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Read Ebook: An Artist's Letters from Japan by La Farge John
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1164 lines and 69488 words, and 24 pagesIllustrator: Pierre Georges Jeanniot Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe n'a pas ?t? harmonis?e. Il y a une note plus d?taill?e ? la fin de ce livre. PETITE BIBLIOTH?QUE CHARPENTIER PETITE BIBLIOTH?QUE CHARPENTIER PAR LE COMTE ALFRED DE VIGNY TOME PREMIER PARIS G. CHARPENTIER | CALMANN L?VY ?DITEURS L'?tude du destin g?n?ral des soci?t?s n'est pas moins n?cessaire aujourd'hui dans les ?crits que l'analyse du coeur humain. Nous sommes dans un temps o? l'on veut tout conna?tre et o? l'on cherche la source de tous les fleuves. La France surtout aime ? la fois l'Histoire et le Drame, parce que l'une retrace les vastes destin?es de l'HUMANIT?, et l'autre le sort particulier de l'HOMME. C'est l? toute la vie. Or, ce n'est qu'? la Religion, ? la Philosophie, ? la Po?sie pure, qu'il appartient d'aller plus loin que la vie, au-del? des temps, jusqu'? l'?ternit?. Dans ces derni?res ann?es , l'Art s'est empreint d'histoire plus fortement que jamais. Nous avons tous les yeux attach?s sur nos Chroniques, comme si, parvenus ? la virilit? en marchant vers de plus grandes choses, nous nous arr?tions un moment pour nous rendre compte de notre jeunesse et de ses erreurs. Il a donc fallu doubler l'INT?R?T en y ajoutant le SOUVENIR. Je n'ai point dessein de d?fendre ce dernier syst?me de composition plus historique, convaincu que le germe de la grandeur d'une oeuvre est dans l'ensemble des id?es et des sentiments d'un homme, et non pas dans le genre qui leur sert de forme. Le choix de telle ?poque n?cessitera cette MANI?RE, telle autre la devra repousser; ce sont l? des secrets du travail de la pens?e qu'il n'importe point de faire conna?tre. A quoi bon qu'une th?orie nous apprenne pourquoi nous sommes charm?s? Nous entendons les sons de la harpe; mais sa forme ?l?gante nous cache les ressorts de fer. Cependant, puisqu'il m'est prouv? que ce livre a en lui quelque vitalit?, je ne puis m'emp?cher de jeter ici ces r?flexions sur la libert? que doit avoir l'imagination d'enlacer dans ses noeuds formateurs toutes les figures principales d'un si?cle, et, pour donner plus d'ensemble ? leurs actions, de faire c?der parfois la r?alit? des faits ? l'ID?E que chacun d'eux doit repr?senter aux yeux de la post?rit?; enfin sur la diff?rence que je vois entre la V?RIT? de l'Art et le VRAI du Fait. Treize ?ditions r?elles de formats divers et des traductions dans toutes les langues peuvent en ?tre la preuve. Cette V?RIT? toute belle, tout intellectuelle, que je sens, que je vois et voudrais d?finir, dont j'ose ici distinguer le nom de celui du VRAI, pour me mieux faire entendre, est comme l'?me de tous les arts. C'est un choix du signe caract?ristique dans toutes les beaut?s et toutes les grandeurs du VRAI visible; mais ce n'est pas lui-m?me, c'est mieux que lui; c'est un ensemble id?al de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un ?lixir d?licieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus m?lodieux; enfin c'est une somme compl?te de toutes ses valeurs. A cette seule V?RIT? doivent pr?tendre les oeuvres de l'Art qui sont une repr?sentation morale de la vie, les oeuvres dramatiques. Pour l'atteindre, il faut sans doute commencer par conna?tre tout le VRAI de chaque si?cle, ?tre imbu profond?ment de son ensemble et de ses d?tails; ce n'est l? qu'un pauvre m?rite d'attention, de patience et de m?moire; mais ensuite il faut choisir et grouper autour d'un centre invent?: c'est l? l'oeuvre de l'imagination et de ce grand BON SENS