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Munafa ebook

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Read Ebook: Lettres à l'Amazone by Gourmont Remy De Vibert P E Pierre Eug Ne Illustrator

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Ebook has 248 lines and 32942 words, and 5 pages

Voil? des imaginations bien compliqu?es, n'est-ce pas, mon amie, pour accompagner les coups sourds du pic, mais c'est que je les entends moins ? mesure que je pense ? vous, et de penser ? vous, cela me m?ne toujours tr?s loin, puisque vous contenez toutes les possibilit?s. La diversit? de votre ?me satisfait la mienne ?prise ? la fois de vari?t? et d'unit? et j'aime ? promener mon visage

Sur maints charmes de paysage, O soeur, y comparant les tiens,

paysages de terre et d'eau, d'esprit et de sentiment. Tous les aspects des choses se renouvellent pr?s de vous et prennent un air de franchise et de jeunesse. J'aime les femmes ? l'intelligence hardie qui ne se d?couragent devant rien, mais vraiment j'en ai rencontr? bien peu. Elles ne saisissent des choses que le c?t? pratique, plus encore, que le c?t? personnel, et ce qui n'est d'aucune utilit? ? leurs desseins, elles le d?laissent comme sans int?r?t. Loin que la po?sie ait ?t? introduite dans le monde par les femmes, elles ne s'y pr?tent qu'au moment de l'amour et sous la pression de l'amant. Les hommes sont si chim?riques! Ils veulent toujours quelque chose au del? du possible, et c'est ce qui fait qu'ils se d?tachent si facilement de l'?tre dont ils se sont servi pour accomplir leur destin?e. Apr?s celui-l?, ils en veulent une autre et toujours de m?me, jusqu'au del? m?me de leurs facult?s, jusqu'au del? de leurs forces agissantes. La femme, au contraire, s'attarde dans le pr?sent, elle s'y fixe, elle y prend racine et l'arrachement lui est d'autant plus douloureux. C'est qu'elles ont obscur?ment conscience d'?tre sur terre pour fonder la vie, et tous leurs gestes concourent ? cela, m?me quand ils ne sont que des simulacres. Le champ o? elle a travaill?, la femme veut le moissonner aussi, et la continuit? des baisers lui donne quelquefois l'illusion de la f?condit?. L'homme passe, s?me et chante. Vous ne vous reconnaissez ni dans l'une ni dans l'autre allusion, Amazone aux deux natures si bien emm?l?es qu'ayant touch? une fibre on ne sait jamais le son qu'elle donnera. Il y a en vous l'odeur de toutes vos conqu?tes et, conqu?rant ? son tour , il semble qu'on les respirerait sur vos mains enfin captives. Mais ne croyez pas que cela soit ce qui m'attire ? vous. M?me, j'en fais abstraction. Je ne vois dans votre nature amazonienne que ce qui fait de vous une femme, mais plus apte qu'une autre ? satisfaire la libert? de mon esprit, une femme qui, sans avoir le c?t? serf des femmes , en poss?de tous les dons qui me sont chers.

Et voil? pourquoi l'image que les choses d'autour de moi avaient retenue de vous n'est pas bris?e, mais seulement suspendue. Elle va se reformer, et votre pr?sence en consolidera la fragilit? momentan?e. En attendant j'y suppl?e par la mienne. O? je suis, vous ?tes, et puisque je pense, vous ?tes pens?e et vous surgissez jusque parmi les ruines que des barbares accumulent pr?s de moi.

LETTRE SEIZI?ME

SURVIVANCES

Cependant cette digression ?tait peut-?tre inutile, la clairvoyante pens?e de la religieuse de Port-Royal n'ayant pas n?cessairement trait ? l'amour ni divin ni profane, quoiqu'il puisse fort bien s'y appliquer. A quelque genre de tendresse qu'elle ait song? en ?crivant sa maxime, il est ?galement certain qu'elle avait une ?me assez s?che et bien digne d'avoir ?t? cultiv?e dans le jardin jans?niste. C'est quand on est soi-m?me incapable d'amour ou quand on traverse une phase de d?senchantement que l'on se sent dispos? ? s'irriter devant une affection h?sitante, comme ? craindre les tyrannies de la tendresse excessive. Quand on aime soi-m?me, quand le coeur se r?pand, on n'a pas tant de sagacit?, on accueille la moindre marque d'amour, on souhaite d'en ?tre ? un moment submerg?. Mais il y a des phases o? les plus ardents sont d'une ti?deur jans?niste et o? ils redoutent qu'on semble attenter ? leur indiff?rence. Mettons-nous en face de ces ?tres impertinents, qui craignent notre amour, peut-?tre pour ne pas ?tre oblig?s de nous le rendre. Quel triomphe de le leur imposer malgr? eux, de les forcer ? regarder nos yeux et de jouir de leur animation!

Mais soeur Eug?nie est une personne mesur?e qui ne souffre ni le trop ni le trop peu. A sa mani?re, elle d?sire la joie parfaite, elle sait que la perfection est ce qui atteint et ce qui ne d?passe pas, elle est d'un si?cle qui conna?t l'?quilibre et qui sait comment on le maintient. Elle est sage, elle d?teste le m?diocre et d?teste aussi l'extr?me. Au demeurant, elle semble une personne fort sens?e et avec qui on aurait aim? ? disputer des affaires de sentiment. Elle aurait eu des r?pliques piquantes, de celles devant lesquelles l'esprit un instant embarrass? rebondit et trouve ? son tour la repartie. Imaginez le joli dialogue d'un libertin et d'une religieuse sur la ti?deur en amour. Je la veux jolie, d'une jeunesse assez avanc?e pour permettre l'exp?rience et qu'elle ait les yeux noirs fort vifs et m?me inqui?tants. Je vous serais ainsi moins infid?le, et vous me le pardonneriez plus facilement, car c'est moi-m?me que je suppose. Mais que cela me lasserait vite. Pour parler de l'amour avec plaisir, il faut avoir de l'amour pour son contradicteur. Cela fait qu'on lui permet tout, et d'abord de n'?tre point de votre avis. Les opinions adverses prennent dans la bouche d'une femme que l'on aime un air de myst?re qui vous inqui?te moins qu'il ne vous charme. C'est un sujet de m?ditation ou de r?verie pour les heures qui suivent. Mon amie, j'ai bien souvent emport? de nos causeries le germe d'une de ces lettres o? je vous renvoie votre opinion m?l?e ? la mienne, comme je voudrais que fussent toujours m?l?s nos esprits.

