme l'?crivait le lendemain l'un des journaux de Strasbourg. La municipalit? t?cha de pr?venir le retour de pareils exc?s, en affichant, d?s le 4 janvier, une proclamation chaleureuse ? tous les habitants de la ville, les suppliant de ne pas pr?ter la main ,,? des desseins criminels, des erreurs bien graves ou des impostures bien coupables." Elle s'adressait en particulier aux eccl?siastiques de tous les cultes pour leur demander leur concours: ,,Lorsque le peuple se trompe, c'est ? eux ? lui montrer les premiers chr?tiens, sujets fid?les, n'oser tirer le glaive que pour la patrie, martyrs pour leur Dieu, quand il les appelait ? ce sanglant hommage, mais toujours soumis ? l'autorit?. C'est ? eux ? sauver ? la religion des horreurs qui effrayent et d?gradent l'humanit?." M. de Dietrich promettait en terminant le plus entier respect pour les int?r?ts religieux de ses administr?s: ,,Tous les membres sacrifieront leur vie avant de laisser outrager la religion ou violer les loix, qu'ils ont jur? de respecter, la religion qui est ch?re ? tous les bons citoyens, les loix dont l'observance est n?cessaire pour le bonheur de celui-m?me qui croit qu'elles blessent ses int?r?ts, car leur m?pris serait le commencement de l'anarchie la plus cruelle." Il ?tait malheureusement plus facile de r?unir ainsi ces deux principes hostiles dans une m?me p?riode que de les amener ? coexister pacifiquement dans la vie politique; c'est parce qu'elle n'a pas su r?soudre le probl?me pos? par ce redoutable dilemme, que la R?volution fran?aise, apr?s avoir donn? de si magnifiques esp?rances, a fini par un avortement si tragique. Le lendemain, 5 janvier, le maire adressait encore une circulaire sp?ciale ? tous les cur?s et pasteurs de la ville, au sujet de ces troubles regrettables, avec pri?re d'en donner lecture au pr?ne du dimanche suivant. Mais ce n'?taient pas les circulaires patriotiques de quelques autorit?s municipales qui pouvaient arr?ter l'essor des parties adverses, qui se croyaient dor?navant tout permis. Pendant qu'on enflammait le z?le contre-r?volutionnaire des campagnes, dans les villes m?mes les garnisons ?taient sollicit?es, soit par leurs officiers nobles eux m?mes, soit par des ?missaires clandestins subalternes, ? faire cause commune avec les champions du tr?ne et de l'autel. On distribuait ? celle de Strasbourg de l'argent, des cocardes blanches, des brochures royalistes, cadeaux qui n'?taient pas toujours bien re?us, puisqu'on nous assure que les grenadiers de l'un des r?giments de notre ville, apr?s avoir bu l'argent offert ? la sant? de la Nation, avaient arbor? ladite cocarde....au fond de leurs hauts-de-chausses. Quand le lendemain, les cloches, qui depuis tant d'ann?es appelaient les fid?les au culte, ne se firent point entendre, l'?motion fut grande dans le public, on le croira sans peine. On avait donc eu raison de dire que la loi nouvelle en voulait ? la religion m?me et que l'?re des pers?cutions allait s'ouvrir! Le ressentiment du maire et des administrateurs du district est ?galement facile ? comprendre. Ils ?taient officiellement responsables de la tranquillit? publique et se voyaient brusquement ? la veille de troubles nouveaux, sans avoir ?t? pr?venus des mesures qui vraisemblablement allaient les faire na?tre. M. de Dietrich ?crivit encore ? la h?te, le 15 au soir, aux cur?s des paroisses de Saint-Laurent, de Saint-Pierre-le-Vieux et de Saint-Louis, pour les inviter ? c?l?brer le service divin, le lendemain, comme ? l'ordinaire; et pour les prier de passer le soir m?me ? l'H?tel-de-Ville, afin de s'entendre avec eux sur la r?glementation des offices dans les paroisses catholiques. Il envoyait en m?me temps ? M. Dupont, le rempla?ant temporaire d'Ignace Pleyel, comme ma?tre de chapelle de la Cath?drale, l'ordre formel de fonctionner le lendemain ? la grand'messe de la Cath?drale, avec tous ses acolytes, afin de remplacer les chantres du Grand-Choeur. Il fallait en effet montrer aux bonnes ?mes, inqui?t?es par les bruits r?pandus dans le public, qu'on ne songeait aucunement ? supprimer les services des paroisses, en pronon?ant la suspension des chapitres conform?ment ? la loi. Mais en m?me temps que