qui est le g?nie lui-m?me. A quoi bon les Arts, s'ils n'?taient que le redoublement et la contre-?preuve de l'existence? Eh! bon Dieu, nous ne voyons que trop autour de nous la triste et d?senchanteresse r?alit?: la ti?deur insupportable des demi-caract?res, des ?bauches de vertus et de vices, des amours irr?solus, des haines mitig?es, des amiti?s tremblotantes, des doctrines variables, des fid?lit?s qui ont leur hausse et leur baisse, des opinions qui s'?vaporent; laissez-nous r?ver que parfois ont paru des hommes plus forts et plus grands, qui furent des bons ou des m?chants plus r?solus; cela fait du bien. Si la p?leur de votre VRAI nous poursuit dans l'Art, nous fermerons ensemble le th??tre et le livre pour ne pas le rencontrer deux fois. Ce que l'on veut des oeuvres qui font mouvoir des fant?mes d'hommes, c'est, je le r?p?te, le spectacle philosophique de l'homme profond?ment travaill? par les passions de son caract?re et de son temps; c'est donc la V?RIT? de cet homme et de ce TEMPS, mais tous deux ?lev?s ? une puissance sup?rieure et id?ale qui en concentre toutes les forces. On la reconna?t, cette V?RIT?, dans les oeuvres de la pens?e, comme l'on se r?crie sur la ressemblance d'un portrait dont on n'a jamais vu l'original; car un beau talent peint la vie plus encore que le vivant. Pour achever de dissiper sur ce point les scrupules de quelques consciences litt?rairement timor?es que j'ai vues saisies d'un trouble tout particulier en consid?rant la hardiesse avec laquelle l'imagination se jouait des personnages les plus graves qui aient jamais eu vie, je me hasarderai jusqu'? avancer que, non dans son entier, je ne l'oserais dire, mais dans beaucoup de ces pages, et qui ne sont peut-?tre pas les moins belles, L'HISTOIRE EST UN ROMAN DONT LE PEUPLE EST L'AUTEUR.--L'esprit humain ne me semble se soucier du VRAI que dans le caract?re g?n?ral d'une ?poque; ce qui lui importe surtout, c'est la masse des ?v?nements et les grands pas de l'humanit? qui emportent les individus; mais, indiff?rent sur les d?tails, il les aime moins r?els que beaux, ou plut?t grands et complets. Examinez de pr?s l'origine de certaines actions, de certains cris h?ro?ques qui s'enfantent on ne sait comment: vous les verrez sortir tout faits des ON DIT et des murmures de la foule, sans avoir en eux-m?mes autre chose qu'une ombre de v?rit?; et pourtant ils demeureront historiques ? jamais.--Comme par plaisir et pour se jouer de la post?rit?, la voix publique invente des mots sublimes pour les pr?ter, de leur vivant m?me et sous leurs yeux, ? des personnages qui, tout confus, s'en excusent de leur mieux comme ne m?ritant pas tant de gloire et ne pouvant porter si haute renomm?e. N'importe, on n'admet point leurs r?clamations; qu'ils les crient, qu'ils les ?crivent, qu'ils les publient, qu'ils les signent, on ne veut pas les ?couter, leurs paroles sont sculpt?es dans le bronze, les pauvres gens demeurent historiques et sublimes malgr? eux. Et je ne vois pas que tout cela se soit fait seulement dans les ?ges de barbarie, cela se passe ? pr?sent encore, et accommode l'Histoire de la veille au gr? de l'opinion g?n?rale, muse tyrannique et capricieuse qui conserve l'ensemble et se joue du d?tail. Eh! qui de vous n'a assist? ? ses transformations? Ne voyez-vous pas de vos yeux la chrysalide du FAIT prendre par degr? les ailes de la FICTION? Form? ? demi par les n?cessit?s du temps, un FAIT est enfoui tout obscur et embarrass?, tout na?f, tout rude, quelquefois mal construit, comme un bloc de marbre non d?grossi; les premiers qui le d?terrent et le prennent en main le voudraient autrement tourn?, et le passent ? d'autres mains d?j? un peu arrondi; d'autres le