Oui, je crois vraiment que les discours de la nonne, et m?me de toute autre femme m'ennuieraient assez vite. Ils auraient peut-?tre du piquant, mais manqueraient de cette libert? d'esprit qui n'est limit?e que par la passion. Car l'esprit le plus libre a ses bornes et il est toujours une r?gion qu'il se d?fend de profaner et qu'il consid?re avec respect, une r?gion sacr?e o? l'on n'entre que pieds nus, comme les musulmans dans leurs mosqu?es. C'est probablement tout ce qui nous reste des vieilles tendances religieuses, mais nous y tenons d'autant plus que nous les avons orient?es nous-m?mes. Mais l? aussi nous avons des id?es communes et nos esprits d'accord s'arr?tent au m?me seuil, quoique j'aie souvent bien envie de le franchir. C'est que je suis malheureusement plus avanc? que vous dans la vie et plus enclin au scepticisme qu'elle d?veloppe. Au fond, je ne sais. On se conna?t si mal soi-m?me! Serais-je vraiment ?tonn? si on me d?montrait qu'au lieu d'une seule je me suis cr?? toutes sortes de r?gions sacr?es? C'est bien possible. D'ailleurs ce serait encore une cons?quence, quoique inattendue, peut-?tre, du scepticisme. A force de ne plus croire ? rien, on admet en soi les croyances les plus contradictoires et cela par nonchalance, autant que par d?dain d'une v?rit? unique.

Vous, Amazone, vous ne croyez qu'? l'amour et ne respectez que l'amour. Sans lui, l'existence n'est rien pour vous. <> Ainsi votre vie est une perp?tuelle trag?die avec l'absolu pour alternative. Cela fait que vous n'?tes pas m?diocre. Je crains que soeur Eug?nie ne l'ait ?t? terriblement. Je l'abandonne, car je ne suis m?me pas s?r qu'elle e?t les yeux noirs, et elle avait certainement la t?te ras?e. Laissez-moi regarder vos cheveux blonds sur vos ?paules. Il n'y a rien de plus beau. C'est ma religion la plus v?ritable.

INVITATION A L'ENNUI

L'ennui que je chante n'est pas l'ennui aux yeux morts et ? la face sombre. Il est souriant. Il regarde la vie et la vie le regarde. Assis l'un devant l'autre et parfois c?te ? c?te, et parfois la main dans la main, ils ?coutent les pens?es qu'ils ne prof?rent pas, m?l?es aux d?sirs dont le rythme est ?gal comme celui d'un coeur bien portant. Figurez-vous cette image dessin?e par un vieux peintre, du temps o? les peintres avaient des id?es. Repr?sentez-vous, masculinis?e, la M?lancolie d'Albert D?rer, avec des yeux moins ?gar?s, assise pr?s d'une magnifique compagne, dont on devine qu'elle renferme, sous le voile de sa robe et le voile de sa chair, le secret de toutes les joies vaines pour ?tre trop r?elles, c'est-?-dire fugitives. Ils resteront ainsi longtemps, non pas toujours, assez pour que l'ennui sourie enfin aux attraits de la vie et pour que, la vision disparue, il conserve l'attitude qu'elle lui imposait. Alors il plonge en lui-m?me et s'enivre de lui-m?me quand, descendu au fond du gouffre, il en parcourt les enchantements.

Mais nous ne sommes plus au temps de la peinture all?gorique, les esprits trop paresseux n'ont plus la patience de la p?n?trer et, ne r?fl?chissant plus, ne la comprennent pas. Il faut les faire entrer lentement au jardin tout dessin? et les mettre tout d'un coup dans le jeu de la sensation. L'ennui n'est pas un sentiment d?licieux. C'est un sentiment nu, tel que je le con?ois et tel que j'en aime le contact. On y ressent la vie d?pouill?e de toute sa parure, r?duite ? elle-m?me, ? ses seuls charmes qui se r?duisent ? ceci: ?tre. J'essaie encore d'expliquer cela, qu'il faut savoir go?ter la vie pure, dissoci?e de l'id?e de bonheur, chim?re qui en g?te les meilleurs moments, qui nous tire ? chaque instant hors de nous-m?mes et nous met ? la merci de toute ironie qui nous le promet. Ironie dont nous ne sommes m?me pas dupes plus d'un instant et dont la moindre exp?rience de vivre nous apprend la cruaut?; elle suffit pourtant ? nous masquer la vie v?ritable qui n'est que le sentiment de nous-m?mes, le sentiment de notre ?coulement en face de la permanence des choses.

C'est pr?cis?ment pour ?chapper ? cette fuite lente et s?re de notre vie que nous nous accrochons aux chevelures du fleuve, mais les branches molles du saule ou cassantes du peuplier c?dent et descendent avec nous, ?puis?s souvent par l'effort et noy?s plus vite. Ah! qu'il vaut mieux, couch?s dans la barque de l'ennui, nous laisser aller au courant et le suivre avec majest? et glisser royalement vers le gouffre, le long des rives d'o? monte vers nos yeux un d?sir, quelquefois un regard, toujours un parfum. Mais, s'il est inutile de lutter volontairement contre l'in?luctable courant, l'ennui profite d?licieusement de ses arr?ts, de son s?jour dans les anses et le long des courbes, pour y cueillir des plaisirs o? il s'attarde ? des moments impr?vus. Rien ne pr?dispose aux plaisirs profonds comme l'ennui profond, qui n'en veut pas d'autres et qui fuit avec soin les plaisirs m?diocres dont la vie est sem?e. L'ennui n'est pas l'?cole du suicide, auquel sa pratique constante le m?nerait infailliblement. Il accepte les divertissements n?cessaires ? la nature humaine; il y trouve de nouvelles forces pour exercer sa r?verie qui sans cela tournerait au marasme. L'homme n'est pas fait pour la continuit? et il ne peut jouir qu'un temps de la pl?nitude.