la municipalit? essayait de rassurer ainsi les catholiques de la ville, elle voulut marquer aussi son enti?re ob?issance ? l'Assembl?e Nationale, en faisant afficher, ce m?me samedi, 15 janvier, un arr?t? qui enjoignait aux eccl?siastiques fonctionnaires publics de pr?ter le serment, selon la formule vot?e le 26 d?cembre 1790, dans les lieux indiqu?s par ladite loi, et ce, dans le d?lai de huitaine. Deux jours au plus tard avant l'expiration de ce d?lai, les eccl?siastiques devraient venir d?clarer ? la Mairie leur intention de pr?ter le serment, et se concerter avec le maire pour fixer le moment de la prestation solennelle. L'arr?t? du 15 janvier n'avait rien ? voir, au fond, avec la suppression des chapitres; mais sa publication n'en fut pas moins malencontreuse, car elle contribua pour sa part ? entretenir l'agitation dans les esprits. Depuis si longtemps on parlait du serment obligatoire sans qu'on l'e?t r?clam? du clerg?; celui-ci s'?tait habitu? ? croire qu'on n'oserait plus le lui demander. Cette brusque invitation ? se d?cider dans la huitaine, montrait tout ? coup aux plus insouciants combien la crise devenait aigu? et r?clamait une d?cision imm?diate de la part de tous ceux qui voulaient continuer ? figurer parmi les salari?s de l'Etat. Aussi les meneurs du parti, voyant le d?sarroi g?n?ral, pens?rent sans doute qu'autant valait entamer de suite le combat que de recommencer ? nouveaux frais huit jours plus tard. Ils d?cid?rent donc de maintenir d?s ce jour la gr?ve du clerg? s?culier, qui pourtant aurait pu fonctionner tranquillement une semaine de plus, avant de se prononcer, au voeu de la municipalit?, pour ou contre l'acceptation des lois eccl?siastiques nouvelles. Le maire avait fait imprimer, d?s le soir m?me du 15 janvier, la lettre adress?e par lui aux administrateurs du district, les lettres ?crites aux diff?rents cur?s, la r?ponse du Directoire du district, toutes les pi?ces officielles en un mot, qui devaient permettre au public de juger en connaissance de cause le prologue du grand conflit qui allait s'engager ? Strasbourg, comme dans la France enti?re. La bourgeoisie ?clair?e des deux cultes se pronon?a, comme on pouvait le pr?voir, en grande majorit?, d'une mani?re approbative. Pour elle, les eccl?siastiques ?taient avant tout, selon la phrase consacr?e d'alors, des ,,officiers de morale publique", salari?s par l'Etat, et comme tels, devant ob?issance aux prescriptions l?gales, plus encore que les simples citoyens. Mais le petit peuple catholique et les femmes de toutes les classes ne jugeaient pas la question ? ce point de vue juridique ou philosophique. Ces groupes nombreux se sentaient l?s?s dans leurs int?r?ts religieux, et leurs consciences s'alarmaient ? l'id?e de perdre bient?t les conducteurs spirituels dont ils avaient suivi jusqu'ici docilement les conseils. Leur m?contentement s'exhalait en plaintes plus ou moins violentes; on avait beau leur dire que la Constituante ne voulait nullement expulser brutalement les cur?s et vicaires en fonctions, ni interrompre en aucun lieu l'exercice salari? du culte public. Ceux-l? m?me qui refuseraient le serment seraient admis ? continuer leurs fonctions jusqu'apr?s l'?lection de leurs successeurs . Les masses n'entrent jamais dans l'examen des nuances, qu'il s'agisse de questions politiques ou religieuses. Il leur faut des drapeaux aux couleurs bien voyantes, m?me un peu criardes, des professions de foi bien explicites et bien ronflantes, et le clerg? disposait pour la bataille d'un signe de ralliement et d'un mot d'ordre, ? nuls autres pareils, le maintien de l'unit? de l'Eglise et de la libert? des consciences. Aussi le dimanche, 16 janvier, vit-il les diff?rentes ?glises catholiques de Strasbourg remplies d'une foule compacte de fid?les des deux sexes, venus les uns pour voir s'il se passerait quelque chose, ou ce qui allait se passer, les autres pour supplier le Ciel d'intervenir en faveur de la bonne cause. Tout ce monde ?tait ?mu, plus bruyant que recueilli, et des voix s'?levaient parfois pour accuser la tyrannie du gouvernement et la municipalit?. Cela se faisait avec d'autant moins de g?ne que les pr?tres ne se montraient