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Munafa ebook

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Words: 43802 in 13 pages

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ANATOLE FRANCE

LES OPINIONS DE M. J?R?ME COIGNARD RECUEILLIES PAR JACQUES TOURNEBROCHE

L'ABB? J?R?ME COIGNARD

Attentif, exact et bienveillant, il fit un portrait plein de vie et tout empreint d'une amoureuse fid?lit?. C'est un ouvrage qui fait songer ? ces portraits d'?rasme, peints par Holbein, qu'on voit au Louvre, au mus?e de B?le et ? Hampton-Court, et dont on ne se lasse point de go?ter la finesse. Bref, il nous laissa un chef-d'oeuvre.

Il est probable que Jacques Tournebroche, dont on conna?t la simplicit?, ne se posait pas toutes ces questions au sujet du petit livre sorti de sa main. Ce serait lui faire injure que de penser qu'il avait de lui-m?me une opinion exag?r?e.

Jacques Tournebroche ne se contenta pas de faire conna?tre les actions et les maximes de son ma?tre dans un r?cit suivi. Il prit soin encore de recueillir plusieurs discours et entretiens de M. l'abb? Coignard qui n'avaient point trouv? place dans les m?moires , et il en forma un petit cahier qui m'est tomb? entre les mains avec ses autres papiers.

Mais s'il faut estimer que M. l'abb? Coignard v?cut libre, affranchi des communes erreurs et que les spectres de nos passions et de nos craintes n'eurent point d'empire sur lui, on doit reconna?tre encore que cet esprit excellent eut des vues originales sur la nature et sur la soci?t?, et que, pour ?tonner et ravir les hommes par une vaste et belle construction mentale, il lui manqua seulement l'adresse ou la volont? de jeter ? profusion les sophismes comme un ciment dans l'intervalle des v?rit?s. C'est de cette mani?re seulement qu'on ?difie les grands syst?mes de philosophie qui ne tiennent que par le mortier de la sophistique. L'esprit de syst?me lui fit d?faut, ou l'art des ordonnances sym?triques. Sans quoi il para?trait ce qu'il ?tait en effet, c'est-?-dire le plus sage des moralistes, une sorte de m?lange merveilleux d'?picure et de saint Fran?ois d'Assise.

Ce sont l?, ? mon sens, les deux meilleurs amis que l'humanit? souffrante ait encore rencontr?s dans sa marche d?sorient?e. ?picure affranchit les ?mes des vaines terreurs et les instruisit ? proportionner l'id?e de bonheur ? leur mis?rable nature et ? leurs faibles forces. Le bon saint Fran?ois, plus tendre et plus sensuel, les conduisit ? la f?licit? par le r?ve int?rieur, et voulut qu'? son exemple les ?mes se r?pandissent en joie dans les ab?mes d'une solitude enchant?e. Ils furent bons tous deux, l'un de d?truire les illusions d?cevantes, l'autre de cr?er les illusions dont on ne s'?veille pas.

Mais il ne faut rien exag?rer. M. l'abb? Coignard n'?gala certes ni par l'action ni m?me par la pens?e le plus audacieux des sages et le plus ardent des saints. Les v?rit?s qu'il d?couvrait, il ne savait pas s'y jeter comme dans un gouffre. Il garda en ses explorations les plus hardies l'attitude d'un promeneur paisible. Il ne s'exceptait pas assez du m?pris universel que lui inspiraient les hommes. Il lui manqua cette illusion pr?cieuse qui soutenait Bacon et Descartes, de croire en eux-m?mes apr?s n'avoir cru en personne. Il douta de la v?rit? qu'il portait en lui, et il r?pandit sans solennit? les tr?sors de son intelligence. Cette confiance lui fit d?faut, commune pourtant ? tous les faiseurs de pens?es, de se tenir soi-m?me pour sup?rieur aux plus grands g?nies. C'est une faute qui ne se pardonne pas, car la gloire ne se donne qu'? ceux qui la sollicitent. Chez M. l'abb? Coignard, c'?tait de plus une faiblesse et une incons?quence. Puisqu'il poussait ? ses derni?res limites l'audace philosophique, il n'e?t pas d? se faire scrupule de se proclamer le premier des hommes. Mais son coeur restait simple et son ?me candide, et cette insuffisance d'un esprit qui ne sut pas se tendre au-dessus de l'univers lui fit un tort irr?parable. Dirai-je pourtant que je l'aime mieux ainsi?

Je ne crains pas d'affirmer que, philosophe et chr?tien, M. l'abb? Coignard unit dans un m?lange incomparable l'?picurisme qui nous garde de la douleur et la simplicit? sainte qui nous m?ne ? la joie.

Il est remarquable que non seulement il accepta l'id?e de Dieu telle qu'elle lui ?tait fournie par la foi catholique, mais encore qu'il tenta de la soutenir sur des arguments d'ordre rationnel. Il n'imita jamais cette habilet? pratique des d?istes de profession qui font ? leur usage un Dieu moral, philanthrope et pudique, avec lequel ils go?tent la satisfaction d'une parfaite entente. Les rapports ?troits qu'ils ?tablissent avec lui donnent ? leurs ?crits beaucoup d'autorit? et ? leur personne une grande consid?ration dans le public. Et ce Dieu gouvernemental, mod?r?, grave, exempt de tout fanatisme et qui a du monde, les recommande dans les assembl?es, dans les salons et dans les acad?mies. M. l'abb? Coignard ne se repr?sentait point un ?ternel si profitable. Mais, consid?rant qu'il est impossible de concevoir l'univers autrement que sous les cat?gories de l'intelligence et qu'il faut tenir le cosmos pour intelligible, m?me en vue d'en d?montrer l'absurdit?, il en rapportait la cause ? une intelligence qu'il nommait Dieu, laissant ? ce terme son vague infini, et s'en rapportant pour le surplus ? la th?ologie qui, comme on sait, traite avec une minutieuse exactitude de l'inconnaissable.

Cette r?serve, qui marque les limites de son intelligence, fut heureuse si, comme je le crois, elle lui ?ta la tentation de mordre ? quelque app?tissant syst?me de philosophie et le garda de donner du museau dans une de ces sourici?res o? les esprits affranchis ont h?te de se faire prendre. A l'aise dans la grande et vieille rati?re, il trouva plus d'une issue pour d?couvrir le monde et observer la nature. Je ne partage pas ses croyances religieuses et j'estime qu'elles le d?cevaient, comme elles ont d??u, pour leur bonheur ou leur malheur, tant de si?cles d'hommes. Mais il semble que les vieilles erreurs soient moins f?cheuses que les nouvelles, et que, puisque nous devons nous tromper, le meilleur est de s'en tenir aux illusions ?mouss?es.


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