Mais je m'aper?ois, mon amie, qu'en cherchant ? vous d?crire l'ennui je retombe malgr? moi dans la peinture du bonheur, tellement nous en avons le dessin et les couleurs dans la t?te. Reconnaissez du moins que l'?tat que je vous propose n'a rien de commun ni avec le contentement b?at des sots, ni avec le plaisir saccad? des imb?ciles. L'ennui se conna?t et se conna?t comme tel. Il s'avoue m?me avec fiert?. Il ne b?ille ni ne soupire. Il ne s'?tire pas les bras, mais il les tient ferm?s et band?s comme des ressorts pour les jeter au cou du plaisir qui passe et qu'il ?puisera, si le plaisir est le plus faible. Il a beaucoup d'animalit? en lui et, comme les animaux les plus puissants, il sait attendre. C'est que l'ennui ne s'ennuie pas avec soi-m?me. Il a une activit? int?rieure ?norme qui ne se d?veloppe bien que dans la solitude. Il ne se pla?t que l? d'ailleurs et il s'encol?re d'?tre men? parmi les divertissements vulgaires.

Vous vous souvenez d'un conte de f?es o? la jeune princesse a re?u de sa marraine une bague dont le chaton lui pique le doigt et s'enfonce dans sa chair quand elle s'avance vers l'action d?fendue? Vous portez une pareille bague, une bague ? la pierre sombre et bleue, que l'ennui un jour vous passa au doigt et que vous accept?tes en souriant comme un anneau de fian?ailles. Mais il vous avait pr?venue que si vous dilapidiez les tr?sors de solitude amass?s par lui dans votre coeur, le chaton piquerait jusqu'au sang votre doigt m?me. N'avez-vous jamais senti la pointe terrible et miraculeuse? Cela m'?tonnerait bien, car l'ennui est un ami jaloux et qui n'aime pas qu'on le tra?ne dans des milieux indignes de sa majest?. Non? Montrez votre doigt que je baise la trace des piq?res, car je sais qu'elles y sont. Oui, l'ennui est un grand tyran. Il ne faut pas toujours lui ob?ir. Si on l'?coutait, on finirait, par vivre seul avec lui, ? l'?cart des hommes, et une femme vraiment n'est pas faite pour tant de solitude, puisqu'elle doit plaire, puisqu'elle doit ?tre belle. Il faut qu'une femme sorte de chez elle, et d'elle-m?me, afin que nous puissions la rencontrer et l'aimer. Ah! cependant qu'on aime, il n'est plus question de l'ennui. R?sign?, il dispara?t, il se cache, guettant du coin de l'oeil, derri?re un rideau, que son heure soit revenue. Elle revient toujours.

La Treizi?me revient... C'est encor la premi?re; Et c'est toujours la seule...

C'est celle o? l'on r?ve ? tout ce qui n'est pas, ? tout ce qui est impossible, ? l'absurde, ? l'informul?. Comme ses minutes passent doucement! On les sent vivre, on les sent mourir une ? une, on les voit prendre, pour tomber dans le n?ant, de si jolies poses repli?es et r?sign?es. Et l'on meurt un peu avec elles, on meurt avec la conscience de vivre et de vivre inutilement, ce qui est vivre deux fois. A ces moments-l?, mon amie, j'ai presque peur de votre pens?e. Elle fait dans le silence une musique trop nettement dessin?e, trop lumineuse et trop cristalline. A vrai dire, il n'est pas d'ennui compatible avec elle. L'ennui, c'est quand vous n'?tes pas l?, pr?sente ou ?voqu?e. Mais si j'ai la facult? d'?voquer les ?tres que j'aime, l'incantation ne r?ussit pas toujours. Ombre rebelle, tu me laisses seul avec moi-m?me. Ces jours-l? peut-?tre mon ennui est plus profond, trop profond.

TIR?SIAS

Parfois, mon amie, votre philosophie de la vie me d?concerte, c'est-?-dire me fait r?fl?chir selon un sens auquel je n'avais pas encore pens?, et j'en tire une meilleure connaissance de la sensibilit? f?minine, car si vous ?tes une Amazone, vous ?tes une femme d'abord et vous ob?issez ? votre physiologie particuli?re. J'ai donc eu beaucoup de peine, non ? comprendre peut-?tre, mais ? admettre votre discipline du plaisir, tel que vous l'avez soumis ? votre volont?, tel que vous l'avez soustrait au besoin et ? l'occasion, tel que vous pr?tendez le faire rentrer dans le cercle de l'intelligence. Il y a l? un m?canisme qui restera toujours pour moi un peu obscur et qui doit le rester, probablement, tant que je n'aurai pas chang? de sexe, comme le devin Tir?sias, lequel d'ailleurs n'en tira aucun profit, mais encourut au contraire la col?re des d?esses pour avoir d?clar? que, dans l'amour physique, la plus grande part du plaisir revenait aux femmes. Elles cultivaient d?j? l'hypocrisie, bien d?cid?es, d?s ces temps primitifs, ? ne jamais para?tre soumises au d?sir, ? s'enfermer dans leur c?l?bre pudeur, et ? ne c?der qu'en victimes ? la lubricit? masculine, tout en se r?servant de la partager et de la d?passer au fond de leur coeur.