nulle part, ce jour l?, soit pour ?viter, comme ils le dirent plus tard, les insultes de quelques exalt?s, soit encore pour r?veiller dans les ?mes d?votes le sentiment attristant de leur futur abandon spirituel. Des groupes de soldats et de gardes nationaux stationnaient dans l'enceinte sacr?e, suivant de l'oeil les manifestants les plus exalt?s et proc?dant, le cas ?ch?ant, ? leur arrestation provisoire. Nous avons conserv? un tableau assez fid?le de la disposition des esprits dans le parti catholique ? Strasbourg en cette journ?e, dans une lettre ?crite sur les lieux, le lendemain m?me, par un membre du Conseil g?n?ral du Haut-Rhin, bon catholique, qui s?journait pour affaires dans notre ville. Voici quelques passages de cette lettre de M. Mueg: ,,... Il y a beaucoup de fermentation ? Strasbourg par rapport aux lois de la Constitution civile du Clerg? et le serment qu'on exige des pr?tres; les Coll?giales et le Grand-Choeur ont cess? samedi dernier leurs heures canoniales; mais ils ont d?pos? au Directoire du d?partement des protestations tr?s ?nergiques contenant le motif de leur ob?issance, qui est de pr?venir les troubles. En effet, le peuple catholique a vu cette diminution trop sensible de l'?clat du service divin avec le plus grand chagrin. On se porte avec empressement dans les ?glises pour y faire des pri?res publiques, auxquelles les pr?tres n'assistent point, parce qu'ils n'oseraient le faire sans s'exposer ? ?tre poursuivis comme perturbateurs du repos public... Hier, dimanche, dans l'apr?s-d?ner, un insolent qui s'est trouv? ? ces pri?res publiques, ? la Cath?drale, s'est permis de dire tout haut qu'il n'y aura point de repos jusqu'? ce qu'on ait massacr? ces gueux de pr?tres. Cela a excit? une rumeur. Des soldats d'artillerie pr?sents lui ont mis la main sur le corps. La soeur de ce particulier, qui se trouvait aussi ? l'?glise, voyant son fr?re aux prises, s'est jet? entre lui et les soldats, et je crois qu'il leur est ?chapp? . Cela a fait tant de train que le maire en a ?t? averti... On a envoy? un ou plusieurs d?tachements aux portes de la Cath?drale, et pendant le reste de la soir?e et toute la nuit, la ville a ?t? crois?e par nombre de patrouilles. On craint le moment de la prestation du serment des pr?tres, fix? ? dimanche prochain, et plus encore le jour de l'?lection des nouveaux fonctionnaires, ? laquelle il faudra en venir, si l'Assembl?e Nationale persiste dans la rigueur de ses d?crets.... Le Directoire du d?partement est dans le plus grand embarras; il en a ?crit ? l'Assembl?e Nationale .... Mais ce n'?taient pas ces agitations, purement ext?rieures, qui pr?occupaient le plus les d?positaires de l'autorit? publique. La population strasbourgeoise n'a jamais montr? beaucoup de go?t pour les brutalit?s r?volutionnaires, et m?me aux heures les plus troubles de notre histoire moderne, la guerre des rues n'y a point traduit en pratique, comme autre part, l'anarchie des esprits. Le danger de la situation semblait ailleurs; les chefs du parti constitutionnel le voyaient dans la tentative d'une organisation plus compl?te du parti catholique et contre-r?volutionnaire, opposant club ? club, tribune ? tribune, et d?cha?nant sur Strasbourg et sur l'Alsace, si agit?s d?j?, toutes les horreurs de la guerre civile, au moment pr?cis o? l'attitude des puissances ?trang?res commen?ait ? inspirer des craintes s?rieuses aux patriotes. Pour nous, qui ?tudions aujourd'hui les choses ? distance, ces craintes peuvent para?tre exag?r?es, quand nous consid?rons quels faits leur donn?rent naissance; mais il ne faut point oublier dans quel ?tat d'excitation continuelle se trouvait alors l'esprit public. Voici donc ce qui avait motiv? les inqui?tudes et les soup?ons du parti constitutionnel: Dans la journ?e du samedi, 15 janvier, quinze citoyens catholiques avaient fait au Bureau municipal la notification, exig?e par le d?cret du 14 d?cembre 1789, sur les r?unions publiques, de leur intention de s'assembler paisiblement et sans armes, le lendemain, dimanche, ? deux heures de relev?e, dans la chapelle du S?minaire. Ils avaient d?clar? verbalement qu'on discuterait dans cette r?union la circonscription