polissent en le faisant circuler; en moins de rien, il arrive au grand jour transform? en statue imp?rissable. Nous nous r?crions; les t?moins oculaires et auriculaires entassent r?futations sur explications; les savants fouillent, feuillettent et ?crivent; on ne les ?coute pas plus que les humbles h?ros qui se renient; le torrent coule et emporte le tout sous la forme qu'il lui a plu de donner ? ces actions individuelles. Qu'a-t-il fallu pour toute cette oeuvre? Un rien, un mot; quelquefois le caprice d'un journaliste d?soeuvr?. Et y perdons-nous? Non. Le fait adopt? est toujours mieux compos? que le vrai, et n'est m?me adopt? que parce qu'il est plus beau que lui; c'est que l'HUMANIT? ENTI?RE a besoin que ses destin?es soient pour elle-m?me une suite de le?ons; plus indiff?rente qu'on ne pense sur la R?ALIT? DES FAITS, elle cherche ? perfectionner l'?v?nement pour lui donner une grande signification morale; sentant bien que la succession des sc?nes qu'elle joue sur la terre n'est pas une com?die, et que, puisqu'elle avance, elle marche ? un but dont il faut chercher l'explication au-del? de ce qui se voit. Quant ? moi, j'avoue que je sais bon gr? ? la voix publique d'en agir ainsi, car souvent sur la plus belle vie se trouvent des taches bizarres et des d?fauts d'accord qui me font peine lorsque je les aper?ois. Si un homme me para?t un mod?le parfait d'une grande et noble facult? de l'?me, et que l'on vienne m'apprendre quelque ignoble trait qui le d?figure, je m'en attriste, sans le conna?tre, comme d'un malheur qui me serait personnel, et je voudrais presque qu'il f?t mort avant l'alt?ration de son caract?re. Aussi, lorsque la MUSE , lorsque la MUSE vient raconter, dans ses formes passionn?es, les aventures d'un personnage que je sais avoir v?cu, et qu'elle recompose ses ?v?nements, selon la plus grande id?e de vice ou de vertu que l'on puisse concevoir de lui, r?parant les vides, voilant les disparates de sa vie et lui rendant cette unit? parfaite de conduite que nous aimons ? voir repr?sent?e m?me dans le mal; si elle conserve d'ailleurs la seule chose essentielle ? l'instruction du monde, le g?nie de l'?poque, je ne sais pourquoi l'on serait plus difficile avec elle qu'avec cette voix des peuples qui fait subir chaque jour ? chaque fait de si grandes mutations. Cette libert?, les anciens la portaient dans l'histoire m?me; ils n'y voulaient voir que la marche g?n?rale et le large mouvement des soci?t?s et des nations, et, sur ces grands fleuves d?roul?s dans un cours bien distinct et bien pur, ils jetaient quelques figures colossales, symboles d'un grand caract?re et d'une haute pens?e. On pourrait presque calculer g?om?triquement que, soumise ? la double composition de l'opinion et de l'?crivain, leur histoire nous arrive de troisi?me main et ?loign?e de deux degr?s de la v?rit? du fait. C'est qu'? leurs yeux l'Histoire aussi ?tait une oeuvre de l'Art; et, pour avoir m?connu que c'est l? sa nature, le monde chr?tien tout entier a encore ? d?sirer un monument historique pareil ? ceux qui dominent l'ancien monde et consacrent la m?moire de ses destin?es, comme ses pyramides, ses ob?lisques, ses pyl?nes et ses portiques dominent encore la terre qui lui fut connue, et y consacrent la grandeur antique. ?crit en 1827. CINQ-MARS CHAPITRE PREMIER LES ADIEUX Fare thee well, and if for ever, Still for ever fare thee well. LORD BYRON. Adieu! et, si c'est pour toujours, pour toujours encore adieu... Connaissez-vous cette contr?e que l'on a surnomm?e le jardin de la France, ce pays o? l'on respire un air si pur dans des plaines verdoyantes arros?es par un grand fleuve? Si vous avez travers?, dans les mois d'?t?, la belle Touraine, vous aurez