Voici une digression du genre appel? association passive des id?es. Un mot, et se d?clenche comme une sonnerie d'horloge la suite des imaginations qu'il commandait. Je ne suis pas cependant tout ? fait hors du sujet et d'ailleurs je connais l'art de les joindre, m?me les plus lointains, et de les faire tous concourir ? mon but. Reparlons donc de Tir?sias, qui avait froiss? la pudeur de Junon et l'avait excit?e ? une manifestation que l'on peut appeler hypocrite, mais que l'on peut aussi trouver parfaitement conforme ? la nature m?me des femmes, qui ne connaissent le d?sir que dans la passion et qui sont soustraites, par le m?canisme m?me de leur organisme, ? ce tyran des hommes, le besoin. Le besoin trouble le corps, trouble aussi l'esprit, qui en d?pend ?troitement, le rend aveugle devant le choix, inapte ? se plier ? cette discipline du plaisir, qui le rend plus d?licat, plus conscient, et, de fonction, le transforme en facult?, donc en quelque chose d'intellectuel et de volontaire. Les femmes peuvent donc, bien mieux que les hommes, discipliner leurs app?tits d'amour, et ce qu'il y a en vous d'amazonien ne vous soumet pas cependant ? la fureur indiscr?te des m?les. De l? cette libert? dans le choix, qui donne au plaisir toute sa valeur, en m?me temps qu'il lui enl?ve ce qu'il a de trop instinctif et de trop animal. J'y reconnais la sup?riorit? d'une ?me profond?ment pa?enne, qui entend n'ob?ir ? la nature que dans la mesure de son consentement et qui ne sera esclave qu'autant qu'elle a d?cid? de l'?tre, et alors avec d?lices. Ce que je dis l?, que je pense et que vous pensez, plus clairement encore que moi-m?me, est tellement en dehors de la morale courante, qui est la morale chr?tienne, qu'il faut, je crois, quelque courage pour l'exposer tout haut avec cette insistance.

Il est convenu que les plaisirs ont besoin d'une excuse et que la seule qu'ils puissent avoir est qu'ils sont imp?rieux. On c?de ? la force d'un d?sir, ? la tentation d'une rencontre, mais choisir, mais avouer que l'on se sert de toute son intelligence et de toute sa volont? pour comprendre son plaisir ? l'heure m?me o? il semble que, si on le go?te, ce devrait ?tre au moins avec inconscience et une sorte de honte! N'est-il pas convenu qu'on doit ?tre triste apr?s l'amour? On a mis cette pens?e sublime en latin, pour m?nager la pudeur des femmes, qui en ont tr?s peu. Je crois qu'elle concerne aussi les Amazones, qui devraient par cette attitude manifester le regret d'avoir c?d? aux attraits de la chair. C'est un sentiment que pour ma part je n'ai jamais ?prouv? et, comme il faut juger de toutes choses d'apr?s soi, je le tiens pour une invention des moralistes qui ont peut-?tre confondu avec la tristesse la d?pression physique qui suit une grande d?pense de forces. Mais peut-?tre aussi une tristesse v?ritable vient-elle apr?s la joie supr?me: ?clairer les hommes sur la vanit? d'un plaisir qu'ils n'ont pas d?lib?r?ment choisi d'?prouver et que le hasard du besoin leur imposa. M?me en ce cas, cependant, j'estime que l'adage exag?re, car moi qui ne m'y conformai pas, je ne puis pourtant, h?las! me vanter comme vous, mon amie, de n'avoir c?d? qu'? des plaisirs volontaires et choisis avec discernement. Je mets h?las! pour flatter votre philosophie de la volont?, car je ne regretterai jamais le temps o?, c?dant ? mes instincts na?fs, je suivais, comme dit Ronsard, <> et m?me celles qui ne hennissaient pas. On ne doit pas rougir de ses instincts. Ils ont leur valeur, pr?cis?ment comme guides du plaisir, encore qu'ils nous trompent la moiti? du temps. Mais cela, il ne faut pas le reconna?tre; il faut se dire au contraire que l'instinct assouvi porte en soi sa r?compense, m?me quand on ne l'a pas bien nettement sentie. Pas de remords! L'action m'a ?t? joie jusqu'au seuil de la plus triste exp?rience, et que la joie seule demeure.

Mais si votre discipline vous garantit de l'ob?issance ? l'instinct, je ne crois pas non plus que vous admiriez beaucoup cette maxime de philosophie borgne: vaincre ses passions! Que deviennent-ils donc, ceux qui ont r?ussi cette oeuvre de destruction? Vaincre ses passions! Et pourquoi donc? Je con?ois qu'on veuille les dresser, les assouplir, les dominer, mais que ce soit pour les rendre plus ob?issantes, afin d'en jouir plus facilement et avec plus de fruit. Les passions de l'amour seront toujours les sources de la joie, m?me si elles sont impr?gn?es de cette amertume ou de cette salure qui en remonte le go?t. Loin d'en ?carter sa vie, il faut l'y plonger tout enti?re, en prenant soin, toutefois, de ne pas la noyer, et pour cela je trouve bon que l'on cherche ? conserver l'int?grit? de sa conscience. Le plaisir, on se mettra toujours face ? face avec lui, les yeux dans les yeux, et on ne lui jettera pas de regards langoureux d'esclave, mais des regards de ma?tre: il n'y a que les ma?tres qui savent ob?ir, parce qu'ils savent commander.