des paroisses, et qu'on r?digerait une adresse, soit au Roi, soit au Corps l?gislatif, ? ce sujet. Le lundi matin, le maire, qui n'avait encore re?u que des renseignements assez vagues sur la r?union de la veille, recevait une seconde notification de la part des m?mes citoyens, portant que ladite assembl?e serait continu?e le jour m?me, ? une heure, au S?minaire, la p?tition n'ayant pu ?tre achev?e. Le Bureau municipal enregistra cette d?claration, conform?ment ? la loi, mais le maire fit observer en son nom aux commissaires de la r?union qu'ils ?taient responsables des d?cisions qui seraient prises; qu'on avait le droit de r?clamer communication de leurs proc?s-verbaux, et qu'on esp?rait d'ailleurs de leur attachement ? leur devoir qu'ils ne d?lib?reraient pas sur des objets proscrits par la loi. Le maire, ayant courtoisement fait prendre place au bureau aux personnages cit?s devant le conseil, demanda tout d'abord communication des proc?s-verbaux de la r?union, afin qu'on p?t se rendre compte de l'esprit qui y avait r?gn?. Mainoni r?pondit, non sans embarras, que celui de la premi?re s?ance avait seul ?t? r?dig?, que celui de la seconde n'?tait pas encore mis au net. Le secr?taire Wilhelm dut partir alors pour produire au moins la pi?ce existante, mais il resta si longtemps absent qu'on envoya l'un des sergents de la municipalit? ? sa recherche pour le ramener avec son proc?s-verbal. Quand ce dernier fut lu, on constata qu'il ne mentionnait absolument que la nomination d'un pr?sident et de ses assesseurs. De l'objet des d?bats, pas un mot. Il ?tait ?vident qu'on cachait quelque chose; il y avait donc quelque chose ? cacher. Vivement interpell?, le pr?sident Mainoni dut avouer ,,qu'il y avait ?t? question ensuite de laisser tout ce qui concerne la religion, notamment les paroisses et le culte, sur l'ancien pied", et qu'? la s?ance de ce jour on avait arr?t? de pr?senter ? ces fins une adresse au Roi Tr?s-Chr?tien, un m?moire au D?partement, et une lettre au Pape, pour le prier de faire part aux catholiques de Strasbourg de sa mani?re de voir sur le serment impos? aux eccl?siastiques. Il dit encore qu'on avait d?cid? de continuer les s?ances ,,pour d?lib?rer sur des objets relatifs ? la conservation de la religion." Le secr?taire Wilhelm ajoutait, pour pacifier les esprits, que les s?ances seraient publiques et que les citoyens de tous les cultes pourraient y venir. Apr?s cet expos? des faits, qui ne s'?tait produit qu'avec quelque r?pugnance, le procureur de la Commune prit la parole. La loi du 26 d?cembre 1780 porte, dit-il en substance, que toutes les personnes eccl?siastiques ou la?ques qui se coaliseront pour combiner un refus d'ob?ir aux d?crets seront poursuivies comme perturbateurs du repos public. Il priait en cons?quence le Conseil g?n?ral de retirer aux membres de l'association du S?minaire le droit de s'assembler d?sormais, ,,sauf aux dits membres ? se r?unir pour d?lib?rer sur tout autre objet non contraire ? la loi." Il proposait en outre d'envoyer un courrier ? l'Assembl?e Nationale pour lui faire part des faits qui venaient de se passer ? Strasbourg. Apr?s une courte discussion, le Conseil g?n?ral de la Commune d?cidait en effet d'envoyer un expr?s ? Paris pour solliciter l'envoi de commissaires dans le Bas-Rhin, afin d'y faire mettre ? ex?cution les d?crets de l'Assembl?e sur la Constitution civile du clerg?; en attendant les instructions demand?es ? Paris, l'assembl?e du S?minaire ?tait autoris?e provisoirement ? continuer ses s?ances, ? charge des particuliers qui la composent ,,d'?tre responsables des ?v?nements qui pourront r?sulter de leurs d?lib?rations." En m?me temps on d?cidait de demander ? la Constituante que le nombre des paroisses de la ville et de la citadelle resterait le m?me; c'?tait montrer aux catholiques qu'on entendait prot?ger leurs droits dans la mesure du possible. Au moment o? le Conseil g?n?ral prenait ces d?cisions, que l'on ne saurait qualifier d'illib?rales, un nouvel incident se produisit, qui devait singuli?rement envenimer les choses. Un membre de la Soci?t? populaire, le n?gociant Michel Rivage, qui assistait ? la s?ance, se pr?senta tout ? coup ? la