longtemps suivi la Loire paisible avec enchantement, vous aurez regrett? de ne pouvoir d?terminer, entre les deux rives, celle o? vous choisiriez votre demeure, pour y oublier les hommes aupr?s d'un ?tre aim?. Lorsque l'on accompagne le flot jaune et lent du beau fleuve, on ne cesse de perdre ses regards dans les riants d?tails de la rive droite. Des vallons peupl?s de jolies maisons blanches qu'entourent des bosquets, des coteaux jaunis par les vignes ou blanchis par les fleurs du cerisier, de vieux murs couverts de ch?vrefeuilles naissants, des jardins de roses d'o? sort tout ? coup une tour ?lanc?e, tout rappelle la f?condit? de la terre ou l'anciennet? de ses monuments, et tout int?resse dans les oeuvres de ses habitants industrieux. Rien ne leur a ?t? inutile: il semble que, dans leur amour d'une aussi belle patrie, seule province de France que n'occupa jamais l'?tranger, ils n'aient pas voulu perdre le moindre espace de son terrain, le plus l?ger grain de son sable. Vous croyez que cette vieille tour d?molie n'est habit?e que par les oiseaux hideux de la nuit? Non. Au bruit de vos chevaux, la t?te riante d'une jeune fille sort du lierre poudreux, blanchi sous la poussi?re de la grande route; si vous gravissez un coteau h?riss? de raisins, une petite fum?e vous avertit tout ? coup qu'une chemin?e est ? vos pieds; c'est que le rocher m?me est habit?, et que des familles de vignerons respirent dans ces profonds souterrains, abrit?es dans la nuit par la terre nourrici?re qu'elles cultivent laborieusement pendant le jour. Les bons Tourangeaux sont simples comme leur vie, doux comme l'air qu'ils respirent, et forts comme le sol qu'ils fertilisent. On ne voit sur leurs traits bruns ni la froide immobilit? du Nord, ni la vivacit? grimaci?re du Midi; leur visage a, comme leur caract?re, quelque chose de la candeur du vrai peuple de saint Louis; leurs cheveux ch?tains sont encore longs et arrondis autour des oreilles comme les statues de pierre de nos vieux rois; leur langage est le plus pur fran?ais, sans lenteur, sans vitesse, sans accent; le berceau de la langue est l?, pr?s du berceau de la monarchie. Mais la rive gauche de la Loire se montre plus s?rieuse dans ses aspects: ici c'est Chambord que l'on aper?oit de loin, et qui, avec ses d?mes bleus et ses petites coupoles, ressemble ? une grande ville de l'Orient; l? c'est Chanteloup, suspendant au milieu de l'air son ?l?gante pagode. Non loin de ces palais un b?timent plus simple attire les yeux du voyageur par sa position magnifique et sa masse imposante; c'est le ch?teau de Chaumont. Construit sur la colline la plus ?lev?e du rivage de la Loire, il encadre ce large sommet avec ses hautes murailles et ses ?normes tours; de longs clochers d'ardoise les ?l?vent aux yeux, et donnent ? l'?difice cet air de couvent, cette forme religieuse de tous nos vieux ch?teaux, qui imprime un caract?re plus grave aux paysages de la plupart de nos provinces. Des arbres noirs et touffus entourent de tous c?t?s cet ancien manoir, et de loin ressemblent ? ces plumes qui environnaient le chapeau du roi Henri; un joli village s'?tend au pied du mont, sur le bord de la rivi?re, et l'on dirait que ses maisons blanches sortent du sable dor?; il est li? au ch?teau qui le prot?ge par un ?troit sentier qui circule dans le rocher; une chapelle est au milieu de la colline; les seigneurs descendaient et les villageois montaient ? son autel: terrain d'?galit?, plac? comme une ville neutre entre la mis?re et la grandeur qui se sont trop souvent fait la guerre. Ce fut l? que, dans une matin?e du mois de juin 1639, la cloche du ch?teau ayant sonn? ? midi, selon l'usage, le d?ner de la famille qui l'habitait, il se