Mais laissons aussi le hasard intervenir dans la pr?paration des bonnes fortunes. Les meilleures auront peut-?tre ?t? celles que nous f?mes sur le point de d?daigner. On ne sait jamais ce que contient une femme, et nous ne savons pas ce que nous contenons avant d'avoir rencontr? celle qui saura ?mouvoir les derniers secrets de nos nerfs et de notre sang. Elles sont de trois sortes: les femmes qui se pr?tent, les femmes qui se donnent, les femmes qui prennent, et celles-ci seules vaudraient la peine d'?tre aim?es, si l'amour ?tait volontaire. Mais comment savoir avant l'exp?rience? Il ne faut donc rien rejeter. Les yeux, les gestes, tout est trompeur et surtout la beaut?. Une femme n'est pas belle, elle le devient ? force d'?tre aim?e, et ne le sera pleinement qu'en la mesure o? elle prend part au festin. Ce n'est pas une page de confessions que je vous envoie, mon amie, mais vous comprenez cependant qu'en ces choses on ne peut parler que d'apr?s sa propre exp?rience et d'apr?s ses propres tendances. Il faut de grandes pr?cautions pour affirmer que les modes d'un acte aussi secret que l'amour sont ou ne sont pas selon la v?rit? universelle. Je vous dirai, d'ailleurs, que la seule v?rit? que je reconnaisse, c'est la mienne. Il n'y a pas de science de l'amour, il n'y a qu'une s?rie de faits particuliers qui ne se rejoignent que par ce qu'ils ont de plus g?n?ral et de plus banal. Par cons?quent, il n'y a pas non plus de science de l'homme, ni de science de la femme. On est l? dans l'inconnu et dans l'illusion. M?me, on erre quand on veut s'analyser soi-m?me; on juge ses tendances pass?es avec son esprit d'aujourd'hui, qui n'est plus le m?me que celui d'autrefois, actes et jugement ne s'embo?tent plus. Ah! qu'il serait bien plus sage de vivre, de simplement vivre. Mais la pens?e double et d?cuple la vie: tout de m?me, r?fl?chissons et regardons en nous-m?mes.

Je m'y vois bien diff?rent de ce que je fus, tellement que parfois je ne me reconnais plus. Mais je regarde cependant dans mon coeur avec plaisir, car j'y vois une figure nouvelle par laquelle il est illumin?.

LE SATYRE

Ne croyez pas du reste que j'aie eu, en lui faisant conter le d?but de ses aventures humaines, de grandes intentions satiriques. Critiquer les moeurs des hommes! Il y faut plus de na?vet? que je n'en poss?de. A vrai dire, je trouve qu'ils font toujours bien quand ils font leur plaisir: ceux-l? seuls ne sont pas dupes de notre extraordinaire organisation morale. Mais ne jugeons pas des hommes et encore moins des femmes d'apr?s nous-m?mes. La plupart sont tr?s satisfaits de leur esclavage, au point que leur bont? souffre devant la condition mis?rable de ceux qui s'en sont lib?r?s. Ils font tout au monde pour les rattraper et leur passer de force le collier au cou: <> Il y a des infortun?s qui se laissent prendre ? ce discours. D'autres, quand on peut, on les prend de force.

La police, ou de ces ?mes charitables comme il y en a trop, d?couvrit une fois dans un taudis du quartier Saint-Sulpice un nid de bonheur. Il ?tait hant? par un tout jeune couple de passereaux. Le gar?on pouvait avoir une quinzaine d'ann?es, moins encore, si je me souviens, et la fille en avait douze. De quoi vivaient-ils, on n'en sait rien, de grappillage sans doute, d'?pluchures et d'eau claire? Quand ils n'en pouvaient plus de vagabonder, ils rentraient dans leur soupente o? ils s'endormaient dans les bras l'un de l'autre, car ils ?taient amants. Le na?f amour les consolait d'avoir trop souvent faim, et ceux qui les d?couvrirent d?couvrirent qu'ils ?taient heureux, en leur innocence animale. Ce fut un grand scandale, dont on parle peut-?tre encore entre d?votes et autres personnes raisonnables. Naturellement on les s?para, quoiqu'ils pleurassent beaucoup, et on mit le gar?on aux enfants assist?s, cependant que la fille dut suivre la cotte de quelque bonne soeur. Et tout le monde trouva cela tr?s bien. Moi aussi. Je le dois, pour ne pas me faire honnir, et vous ferez ainsi, n'est-ce pas, mon amie, afin de conserver l'estime des gens convenables? Est-il admissible, en effet, que des enfants se mettent ? vivre ? l'?tat de nature, en plein Paris, dans un quartier honorable, ? deux pas d'une ?glise, du jardin du Luxembourg et du S?nat? On e?t pass? sur le grappillage, mais l'amour! N'est-il pas vrai que tant de perversit?, et si pr?coce, d?concerte? Antiphilos e?t ?t? ?mu par cette histoire, mais Antiphilos est bien suspect, et il ne se conna?t qu'en morale naturelle. Il la pratique, encore qu'il n'en sache pas la th?orie.

Vous ne savez pas, Amazone, comme je vous sais gr? d'avoir aim? ce petit livre incertain et de ne pas en avoir r?prouv? les tendances! C'est au point que je serais tent? de dire que vous l'avez aim? plus qu'il ne m?ritait. C'est, d'ailleurs, ce que je pense ? peu pr?s de tous mes ?crits dont il n'est gu?re un seul qui m'ait jamais satisfait compl?tement. C'est pourquoi j'ai pris le parti de n'y jamais rien corriger, quand on les imprime ou qu'on les r?imprime, car je me sens toujours tent? de les remettre sur le chevalet et de faire dispara?tre, sous de la peinture nouvelle, l'ancienne. Vous le savez bien, vous qui m'en avez arrach? un des mains. Je suis hant? par la technique du chef-d'oeuvre inconnu. Mais je pratique trop la philosophie du d?tachement pour jamais c?der ? de telles na?vet?s d'amour-propre et je supporte avec r?signation les d?plaisirs que me cause ce que j'?crivis, en r?vant aux livres merveilleux que je n'?crirai jamais. Ah! que j'envie ces auteurs qui se mirent dans leurs ouvrages et qui ne voient pas le n?ant proche o? ils cherront avec eux. Je les envie, mais en souriant avec quelque ironie, peut-?tre, car tout cela n'a vraiment pas beaucoup d'importance. Il faut vivre, cependant, et pour cela s'attacher fermement ? quelque touffe, le long du fleuve qui emporte tout, comme des naufrag?s que nous sommes. Le sentiment que l'on pla?t ? ceux-l? m?mes qu'on aurait choisis et le sentiment que l'on d?pla?t ? d'autres, qu'on aurait volontiers ?lus pour cet office, suffisent quelquefois ? vous maintenir en ?quilibre et ? vous fortifier le coeur et les mains. L'un de ces r?conforts n'agit que sur l'orgueil et n'a que des effets n?gatifs sur le plaisir de vivre, mais l'autre, qui agite toutes les fibres de la sympathie, peut conf?rer ? lui seul la joie suffisante. Pourquoi, par quelle l?chet?, mettre au pluriel ces termes n?cessaires? Une belle tendresse a fait son oeuvre. Amazone, sans vous, je crois bien que je ne m'aimerais plus beaucoup et que je n'aurais plus une extr?me confiance ni dans la vie ni dans moi-m?me. Aussi, je vous remercie encore d'avoir pris Antiphilos sous votre protection. Je suis rassur? sur son destin parmi les humains, puisque vous lui avez souri, amie.