barre, demandant ? faire une communication d'importance, int?ressant l'ordre et la tranquillit? publique. ,,Vu les circonstances", le maire lui donna la parole. Il raconta alors, pour employer ses propres expressions, ,,la d?marche ind?cente que quelques habitantes de cette ville se sont permises ce matin, en allant porter un ?crit de caserne en caserne", et pria le Conseil g?n?ral de mander par devers lui ces dames pour les interroger et conna?tre les instigateurs de cette ?trange et coupable d?marche. En m?me temps qu'il mettait sa d?nonciation par ?crit, on apportait en s?ance un exemplaire de la pi?ce d?nonc?e, exp?di?e par M. de Klinglin, commandant des troupes de ligne, ? M. de Dietrich. Voici en effet ce qui s'?tait pass?: Trois voitures charg?es de dames appartenant ? la bonne soci?t? catholique, et d?put?es, disait la rumeur publique, par six cents autres, r?unies ? cet effet, ?taient parties de l'h?tel du d?partement; ? la t?te de ces dames se trouvaient Mme Poirot en personne et Mme Mainoni, la femme du pr?sident de l'assembl?e du S?minaire. Elles s'?taient fait conduire au quartier de Royal-Infanterie, y avaient demand? l'adjudant Migniot, et quand il s'?tait pr?sent? ? la porti?re du carrosse, les occupantes, fort excit?es, lui avaient demand? protection pour la religion catholique et remis des paquets d'imprim?s ? distribuer parmi ses camarades. L'adjudant s'?tait empress? de les porter ? ses sup?rieurs, et ces dames n'avaient pas ?t? plus heureuses dans les autres casernes. Elles coururent m?me grand risque d'?tre maltrait?es par les soldats, gagn?s ? la cause populaire, et l'on nous raconte--esp?rons que le bruit ?tait faux--qu'au poste de la place d'Armes on avait d?j? pr?par? des verges pour les fouetter, si elles avaient pass? par l? . C'?tait donc, en somme, une ?quip?e ridicule et manqu?e, mais qui n'en contribua pas moins ? ?chauffer les esprits. Le Conseil g?n?ral se s?para, le 17 au soir, apr?s avoir approuv? une ,,proclamation ? tous les citoyens amis de la religion, de la loi et de l'ordre", qui recommandait le calme et la concorde. Les catholiques s'?tant plaint de ce que les protestants s'exprimaient d'une fa?on blessante sur leur compte, le maire pria les pasteurs de travailler tout sp?cialement ? l'apaisement des esprits, et pour r?pondre ? ce voeu, Blessig, le plus ?loquent et le plus populaire d'entre eux, r?digea le lendemain une brochure allemande ,,Les protestants de Strasbourg ? leurs fr?res catholiques", pour t?moigner du bon vouloir de ses coreligionnaires. Mais ce m?me jour aussi, la Soci?t? des amis de la Constitution, r?unie sous la pr?sidence de Le Barbier de Tinan, votait l'envoi d'une adresse au Conseil g?n?ral, pour r?clamer la r?vocation de la permission provisoirement accord?e ? la Soci?t? des catholiques romains--c'est ainsi qu'elle s'appelait maintenant elle-m?me--de continuer ses s?ances. Elle d?cidait en outre de d?noncer ? l'Assembl?e Nationale les femmes sorties du d?partement pour r?pandre parmi les troupes des ?crits insidieux et contraires aux lois. Enfin des d?l?gu?s sp?ciaux devraient d?clarer aux divers corps de la garnison ,,que la fa?on dont ils ont re?u ces dames fait autant honneur ? leurs moeurs qu'? leur patriotisme". Quelle est donc cette bande joyeuse? Ce sont des dames scrupuleuses, Qui s'en vont en procession Epauler la religion , Et dans ce pieux exercice Les vieilles, jeunes et novices Vont demander soulagement A messieurs du d?partement. Des faits plus graves encore furent all?gu?s. Un nomm? Kaetzel, de Gambsheim, vint attester qu'un ?missaire de la r?union catholique ?tait venu, le mardi, 18, ? 