passa dans cette antique demeure des choses qui n'?taient pas habituelles. Les nombreux domestiques remarqu?rent qu'en disant la pri?re du matin ? toute la maison assembl?e, la mar?chale d'Effiat avait parl? d'une voix moins assur?e et les larmes dans les yeux, qu'elle avait paru v?tue d'un deuil plus aust?re que de coutume. Les gens de la maison et les Italiens de la duchesse de Mantoue, qui s'?tait alors retir?e momentan?ment ? Chaumont, virent avec surprise des pr?paratifs de d?part se faire tout ? coup. Le vieux domestique du mar?chal d'Effiat, mort depuis six mois, avait repris ses bottes qu'il avait jur? pr?c?demment d'abandonner pour toujours. Ce brave homme, nomm? Grandchamp, avait suivi partout le chef de la famille dans les guerres et dans ses travaux de finance; il avait ?t? son ?cuyer dans les unes et son secr?taire dans les autres; il ?tait revenu d'Allemagne, depuis peu de temps, apprendre ? la m?re et aux enfants la mort du mar?chal, dont il avait re?u les derniers soupirs ? Luzzelstein; c'?tait un de ces fid?les serviteurs dont les mod?les sont devenus trop rares en France, qui souffrent des malheurs de la famille et se r?jouissent de ses joies, d?sirent qu'il se forme des mariages pour avoir ? ?lever de jeunes ma?tres, grondent les enfants et quelquefois les p?res, s'exposent ? la mort pour eux, les servent sans gages dans les r?volutions, travaillent pour les nourrir, et, dans les temps prosp?res, les suivent partout et disent: < --Allons, disait-il, d?p?chez-vous de servir, pendant que Germain, Louis et Etienne vont seller leurs chevaux; M. Henri et nous, il faut que nous soyons loin d'ici ? huit heures du soir. Et vous, messieurs les Italiens, avez-vous averti votre jeune princesse? Je gage qu'elle est all?e lire avec ses dames au bout du parc ou sur le bord de l'eau. Elle arrive toujours apr?s le premier service, pour faire lever tout le monde de table. En disant cela, la jeune Italienne se glissa comme un oiseau ? travers la grande salle ? manger, et disparut dans un corridor, effray?e de voir ouvrir les doubles battants des grandes portes du salon. Grandchamp s'?tait ? peine aper?u de ce qu'elle avait dit, et semblait ne s'occuper que des appr?ts du d?ner; il remplissait les devoirs importants de ma?tre d'h?tel, et jetait le regard le plus s?v?re sur les domestiques, pour voir s'ils ?taient tous ? leur poste, se pla?ant lui-m?me derri?re la chaise du fils a?n? de la maison, lorsque tous les habitants du ch?teau entr?rent successivement dans la salle: onze personnes, hommes et femmes, se plac?rent ? table. La mar?chale avait pass? la derni?re, donnant le bras ? un beau vieillard v?tu magnifiquement, qu'elle fit placer ? sa gauche. Elle s'assit dans un grand fauteuil dor?, au milieu de la table, dont la forme ?tait un carr? long. Un autre si?ge un peu plus orn? ?tait ? sa droite, mais il resta vide. Le jeune marquis d'Effiat, plac? en face de sa m?re, devait l'aider ? faire les honneurs; il n'avait pas plus de vingt ans, et son visage ?tait assez insignifiant; beaucoup de gravit? et des mani?res distingu?es annon?aient pourtant un naturel sociable, mais rien de plus. Sa jeune soeur de quatorze ans, deux gentilshommes de la province, trois jeunes seigneurs italiens de la suite de Marie de Gonzague , une demoiselle de compagnie, gouvernante de la jeune fille du mar?chal, et un abb? du voisinage, vieux et fort sourd, composaient l'assembl?e. Une place, ? la gauche du fils a?n?, restait vacante encore. L'un des gentilshommes italiens avait ? peine fait une question au mar?chal sur ce qu'il pensait de la mani?re dont le Cardinal traitait la fille du duc de Mantoue, que celui-ci s'?cria dans son langage familier: --Eh