LETTRE VINGTI?ME

LA SENSATION

L'attente alternative de la bonne ou de la mauvaise fortune, entre lesquelles oscillent nos vies troubl?es, exalte ou d?prime ? un tel point les gens nerveux, qui sont les gens ? imagination, que la r?alisation souvent les trouve sinon indiff?rents, du moins fort d??us. Je dis souvent, parce qu'il y a heur et malheur de telle qualit? que leur av?nement est encore une surprise pour qui les a fi?vreusement escompt?s. Il faut m?me, n'est-ce pas, mon amie, pousser plus loin les exceptions et croire aux privil?gi?s de la sensation et de l'?motion, ? ceux qui, ayant longtemps v?cu une chim?re, la vivent encore avec une intensit? pareille, quand elle devient une r?alit?. Et c'est ? vous que je pense, ? moi aussi, peut-?tre. Il y a l? une telle disposition des fibres sensitives et par suite un tel ?tat d'esprit que la dur?e et l'acuit? de telles vies peuvent s'en trouver accrues dans des proportions magiques. Comme, avec d?lices ou avec horreur, on retrouve le long de ses nerfs et dans son coeur la sensation que l'on attend, l'?motion qui viendra! Heureux ceux-l? qui ne les ?puisent pas d'avance et qui cueillent avec une surprise accrue par l'attente la fleur que leur imagination n'a pas d?color?e! Je mets la joie et la douleur sur le m?me plan ?motif, car c'est presque une question de savoir si on ne tire pas de l'une ou de l'autre des sensations quasi ?quivalentes.

Les passions supr?mes de l'amour physique jaillissent selon un mode ?quivoque o? l'on distingue mal la douleur du plaisir, tant ils y sont unis, mais qui certainement ne monte si haut dans le plaisir que gr?ce ? l'appoint de la douleur. Et comme extr?me, dans le moment qui suit, les uns ?clatent en un rire nerveux, d'autres ?clatent en sanglots. Dans le domaine des ?motions, rires et sanglots sont g?n?ralement l'expression de la grande joie et l'expression de la grande douleur, ? moins que, comprim?s par l'effort m?me de leur exc?s, ils ne se r?solvent en stupeur. Je ne pr?tends pas, mon amie, avoir mis en cette analyse ?l?mentaire une excessive clart?. C'est que les mots manquent ou que je ne les trouve pas. Cette p?nurie ou cette maladresse fait l'obscurit? du discours en ces mati?res. Mettons aussi que je sois abstrait ? dessein ou pour ce que je me refuse ? l'emploi des mots techniques. Mais n'apporteraient-ils pas une obscurit? de plus?

Le vulgaire, cependant, partage nettement les sensations en deux ordres, le plaisir et la douleur, le bon et le mauvais, et c'est, en somme, tr?s raisonnable et bien suffisant pour l'ordinaire de la vie, quoiqu'il laisse parfois transpara?tre une certaine h?sitation de classement. A tout homme, quel qu'il soit, m?me le plus simple, il est arriv? de se poser cette question, qui n'est pourtant nullement na?ve: <> Ou bien, s'il s'agit de sensations pures: <> Et le plus expert en analyse psychologique ne r?sout pas mieux le probl?me que le plus simple des hommes. Quand on le r?sout, c'est au moyen de l'imagination, mais l'imagination n'est pas toujours capable et on demeure perplexe et aussi un peu ridicule. Je crois que ce qu'il y a de plus important pour l'homme, c'est la sensation. Pour vivre, il faut qu'il sente sa sensibilit?. La mode n'est qu'une question d'habitude pour la plupart des hommes ou d'imagination pour les ?tres au syst?me nerveux tr?s d?velopp?. Cela semble si vrai qu'il y a des algophiles, qu'il y a, en amour, des masochistes , c'est-?-dire des amis ou amants de la douleur et des ?tres qui ne con?oivent la femme que comme un bourreau dont on recevrait amoureusement des coups, des humiliations, m?me des blessures. Les hommes de science qui, dans cette partie, s'appellent des psychiatres qualifient d'aberration cette recherche des sensations divergentes, mais ils n'ont pas encore vu que nous avons tous, ou presque tous, le germe de ces aberrations, puisque nous nous plaisons souvent autant, pour ne pas dire beaucoup plus, aux imaginations du malheur qu'? celles de la joie. Il faut m?me consid?rer comme un ?tre bien vulgaire celui qui ne r?ve que de sa p?t?e, qui ne s'est jamais plong? avec d?lices dans l'oc?an des supplices extravagants, et qui n'y a pas trouv? une affreuse satisfaction. Qu'on se souvienne du vers, peut-?tre ironique, mais que je cite en son sens direct:

Gr?ce aux dieux, mon malheur passe mon esp?rance!