5 heures du matin, dans son village, situ? ? quelques lieues de Strasbourg, pour appeler les habitants au secours de leur religion, menac?e ? Strasbourg. On affirmait que quatre-vingt-trois villages de l'?v?ch? s'?taient clandestinement coalis?s pour prendre les armes au premier signal, et toute part faite ? l'exag?ration naturelle de ces temps troubl?s, ce que nous verrons plus tard, rend tr?s probable l'existence de conciliabules destin?s, d?s ce moment, ? s'opposer ? l'ex?cution des lois sur le clerg?. La production de cette pi?ce fit pencher la balance du c?t? de la rigueur. La majorit? du Conseil trouva s?ditieuse une adresse qui s'opposait ? la mise en vigueur des lois du royaume, sanctionn?es par le roi, et plus encore l'invitation adress?e ? un prince ?tranger ? s'immiscer dans les affaires de la nation. Elle d?clare par suite absolument d?fendues les r?unions du S?minaire; elle intime au pr?sident et ? ses assesseurs l'ordre de ne plus se r?unir pour d?lib?rer, m?me entre eux seuls, et les pr?vient que la force publique sera mise en mouvement pour emp?cher toute tentative semblable. Le Directoire du d?partement et celui du district seront avertis de ce qui s'est pass? et pri?s d'employer toute leur influence pour calmer l'agitation suscit?e dans les campagnes. Une d?putation, compos?e de six membres, dont un seul protestant, leur est envoy?e ? cet effet. On peut se figurer quelle dut ?tre, de part et d'autre, la surexcitation de nos bourgeois, r?actionnaires ou constitutionnels, quand ils entendirent battre la g?n?rale, quand ils virent amener des canons sur les principales places publiques, accourir les d?putations des gardes nationales de Schiltigheim, Westhoffen, Wasselonne, et autres communes patriotiques, mettant leurs bayonnettes ? la disposition des autorit?s municipales. Le m?me jour encore, le Conseil g?n?ral leur donnait acte de leur d?claration; il ne leur refusait pas la permission d'user d'une libert? constitutionnelle, ,,mais, attendu le dommage dont a menac? r?cemment la chose publique une soci?t?, qui, apr?s avoir invoqu? la loi pour se former, s'est bient?t permis d'attaquer la loi-m?me", il rendait personnellement responsables les signataires de tous les ?v?nements qui pourraient arriver de leur r?union, et enjoignait au corps municipal de faire surveiller la nouvelle soci?t? de tr?s pr?s. Mais la Soci?t? des Amis de l'Union n'?tait pas destin?e ? vivre plus longtemps que son a?n?e. Le 24 janvier, au moment o? le Conseil g?n?ral de la commune allait lever la s?ance, on introduisit dans son sein le procureur-syndic du district qui venait l'alarmer par la perspective de dangers nouveaux. Il avait re?u la visite des sieurs Belling et Widenloecher, maire et procureur de la commune de Molsheim, arriv?s en toute h?te pour lui faire part de l'?tat d'esprit de leurs administr?s. Des instigateurs, envoy?s ,,par les gens du S?minaire, renaissant de leurs cendres sous le nom captieux de Soci?t? de l'Union", avaient provoqu? ? Molsheim une v?ritable lev?e de boucliers contre les d?crets de l'Assembl?e Nationale. Les ultras de la vieille ville ?piscopale avaient forc? par leurs menaces les officiers municipaux eux-m?mes ? signer les protestations envoy?es de Strasbourg, etc.. A l'audition de ce rapport, le Conseil g?n?ral d?cida, s?ance tenante, que le Po?le des Charpentiers serait ferm?, et la Soci?t? suspendue jusqu'? l'arriv?e des commissaires de l'Assembl?e Nationale, dont la municipalit? avait instamment demand? la venue. On a vu par ce qui pr?c?de qu'on s'?tait occup? de bien autre chose encore au S?minaire. C'est ce qu'avoue d'ailleurs le pamphl?taire anonyme en ajoutant: ,,Dans le premier mouvement de leur z?le irr?fl?chi, ces citoyens se sont permis dans leurs d?lib?rations, qui ont ?t? imprim?es, des r?flexions tr?s hasard?es sur les d?crets.... A l'instant M. le maire a cri? ? la coalition.... On a imagin? de faire courir le bruit que pass? 80 communaut?s se disposaient ? entrer en ville pour massacrer les luth?riens. Le maire a fait le m?me roman ? l'Assembl?e Nationale.... Chacun se regarde et se demande ce que cela signifie; on se demande si le cr?dit dont M. le maire jouit, peut lui permettre de pareilles farces.... Le fait est encore que si l'on avait quelque trouble ? essuyer, on ne pourrait que l'attribuer ? l'indignation qu'excitent depuis longtemps parmi les catholiques, les r?flexions ind?centes, les calomnies atroces, l'insolence peu commune des trois gazetiers luth?riens, les sieurs Salzmann, Meyer et Simon, v?ritables brigands, que depuis six mois les luth?riens sages auraient d? faire p?rir eux-m?mes sous le b?ton." Ainsi se termina ce curieux ?pisode des luttes politico-religieuses de notre cit?, que