corbleu! monsieur, ? qui parlez-vous? Puis-je rien comprendre ? ce r?gime nouveau sous lequel vit la France? Nous autres, vieux compagnons d'armes du feu roi, nous entendons mal la langue que parle la cour nouvelle, et elle ne sait plus la n?tre. Que dis-je? on n'en parle aucune dans ce triste pays, car tout le monde s'y tait devant le Cardinal; cet orgueilleux petit vassal nous regarde comme de vieux portraits de famille et de temps en temps il en retranche la t?te; mais la devise y reste toujours, heureusement. N'est-il pas vrai, mon cher Puy-Laurens? Ce convive ?tait ? peu pr?s du m?me ?ge que le mar?chal; mais plus grave et plus circonspect que lui, il r?pondit quelques mots vagues, et fit un signe ? son contemporain pour lui faire remarquer l'?motion d?sagr?able qu'il avait fait ?prouver ? la ma?tresse de la maison en lui rappelant la mort r?cente de son mari et en parlant ainsi du ministre son ami; mais ce fut en vain, car Bassompierre, content du signe de demi-approbation, vida d'un trait un fort grand verre de vin, rem?de qu'il vante dans ses M?moires comme parfait contre la peste et la r?serve, et, se penchant en arri?re pour en recevoir un autre de son ?cuyer, s'?tablit plus carr?ment que jamais sur sa chaise et dans ses id?es favorites. --Oui, nous sommes tous de trop ici; je le dis l'autre jour ? mon cher duc de Guise, qu'ils ont ruin?. On compte les minutes qui nous restent ? vivre, et l'on secoue notre sablier pour le h?ter. Quand M. le Cardinal-duc voit dans un coin trois ou quatre de nos grandes figures qui ne quittaient pas les c?t?s du feu roi, il sent bien qu'il ne peut pas mouvoir ces statues de fer, et qu'il y fallait la main du grand homme; il passe vite et n'ose pas se m?ler ? nous, qui ne le craignons pas. Il croit toujours que nous conspirons, et, ? l'heure qu'il est, on dit qu'il est question de me mettre ? la Bastille. --Eh! monsieur le mar?chal, qu'attendez-vous pour partir? dit l'Italien; je ne vois que la Flandre qui vous puisse ?tre un abri. --Ah! monsieur, vous ne me connaissez gu?re; au lieu de fuir, j'ai ?t? trouver le roi avant son d?part, et je lui ai dit que c'?tait afin qu'on n'e?t pas la peine de me chercher, et que si je savais o? il veut m'envoyer, j'irais moi-m?me sans qu'on m'y men?t. Il a ?t? aussi bon que je m'y attendais, et m'a dit: < --Ah! mon cher mar?chal, je vous fais compliment, dit madame d'Effiat d'une voix douce; je reconnais la bont? du roi ? ce mot-l?: il se souvient de la tendresse que le roi son p?re avait pour vous: il me semble m?me qu'il vous a accord? tout ce que vous vouliez pour les v?tres, ajouta-t-elle avec insinuation, pour le remettre dans la voie de l'?loge et le tirer du m?contentement qu'il avait entam? si hautement. Un des gentilshommes, qui n'avait rien dit encore, et que l'on pouvait remarquer ? la profusion des noeuds de rubans et d'aiguillettes qui couvraient son habit, et ? l'ordre de Saint-Michel dont le cordon noir ornait son cou, s'inclina en disant que c'?tait ainsi que tout sujet fid?le devait parler. --Pardieu, monsieur de Launay, vous vous trompez fort, dit le mar?chal, en qui revint le souvenir de ses anc?tres; les gens de notre sang sont sujets par le coeur, car Dieu nous a fait na?tre tout aussi bien seigneurs de nos terres que le roi l'est des siennes. Quand je suis venu en France, c'?tait pour me promener, et suivi de mes gentilshommes et de mes pages. Je m'aper?ois que plus nous allons, plus on perd cette id?e, et surtout ? la cour. Mais voil? un jeune homme qui arrive bien ? propos pour m'entendre. La porte s'ouvrit, en effet, et l'on vit entrer un jeune homme d'une assez belle taille; il ?tait p?le, ses cheveux ?taient bruns, ses yeux