Donner ou ?prouver de la douleur, donner ou ?prouver du plaisir, et que cela soit r?el ou que cela soit imaginaire, est donc, dans beaucoup de cas et pour certains ?tres trop sensitifs, ? peu pr?s ?quivalent. Un ?tre qui aime pr?f?rera toujours la douleur qui lui est d?partie par son amour m?me ? la sensation, bien plus p?nible encore, de l'indiff?rence. La meilleure mani?re de le d?courager et de le d?sesp?rer sera la froideur, ou la politesse parfaite ou encore la camaraderie avec toute sa banalit? frivole, tandis qu'une parole intentionnellement cruelle peut ?tre accept?e comme un encouragement, au m?me titre qu'une caresse. C'est peut-?tre pourquoi il est si difficile de se d?fendre contre l'amour, et que le moyen de le vaincre est parfois d'y c?der et c'est peut-?tre aussi pourquoi entre amants la cruaut? est souvent un lien plus fort que la volupt?: on me fait souffrir, donc l'on m'aime.

Et voil? que je m'?tais embarqu? sur un sujet et que ma lettre s'est continu?e et s'ach?vera sur un autre sujet. Comme je sais mal me discipliner! Mais c'est une lettre, Amazone, qui aimez l'inattendu. Il est convenu qu'il en est des lettres comme de la conversation et qu'il ne faut qu'y effleurer les choses et passer de l'une ? l'autre au hasard de l'association des id?es et m?me des mots. C'est un genre qui me convient, car nul ne ressent plus que moi combien toutes les questions s'enchev?trent et combien il est impossible d'en fr?ler une seule sans que toutes les autres fr?missent et l?vent la t?te pour attirer l'attention sur elles. Oui, je crois que n'importe quoi nous m?ne logiquement vers tout, nous ram?ne logiquement vers ce qu'on aime le plus. Vous ?tes pour moi comme le centre du labyrinthe, o? toutes les routes, apr?s mille tours et d?tours, se retrouvent et d'o? elles repartent en qu?te d'un but o? elles vous rencontreront toujours. On m'a reproch? d'?tre devenu trop irr?ligieux, c'est-?-dire trop incr?dule. C'est bien mal me conna?tre. Mais il est vrai que je ne crois qu'aux divinit?s que j'ai sculpt?es moi-m?me. Je n'ai confiance qu'en celles-l?, parce que je sais que mon amour leur a conf?r? la force magique, sans quoi elles n'auraient ni la puissance de me faire du bien, ni celle de me faire du mal: <> Ce mot de la petite fille du faux monnayeur, dont un marchand refusait la pi?ce de monnaie, n'est-il pas beau et bien repr?sentatif de la confiance? Je suis comme cette petite fille, j'ai foi dans l'oeuvre de mon imagination que j'ai vue travailler sous mes yeux et fa?onner ? mon usage un magnifique simulacre auquel je ne demande rien que de ne pas laisser se dess?cher trop vite les fleurs que je mets ? ses pieds.

LETTRE VINGT ET UNI?ME

L'OUBLI

Comment revenir apr?s cela aux formes indistinctes qui confondent un ?tre avec les ?tres, ? ce pluriel froid de r?v?rence qui dit ? l'idole: <>? Il le faut cependant. L'idole froncerait le sourcil et cela ?branle les architectures du temple. J'aime l'anglais, parce qu'il tutoie Dieu; quoique j'aie peu de rapports avec ce grand personnage, je sais qu'il en est flatt?. J'?cris pour vous, mais j'?cris pour le peuple, qui conna?t mal les illogismes secrets de la grammaire et confondrait le respect supr?me avec la familiarit?. Je ne vous confonds avec rien, Amazone, pas m?me avec les amazones, dont je vous ai tir?e en vous nommant ainsi, et c'est pour cela m?me que je ne veux pas vous donner ? l'oubli, m?me en apparence.

L'oubli est la grande confusion. Il est aussi la grande tristesse. Et cela se tient. Il n'est pas de pire affliction que de perdre dans la foule ce qu'on a une fois distingu?, de rendre au commun l'?tre dont on attendait tout et qui vous donna tout, en effet, et de se sentir forc? de le semer parmi les autres v?g?tations humaines, pour cela pr?cis?ment qu'il n'a plus rien ? vous donner et qu'il a perdu tout son pouvoir de fascination sur vos yeux. Oublier, c'est regarder mourir. Cela peut-il se faire avec indiff?rence, f?t-ce une b?te la plus f?roce et la moins sensible? Et il s'agit peut-?tre de qui vous a mang? dans la main et dans la bouche, qui flaira vos odeurs, qui a pr?f?r? ? toutes les nourritures le pain p?tri par vos doigts sur le bord de la table, un jour que vous r?viez de son corps sous votre main. L'oubli est affreux comme une injustice, mais, il faut bien l'avouer, comme l'injustice elle-m?me, il est une lib?ration. L'oubli est un meurtre, mais nous vivons de meurtres; l'homme le plus doux traverse la vie le poignard ? la main. J'ai oubli? l'amiti?, j'ai oubli? la sympathie et le sourire heureux des ?mes qui venaient ? moi, mais je ne les ai pas oubli?s au point que je n'en revoie parfois le fant?me qui troubla Macbeth, mais qui me trouble moins. Apr?s tout, il vaut mieux ?tre entour? de fant?mes que de vivants. Les fant?mes sont muets et d'ailleurs on les chasse d'une chiquenaude, comme les mouches. Puis qui sait si ceux que je crois avoir poignard?s n'ont pas la m?me impression et si je ne les hante pas aussi dans leur sommeil et dans leurs amours? Ces trag?dies de l'oubli mutuel finissent en quiproquo. Je m'?tonne qu'on n'ait pas encore imagin? le dialogue ?lys?en des anciens amants dont les ombres ? l'envi se vantent d'avoir quitt? et de n'avoir pas ?t? quitt?es, les banales victimes de don Juan se flattant de l'avoir mis d?lib?r?ment ? la porte de leur chambre et de leur coeur, au lieu d'assumer la figure ridicule d'?ternelles inconsol?es. On ne sait pas de qui vient l'oubli, si ce n'est pas de qui aime trop et souffre trop. A force de penser les ?tres, on les use, comme la mer use les cailloux qu'elle roule.