nous avons racont? avec quelque d?tail, parce qu'il est mal et peu connu, et qu'il permet de saisir sur le vif l'attitude et les dispositions des deux partis, qui vont s'entre-d?chirer en Alsace. Les catholiques y ont le beau r?le; ils invoquaient les libert?s constitutionnelles, solennellement garanties ? tous. Ils voulaient s'en servir--cela est incontestable pour tout esprit impartial--pour attaquer les lois et pour battre en br?che les pouvoirs constitu?s. Mais cela ?tait ? pr?voir d?s l'abord, et leur attitude hostile n'aurait pas d? effaroucher ? ce point les partisans de l'Assembl?e Nationale, qu'ils succombassent ? la tentation de supprimer la libert? des uns pour garantir le respect de l'autre. Ils auraient pu se souvenir du mot de l'historien romain qu'il faut toujours pr?f?rer une libert?, m?me p?rilleuse, ? la tutelle du pouvoir, impos?e dans les intentions les plus pures. Que gagnait-on d'ailleurs ? la suppression des associations catholiques? La municipalit? aurait plus facilement surveill? des men?es ouvertes; elle n'emp?chait pas, ? coup s?r, les men?es souterraines qui reprirent de plus belle. Par sa mani?re d'agir, elle donnait au contraire aux catholiques le droit de se proclamer victimes de l'arbitraire, de se dire plus maltrait?s que tous les radicaux et jacobins du royaume. Sans doute, il est toujours difficile, et surtout en temps de r?volution, de maintenir les esprits r?calcitrants, sans para?tre sortir soi-m?me de la l?galit?. Mais tout ?tait pr?f?rable ? la violation, au moins apparente, d'un droit reconnu par l'Etat, puisque elle permettait aux pires ennemis de toute libert? v?ritable, ? ceux qui ne l'ont jamais voulue sinc?rement que pour eux seuls, de se poser en martyrs de la libert? pour tous. Pendant les quelques jours qui s?par?rent les d?bats orageux, relat?s tout ? l'heure, de la dissolution d?finitive de l'Association catholique, les autorit?s du d?partement, du district et de la cit? avaient ?galement pris en main la question du serment civique. Elle ?tait de la derni?re urgence, car l'Assembl?e Nationale, obtemp?rant au voeu du Conseil g?n?ral de la commune, avait demand? au roi, dans sa s?ance du 20 janvier, l'envoi imm?diat de trois commissaires sp?ciaux en Alsace, afin d'y calmer l'effervescence des esprits et d'y faire observer les lois. Une adh?sion se produisit cependant ? la s?ance du 22 janvier. On y donna lecture d'une lettre de l'abb? Brendel, professeur de droit canon ? l'Universit? catholique et membre du Conseil g?n?ral de la commune, qui annon?ait ?tre pr?t ? ob?ir ? la loi, et faisait remarquer seulement qu'il avait d?j? pr?t? le serment constitutionnel en substance, lors de son installation comme notable, en novembre dernier. Ce n'est pas sans une certaine h?sitation que Brendel avait pris son parti, car on affirme qu'il s'?tait joint d'abord ? ses coll?gues universitaires pour repousser la Constitution civile du clerg?. Le conseil de la Commune fut si satisfait de cette adh?sion presque inesp?r?e qu'il d?cida sur-le-champ de faire exprimer ? Brendel, par une d?putation de quatre membres, toutes ses f?licitations sur ce ,,qu'il avait donn? l'exemple honorable et glorieux de la soumission ? la loi." Il fixa en m?me temps la prestation du serment au lendemain m?me, dimanche, 23 janvier, afin qu'on p?t conna?tre enfin, d'une fa?on nette et pr?cise, les amis et les ennemis de la Constitution nouvelle. Ce jour m?me, un personnage que nous avons d?j? nomm?, que nous nommerons souvent encore, l'un des types les plus originaux de ce temps, fantasque, excentrique, craint de ses amis plus encore que de ses adversaires, mais au demeurant assez sympathique ? cause de son courage et de sa franchise, le chanoine Rumpler, en un mot, avait essay? de concilier les ?l?ments inconciliables en dressant une formule de serment que la municipalit? consentait ? recevoir comme annexe au proc?s-verbal officiel , mais qui ne put ?tre employ?e, puisque les eccl?siastiques r?calcitrants en exigeaient l'insertion dans le proc?s-verbal lui-m?me. Pendant la nuit du samedi au dimanche, les postes de la garnison et de la garde nationale furent partout sous les armes, et les libations