noirs, son air triste et insouciant: c'?tait Henri d'Effiat, marquis de CINQ-MARS ; son costume et son manteau court ?taient noirs; un collet de dentelle tombait de son cou jusqu'au milieu de sa poitrine; de petites bottes fortes tr?s ?vas?es et ses ?perons faisaient assez de bruit sur les dalles du salon pour qu'on l'entend?t venir de loin. Il marcha droit ? la mar?chale d'Effiat en la saluant profond?ment, et lui baisa la main. --Eh bien! Henri, lui dit-elle, vos chevaux sont-ils pr?ts? A quelle heure partez-vous? --Apr?s le d?ner, sur-le-champ, madame, si vous permettez, dit-il ? sa m?re avec le c?r?monieux respect du temps. Et, passant derri?re elle, il fut saluer M. de Bassompierre, avant de s'asseoir ? la gauche de son fr?re a?n?. --Eh bien, dit le mar?chal tout en d?nant de fort bon app?tit, vous allez partir, mon enfant; vous allez ? la cour; c'est un terrain glissant aujourd'hui. Je regrette pour vous qu'il ne soit pas rest? ce qu'il ?tait. La cour autrefois n'?tait autre chose que le salon du roi, o? il recevait ses amis naturels; les nobles des grandes maisons, ses pairs, qui lui faisaient visite pour lui montrer leur d?vouement et leur amiti?, jouaient leur argent avec lui et l'accompagnaient dans ses parties de plaisir, mais ne recevaient rien de lui que la permission de conduire leurs vassaux se faire casser la t?te avec eux pour son service. Les honneurs que recevait un homme de qualit? ne l'enrichissaient gu?re, car il les payait de sa bourse; j'ai vendu une terre ? chaque grade que j'ai re?u; le titre de colonel g?n?ral des Suisses m'a co?t? quatre cent mille ?cus, et le bapt?me du roi actuel me fit acheter un habit de cent mille francs. --Ah! pour le coup, vous conviendrez, dit en riant la ma?tresse de la maison, que rien ne vous y for?ait: nous avons entendu parler de la magnificence de votre habit de perles; mais je serais tr?s f?ch?e qu'il f?t encore de mode d'en porter de pareils. --Mais, monsieur le mar?chal, interrompit froidement et avec beaucoup de politesse M. de Launay, qui peut-?tre avait dessein de l'?chauffer, cette ind?pendance a produit aussi bien des guerres civiles et des r?voltes comme celles de M. de Montmorency. --Corbleu, monsieur, je ne puis entendre parler ainsi! dit le fougueux mar?chal en sautant sur son fauteuil. Ces r?voltes et ces guerres, monsieur, n'?taient rien aux lois fondamentales de l'Etat et ne pouvaient pas plus renverser le tr?ne que ne le ferait un duel. De tous ces grands chefs de parti il n'en est pas un qui n'e?t mis sa victoire aux pieds du roi s'il e?t r?ussi, sachant bien que tous les autres seigneurs aussi grands que lui l'eussent abandonn? ennemi du souverain l?gitime. Nul ne s'est arm? que contre une faction et non contre l'autorit? souveraine, et, cet accident d?truit, tout f?t rentr? dans l'ordre. Mais qu'avez-vous fait en nous ?crasant? Vous avez cass? les bras du tr?ne et ne mettrez rien ? leur place. Oui, je n'en doute plus ? pr?sent, le Cardinal-duc accomplira son dessein en entier, la grande noblesse quittera et perdra ses terres, et, cessant d'?tre la grande propri?t?, cessera d'?tre une puissance; la cour n'est d?j? plus qu'un palais o? l'on sollicite: elle deviendra plus tard une antichambre, quand elle ne se composera plus que des gens de la suite du roi; les grands noms commenceront par ennoblir des charges viles; mais, par une terrible r?action, ces charges finiront par avilir les grands noms. Etrang?re ? ses foyers, la Noblesse ne sera plus rien que par les emplois qu'elle aura re?us, et si les peuples, sur lesquels elle n'aura plus d'influence, veulent se r?volter... Add to tbrJar First Page Next Page |
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