C'est le dilemme o? nous sommes pris et l'?tau o? s'?crasent nos sentiments. On oublie par indiff?rence et on oublie par exc?s d'amour, quand la pr?sence r?elle ne r?conforte pas le m?canisme passionnel, mais on peut toujours dire dans ce cas que l'amour manquait de force initiale et d'?lan vrai, et puis des causes diff?rentes am?nent des r?sultats pareils: il faut laisser ? l'oubli sa v?ritable signification, et je retourne ? l'indication que je vous donnai, il y a une page: on oublie les ?tres quand on n'a plus besoin d'eux. Ce n'est qu'un ph?nom?ne d'?go?sme et du plus simple. Je vous oublierai donc et vous m'oublierez, Amazone, quand nous n'aurons plus besoin l'un de l'autre, quand nous ne serons plus l'un pour l'autre un miroir, mais je ne vois vraiment pas comment cela pourrait arriver. Pour moi, je suis presque effray? de voir ? quel point j'ai besoin de votre ?me et de vos yeux. Il est donc vrai que je ne me suffis pas ? moi-m?me et qu'il me faut un autre ?tre o? vivre? La premi?re fois que j'ai pris conscience de cet ?tat, je dus reconna?tre que ce n'?tait pas celui que j'avais m?dit?. Le plan de mes ann?es futures ?tait fait , je vous l'ai dit ou ?crit, quand je luttais encore, mont? sur mon orgueil; d'un mot je me vouais ? la solitude et au n?ant, dans lequel moi seul sais ce que j'y mets. Et maintenant je ne puis supporter l'id?e de vous ?tre indiff?rent, la pens?e de ne plus ?tre pens? par vous. Une maison o? vous habitez s'est dress?e sur le chemin de l'oubli qu'elle rend infranchissable et j'en suis l?. Je m'y plais. Il y a un jardin autour de la maison et dans le jardin une source d'o? part un ruisseau qui s'?coule sous les arbres. Ce ru, c'est votre vie murmurante, et moi, je suis un des arbres qui la regardent et en respirent la fra?cheur. Mais le genre est trop facile pour que je continue. C'est trop d'avoir c?d? ? mon amour des images champ?tres et d'avoir cru pouvoir exprimer par elles quelque chose de sens?. Puis cela m'induit r?guli?rement en de longues m?lancolies. Je ne pense plus, je r?ve. Je reconstruis avec d'autres pierres, et avec de pu?riles mottes de gazon, ma vie d?labr?e et vraiment rien n'est plus vain ni plus malsain peut-?tre.

C'est avec les ?l?ments r?els de l'existence, de celle m?me qui nous a ?t? donn?e, qu'il faut jouer. Ce qu'on prend hors de soi-m?me, hors de sa v?racit?, n'est bon ? rien. Et encore une fois, c'est trop facile. Mais j'ai peur de moi-m?me, comme du miroir ? double face o? vous me tentiez hier, et le bon c?t? du r?ve, c'est que l'on confronte qui l'on veut avec le miroir, except? soi, et l'on veut bien qu'il grossisse et m?me qu'il d?forme. Quand je veux me regarder, c'est en vous. Voyez combien vous m'?tes n?cessaire. Quelque image qui m'en revienne, je l'aimerai encore, sans peur, m?me avec un sourire de complicit?. Ce que vous voudrez. Comme vous me penserez, je me penserai. Vous ne savez pas combien j'y gagne. Rien ne suffirait ? m'attacher ? vous, si j'?tais calculateur, mais il n'est pas d'?tre qui le soit moins et je cherche des motifs ? un mouvement qui n'en a pas et qui marche fort bien sans que je les connaisse. Cependant, je sais que c'est sans p?ril aucun que j'analyse, bien maladroitement, les sentiments qui me viennent de vous. Ce n'est qu'une surface. L'analyse ne touche pas au fond et comme il est inatteignable, il serait inexprimable. On se heurte toujours au mot de Montaigne qui est ind?composable: Parce qu'il ?tait lui, parce que j'?tais moi. C'est ? quoi aboutissent ces divagations dont je vous fais confidence et que vous lirez loin de moi. Je saurai ce que j'en pense quand vous m'aurez ?crit, car ne croyez pas, parce que je les donne ? tous, que je m'occupe d'un autre jugement que le v?tre.

EXALTATION

Ou plut?t, mon amie, j'analyse maintenant ce que je n'ai fait tout d'abord que sentir. J'aime ? me laisser aller aux forces inconscientes. Elles ont tant de clairvoyance et se font si doucement ob?ir, avec tant de fermet? et tant de suite dans les id?es! Mais le conscient veut juger l'inconscient: c'est naturel. Il n'y a que les aveugles qui puissent disserter m?thodiquement sur les couleurs, et sans rire. Moi, je ris, malgr? la tristesse ?ternelle qui me serre les tempes, je ris quand je vous vois pr?s de moi, je ris comme un enfant qui retrouve la lumi?re. Le rire est s?rieux comme la vie. Le rire est une exaltation.

Cet essai de po?me aussi est une exaltation. Elle ne rit pas. On ne rit pas quand on est seul. Mais on est quelquefois ivre de ses pens?es.

ELLE A UN CORPS...

--SONNETS EN PROSE--

Elle a un corps. Je ne m'en ?tais pas encore aper?u. Pourtant, j'avais regard? ses cheveux, ses yeux, ses yeux surtout, j'avais touch? ses mains; je ne rassemblais pas tout cela en un faisceau vivant. Je ne l'ai d?couvert qu'hier: elle a un corps.

Mes d?ductions sont certaines. C'est en regardant sa voix qui sortait de sa bouche et en faisait vibrer les l?vres que cette id?e s'est impos?e ? moi. Comme elle leva la t?te, je vis que l'origine des vibrations ?tait dans la gorge,

Qui se gonflait ou se creusait l?g?rement ? leur passage. Et je vis que la gorge se prolongeait et s'affirmait par des mouvements plus amples et plus sensibles;

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