des d?fenseurs de l'ordre et de la loi durent ?tre nombreuses, car ils affirm?rent le lendemain avoir vu appara?tre les trois couleurs nationales sur la face de la lune. Ce ne furent pas, dit na?vement un journal, quelques sentinelles isol?es, mais des chambr?es enti?res qui constat?rent ce miracle constitutionnel: un cercle d'un rouge intense, puis un autre d'un bleu sombre autour du noyau, d'une blancheur argent?e, de l'astre nocturne. Et l'estimable gazetier d'ajouter que ,,troupes de ligne et gardes nationaux avaient ?t? touch?s jusqu'aux larmes ? l'aspect de cette lune patriotique, transform?e en une gigantesque cocarde nationale." Apr?s tout ce que nous venons de dire sur la situation des esprits ? Strasbourg, on ne s'?tonnera gu?re en voyant le r?le pr?pond?rant jou? par la force militaire dans la c?r?monie plus ou moins religieuse du lendemain. Quelle diff?rence entre cette prestation de serment ? la Constitution civile du clerg? et l'enthousiasme qui avait enflamm? les coeurs lorsqu'on avait pr?t?, le 14 juillet, d'une bouche unanime, le serment patriotique dans la plaine des Bouchers! Aujourd'hui l'aspect des rues ?tait morne; sur les principales places de la ville on avait amen? des canons, on les avait charg?s ? mitraille devant les curieux; ?videmment la municipalit? craignait des mouvements populaires, soit de la part des habitants m?me de la ville, soit de celle des paysans catholiques du dehors. Ce fut entour? de bayonnettes que le corps municipal se rendit ? l'?glise Saint-Louis, dont le cur? Valentin avait, seul de tous les titulaires de Strasbourg, fait conna?tre son intention de pr?ter le serment. Apr?s l'avoir re?u, le cort?ge se rendit ? la citadelle, dont le cur?, le P?re capucin Ambroise Hummel, avait, il est vrai, fourni une r?ponse semblable, mais qui s'en repentit au dernier moment. Car il ajouta, para?t-il, quelques restrictions ? mi-voix, lorsqu'il pronon?a la formule du serment ? l'autel, et le greffier n'ayant pas voulu les ins?rer au proc?s-verbal officiel, dress? dans la sacristie, il ?crivit le lendemain une lettre au maire, qui fut r?pandue ? profusion dans la ville et les campagnes, et dans laquelle il r?tractait solennellement son serment, ,,le coeur navr? de douleur", et le d?clarait nul et non avenu. On peut suivre chez cet humble capucin tout le d?veloppement, pour ainsi dire, du drame psychologique qui a d? se passer alors dans l'?me de milliers de pr?tres. Ils sont tiraill?s en sens contraire par leurs devoirs eccl?siastiques et le d?sir de conserver leur place au milieu de leurs ouailles, par l'ob?issance ? leurs sup?rieurs hi?rarchiques et la peur du ch?timent c?leste d'une part, par leurs sentiments de citoyen d'autre part et la crainte des punitions l?gales, de l'exil et de la mis?re. Comme aux plus sombres jours du moyen ?ge, o? s'?tait d?roul?e la grande lutte entre l'Empire et la Papaut?, nous voyons reprendre le duel gigantesque entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux et les peuples, comme les individus, en devenir les victimes. Quelques bons plaisants pouvaient bien imaginer une transaction bouffonne entre l'Ancienne et la Nouvelle Loi, t?moin le feuille volante, rarissime, imprim?e alors ? Strasbourg, qui pr?sente un sens bien diff?rent selon qu'on en lit le contenu en une colonne, de gauche ? droite, ou bien en deux colonnes, de haut en bas, et qui para?tra peut-?tre curieuse ? nos lecteurs; la voici: Serment civique ? deux faces trouv? ch?s un frippier, dans la poche d'un habit, achet? ? l'encan d'un impartial. A la nouvelle Loi je veux ?tre fid?le, Je renonce dans l'?me au r?gime ancien, Comme article de foi je crois la Loi nouvelle, Je crois celle qu'on bl?me oppos? ? tout bien. Dieu vous donne la paix, Messieurs les d?mocrates, Noblesse d?sol?e, au diable allez-vous en; Qu'il confonde ? jamais tous les aristocrates, Messieurs de l'Assembl?e ont seuls tout le bon sens. En r?alit? aucune transaction n'?tait plus possible, puisqu'il fallait prendre imm?diatement et d?finitivement parti pour l'Assembl?e Nationale ou le pape. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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